Marlis
Pörtner propose dans ce livre une méthodologie pour appliquer
l’Approche Centrée sur la Personne en institution. L’enjeu est
particulièrement pertinent dans la mesure où la dépendance peut
présenter des obstacles à l’empathie qui est le point central de
l’ACP, que ce soit en perturbant la représentation de l’humain
qu’a le·a soignant·e (l’autrice met en garde contre la conception de
l’handicapé·e comme quelqu’un dont le but dans la vie serait
d’être valide, conception qui en dit surtout long sur les
angoisses du ou de la soignant·e), le cadre potentiellement contraignant, quand
ce n’est pas un sentiment de supériorité assumé (condescendance, surnoms, parler de la personne devant elle, ...). L’objet de
la démarche Ecouter, Comprendre, Encourager (Ernstnehmen, Zutrauen,
Verstehen en VO) est de "mettre l’intégrité et la dignité des
personnes au premier plan", ce qui permet bien sûr un meilleur
développement personnel pour les résident·e·s mais aussi une meilleure
communication entre elles et eux et les soignant·e·s, dans des situations qui
pourraient vite dériver dans le rapport de forces, avec colère et
épuisement des deux côtés. L’autrice donne l’exemple d’une
résidente particulièrement furieuse au moment de passer
l’aspirateur : le comportement semblait dans la continuité de
sa réticence habituelle envers les tâches ménagères, mais des
investigations plus poussées ont permis de constater que
l’aspirateur était abîmé et que le bouton On devait être
maintenu appuyé en permanence, ce qui était extrêmement
contraignant pour la résidente du fait de son handicap. L’intérêt
de chercher ensemble des solutions, ce qui passe par la communication
et la volonté de mieux comprendre le ressenti de la personne
concernée, est aussi bien illustré par l’exemple de cette
résidente qui dépensait tout son argent d’un coup malgré de
nombreux conseils et explications des soignant·e·s et se sentait
discriminée quand les autres pouvaient encore dépenser (la solution
a été de diviser son argent du mois devant elle en quatre
enveloppes, chacune lui étant donnée avec son accord chaque
semaine), ou encore d’une autre qui transformait chaque lever pour
aller prendre le petit déjeuner à l’heure en bataille épuisante
(le fait de remplacer le·a soignant·e par un réveil, lui permettant de
se lever et se préparer elle-même, a réglé et les conflits et les
retards). Dans un autre exemple, un soignant répond à une petite de
quatre ans qui a l’habitude dans sa famille d’être au centre de
l’attention et donc sollicite beaucoup (limite énormément) le
personnel : "Tu voudrais maintenant que je m’occupe de toi.
Je t’aime bien et j’aimerais bien passer un peu de temps avec toi
mais je ne peux pas maintenant. Tu dois rejoindre ta maisonnée, tu
ne peux pas rester ici. Quand j’aurais terminé, je viendrai chez
toi. Alors, nous pourrons faire quelque chose ensemble pendant dix
minutes." Rien de bien extraordinaire, une application des
plus basiques des principes de l’ACP, avec la reconnaissance et
l’acceptation des émotions de l’autre et l’expression
authentique de son propre ressenti ? Sauf que les autres
soignant·e·s, agacé·e·s, avaient plutôt tendance à répondre "Tu
déranges, pars s’il te plaît", ce qui déclenchait une crise
mouvementée… où l’enfant se retrouvait effectivement au centre
de l’attention.
En plus
des rigidités autour de la perception du symptôme (ne voir la
personne qu’à travers son symptôme risque, en plus d’effacer
l’humain·e derrière… d’aggraver le symptôme), l’autrice
constate qu’une trop grande rigidité du cadre peut être néfaste.
Faire des reproches à quelqu’un qui refuse un repas en excluant
l’idée qu’il arrive d’avoir moins d’appétit certains jours
que d’autres, forcer à participer à telle ou telle activité dans
des cas où ça ne viendrait pas à l’esprit pour un adulte plus
autonome, provoque une dynamique contradictoire avec les principes de
l’Approche Centrée sur la Personne. Il n’est bien entendu pas
question, dans un accès d’angélisme, de balancer tout cadre à la
poubelle. L’exprimer, et exprimer que la réticence du ou de la résident·e a
bien été perçue, suffit parfois à apaiser des situations
difficiles. Laisser à la personne l’opportunité, le plus souvent
possible, de faire des choix, même quand ils peuvent semblent
dérisoire (choisir son pain au petit déjeuner), a des effets très
positifs. L’autrice a également des recommandations sur le cadre
de l’institution. Si la liberté et le respect de la personnalité
de chacun est l’objectif ultime, elle ne va pas jusqu’à
prétendre que ça peut se faire sans cadre. Au contraire, faire
comme s’il n’y avait pas de hiérarchie, comme si on se
retrouvait entre ami·e·s, peut s’avérer très contreproductif.
L’accent est mis sur l’importance de la communication, et surtout
sur la clarté des objectifs et des moyens de chacun·e.
Concernant
les personnes les plus déficientes, c’est la pré-thérapie qui
est recommandée, dont les principes sont rappelés. Si la plupart
des vignettes cliniques sont tirées du livre de Garry
Prouty, une autre, importante, est présentée sur quelques pages. Si
elle offre un message d’espoir et d’optimisme tant la
situation de départ était difficile, elle est surtout pour moi un
appel à la persévérance et à la patience, les progrès
apparaissant lentement, avec des étapes qui auraient pu ressembler à
des reculs (quand Laure S. sort de son attitude de repli pour hurler
de désespoir, la psychologue a la présence d’esprit de voir ça
comme une avancée, parce que les émotions sont enfin exprimées… un peu plus
de scepticisme aurait pu amener à conclure que la démarche
thérapeutique lui faisait du mal et qu’il était temps d’arrêter
les dégâts).
Le livre
propose d’étendre la pratique de l’ACP dans un cadre
particulier, mais on peut aussi constater qu’il est
particulièrement conforme aux principes de l’ACP : un propos
qui pourrait paraître simpliste (avoir une attitude plus humaniste
dans le cadre d’institutions thérapeutiques c’est mieux qu’être
inutilement rigide ou condescendant·e, quelle trouvaille!) porte une
idéologie forte (l’objectif face à des personnes dépendantes est
d’optimiser leur humanité, de leur donner les moyens d’exprimer
leurs désirs et leur personnalité, et non de les rendre les moins
contrariantes possible pour optimiser le fonctionnement de
l’institution ni même en première intention de compenser leur handicap… la hiérarchie entre résident·e·s et soignant·e:s doit dont
être réduite au minimum nécessaire) et tire sa légitimité et ses
améliorations de la pratique (l’idée est de le faire parce que ça
marche, pas parce que ça sonne bien). Je suis tenté de le
recommander à tou·te·s les professionnel·le·s concerné·e·s, même si en tant
qu’étudiant qui fait un métier qui n’a rien à voir je ne suis
pas forcément le mieux placé pour le faire. D'un autre côté le
risque n’est pas bien grand, le livre se lit vite, et les bénéfices
peuvent être importants.
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