mercredi 21 juin 2017

Changer en famille, de Nathalie Duriez



Dans ce livre qui reprend sa recherche de thèse, l'autrice s'attarde sur la question, sur laquelle chacun à probablement un avis, de savoir quel élément, dans une psychothérapie, est le plus efficace, le mieux à même de provoquer un changement, de faire quelque chose au ou à la patient·e qui "l'empêche d'utiliser ses stratégies d'existence décidées dans un moment crucial de sa vie et appliquées systématiquement depuis", pour reprendre la formulation de Tobie Nathan, qui est cité (on peut vite être tenté de remplacer cette question par : "quelle est la méthode thérapeutique la plus efficace", mais ce sont bien deux questions distinctes). Et comme le sujet n'était pas assez compliqué comme ça, ce n'est non pas le changement sur des individus qui va être abordé, mais le changement sur des familles, sur le système de fonctionnement de ce type de groupe bien particulier ("comme le sportif a des membres qu'il apprend à coordonner de manière optimale, le système familial apprend à coordonner les cognitions, les affects et les comportements individuels de chaque membre de sa famille"). S'il y a plus, à la fin de la recherche, de questions que de réponses ("ma recherche m'amène à conclure sur l'impossibilité de construire un modèle rigoureux du changement en thérapie familiale systémique du fait de la complexité et du caractère imprévisible des systèmes humains"), il serait bien dommage, vous vous en doutez, d'en déduire qu'elle est sans intérêt.

 Après avoir présenté l'état de la science sur le sujet, trois thérapies familiales seront donc suivies de près (l'une d'un an et demie, les deux autres de quatre ans et demie), en analysant le contenu des séances mais aussi en interrogeant les patient·e·s, les thérapeutes, les superviseurs, y compris plusieurs années après la fin de la thérapie. L'objectif est d'identifier les instants précis qui ont provoqué un changement, et la façon dont ils ont été perçus par le·a patient·e et par le·a thérapeute. Sont passées en revue la personnalité du ou de la thérapeute (la thérapeute A dégage une aura rassurante, alors que le thérapeute C fonctionne énormément à travers la provocation), la relation (les concepts de résonance, de transfert et de contre-transfert sont distingués et analysés pour chaque thérapie), les émotions ressenties et montrées, mais aussi la façon dont la famille se perçoit plus ou moins consciemment ou encore le statut du symptôme, qui ne disparaît pas forcément même quand la thérapie est estimée réussie ("dans les trois thérapies étudiées, le patient désigné présente encore des symptômes à la fin de la thérapie") et qui a, dans la théorie systémique, le statut paradoxal à la fois de facteur d'homéostasie (il entretient et maintient le fonctionnement collectif source de souffrances) et de moteur du changement (c'est le symptôme qui motive la consultation).

 Le livre permet quelques éclairages sur le fonctionnement de la thérapie systémique, sur les moments clef qui vont, parfois plus grâce à l'insistance du ou de la thérapeute que suite à un brusque coup de génie, provoquer une prise de conscience chez le·a patient·e (ça peut même être fortuitement provoqué par l'intervention d'un tiers : dans une thérapie menée par l'autrice, la responsable du centre, alarmée par une sonore dispute entre les patient·e·s, est venue lui demander si elle avait besoin d'aide... l'autrice a décliné mais les échanges se sont malgré tout apaisés, et surtout l'un des membres de la famille lui a dit à la fin de la séance qu'elle était maintenant en confiance, avec une thérapeute capable de faire face à la virulence des conflits intrafamiliaux). On peut aussi observer que ce qui fonctionne avec une personne ne fonctionnera pas nécessairement avec une autre. Par exemple, la méthode consistant à transformer un symptôme en quelque chose de positif est plutôt reçue avec froideur quand un adolescent se voit suggérer qu'il fume du cannabis pour aider ses parents à rester ensemble : si l'inquiétude commune des parents a effectivement solidarisé ce couple en difficulté, la remarque les fait culpabiliser, alors que l'adolescent s'offusque en expliquant qu'il fume simplement parce qu'il aime fumer. Si les provocations du thérapeute C fonctionnent bien avec Mme C, qui est d'ailleurs lucide sur le fait que ça correspond à son tempérament, elles laissent de marbre M. C qui tend à les prendre au premier degré ou à se mettre en retrait.


 Contrairement à l'impression que peuvent donner le titre et la couverture, qui risquent de laisser penser qu'il s'agit d'un livre grand public qui fournit des clefs pour mieux se sortir d'une situation familiale pas évidente, le texte est souvent technique et complexe, et le·a lecteur·ice familier·ère avec la théorie systémique sera probablement bien plus à l'aise avec l'ensemble. Pour qui veut faire l'effort de s'attarder sur les passages les moins évidents, c'est l'occasion d'avoir des connaissances poussées en systémique bien sûr, sur le fonctionnement de la recherche (aspect qui risque d'avoir un intérêt tout particulier pour les étudiant·e·s de Paris VIII qui font un mémoire dirigé par Nathalie Duriez!), sur les différents mécanismes de la thérapie, ...

mardi 6 juin 2017

La structure de la magie (volume 1 : langage et thérapie), de Richard Bandler et John Grinder



 Dans ce livre considéré (du moins par l'éditeur français) comme le livre fondateur de la PNL (programmation neuro-linguistique), les auteurs vont s'attarder sur la partie linguistique de ceux et celles qui voudraient s'adonner à la magie ("la magie, tout comme les autres activités humaines complexes, a une structure") de cette méthode thérapeutique. Les auteurs mettent en lumière trois éléments dans le langage (la Généralisation, l'Effacement et la Distorsion) qui limitent les représentations de l'individu, et proposent un modèle d'entretien, le Méta-modèle (qui, les auteurs insistent là-dessus, est parfaitement compatible avec d'autres méthodes de psychothérapie), à même de lever ces obstacles, qui peuvent être source de souffrance ("quand les gens viennent nous voir en consultation en exprimant de la douleur et de l'insatisfaction, les limites qu'ils ressentent se trouvent le plus souvent dans leur représentation du monde, et non dans le monde en soi"). Le·a lecteur·ice/apprenti·e sorcier·ère est donc invité·e à assimiler, à travers des exercices pour que ça devienne des automatismes, les différents types d'intervention qui amèneront le·a client·e à modifier ses représentations douloureuses (en termes techniques, partir de sa Structure de Surface pour accéder à sa Structure Profonde).

 La Généralisation consiste à considérer une règle comme absolue. Elle peut être remise en question dans un premier temps en amenant le·a client·e à réaliser qu'iel généralise, puis en lui proposant de trouver un contre-exemple ("Quand je veux négocier quelque chose, il faut toujours que ça finisse mal" "Toujours?" "En tout cas, en général, c'est comme ça que ça se passe" "Est-ce que vous pouvez donner un exemple d'une fois où vous avez négocié quelque chose, et où ça s'est bien passé?"). L'Effacement, vital au quotidien si on ne veut pas que dire bonjour à son prochain dure 3 heures à chaque fois, offre de nombreuses pistes au thérapeute pour mieux explorer les représentations du ou de la client·e : c'est le fait de laisser des éléments non identifiés dans la phrase. Dans l'exemple précédent, si le·a thérapeute avait préféré travailler sur l'Effacement plutôt que sur la Généralisation, iel aurait pu demander ce que le·a client·e voulait dire par "mal finir", ce qu'iel voulait négocier, avec qui, … La Distorsion est une représentation déformée de la réalité qui va avoir l'inconvénient de limiter les possibilités d'action du ou de la client·e : la lecture de pensée ("mon voisin me déteste", "cette inconnue est follement amoureuse de moi et m'envoie sans cesse des signaux", …), le fait de prêter certains pouvoirs à des éléments extérieurs ("le métro me fait tout le temps arriver en retard", "je vais passer un après-midi catastrophique à cause de ce temps pourri", "mon entraîneur me ruine la santé à me fixer des objectifs qui m'empêchent de dormir") sont des formes de Distorsion. Ces représentations peuvent être relativisées en interrogeant le·a client·e sur leur source ("que fait le métro pour vous empêcher d'arriver à l'heure? Qu'est-ce que vous pourriez faire pour remédier à la situation ?" "Votre voisin vous déteste? Vous êtes sûr que vous arrivez à lire dans ses pensées? Alors qu'est-ce qu'il fait pour vous donner l'impression qu'il vous déteste?").

 Pour éclairer tout ça, les auteurs nous fournissent la retranscription commentée de deux entretiens cliniques enregistrés. Dans le premier, Ralph est bien ennuyé car il ne se sent pas capable de donner aux autres une bonne image de lui. Dans le second, Beth en a doucement ras-le-bol que ses colocataires ne l'aident jamais : leur demander de l'aide directement, ça ne se fait pas trop, mais iels pourraient quand même de temps en temps prendre des initiatives. A la fin des entretiens, on sait que c'est surtout à sa collègue Janet que Ralph veut faire bonne impression (et que rien ne l'empêche, même si c'est moins confortable, d'aller lui dévoiler ses sentiments plutôt que d'attendre qu'elle lui tombe dans les bras), et Beth admet que ses colocataires, de bonne volonté ou non, ne peuvent pas deviner de quoi elle a besoin et quand, et réalise que demander des choses aux gens n'est peut-être pas si incorrect que ce qu'elle imaginait. En plus d'éclairer le fonctionnement de la liste de techniques présentées dans le chapitre précédent (le commentaire a en plus l'avantage de montrer que le·a thérapeute a souvent le choix entre plusieurs relances), les entretiens illustrent leur intérêt : une demande qui semble reposer sur des objectifs pratiques, terre à terre, dévoilent rapidement une souffrance personnelle, intime, qui sollicitera de fortes émotions. Ralph a du mal à concevoir qu'on s'intéresse à lui parce que, jeune, il a beaucoup souffert du manque de marques d'affection de sa mère (le thérapeute s'attachera à l'aider à différencier manque de marques d'affection et manque d'affection). Beth a, quel que soit le contexte, peur d'être blessante si elle demande quelque chose.

 Même si les termes de linguistique au début du livre peuvent faire peur, la méthode et ses enjeux sont simples à comprendre. Si l'entretien est beaucoup plus directif que dans l'Approche Centrée sur la Personne, les objectifs sont en grande partie similaires (prise de distance avec les représentations, autonomie, accès aux émotions, aller du général au personnel, …). Certains éléments rappellent aussi la Gestalt thérapie (amener à préférer la première personne dans les affirmations) ou les TCC (remise en question des différentes interprétations d'une situation, d'un comportement, …), et les auteurs sont les premiers à rappeler que le Méta-modèle est un outil utilisable dans diverses thérapie. La méthode permet l'exercice d'équilibriste de guider le·a client·a sans lui faire partager les représentations du ou de la thérapeute (encore que c'est parfois limite dans le deuxième entretien donné en illustration : la vigilance sur le langage non verbal doit être de mise), et est probablement efficace aussi pour pratiquer l'introspection.