Je dois admettre que ce qui a attiré mon attention vers ce récit autobiographique n'est pas la question posée dans le titre (les raisons de rester, dans les situations de violences conjugales, sont multiples... l'efficacité des manipulations -le dénigrement constant ou au contraire les promesses récurrentes de, cette fois, se reprendre et tout arrêter-, l'isolement social construit par l'agresseur·se, les difficultés matérielles, le danger -le moment de la séparation est celui où le risque de passage à l'acte violent voire meurtrier est le plus élevé-, ...), mais à l'inverse celle de savoir comment l'autrice a pu partir après 25 ans de relation, 25 ans de violence et d'emprise.
Si Jérôme sait en effet dans un premier temps se montrer "gentil, prévenant", au point de convaincre l'autrice de quitter son compagnon actuel pour lui, il impose vite ses propres règles, fait comprendre, de moins en moins implicitement, que l'important, ce sont ses désirs. Il accepte, réticent, qu'elle fasse un stage chez les pompiers pour lequel elle est enthousiaste, mais c'est pour lui reprocher, de façon virulente ("Il ne dit pas un mot. Ensuite, il hurle... Il gueule après moi, accélère et tape sur son volant à coup de poing"), d'avoir osé figurer sur la photo de groupe faite à la fin. Elle va passer des vacances chez sa correspondante en Allemagne? C'est un motif de rupture. Finalement, c'est annulé, ouf! Mais il ouvre sa valise et constate qu'il y a des jupes, c'est suspect! Ces deux incidents, et d'autres, lui seront reprochés un nombre incalculable de fois.
Les règles imposées sont de plus en plus absurdes, de plus en plus violentes, jusqu'à interdire à la famille de l'autrice d'être présente à leur mariage (et aller les narguer en klaxonnant devant leur maison le jour même), lui interdire un travail s'il risque d'impliquer un contact avec des hommes. Il devient de plus en plus capricieux, estime qu'il est à plaindre que sa compagne soit inconsolable après une fausse couche, puis plus tard que leur fils pleure. Il boit, s'enferme, devient de plus en plus agressif avec les années. Il s'énerve contre les voisins trop bruyants jusqu'à exiger un déménagement, ne travaille pas et bien sûr refuse à l'autrice le droit de travailler elle-même (tout en exigeant qu'elle aille lui acheter alcool et cigarettes), regarde pendant des heures des documentaires sur des dictateurs (pour les admirer!) et des films pornographiques. L'autrice apprend à repérer les signes avant coureurs de ses colères qui explosent souvent la nuit, redescendra à sa rencontre alors qu'elle est déjà couchée pour préserver les enfants (qui, iels le confirmeront plus tard, entendent tout, évitent même d'aller aux toilettes pour ne pas prendre de risques), apprendra à laisser autant que possible passer l'orage ("Un mot, une réflexion, un reproche. Je sais qu'il ne faut rien répondre. Pourtant, il l'attend sa réponse en tapant du poing sur la table, il hurle, se relève, se rassoie. Va-t-il oser ce soir?"), les interrogatoires interminables où il cherchera des preuves d'adultère, l'accusera continuellement, lui qui en début de relation lui avait fait la liste de ses conquêtes, de vouloir "faire la pute", ce qui semble être selon lui le but dans la vie de l'ensemble des femmes.
Elle fera un premier pas vers la sortie de cette prison en créant un espace pour elle, un blog littéraire, en se mettant elle-même à l'écriture, avec son accord (il dénigrera régulièrement ses compétences d'écrivaine), en s'engageant à ne pas interagir avec des hommes. Mais la règle est de plus en plus difficile à respecter : comment garder un lien avec une communauté dans ces conditions? Elle s'interdit d'abord les messages privés, puis renonce aussi à cette règle. C'est ainsi qu'elle fait la rencontre de Marco, et échange de plus en plus avec lui, malgré le risque, s'aperçoit qu'elle a des sentiments. Elle se livre peu à peu, en minimisant de moins en moins. Il partage avec elle des vidéos sur les pervers narcissiques : le profil correspond énormément à celui de Jérôme!
La séparation arrive enfin, avec l'aide de sa mère, d'une association, de Marco, et Jérôme continue d'être méchant, mesquin, de poser des exigences, de garder le plus d'affaires possibles (y compris des souvenirs ou la voiture de leur fils aîné), utilise les enfants pour faire du mal (il les suit, les épie, lorsqu'il les voit les interroge sur les faits et gestes de leur mère). L'autrice découvre la vie sans cette chape de plomb avec laquelle elle a si longtemps vécu, mais doit subir le système judiciaire dont il s'empare pour manipuler encore ("l'avocate de Jérôme, que je connais, se penche vers moi et me dit : -Vous savez, il vous aime encore, il a sur lui un petit cadre avec une photo de vous. Il me l'a montré. Il est vraiment peiné par votre séparation"), en particulier en demandant un droit de visite, qui lui sera accordé (en terrain neutre), visites auxquelles il ne daignera pas se rendre ("Encore une fois, pourquoi laisser une nouvelle chance à un homme qui en a laissé passer des centaines? Pensent-ils vraiment dans ces tribunaux que nous n'avons pas déjà eu notre compte de fausses excuses, de plaintes, de remords?"), et surtout vivre avec la crainte qu'il ne décide, un jour, d'utiliser son fusil ("Chaque jour, j'ai peur au point de ne plus oser regarder ces histoires meurtrières. La question me taraude : je porterai quel numéro?", "Son neveu a commis un féminicide : je l'apprends en écrivant ce livre. Il a pleuré, lui aussi, aux obsèques de sa compagne en tenant la main de sa petite fille. Et pourtant, c'est lui qui l'avait étouffée puis il avait noyé ses deux chiens"). Mais malgré ces difficultés et injustices, aucun regret d'avoir fait ce choix : "partir, c'est se sauver".
Ce livre est adressé aux victimes de violences conjugales, femmes et hommes, mais aussi à leurs proches ("son silence et son effacement ne sont pas une acceptation. Lui parler, c'est être un soutien, un encouragement ou juste incarner une écoute. Ecoutez ce qu'elle consentira à vous dire. Soyez une présence. Ne la jugez pas. Vos jugements, vos critiques, donnent raison à son bourreau"), et à la France qui est malheureusement encore loin de faire le nécessaire pour protéger les victimes.
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