L'idée de proposer
l'approche sociologique d'une pathologie peut prendre au dépourvu :
c'est a priori surtout un problème organique, on imagine difficilement une personne clouée au lit avec
40° de fièvre, s'étant vrillée le genou après avoir eu la drôle
d'idée de faire du sport ou encore atteinte d'une maladie grave aller d'urgence rechercher les éclairages de sociologues. La
société est pourtant pleinement impliquée dans la maladie, bien
entendu à travers les moyens consacrés aux soins et à la
prévention mais aussi dans l'identification de la pathologie, la
perception des malades et des aidants, l'évaluation pour les
personnes bien portantes du risque d'être concernées, …
Ce livre permet de constater à quel point ces
enjeux sont présents dans la maladie d'Alzheimer, le terme même de
maladie d'Alzheimer n'allant par ailleurs pas de soi : le
diagnostic spécifique est complexe et coûteux à effectuer, ce qui
implique de généralement utiliser ce mot pour l'ensemble des
troubles similaires (il est plus précis de parler de "maladie
d'Alzheimer et maladies apparentées"), le terme de démence à ses
inconvénients aussi, … Passé dans le langage courant, le
patronyme du célèbre neurologue va parfois jusqu'à désigner toute
perte cognitive associée au vieillissement, au risque d'oublier
qu'on peut vieillir en conservant l'essentiel de ses capacités ou
encore que cette dégénérescence ne touche pas nécessairement des
personnes très âgées : la patiente formellement identifiée
par Alois Alzheimer au début du siècle dernier était âgée de 51 ans (ce
qui n'empêche pas cet enjeu de santé publique d'être rendu bien
plus pressant par le vieillissement général de la population).
L'aspect financier est bien entendu traité par
l'autrice, aspect qui avant une mobilisation plus ambitieuse des
pouvoirs publics a connu une réticence avec parfois des arguments
qui font dresser les cheveux sur la tête ("le directeur de l'APF
m'a dit "Une personne de 60 ans n'a pas de projet de vie, vous
n'allez pas nous prendre nos crédits, quoi" ", "je suis allée
voir tous les élus, conseiller régional, ou conseiller général,
politiques. Il y en a un qui m'a dit, c'était il y a un peu plus
d'un an [en 2001] : "Vous êtes combien ? Il y a combien
d'adhérents dans votre association ?" Je crois qu'il y
en avait 84, je lui ai dit 84, et cette personne-là m'a dit "Oh
bah les paralysés de France, ils sont 400" ", ou
encore l'argument que les personnes atteintes de cette pathologie ne
votent pas), réticence aujourd'hui largement dépassée, parfois
même trop largement ("maintenant des tas de gens, y compris des
requins parce que c'est devenu un sujet médiatique, à la mode, ils
prononcent Alzheimer pour se faire ouvrir les portes, vous comprenez
dans l'effet inverse"). Dans une autre démarche, les laboratoires
pharmaceutiques ont également été prompts à saisir l'enjeu
financier, hurlant au déni de la souffrance des malades quand les
premières molécules ont été refusées par la Food and Drugs
Administrations américaine pour une balance bénéfices/risques négative.
Les mobilisations ont aussi été marquées par des
conflits entre les différents acteur·ice·s, entre les différentes
approches. Le médecin Jean-François Girard, pour rédiger un
rapport commandé par l'Etat, a préféré écouter les spécialistes
séparément car les conflits, lorsqu'ils étaient réunis, nuisaient à
la communication ("les gens dans ce milieu là s'empoignent
particulièrement, les luttes des professionnels contre les autres,
alors les médecins contre les sociaux, les médecins, les gériatres
contre les neurologues, ..."). On imagine aisément que, dans ce
contexte, les premier·ère·s concerné·e·s ont eu du mal à prendre la parole
("un gériatre a constaté que, il y a encore dix ans, aucun malade
n'était présent aux groupes de parole dans lesquels il
intervenait") : certains ont pourtant mené avec succès ce
combat, que ce soit à petite échelle (témoignage d'un gériatre en
2002 : "écoutez quand même cette femme a fait preuve d'un
cran étonnant! alors qu'elle était dans un lieu d'une quarantaine
de personnes qui visiblement ne voulaient pas qu'elle prenne la
parole, elle s'est imposée alors qu'elle avait un défaut de
communication et qu'elle a réussi à faire passer un message pour
lequel elle a eu une réponse : je dis chapeau!") ou à plus
grande échelle à travers l'écriture autobiographique (par exemple
Christine Byden, Who will I be When I die?)
ou encore, dans le cas de John MacKillop, la participation à
l'élaboration d'un code de bonne conduite pour la passation des
questionnaires de recherche à des personnes atteintes.
Au delà de la
visibilité, la question de la représentation (médiatiser sans
stigmatiser), directement militante (campagnes de sensibilisation) ou
plus générale (cinéma, littérature, …), est également
complexe. Si des combats sont menés pour que la maladie cesse d'être
automatiquement associée à la vieillesse, le fait, dans le film Se
souvenir des belles choses, de
représenter un personnage principal de moins de 40 ans a été mal
vu : il est certes important de rappeler que cette pathologie ne
concerne pas uniquement des personnes de plus de 80 ans, mais les
personnes atteintes si jeunes tiennent plutôt de l'exception. Dans
le cadre d'une campagne de sensibilisation une affiche montrant un
vieil homme urinant dans les rayons d'un supermarché a également
subi des critiques car donnant une image dégradante, jusqu'à
finalement être retirée. L'association a argumenté qu'il semblait
important de rappeler que la maladie d'Alzheimer pouvait également
provoquer des troubles du comportement.
L'approche sociologique,
si elle n'est pas la première à laquelle on pense, a donc de
nombreux enjeux bien concrets. Un travail de même ampleur sur la
schizophrénie, par exemple, pourrait s'avérer particulièrement
intéressant (mais peut-être qu'il existe déjà?). Les sujets
traités sont détaillés très clairement, les termes techniques de
sociologie sont réservés à l'intro (et puis ils sont expliqués,
mais bon ça peut intimider quand on n'y connaît strictement rien...
enfin, pas moi bien sûr, hum hum...). En plus des problématiques
rapidement évoquées dans ce résumé, le livre s'attarde par
exemple sur l'histoire des connaissances scientifiques sur la
pathologie, détaille les annonces et mesures successives de l'Etat
français, … Si l'autrice propose elle-même des pistes
d'approfondissement ("la situation des proches endeuillés
après le décès de la personne malade, l'intimité et la sexualité
des malades d'Alzheimer, l'inter-culturalité dans la relation de
soins et d'accompagnement , la démence en prison, la fin de
vie, l'accompagnement des besoins spirituels et religieux des
personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, la lutte contre leur
exclusion ou bien plus généralement l'intégration des malades dans
la Cité"), l'information proposée est déjà conséquente.
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