mardi 2 juillet 2019

Ecouter, Comprendre, Encourager, L’approche centrée sur la personne dans l’accompagnement de personnes ayant un handicap mental et de personnes dépendantes, de Marlis Pörtner




 Marlis Pörtner propose dans ce livre une méthodologie pour appliquer l’Approche Centrée sur la Personne en institution. L’enjeu est particulièrement pertinent dans la mesure où la dépendance peut présenter des obstacles à l’empathie qui est le point central de l’ACP, que ce soit en perturbant la représentation de l’humain qu’a le·a soignant·e (l’autrice met en garde contre la conception de l’handicapé·e comme quelqu’un dont le but dans la vie serait d’être valide, conception qui en dit surtout long sur les angoisses du ou de la soignant·e), le cadre potentiellement contraignant, quand ce n’est pas un sentiment de supériorité assumé (condescendance, surnoms, parler de la personne devant elle, ...). L’objet de la démarche Ecouter, Comprendre, Encourager (Ernstnehmen, Zutrauen, Verstehen en VO) est de "mettre l’intégrité et la dignité des personnes au premier plan", ce qui permet bien sûr un meilleur développement personnel pour les résident·e·s mais aussi une meilleure communication entre elles et eux et les soignant·e·s, dans des situations qui pourraient vite dériver dans le rapport de forces, avec colère et épuisement des deux côtés. L’autrice donne l’exemple d’une résidente particulièrement furieuse au moment de passer l’aspirateur : le comportement semblait dans la continuité de sa réticence habituelle envers les tâches ménagères, mais des investigations plus poussées ont permis de constater que l’aspirateur était abîmé et que le bouton On devait être maintenu appuyé en permanence, ce qui était extrêmement contraignant pour la résidente du fait de son handicap. L’intérêt de chercher ensemble des solutions, ce qui passe par la communication et la volonté de mieux comprendre le ressenti de la personne concernée, est aussi bien illustré par l’exemple de cette résidente qui dépensait tout son argent d’un coup malgré de nombreux conseils et explications des soignant·e·s et se sentait discriminée quand les autres pouvaient encore dépenser (la solution a été de diviser son argent du mois devant elle en quatre enveloppes, chacune lui étant donnée avec son accord chaque semaine), ou encore d’une autre qui transformait chaque lever pour aller prendre le petit déjeuner à l’heure en bataille épuisante (le fait de remplacer le·a soignant·e par un réveil, lui permettant de se lever et se préparer elle-même, a réglé et les conflits et les retards). Dans un autre exemple, un soignant répond à une petite de quatre ans qui a l’habitude dans sa famille d’être au centre de l’attention et donc sollicite beaucoup (limite énormément) le personnel : "Tu voudrais maintenant que je m’occupe de toi. Je t’aime bien et j’aimerais bien passer un peu de temps avec toi mais je ne peux pas maintenant. Tu dois rejoindre ta maisonnée, tu ne peux pas rester ici. Quand j’aurais terminé, je viendrai chez toi. Alors, nous pourrons faire quelque chose ensemble pendant dix minutes." Rien de bien extraordinaire, une application des plus basiques des principes de l’ACP, avec la reconnaissance et l’acceptation des émotions de l’autre et l’expression authentique de son propre ressenti ? Sauf que les autres soignant·e·s, agacé·e·s, avaient plutôt tendance à répondre "Tu déranges, pars s’il te plaît", ce qui déclenchait une crise mouvementée… où l’enfant se retrouvait effectivement au centre de l’attention.

 En plus des rigidités autour de la perception du symptôme (ne voir la personne qu’à travers son symptôme risque, en plus d’effacer l’humain·e derrière… d’aggraver le symptôme), l’autrice constate qu’une trop grande rigidité du cadre peut être néfaste. Faire des reproches à quelqu’un qui refuse un repas en excluant l’idée qu’il arrive d’avoir moins d’appétit certains jours que d’autres, forcer à participer à telle ou telle activité dans des cas où ça ne viendrait pas à l’esprit pour un adulte plus autonome, provoque une dynamique contradictoire avec les principes de l’Approche Centrée sur la Personne. Il n’est bien entendu pas question, dans un accès d’angélisme, de balancer tout cadre à la poubelle. L’exprimer, et exprimer que la réticence du ou de la résident·e a bien été perçue, suffit parfois à apaiser des situations difficiles. Laisser à la personne l’opportunité, le plus souvent possible, de faire des choix, même quand ils peuvent semblent dérisoire (choisir son pain au petit déjeuner), a des effets très positifs. L’autrice a également des recommandations sur le cadre de l’institution. Si la liberté et le respect de la personnalité de chacun est l’objectif ultime, elle ne va pas jusqu’à prétendre que ça peut se faire sans cadre. Au contraire, faire comme s’il n’y avait pas de hiérarchie, comme si on se retrouvait entre ami·e·s, peut s’avérer très contreproductif. L’accent est mis sur l’importance de la communication, et surtout sur la clarté des objectifs et des moyens de chacun·e.

 Concernant les personnes les plus déficientes, c’est la pré-thérapie qui est recommandée, dont les principes sont rappelés. Si la plupart des vignettes cliniques sont tirées du livre de Garry Prouty, une autre, importante, est présentée sur quelques pages. Si elle offre un message d’espoir et d’optimisme tant la situation de départ était difficile, elle est surtout pour moi un appel à la persévérance et à la patience, les progrès apparaissant lentement, avec des étapes qui auraient pu ressembler à des reculs (quand Laure S. sort de son attitude de repli pour hurler de désespoir, la psychologue a la présence d’esprit de voir ça comme une avancée, parce que les émotions sont enfin exprimées… un peu plus de scepticisme aurait pu amener à conclure que la démarche thérapeutique lui faisait du mal et qu’il était temps d’arrêter les dégâts).

 Le livre propose d’étendre la pratique de l’ACP dans un cadre particulier, mais on peut aussi constater qu’il est particulièrement conforme aux principes de l’ACP : un propos qui pourrait paraître simpliste (avoir une attitude plus humaniste dans le cadre d’institutions thérapeutiques c’est mieux qu’être inutilement rigide ou condescendant·e, quelle trouvaille!) porte une idéologie forte (l’objectif face à des personnes dépendantes est d’optimiser leur humanité, de leur donner les moyens d’exprimer leurs désirs et leur personnalité, et non de les rendre les moins contrariantes possible pour optimiser le fonctionnement de l’institution ni même en première intention de compenser leur handicap… la hiérarchie entre résident·e·s et soignant·e:s doit dont être réduite au minimum nécessaire) et tire sa légitimité et ses améliorations de la pratique (l’idée est de le faire parce que ça marche, pas parce que ça sonne bien). Je suis tenté de le recommander à tou·te·s les professionnel·le·s concerné·e·s, même si en tant qu’étudiant qui fait un métier qui n’a rien à voir je ne suis pas forcément le mieux placé pour le faire. D'un autre côté le risque n’est pas bien grand, le livre se lit vite, et les bénéfices peuvent être importants.


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