Le trouble borderline se caractérise, entre autres, par une insécurité dans les relations sociales ("92 à 96 % des patients souffrant de ce trouble présentent un attachement insécure"), de la violence dans les émotions ressenties et de l’impulsivité (pouvant pousser à des colères intenses, à l’automutilation ou à des tentatives de suicide) et parfois, pour éviter une sensation de vide qui serait insupportable, à la multiplication d’activités ou à la consommation d’alcool et de cannabis pour émousser l’émotivité. Les autrices proposent une thérapie intégrative, reprenant les principes de la thérapie comportementale dialectique et de la thérapie d’acceptation et d’engagement, permettant de lutter contre ces symptômes et, au-delà, de donner des clefs pour un meilleur épanouissement personnel.
Les principes théoriques seront à chaque fois immédiatement illustrés par un extrait de séances avec Clémence, Isabelle, Martine et Julie, que nous suivrons tout au long du livre, ce qui est extrêmement pratique pour comprendre à quoi servent exactement les principes qui viennent d’être expliqués, et comment les présenter aux patient·e·s. Les lecteur·ice·s familier·ère·s avec l’ACT seront en terrain connu : des métaphores, des méditations, et du tri, beaucoup de tri (et aussi, comme il se doit -ceux et celles qui savent, savent-, des matrices à remplir, mais l’ensemble du contenu est clair même si on ne comprend pas le fonctionnement de la matrice ACT). L’objectif principal est en effet d’atténuer l’intensité des émotions, surtout quand elle est douloureuse, et de réfléchir à ce qu’on veut vraiment avant d’agir. Pour donner les moyens d’y arriver, les thérapeutes, à travers des exercices et des réflexions guidées sur des moments difficiles récents, invitent à différencier les perceptions, les émotions et les pensées, et surtout à les distinguer de la réalité (une impulsion suicidaire ne va pas dire qu’on va effectivement se suicider, l’interprétation de ce qu’on perçoit dépend beaucoup de notre état présent et du contexte, de la même façon que le contenu d’un rêve s’avère imaginaire au réveil le contenu des pensées ne reflète pas nécessairement la réalité, …). Progressivement, la thérapie amène à décider d’agir, puis à agir, en fonction de ce qui nous convient intimement, par opposition à l’action pour changer la réalité, action qui n’apportera de la satisfaction que si la réalité change effectivement, mais qui si ce n’est pas le cas va intensifier les souffrances à moyen et long terme : l’action, quelle qu’elle soit (la forme n’est pas vraiment importante), doit pouvoir nous satisfaire indépendamment du résultat. Le cœur de la méthode est en effet d’amener à se diriger vers une satisfaction interne, plutôt que d’aller la chercher dans des objets externes.
La démonstration est claire et les points ciblés semblent pertinents. Oui, mais... En plus du gros problème de forme causé par l’utilisation du même terme (attachement) pour deux choses différentes, sans prendre le temps de préciser qu’il s’agit du même terme pour deux choses différentes, qui en plus s’avèrent être très importantes pour le thème traité (d’un côté le concept clinique développé par John Bowlby, de l’autre le contraire du détachement), les autrices mettent parfois beaucoup de poids sur l’énonciation de principes de philosophie bouddhiste, avec certaines formulations franchement binaires (sans la renonciation à tout, point de salut, semble-t-il). Ces principes sont riches, et ont largement influencé la thérapie d’acceptation et d’engagement, mais pour un livre qui parle beaucoup de distinguer les différents éléments qui constituent l’espace psychique, l’aspect philosophique (sans compter que le bouddhisme, c’est aussi une religion, ce qui si je ne me trompe pas n’est mentionné à aucun moment) est bien peu distingué de l’aspect clinique : j’ai ressenti à pas mal de reprises un malaise que je n’avais pourtant ressenti à aucun moment, par exemple, en lisant L’autocompassion, qui s’appuie sur la même base théorique et qui, comme le titre ne le cache pas, insiste beaucoup sur la dimension compassionnelle. Et le malaise, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas diminué en lisant les méditations guidées (aussi disponibles en audio), dont certains extraits consistent à dire "avant je me fourvoyais, mais maintenant que j’ai trouvé la voie je vais enfin être épanoui·e" dans des termes à peine moins nuancés ("J'ai agi sous le contrôle d'une perturbation mentale. Une caractéristique temporaire de mon esprit qui n'est pas moi. Une perturbation mentale qui ne correspond pas à la nature claire de mon esprit" -et les perturbations mentales sont comme des "cellules cancéreuses" et "conduisent inévitablement à de grandes souffrances", ce n'est pas du tout anxiogène). En plus de presque donner la sensation que les autrices cherchent à recruter pour un séminaire (coup de grâce quand dans la conclusion on apprend avec émotion que les enseignements bouddhistes n’ont pas été créés par des "personnes ordinaires" -sic!-), cet aspect binaire est directement contradictoire avec ce que j’ai compris de l’ACT (c'est une injonction à viser une perfection qui n’est par définition pas atteignable, donc qui peut pousser à culpabiliser parce qu’on y arrive pas, puis à culpabiliser de culpabiliser parce que la culpabilité c’est une émotion négative et les émotions négatives c'est la perdition).
Je suis donc vraiment partagé après ma lecture… à la fois très convaincu par le modèle clinique (en particulier par la partie sur la thérapie des impulsions suicidaires) et la façon extrêmement pédagogique de le présenter, et à la fois très gêné par ce malaise diffus qui a été renouvelé à plusieurs moments distincts. Je ne peux qu’espérer que le livre des mêmes autrices à destination des patient·e·s, Borderline, cahier pratique de thérapie à domicile, donne plus de poids aux conseils et exercices thérapeutiques et moins à l’injonction à des choix de vie radicaux (si par malheur vous aimez bien remplir des grilles de sudoku ou regarder des séries, c'est un emprisonnement, sachez le) et quasi manichéens.
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