dimanche 25 juin 2023

Skills in person-centred counselling and psychotherapy, de Janet Tolan et Rose Cameron


 

 Le premier mot du titre, que je traduirais spontanément par "techniques" ou "compétences", a de quoi faire lever un sourcil intrigué aux personnes familières avec l'approche de Carl Rogers : l'Approche Centrée sur la Personne, est-ce que ce n'est pas d'abord quelque chose d'expérientiel, un travail intérieur, une disponibilité à la rencontre? En allant un peu plus loin, est-ce que ce n'est pas presque vulgaire, alors même que Rogers indique dans une magnifique intro de Client-centered therapy sa réticence à mettre sur le papier quelque chose qui se vit avant tout, de rédiger une liste de "trucs et astuces" pour thérapeutes ACP? Certes, je force le trait, mais je dois bien admettre que je m'inscris dans une certaine mesure dans cette façon de voir les choses, puisque je viens d'écrire dans l'enquête satisfaction de la formation que je viens d'achever (envoyez-moi des client·e·s) (enfin, pas maintenant, mais d'ici deux ou trois mois normalement) que la partie la plus importante était de loin les deux premières années dont les proportions sont d'à peu près 100% de pratique et 0% de théorie.

 Et pourtant, dès les premiers chapitres, j'ai perçu ce livre comme extrêmement pertinent, et complémentaire avec ce que j'ai pu lire jusque là. Certes, il y a de quoi s'occuper et échanger autour des fondamentaux (congruence, approche positive inconditionnelle, non-directivité, ...), dont il est relativement facile d'avoir une compréhension intuitive mais qui peut donner lieu à des débats riches et infinis sur ce qu'ils recouvrent précisément et ce qu'ils impliquent dans la pratique (et, incontournable si on veut avoir l'air sérieux·se, sur ce que Rogers a effectivement dit ou pas dit, en quelle année, dans quel contexte et dans quel paragraphe de quel texte, et si on peut entrevoir une évolution mais ça dépend de comment on l'interprète c'est encore mieux), mais la dimension expérientielle implique aussi que l'ACP soit d'abord quelque chose qui se pratique, et dans la pratique des questions très concrètes émergent, potentiellement récurrentes. Et, si les autrices, dans la tradition de la non-directivité, préfèrent parfois les questions aux réponses ("quand on a peur de tomber à côté, c'est très tentant de vouloir se tourner vers l'illusion de lois de la thérapie"), et sont pour le moins transparentes sur le fait que, non, un catalogue de solutions exhaustif ça ne peut pas exister ("notre connaissance, notre compréhension et notre foi dans notre modèle théorique et nos hypothèses sont mises à l'épreuve sans arrêt"), le livre comporte bien des réponses précises qu'il est plutôt rassurant de voir couchées sur papier. Qu'est-ce que ça veut dire, concrètement, dans la temporalité d'une séance de thérapie, d'être empathique? Comment ça se traduit exactement, en questionnements et en actions, la congruence? Comment ne pas se prendre les pieds dans l'approche positive inconditionnelle quand le·a client·e nous tape doucement sur le système ou quand vraiment on a du mal avec certains de ses choix (les autrices rappellent d'ailleurs que la bienveillance et la compassion peuvent parfois plus mettre à l'épreuve l'approche positive inconditionnelle que la divergence de valeurs ou l'agacement : quel·le thérapeute n'aura aucune difficulté à accompagner sans même de réticence intérieure un·e client·e qui se dénigre?)? 

 Les autrices couvrent des concepts fondamentaux comme ceux évoqués plus haut, le cadre (qui selon elles doit, comme le roseau d'une fable dont vous avez peut-être entendu parler une fois ou deux, être flexible pour plier mais ne pas rompre... il y aura d'autant moins de réponses clefs en mains sur ce sujet que l'une des autrices dit que ses erreurs les plus douloureuses ont été faites en suivant des conseils obtenus en supervision), ou encore des aspects plus inattendus mais dont elles permettent bien de saisir l'importance comme le début et la fin de la thérapie. Concernant le contact psychologique entre client·e et thérapeute (l'une des six conditions nécessaires et suffisantes pour Rogers), sujet auquel l'une des autrices à consacré sa thèse (oui, j'ai regardé si elle était dispo en ligne et, oui, elle sera résumée sur ce blog dans un avenir relativement proche), beaucoup de pistes sont données avec une insistance sur les aspects implicites, non-verbaux ("de nombreux livres sur l'écoute centrée sur la personne insistent sur l'importance pour le thérapeute d'être authentique, empathique et dans l'acceptation inconditionnelle, mais ne parlent pas de l'importance pour le client de percevoir le thérapeute comme tel").

 Le livre est accessible (du moins pour le public très spécifique qui est visé -thérapeutes, superviseurs et formateur·ice·s ACP, étudiant·e·s aussi mais la lecture apportera beaucoup moins à mon avis si elle n'est pas précédée d'une certaine expérience-), riche (au point que je suis frustré de l'avoir en version numérique parce que c'est moins pratique à feuilleter pour aller chercher spécifiquement tel ou tel passage), et m'a fortement donné la sensation de combler un vide tout en évitant les écueils qu'on pourrait attendre (si vous doutiez avant la lecture que la thérapie ACP est principalement constituée, expérience et supervision ou non, de doutes et de questionnements, vous devriez en avoir la certitude d'ici à votre arrivée à la dernière page!). Dommage qu'il ne soit pas plus connu (et aussi qu'il ne soit pas plus traduit).


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