dimanche 24 mars 2013

Le développement de l'enfant né prématuré, dirigé par Daniel Mellier





 Paru en 2011, l'ouvrage propose une synthèse des recherches existantes sur les conséquences de la naissance prématurée et sur les solutions pour optimiser le développement des enfants concernés.

 L'enfant prématuré est en effet exposé à plusieurs risques, d'une part de par les conséquences physiologiques directes du développement incomplet avant la naissance (au niveau cérébral, par exemple, à 40 semaines d'âge de gestation, "une moins grande quantité de matière blanche et grise, une myélinisation moins complète" et "de plus faibles performances dans plusieurs zones d'activité neurocomportementales, notamment la rapidité et la capacité d'attention" pour des enfants nés à environ 32 semaines par rapport à des enfants nés à terme, ou encore "une sensibilité exacerbée à la douleur" pour les nouveaux-nés), mais également par le temps passé en service de néonatologie (dont la qualité s'avère extrêmement importante, le fait de donner un rôle plus important aux parents dans les soins quotidiens a un impact positif considérable) -couveuse, présence des parents moins importante, éventuels soins médicaux intrusifs (sonde nasale, ...)- et, de grande importance également, l'éventuel traumatisme des parents eux-mêmes ("la souffrance des parents, même déniée par ceux-ci, peut se prolonger de longs mois et aboutir à un état de stress post-traumatique","le quotient de développement de l'ancien prématuré, dans les deux premières années de vie n'est pas prédit par la gravité de la prématurité mais plutôt par la qualité des interactions mère-enfant ; cette dernière étant elle-même prédite par l'absence de signes de stress post-traumatique chez la mère et l'absence d'une distorsion de ses représentations à propos de son enfant", "les risques de troubles du développement sont exacerbés lorsque le contexte environnemental n'est pas favorable"). Toutefois, si, sans surprises, aucune des recherches évoquées ne s'interrogera sur d'éventuelles performances supérieures de l'enfant né prématuré (les investigations portent sur des défaillances dans différents domaines), la lecture de l'ouvrage ne condamne certainement pas au pessimisme, d'une part parce qu'entre autres choses, il est avéré qu'un enfant prématuré peut s'en sortir à merveille ("nombre d'enfants prématurés se développent de façon tout à fait harmonieuse","les troubles évoqués ne concernent qu'une partie des enfants nés prématurés, tandis que certains réalisent des performances supérieures -parfois largement- à celles des enfants témoins nés à terme") et d'autre part parce que si les chercheurs se donnent du mal pour identifier des problèmes, c'est d'abord pour être en mesure de proposer des solutions.

 Il est de toutes façons difficile de tirer une conclusion générale de cette synthèse, car entre autres difficultés auxquelles sont confrontées les chercheurs ("les recherches qui ont examiné les processus biochimiques impliqués dans les grossesses à risque en lien avec le développement de l'enfant ont habituellement exclu les mesures de la qualité des soins offerts en période post-natale et, à l'inverse, les travaux sur les soins maternels en période post-natale ont souvent porté des conclusions sans tenir compte des possibles impacts du développement fœtal", différence de résultats, pour les investigations à l'âge scolaire, selon que le chercheur interroge les parents ou l'enseignant, ...) figure l'extrême hétérogénéité des situations couvertes dans le terme "prématuré" (ces différences "justifient que les suivis longitudinaux, comme les études ponctuelles transversales, recrutent les groupes d'enfants selon des critères d'appariement aussi variés que possibles, en particulier en catégorisant la population selon le terme, le poids de naissance, le degré de pathologie initial ou à la sortie de l'hôpital, et le niveau socio-culturel de la famille").

 Ainsi, il n'est pas toujours évident de savoir quels enfants prématurés sont concernés par exemple par les difficultés à se concentrer (voire les risques plus élevés d'hyperactivité), à se socialiser, ... Sans compter que, si la prématurité recouvre des situations hétérogènes, les enfants prématurés, comme tous les autres, évoluent ("les résultats ne sauraient figer une représentation de l'élève") et ont même tendance à le faire, c'est fantastique, dans le bon sens ("pour ce qui concerne plus précisément les processus exécutifs, les différences entre anciens prématurés et enfant nés à terme se font moins nettes à l'adolescence qu'à l'âge scolaire")... on peut toutefois déplorer l'absence d'étude sur des adultes pour mieux se rendre compte de cette évolution. Bref, les recherches qui par exemple nous apprennent que les enfants prématurés sont "plus distractibles, plus "rêveurs"", montrent "significativement plus de difficultés que les témoins pour travailler seuls" ou "présentent plus souvent des troubles de l'attention" ne sont PAS une excuse pour réclamer une prescription préventive de Ritaline.

 Le livre est, on s'en doute, extrêmement synthétique (présenter l'ensemble du savoir actuel sur le développement psychique des enfants prématurés en 150 pages, occupées en grande partie par les références des études mentionnées, c'est un peu compliqué sans aller à l'essentiel!), et il en est de même pour les éventuelles pistes thérapeutiques proposées... sauf la Méthode Mère Kangourou (MMK) qui a droit à un chapitre à elle toute seule, coécrite avec l'une des responsables de la Kagaroo Foundation de Bogota (la méthode est colombienne et les études de validation présentées ont eu lieu à Bogota). La méthode ne consiste pas à faire des sauts de 12m de haut avec le bébé dans les bras (ce qui en plus d'être techniquement délicat à réaliser, surtout peu après l'accouchement, a des chances d'être néfaste pour le bébé) mais en "un congé hâtif de l'hôpital (sitôt que l'enfant est stable et peut se nourrir au sein), un contact peau-à-peau 24 heures par jour, l'alimentation au sein et un contrôle ambulatoire" (contrôle tous les jours jusqu'à une prise de poids d'au moins 20g par jour 5 jours consécutifs, puis une fois par semaine jusqu'à 40 semaines d'âge de conception). Le bébé est tenu à au moins 60° (l'angle, pas la température, l'idée est de se rapprocher de la verticale), et les compléments vitaminés sont la seule prise alimentaire autorisée en dehors du sein. Des résultats positifs sur l'attachement mère-enfant et sur les compétences psychiques ont été constatées par rapport au groupe témoin (je précise quand même parce que ça m'a fait sauter au plafond que le groupe témoin, selon la procédure de l'hôpital où l'étude a eu lieu, quitte l'hôpital à environ 1700 grammes, alors qu'il est encore très très léger mais surtout potentiellement très très fragile!). Si les résultats de la méthode sont positifs, on peut toutefois constater qu'elle est contraignante (manger, dormir, se laver, aller aux toilettes avec le bébé collé contre soi) et s'interroger sur les conditions de sécurité (en service de néonatologie, les enfants, même ceux qui dépassent 1700g, ne sont approchés que par un groupe restreint de personnes, qui se sont soigneusement lavées les mains jusqu'aux avant-bras -encore que, des fois, les parents font un peu ce qu'ils veulent- et des sonneries, qui par ailleurs sonnent souvent, préviennent en cas de ralentissement important des battements du cœur ou autres signes qu'il est prudent de surveiller... une telle hygiène et surveillance me semblent impossibles à reproduire à domicile, visite quotidienne des soignant·e·s ou non).

 Le 4ème de couverture indique que l'ouvrage est destiné "aux soignants, aux parents, aux pédagogues, aux psychologues ainsi qu'aux étudiants en formation dans les domaines de l'éducation". Difficile d'intéresser tout ce beau monde en même temps, et pourtant le pari est rempli! Certes, on peut se demander (si on est pointilleux et qu'on a du temps à perdre) quel·le pédagogue, soudain angoissé·e par la conduite à tenir devant un·e élève ancien·e prématuré·e (surtout que la date des dernières règles de la mère ne figure pas beaucoup dans le livret scolaire), ira se ruer en librairie pour tout savoir sur le sujet, mais le langage toujours clair permettra aux parents d'avoir des renseignements satisfaisants (quitte à demander des éclairages par exemple au·à la pédiatre), l'étudiant·e retrouvera les concepts et problématiques de la psychologie du développement, et le·a chercheur·se expert·e, grâce aux références des recherches évoquées, pourra facilement approfondir les points souhaités.

vendredi 15 mars 2013

Le développement cognitif du nourrisson, de Roger Lécuyer, Arlette Streri et Marie-Germaine Pêcheux

 
 En préambule, je précise que le livre est constitué de deux tomes. J'y tiens parce que ce n'est que quand j'ai acheté le premier (d'occasion parce qu'il est épuisé) (cher!) que je m'en suis rendu compte, en voyant T.1 écrit sur la couverture, et que j'eusse aimé apprendre autrement que j'allais devoir en acheter un deuxième (d'occasion parce qu'il est épuisé) (cher!) (stabyloté, ce qui tient au moins du crime contre l'humanité).

 Le livre fournit des informations sur le développement du très jeune enfant, autant du point de vue du développement physiologique (perception, mouvement, …) que cognitif (différenciation entre soi-même et le reste du monde, entre les objets et les individus ou entre les différents objets, capacités d'apprentissage, représentations du temps, …). Sur la couverture, c'est écrit Nathan Université et Fac Psychologie, le·a lecteur·ice ne sera donc pas profondément perturbé·e par le fait que le contenu ressemble furieusement à un livre de cours. Toutefois, si la plupart des chapitres sont brefs, des informations riches et complexes sont parfois offertes de façon condensée, la lecture est donc parfois exigeante (je ne parle pas des différents graphiques avec des chiffres dedans qui, comme tout graphique avec des chiffre dedans digne de ce nom, m'ont laissé perplexe). On peut même aller plus loin en disant que le livre est destiné à des lecteur·ice·s qui sont déjà familier·ère·s avec les théories principales et la méthodologie de la psychologie du développement (voire qui ont appris comme il se doit leurs cours de stats... il faudra vraiment qu'un jour je me décide à comprendre comment fonctionne un calcul de corrélation, chose que je suis supposé savoir faire depuis la 1ère année). En effet, les auteur·ice·s sont tou·te·s trois des chercheur·se·s actif·ve·s, chaque chapitre est extrêmement documenté, et le·a lecteur·ice (qui n'en demande peut-être pas tant) est pris·e au sérieux : loin d'être condescendant·e·s avec l'étudiant·e qui cherche à s'y retrouver, iels font partager quand il y a lieu leurs propres questionnements à un public qui n'est pourtant a priori pas leur égal (la collection c'est "fac psychologie", pas "CNRS psychologie"). La troisième partie du premier tome, rédigée par Roger Lécuyer, sera ainsi particulièrement stimulante, ou désespérante selon le niveau de motivation des lecteur·ice·s. L'auteur passe par exemple un certain temps à remettre en question la méthodologie de recherche qui s'appuie sur le temps de fixation du bébé (qui était déjà assez compliquée comme ça à comprendre quand on débarquait en 1ère année et qu'on croyait que la psycho c'était facile), dans la mesure où, selon les situations ou les individus, on peut s'intéresser plus au familier qu'au nouveau (alors que cette méthode expérimentale sert à vérifier la capacité de discrimination, donc le fait qu'on fixe plus longtemps le nouveau est considéré comme acquis), ou encore qu'on ne s'intéresse pas nécessairement plus (un autre fait considéré comme acquis) à ce qu'on préfère (est donné l'exemple d'un·e conducteur·ice qui garde l’œil sur la jauge de carburant quand elle commence à être dangereusement basse... il serait moyennement rigoureux d'en conclure qu'iel se réjouit de la situation). Et tout ça, alors qu'à d'autres endroits du livre, sont prises en compte des expériences qui utilisent (ce qui est normal, elle est très répandue) cette méthodologie! On pourra en revanche (c'est le cas de le dire) être pointilleux·se à notre tour en s'étonnant que Lécuyer s'enthousiasme du fait que, dans la mesure où le bébé n'a pas conscience d'être un sujet d'expérience qui obéit à une consigne, les expériences du labo ont la même validité que des réactions authentiques dans un cadre quotidien ("le caractère "artificiel" souvent dénoncé des expériences de laboratoire n'est jamais aussi faux que dans le cas des bébés") alors que, même si "il est difficile de conditionner un bébé", il a été constaté que des bébés déjà testés auparavant, même longtemps auparavant (c'est d'ailleurs rappelé dans le tome 2 - "des enfants qui ont participé à une expérimentation à six mois et demie se comportent différemment d'enfants naïfs lorsqu'ils sont vus au laboratoire à dix-huit ou trente mois"-), ont déjà dans une certaine mesure appris le métier de sujet d'expérience. Or, comme ce n'est pas évident de trouver des parents coopératifs, la situation n'est pas exceptionnelle. La faisabilité des expériences et les inconvénients qui s'ensuivent font d'ailleurs partie des sujets évoqués ("les raisons pour lesquelles tel ou tel groupe d'âge est étudié sont rarement explicitées, et on peut supposer que le choix est davantage dicté par la faisabilité de l'expérimentation que pour des raisons théoriques").

 Une partie particulièrement intéressante est la dernière partie du tome 2, elle aussi rédigée par Roger Lécuyer, et qui est un historique problématisé des différentes théories du développement. Le niveau basique de connaissances sur le sujet (au début les gens n'étaient pas très malins et pensaient soit que l'humain naissait par magie avec toutes les compétences de l'adulte qui pouf apparaissaient à l'âge programmé -innéisme- soit que le bébé étaient une tablette de cire/une page blanche/un disque dur externe que l'expérience venait joyeusement remplir -empirisme-, et après hop Piaget-Chomsky-Vigotsky, c'est un peu les deux mais les chercheur·se·s ne sont pas encore d'accord sur comment ni dans quelle mesure) est largement dépassé, de nombreux modèles théoriques sont finement décrits et confrontés, leurs avantages soulignés et leurs lacunes exposées (parfois impitoyablement), la complexité de la recherche (cette fois non du point de vue de la faisabilité ou des limites des méthodes existantes, mais de la conception sous-jacente du nourrisson) démontrée avec éloquence. Une réserve toutefois : si vous ne supportez pas les jeux de mots autour de l'expression "jeter le bébé avec l'eau du bain", la lecture des chapitres de Lécuyer est formellement déconseillée (les apparences portent à croire qu'un livre de psy du développement où "jeter le bébé théorique avec l'eau du bain méthodologique" n'est pas écrit au moins une fois sera interdit de publication, mais là Lécuyer passe -largement- au niveau supérieur).

 Si ce qui fait la richesse du livre et l'intérêt de celui-ci plutôt qu'un autre est la sincérité de l'écriture, où les auteur·ice·s prennent le·a lecteur·ice au sérieux au point de lui faire partager leurs propres difficultés (l'une d'entre eux est juste directrice de recherche au CNRS!), il n'est bien entendu pas uniquement question de ce qui n'est pas maîtrisé, beaucoup de données fiables (mais parfois complexes) sont aimablement mises à disposition sur les sujets évoqués. Un inconvénient majeur est toutefois que les recherches, pointe de la pointe de l'exigence, les plus récentes, datent de 1995 (c'est quand même avant la sortie de l'I-Phone 5, pour dire à quel point c'est antique). On peut difficilement le reprocher aux auteur·ice·s, puisque le tome 1 date de 1994 et le tome 2 de 1996. Je pense donc (d'autant que, si les auteur·ice·s font tant d'efforts pour nous faire partager les acquis les plus récents, c'est que la discipline évolue vite, très vite) qu'il aurait été beaucoup plus malin d'acheter Le développement du nourrisson (vous aussi vous percevez quelques similitudes subtiles entre les deux titres?), lui aussi dirigé par Lécuyer, mais qui date de 2005, plutôt que d'acheter (d'occasion!) (cher!!) (stabyloté!!!) les deux tomes que je viens de présenter.