mardi 26 avril 2022

A theory of cognitive dissonance, de Leon Festinger


 

 Pilier de la psychologie sociale, en tout cas de sa partie qui concerne les biais cognitifs, le concept de dissonance cognitive est ici présenté par son créateur, avec un certain nombre de recherches pour le délimiter... forcément datées, puisque le livre date de 1957 (une mise a jour en 1985 est mentionnée, mais un rapide coup d’œil sur la bibliographie permet de voir que ladite mise à jour n'a pas inclus l'addition de nouvelles recherches).

 Le terme sonne un peu technique, mais la dissonance cognitive est aussi présente qu'inévitable au quotidien : il s'agit simplement de l'écart entre des conceptions ou valeur et la réalité, voire entre deux conceptions ou valeurs contradictoires. Par exemple ça peut être le fait de fumer en sachant que c'est dangereux à long terme (cet exemple revient souvent et les diverses stratégies qu'il déclenche et leur enjeu est longuement détaillé), de devoir faire en choix entre des alternatives (achat important, orientation professionnelle) pour lesquelles il est difficile d'arbitrer entre les avantages et les inconvénients, d'avoir une orientation politique mais avoir pour une élection spécifique une préférence pour un·e candidat du camp opposé (ou encore d'être plus en accord avec le·a candidat·e en question qu'avec le·a notre sur certains points particuliers, ...). L'intérêt du concept n'est pas dans ce constat assez évident, mais dans les stratégies que le psychisme, très réticent à la contradiction, va mettre en place pour réduire cette dissonance : l'auteur compare ces mécanismes à la recherche spontanée de nourriture quand on a faim, et si la comparaison a pas mal de limites d'un point de vue social (au quotidien, le fait que ce soit l'heure de manger a souvent plus d'impact que le niveau de satiété), l'aspect économique est en revanche omniprésent. En effet, la stratégie mise en place va souvent, tout simplement, être la moins coûteuse, celle qui impose le moins de compromis, qui demande le moins d'ajustements que ce soit sur les conceptions préexistantes ("oui, fumer c'est mauvais pour la santé, mais les campagnes de prévention exagèrent", "je suis convaincu par le risque présenté dans les campagnes de prévention, mais conduire c'est dangereux aussi, et personne ne vient m'expliquer que conduire c'est dangereux quand je prends ma voiture") ou sur les comportements ("de plus en plus de choses indiquent que mon projet va tomber à l'eau mais j'ai trop investi pour faire marche arrière maintenant, donc je vais plutôt rester optimiste et continuer de m'investir que me lancer dans une analyse bénéfices/risques dont le résultat pourrait bien ne pas m'arranger")  : "la dissonance maximale possible entre deux éléments est égale à la résistance au changement totale de l'élément le moins résistant".

 Par ailleurs, plus le sujet est important, plus les ajustements seront potentiellement drastiques ("la décision d'acheter une voiture plutôt qu'une autre va déclencher plus de dissonance que la décision d'acheter un savon de telle ou telle marque"), jusqu'à parfois provoquer des acrobaties particulièrement spectaculaires. L'auteur donne l'exemple théorique d'une personne qui, sous la pluie, maintient qu'il ne pleut pas. Si elle donne l'explication tirée par les cheveux que l'eau qui tombe est de l'eau poussée par le vent qui s'est accumulée sur les feuilles pendant la pluie précédente, elle va probablement être balayée du revers de la main (l'explication, pas l'eau) par l'interlocuteur·ice... sauf si l'interlocuteur·ice a très envie d'entendre qu'il ne pleut pas. L'envie d'entretenir une croyance a en effet tendance à pousser à s'entourer de personnes qui partagent la même croyance... et le partage des croyances par l'entourage servira alors de preuve! L'auteur observe ce type de mécanisme en étudiant deux mouvements religieux, l'un datant du XVIIIème siècle, l'autre contemporain, qui prédisaient une fin du monde proche, et dont les membres n'ont pas vu leur foi s'effondrer quand ladite fin du monde n'a pas eu lieu. Dans le premier cas, le leader arguait d'une erreur technique (de calcul ou d'interprétation des textes) pour déterminer la date, et repoussait la fin du monde à plus tard. Dans le second, la responsable, pour laquelle les erreurs de calcul étaient exclues parce qu'elle recevait les messages directement des extraterrestres, a après quelques quiproquos (les soucoupes volantes qui devaient aller chercher les disciples avec quelques jours d'avance ne se sont pas présentées), appris que la foi des membres du groupe avait sauvé l'humanité. Dans ce cas précis, s'il n'y a pas eu de changement de croyance (sauf pour... les personnes qui attendaient les soucoupes chez elles, et qui au moment de la dissonance n'ont pas pu chercher collectivement des explications pour entretenir la croyance), il y a eu changement de comportement : le groupe d'élu·e·s qui fuyait les médias (si les gens n'ont pas été contactés par les extraterrestres, après tout, c'est selon toute vraisemblance qu'ils n'en sont pas dignes) s'est mis à faire de l'évangélisation de façon proactive.

 J'ai donné à titre d'exemple l'illustration qui est probablement la plus spectaculaire, mais les expériences recensées, nombreuses, sont souvent bien plus complexes et demandent plusieurs lectures attentives pour vraiment comprendre les mécanismes étudiés. S'il décrit un mécanisme omniprésent au quotidien et qui a des enjeux importants, le livre est probablement plutôt destiné aux chercheur·se·s ou étudiant·e·s, tout en risquant d'être obsolète vu sa date de parution.

mercredi 20 avril 2022

C'est pour ton bien, d'Alice Miller


 

  Alice Miller dénonce dans ce livre l'autoritarisme, souvent plus ou moins accepté avec une part de complaisance, qui tend à se glisser dans l'éducation (surtout la parentalité mais aussi parfois en milieu scolaire ou dans les institutions religieuses), avec des conséquences destructrices sur les enfants, donc sur les adultes qu'ils vont devenir et la société qu'ils vont constituer.

 S'inspirant très largement du livre de Katharina Rutschky sur la pédagogie noire (des extraits sont cités sur plusieurs pages), Miller analyse, au delà de la dureté des méthodes décrites, l'hypocrisie sous-jacente : si un attrait pour ces méthodes datant parfois du XVIIIème persiste malgré l'évolution des connaissances sur l'enfance, est-ce que ce ne serait pas, aujourd'hui comme à l'époque, parce que sous prétexte d'apprentissage de contrôle de soi et de discipline, elles consistent d'abord en un exercice jouissif de domination plus que de bienveillance? Dans les exemples décrits, l'enfant doit non seulement vivre crainte de la punition, honte, frustration, mais aussi idéaliser l'adulte qui le guide vers une conduite à tenir aussi intransigeante qu'indispensable (un ancien patient de Miller, après une prise de conscience de ce qu'il a vécu, demande à son père pourquoi il ne l'a pas tué puisque la mort est inéluctable et qu'il a soi-disant été dur avec lui pour le préparer à la dureté de l'avenir). L'autrice insiste énormément là-dessus : la maltraitance se double d'une impossibilité de prendre conscience de la situation de maltraitance. Elle exprime d'ailleurs d'énormes doutes sur la possibilité d'une "pédagogie blanche" : pour elle, guider l'enfant dans une direction prédéterminée, fut-elle bienveillante (elle donne l'exemple de parents incitant leur enfant à exprimer pleinement une colère... qui n'est pas spécialement ressentie), c'est reproduire des injonctions sociales et se couper de l'écoute ("je ne peux pas être véritablement à l'écoute de mon enfant, si je suis intérieurement préoccupée d'être une bonne mère").

 Ces hypothèses seront illustrées par trois récits de personnes maltraitées, maltraitances qui ont respectivement abouti à une violence contre soi (Moi, Christiane F., droguée, prostituée), à une dictature génocidaire (Adolf Hitler) et à des meurtres d'enfants avec tortures (Jürgen Bartsch). Hélas, les démonstrations sont loin d'être convaincantes : Miller, réservée envers les approches quantitatives qui en effet ont leurs limites, se précipite vers des conclusions très définitives à partir de peu d'éléments, allant jusqu'à affirmer texto et à de nombreuses reprises que le génocide juif est la conséquence de l'enfance maltraitée ("la description de ces enfants peut nous aider à comprendre les origines du comportement des exterminateurs, qui avaient incontestablement été eux-mêmes des enfants battus" -on ne saura pas précisément qui elle désigne par "les exterminateurs", mais ils ont tous été battus, même si on ne peut pas le vérifier, parce que c'est "incontestable"-, "pour comprendre comment Mengele put faire cela et le supporter, il nous suffirait de savoir ce qui lui a été fait dans son enfance" -là encore, on n'en sait rien, donc c'est vrai, selon une application très personnelle de la logique formelle-). On apprendra ainsi qu'Hitler a été un dictateur pour reproduire l'autoritarisme maltraitant de son père, que le génocide juif est la reproduction des maltraitances et humiliations qu'il a vécues (je ne pense pas -et je n'espère pas!- minimiser ces maltraitances en observant que sa vie n'a, selon les éléments rapportés, pas été mise en danger, et encore moins délibérément), ou encore que le massacre des personnes handicapées est la conséquence du fait qu'il ait vécu avec une tante bossue et schizophrène. Je suppose qu'Hermann Rorschach a élaboré un test basé sur l'interprétation de tâches d'encre parce que son nom était difficile à orthographier, ou que je travaille en horaires décalées parce que je me suis parfois senti décalé socialement pendant ma scolarité. Je précise que je n'exagère pas : Miller fait vraiment ces affirmations sans les nuancer, et insiste sur l'aspect scientifique de sa démarche (sachant que le livre est sorti en 1980, les sciences humaines étaient donc bien plus développées que, par exemple, à l'époque des premiers écrits de Freud).

 Plus que la parentalité parfaite, pour laquelle elle ne plaide absolument pas, dans la mesure où ce n'est pas un objectif réaliste et que toute injonction dans ce sens reproduirait précisément la violence dénoncée, Alice Miller incite à laisser de l'espace à l'expression profonde de soi, à travers la créativité ("ce ne sont pas les psychologues mais les poètes qui font l'avant-garde de leur époque") -elle exprime d'ailleurs le souhait de voir un espace dédié à la création artistique dans les prisons- mais aussi l'expression pleine des émotions négatives ("la douleur de la frustration subie n'est ni une honte ni un poison. C'est une réaction naturelle et humaine"). C'est pour elle la clef pour grandir dans de bonnes conditions, mais aussi pour se remettre de maltraitances (parmi ses affirmations plus définitives que démontrées, figure le fait que les enfants en grandissant n'ont jamais conscience d'avoir été maltraités et idéalisent les parents), la colère étant une étape indispensable pour aboutir, quand c'est possible et souhaité, au pardon, et permettant de sortir d'un cercle vicieux de reproduction des violences en contactant la source véritable de la souffrance ("seule la haine contre des objets de substitution est infinie et insatiable", "je veux inciter l'enfant qui existe chez l'adulte à vivre ces sentiments, à exprimer ces reproches").

 S'il est difficile de prendre au sérieux une grande partie du contenu, l'inventaire des aspects malsains qui peuvent se glisser, discrètement ou non, dans la relation de pouvoir que constitue l'éducation, et les propositions de prévention et de pistes thérapeutiques, sont riches, et même si l'enjeu de prévention des guerres ("la colère contre les parents, rigoureusement interdite mais très intense chez l'enfant, est transférée sur d'autres êtres et sur son propre soi, mais elle n'est pas éliminée du monde, au contraire : par la possibilité qui lui est donnée de se déverser sur les enfants, elle se répand dans le monde entier comme une peste. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des guerres de religion", et fuck la géopolitique) ou du totalitarisme (l'analogie est tentante, mais c'est plus compliqué que ça) est peut-être un peu optimiste, la forte volonté d'accessibilité et de vulgarisation d'Alice Miller est difficilement contestable pour un tel sujet.

mardi 12 avril 2022

Guérir à deux voix, de Irvin Yalom et Ginny Elkin

 

 Ce livre est le récit à deux voix, presque en direct (un texte est rédigé après chaque séance), de la thérapie d'Irvin Yalom avec l'une de ses patientes, ici sous pseudonyme. Après une première rencontre (Yalom lui a été recommandé par sa thérapeute précédente, qu'elle quitte à la suite d'un déménagement), il est touché par cette jeune femme (trop) souriante, extrêmement timide, qui tend à s'effacer et à minimiser toutes ses réussites, et qui est perturbée par des rêves parfois effrayants à connotation sexuelle. Il recommande d'abord une thérapie de groupe qu'il co-anime, appréhendant que l'image trop positive qu'elle a de lui ne se mette en travers d'éventuels progrès dans le cadre d'une thérapie individuelle (pour arrêter de s'effacer, ce n'est pas l'idéal). De l'avis général, aucun progrès n'est fait. Elle essaye ensuite des méthodes plus insolites à Esalen (approche bioénergétique, groupes de rencontre marathon -environ 40 heures de suite- ou nu, ...), sans plus de succès. Yalom accepte finalement de la recevoir, avec une limite de temps (environ un an et demie), en lui demandant de remplacer les paiements par la rédaction d'un texte après chaque séance, façon détournée de la contraindre à l'action (ses inhibitions l'empêchaient d'écrire donc de réaliser son projet de devenir autrice) mais aussi avec l'idée derrière la tête, plus ou moins assumée et consolidée, de publier ce regard croisé un jour.

 Peut-être plus que le déroulement de la thérapie, qui n'est pas pour autant sans intérêt (l'alternance entre progrès et stagnation voire régression, la frustration parfois -souvent?- des deux côtés, les pistes plus ou moins exploitées, les aspects somatiques mais aussi l'impact du quotidien sur les séances, ...), l'originalité de la démarche est qu'elle permet de vivre en direct (les textes n'ont pas été enjolivés a posteriori), loin de la démonstration de maîtrise que constituent souvent les vignettes cliniques, les multiples émotions du thérapeute telles que le doute, l'agacement, la remise en question, qui alternent avec l'attachement, la satisfaction, l'espoir... On voit même chacun·e être jaloux·se du texte de l'autre (Yalom, qui a des ambitions de son côté, envie la qualité d'écriture, Ginny admire la précision de la restitution), ou encore la patiente observer mieux que le thérapeute un aspect de la dynamique thérapeutique (l'alternance, une fois sur deux, d'une séance frustrante avec une séance enthousiasmante). Il est aussi énormément question de transferts et de contre-transferts, Yalom se préoccupant beaucoup d'une admiration disproportionnée voire de sentiments amoureux de la part de Ginny, tout en observant que sa propre envie d'écriture le pousse peut-être un peu trop à faire du forcing pour l'encourager à écrire, dans un désir de réussite par procuration, ou en constatant une pointe de jalousie quand il rencontre son conjoint (qui les rejoint le temps de quelques séances pour mieux avancer sur les problèmes concernant le couple) et voit qu'il a plus de qualités qu'il ne le supposait.

 La méthode thérapeutique de Yalom, qui se structure bien autour d'objectifs précis, est complexe, et s'il définit la thérapie comme artistique il se sent obligé de détailler sa méthodologie en fin d'ouvrage par peur de donner l'impression qu'il fait de l'impro pendant un an et demie. Interprétation des résistances et des transferts (mais pas du matériel qui appelle trop ostensiblement à l'interprétation comme les rêves, parce que ça risquerait de détourner un peu trop efficacement des sujets plus immédiats), alternance entre sécurisation de la relation et provocation pour pousser à l'action, conseils ou apports d'expertise plus spécifiques (comme quand il indique à Ginny que mieux assumer les conflits avec son conjoint va les rapprocher plutôt que les éloigner), les outils mobilisés sont en effet nombreux mais, infiniment plus que l'intérêt technique, c'est l'humanité et l'humilité du thérapeute, la part relationnelle qui sert mais aussi fragilise, qui transparaît de façon unique. Le récit casse l'image du·de la thérapeute imperturbable et qui sait tout, et surtout montre que ce n'est pas particulièrement souhaitable... une approche qui frappe a posteriori par sa rareté.

samedi 9 avril 2022

La répétition des scénarios de vie, de Jean Cottraux

 



  Dans une métaphore parfois très très filée (limite un peu trop à mon goût) avec le cinéma, Jean Cottraux liste les raisons qui font qu'on se heurte parfois bien malgré nous aux mêmes obstacles tout au long de la vie, occasionnant parfois beaucoup de souffrances.

 Divers outils psychologiques sont explorés, parfois avec les tests qui vont avec, tels que la personnalité (qui peut avoir un impact biographique mais aussi sur le déroulement de la thérapie, en particulier à travers les différentes perceptions du·de la thérapeute qui en découlent), le traumatisme, ou encore les conceptions inconscientes détaillées par la théorie des schémas, la dépendance ou le traumatisme, pour mieux comprendre comment on peut se retrouver encore et encore dans les situations qu'on veut précisément (et vivement) éviter. Pour ne rien arranger, des pièges peuvent se glisser... dans la perspective du changement, d'une part parce que notre fonctionnement actuel ne vient pas de nulle part mais est né d'une adaptation qui a été utile dans le passé et peut par ailleurs l'être pour certains aspects du présent et que l'option de juste gommer la source des souffrances est rarement disponible ("comme le disait Stendhal, "entre le chagrin et nous, il faut mettre quelquefois des faits nouveaux : fut-ce se casser un bras" ") et d'autre part, pour encore compliquer les choses, la tentation opposée, celle d'au contraire changer du tout au tout, n'est certes pas sans attrait (quelle personne introvertie et conciliante n'a jamais rêvé d'un moment d'explications particulièrement limpides avec une ou deux personnes qui en abusaient, et peut-être d'autres aussi tant qu'on y est?) mais a de fortes chances d'être inadaptée ("dans ces cas de figure, il n'y a pas véritablement de changement : on reste dans le même schéma qui est simplement inversé").

  Après les outils diagnostics (partie qui peut prendre au dépourvu tant ils semblent parfois balancés dans un ordre aléatoire, parfois -très- abondamment illustrés de... synopsis de films alors que le passage de l'un à l'autre déconcentre plus qu'autre chose -tiens, ça me rappelle justement une critique de films - ), il est temps de passer à l'action. Les outils présentés sont commentés et contextualisés, illustrés par des vignettes cliniques, et divers, de la version très courte (une patiente qui trouve des solutions simplement en transcrivant sa situation selon les critères du modèle d'analyse des récits de Greimas) au déroulement et aux mécanismes d'une thérapie étendue sur plusieurs mois, en passant (c'est le dernier chapitre) par les pistes qu'on peut explorer soi-même (s'assurer de la réalité du problème et de son statut effectif de problème répétitif, définir le scénario, évaluer son impact sur la qualité de vie, développer la modification au changement,  déconstruire le scénario, utiliser la résolution de problème, réécrire le scénario).

 Si on peut regretter, surtout dans un livre qui parle autant de cinéma, les problèmes de montage évoqués plus haut (je me dis aussi que consacrer moins de place aux outils diagnostics et plus au détail des solutions aurait peut-être été préférable surtout dans un livre de vulgarisation, mais je n'ai pas assez de connaissances en TCC pour vraiment en juger), le livre évoque un sujet pour lequel il est difficile de ne pas se sentir concerné·e, et sans prétendre que ce sera facile donne des pistes concrètes pour s'en sortir.

dimanche 3 avril 2022

L'estime de soi, de Christophe André et François Lelord

 



 D'apparence évident et plutôt omniprésent (le sujet peut se glisser dans la vie amoureuse, scolaire, professionnelle, ou même quand on se regarde dans le miroir ou qu'on choisit une voiture ou des vêtements), le terme n'est pourtant pas si évident à définir, que ce soit pour l'ensemble de la population ("demandez-leur de vous donner une définition aussi précise que possible, ils en seront pour la plupart incapables") ou pour... des professionnel·les ("l'estime de soi est encore, pour les chercheurs, un vaste chantier d'où n'émerge aucune théorie globale. Les approches sont multiples et foisonnantes, et s'y repérer n'est pas facile"). 

  Pour ne rien arranger, l'estime de soi se définit par son degré (on peut avoir une estime de soi haute ou basse) mais aussi par... sa stabilité, élevée ou au contraire très vacillante, autant dire que ses manifestations sont diverses! Et, niveau de complexité supplémentaire, une même manifestation (comme se réhausser par procuration, par exemple par le name-dropping ou à l'inverse en rabaissant d'autres personnes, ou encore ne pas mettre tous les moyens pour réussir et le faire savoir) peuvent avoir des racines différentes voire opposées (si je révise peu pour mon concours, ça peut être pour pouvoir dire que l'échec à venir n'était finalement pas un vrai échec, mais quelqu'un d'autre pourra au contraire se réjouir à l'avance de pouvoir dire qu'iel a réussi sans même avoir besoin de travailler). Les enjeux sont nombreux, et peuvent concerner le rapport à l'échec (donc la capacité à avoir des objectifs ambitieux et surtout à persévérer, sachant en plus que le vécu ne sera pas le même selon qu'objectifs et éventuelles difficultés seront ou non publics), la sécurité de l'image de soi (complexes physiques, besoin d'afficher sa supériorité -avec des signes ostensibles de goût ou de richesse-, en racontant -peut-être avec un peu de liberté créative- ses exploits, ...-), ou encore la capacité à accepter des critiques ou... des compliments! Les auteurs détailleront aussi l'influence que pourront avoir les déchirures de l'ego dans des pathologies telles que l'alcoolisme, la dépression ou les traumatismes, ainsi que l'intérêt et les limites de travailler sur cet axe.

 L'enfance et l'adolescence ont évidemment leur importance : les auteurs invitent les parents à être présents tout en laissant de l'espace et à pratiquer l'écoute avant les conseils (la solutionnite aigüe dépossède la personne ainsi "aidée" de son pouvoir d'agir, en plus de risquer de tomber à côté du vrai besoin), mais aussi associer approche positive inconditionnelle (être adoré·e quand on gagne une médaille de natation, puis détesté·e quand on a pas été assez conciliant·e lors d'une dispute, si c'est au quotidien ça complique les choses pour construire un socle sain) mais aussi conditionnelle. Ce dernier point peut prendre au dépourvu (surtout pour moi qui me forme à un modèle de thérapie dont l'approche positive inconditionnelle est littéralement l'un des piliers!), mais en y regardant de plus prêt, répéter à son enfant qu'il est le meilleur quelles que soient les circonstances et que les signes du contraire ne font que révéler que l'Univers se trompe n'aide en effet probablement pas à accepter les critiques constructives et les situations d'échec (et pour ce qui est de dénigrer de façon inconditionnelle, inutile de faire un dessin). Les auteurs donnent aussi des clefs pour réparer ou booster l'estime de soi dans le couple ou en milieu professionnel, y compris en proposant des contre-modèles avec des listes de choses à ne pas faire (qui serviront respectivement à mettre de côté de mauvaises habitudes et communiquer plus sainement, et à identifier des situations de harcèlement moral en entreprise, et non l'inverse, enfin j'espère!).

 Les deux derniers chapitres concerneront les solutions plus concrètes, respectivement les défenses, solutions tentantes et effectivement efficaces à court terme mais nourrissant potentiellement un cercle vicieux que chacun·e aura probablement mis en place au moins une (ou deux) (ou douze) fois, et les conseils de thérapeute pour une réparation plus solide. Ce dernier chapitre peut parfaitement se lire indépendamment du reste pour les personnes qui veulent passer aux choses sérieuses plus que tout savoir sur les subtilités du sujet. Les auteurs proposent et détaillent neuf clés (se connaître, s'accepter, être honnête avec soi-même, agir, faire taire le·a critique intérieur·e, accepter l'échec, s'affirmer, être empathique, s'appuyer sur le soutien social), elles-mêmes réparties en trois domaines (le rapport à soi-même, le rapport à l'action, le rapport aux autres), et conseillent de concentrer ses efforts sur l'une d'entre elles, dans la mesure où elles sont interdépendantes (plus je suis à l'aise pour agir et prendre des risques -en restant dans une zone de confort qui me convient!-, plus je vais oser et donc réussir, et moins je vais dépendre de l'approbation des autres). Ils donnent également des conseils pour choisir un·e thérapeute pour les personnes qui voudraient avoir une aide professionnelle, et invitent à se concentrer sur certaines attitudes (l'acceptation des questions et critiques, la transparence sur le fonctionnement de la thérapie, ...) plus que sur les diplômes, ce que j'approuve avec la plus incontestable des objectivités.

 L'aspect vraiment concret arrive peut-être un peu tard pour un livre de vulgarisation, mais les conseils pratiques, qui sont solidement argumentés, peuvent se lire séparément, et la partie théorique reste impliquante et accessible.