samedi 1 mai 2021

Counselling a survivor of child sexual abuse, de Richard Bryant-Jefferies

 


  Même si l'auteur précise à plusieurs reprises (tout en étant extrêmement réservé envers les TCC) que selon lui, plus que la méthode utilisée, c'est la qualité de la relation thérapeutique qui compte, ce livre sera consacré à l'accompagnement des victimes de violences sexuelles dans l'enfance avec la très spécifique Approche Centrée sur la Personne (la méthodologie, les concepts, seront régulièrement évoqués). Dans les débuts de sa vie professionnelle, Richard Bryant-Jefferies était spécialisé dans l'accompagnement de personnes alcooliques, ce qui n'est peut-être pas pour rien dans l'écriture de ce livre là puisqu'il mentionne dans l'intro une étude établissant que les violences sexuelles dans l'enfance sont l'un des plus grands prédicteurs de l'alcoolisme. La diminution de la consommation d'alcool (comme le processus thérapeutique en lui-même) peuvent par ailleurs faire émerger des vécus enfouis.

 La forme que prend l'ouvrage est très originale, et pourtant semble vite évidente au fur et à mesure que ses potentialités didactiques se dévoilent. Le·a lecteur·ice suit la thérapie, imaginaire (mais l'auteur précise que ses propres personnages l'ont plusieurs fois surpris, et que l'écriture a été intense émotionnellement), de Jennifer par Laura, ainsi que les séances de supervision avec Malcolm (et Malcolm évoque parfois des moments qu'il devra reprendre en supervision, mais le détail n'est pas poussé jusqu'à raconter ces séances là!). Le procédé permet d'explorer quand c'est pertinent l'intérieur de l'esprit des protagonistes, ce qui, la science est tellement limitée, est compliqué à faire à partir d'une retranscription, et le fait de s'appuyer sur une seule thérapie s'avère vite bien plus riche qu'on ne pourrait s'y attendre, tant de nombreuses questions centrales sont évoquées : que faire de l'émergence de souvenirs en thérapie? comment agir quand le·a client.e semble dissocié·e ou même s'évanouit en séance? quand et comment exprimer sa présence dans les moments les plus difficiles? jusqu'où rester dans l'approche non-directive?

 Jennifer est plutôt épanouie dans sa vie professionnelle mais boit et consomme de la cocaïne. Elle a réussi à diminuer l'alcool et arrêter la cocaïne, est en couple suite à une belle rencontre alors que ce n'était pas dans ses projets, et sa thérapie se passe bien, au point qu'elle a pu créer un lien presque amical avec sa thérapeute, Laura. Mais, au détour d'une séance qui s'annonce légère (il est question de ses vacances de la semaine prochaine, d'ailleurs Laura connaît le coin et inhibe la tentation de basculer dans une conversation classique en lui demandant plus de précisions sur le lieu), Jennifer s'interrompt, se sent mal ("je ne sentais rien. C'est comme si mon corps était assis là et que je n'étais pas dedans", "Ooh, c'est bizarre"), mais est incapable de comprendre, encore plus d'expliquer, ce qui vient de se passer et n'est d'ailleurs pas tout à fait fini. Quelques instants plus tard, elle a trop chaud, semble perdre conscience mais rouvre vite les yeux. Epuisée, elle préfère rentrer chez elle... c'était peut-être tout simplement une grosse journée, et la fatigue l'aura rattrapée d'un coup. Laura a la sensation persistante que quelque chose est survenu, mais n'insiste pas ("si c'est important, je suis sûre que ça va revenir plus tard"). Et en effet, ce malaise (épisode dissociatif) est le début de quelque chose de colossal, qui surprendra à plusieurs reprises Laura et Jennifer. Cauchemars d'abord, flashbacks de plus en plus explicites (Jennifer à 10 ans, puis Jennifer à 4 ans, prendront la parole en séance), Jennifer réalise progressivement qu'elle a été violée par son père, l'amenant dans une extrême douleur à augmenter sa consommation d'alcool et dépasser la dose de tranquillisants prescrits par son médecin. L'auteur insiste énormément sur l'importance de respecter le rythme du ou de la client·e, d'une part pour ne pas induire de faux souvenirs ("parfois la spéculation peut nous faire partir loin, et nous éloigner de la réalité de ce qui est vécu par le·a client·e et par nous-même dans la relation thérapeutique") et d'autre part parce que la partie du psychisme qui ne veut pas voir est importante à écouter aussi ("c'est comme apprendre qu'il y a quelque chose d'effrayant derrière une porte - une partie de moi veut savoir ce que c'est, et l'autre veut que la porte soit fermée, pas juste fermée, condamnée pour que ce qui est dedans ne puisse pas sortir", "quelque chose de dérangeant ou de trop menaçant peut provoquer un retrait, et potentiellement la perte d'une opportunité thérapeutique"). La difficulté d'appliquer ces conseils est particulièrement saillante quand Jennifer doute, après les dénégations fermes de son père lors d'une première confrontation : Laura accompagne avec empathie le doute et la souffrance, mais ne se prononce pas sur la réalité des souvenirs malgré l'enjeu et tous ces éléments dont elle dispose. "Le doute fait partie du processus d'acceptation", comme le disent Ellen Bass et Laura Davis citées par l'auteur, et le rôle de la thérapeute est alors d'aider la cliente à trouver sa propre conviction intérieure. Ce ne sera pas linéaire, ça passera par des souffrances terribles, mais Jennifer, sans être parfaitement rétablie (même les excuses de son père, difficilement obtenues, ne porteront que sur une partie des faits), finira par aller mieux. 

 Le livre est à la fois fort émotionnellement et exigeant techniquement, mettant en valeur les subtilités de l'accompagnement aux moments les plus sensibles et, bien sûr, l'importance de la supervision. Le sujet est pour le moins spécialisé (un accompagnement précis pour une pathologie précise), mais tout.e thérapeute ACP ou tout·e thérapeute spécialisé·e dans les violences sexuelles peut à mon avis en bénéficier.

2 commentaires:

  1. Bonjour, est-ce que ce livre est traduit en Français? merci

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  2. C'est vrai qu'en général je le précise dans le résumé mais j'ai oublié de le faire là : sauf erreur de ma part, pas de traduction française pour ce livre. L'édition francophone, à mon grand regret, est assez frileuse avec l'ACP en général (même certains livres du fondateurs, Carl Rogers, soit ne sont plus imprimés soit ne sont pas traduits en français du tout), et je suis assez pessimiste sur la traduction éventuelle d'un livre aussi spécialisé (et c'est vraiment dommage).

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