mercredi 9 avril 2014

14 approches de la psychopathologie, de Serban Ionescu



 Si "le chemin menant des approches exclusives à une approche intégrative est semé d'embuches" (ce qui n'empêche pas Serban Ionescu de prévoir de s'attaquer au sujet), l'auteur estime que l'évaluation de notre approche habituelle "ne peut que bénéficier d'une connaissance approfondie des autres approches". Il nous propose donc une introduction, courte mais loin d'être superficielle, à 14 approches qui ne communiquent pas nécessairement entre elles, et qui sont la psychopathologie dite athéorique (DSM), la psychopathologie behavioriste, la psychopathologie biologique, la psychopathologie cognitiviste, la psychopathologie développementale, la psychopathologie écosystémique, l'ethnopsychopathologie, la psychopathologie éthologique, la psychopathologie existentialiste, la psychopathologie expérimentale, la psychopathologie phénoménologique, la psychopathologie psychanalytique, la psychopathologie sociale (la psychopathologie en vacances, la psychopathologie à la ferme, la psychopathogie se rebiffe, la revanche de la psychopathologie) et la psychopathologie structuraliste.

 La naissance et l'évolution problématisée de chaque approche sont présentées dans le chapitre qui leur est consacré, et selon les objectifs de l'approche des informations sont données sur leur nosologie, leur vision de la clinique, leur méthodologie de recherche, …

 Le chapitre sur la psychopathologie athéorique est le premier chapitre, et malheureusement celui où l'ancienneté du livre (l'édition en cours, la 3ème, date de 1998) se fait le plus sentir : aucune information ni avis ne seront donnés sur le DSM 5. L'auteur précise tout de même que le terme d'athéorique n'a pas vraiment de sens (je suis plutôt d'accord, à moins de confier la rédaction du DSM à des gens qui n'ont strictement aucune connaissance en psychopathologie et en leur interdisant formellement de se renseigner sur le sujet), le DSM devrait plutôt se dire polythéorique, au mieux impartial (entre les théories existantes), à supposer que ce soit possible.

 La psychopathologie behavioriste a la particularité de ne s'intéresser qu'aux comportements observables, qui sont une réponse à l'environnement. Sa forme moderne, peu connue, est le behaviorisme social ou paradigmatique, où les comportements pathologiques sont classés d'une part en absence de comportement souhaitables, d'autre part en présence de comportements nuisibles. Le comportement découle de l'environnement, mais a aussi des conséquences sur celui-ci.

 La psychopathologie biologique concerne les éventuelles causes physiologiques des troubles psychiques. L'auteur donne l'exemple des étiologies successivement attribuées à l'hystérie, ou d'une étude sur le lien entre le manque d'acide 5-hydroxyindolacétique et le suicide.

 La psychopathologie cognitiviste a pour objet la façon dont certaines pathologies peuvent provenir d'une modalité particulière de traitement de l'information. Par exemple (pour résumer très très très succinctement), le fait de s'estimer responsable des événements négatifs qui surviennent contribue à la dépression.

 La psychopathologie développementale, à ne pas confondre avec la psychologie du développement, étudie les liens entre personnalité et pathologie.

 La psychologie écosystémique s'intéresse aux réseaux sociaux (rien à voir avec Facebook et Twitter), en distinguant par exemple des réseaux de type névrotique et psychotique (bon, j'entends les mauvaises langues dire que ça n'a pas tant rien à voir que ça avec Facebook et Twitter).

 L'ethnopsychopathologie s'interroge sur les liens entre culture et troubles psychiques, d'une part en s'intéressant aux troubles qui semblent spécifique à une culture en particulier (comme le koro, crainte que le pénis ne se rétracte a l'intérieur du corps, ou l'amok, crise de folie meurtrière sans égard pour sa propre vie, qui a tout de même eu la particularité de se moderniser -les patient·e·s sont passés du kris, poignard traditionnel, aux grenades-) et remettent en question l'idée d'universalité des troubles psychiques, d'autre part en s'intéressant aux pathologies induites, voire créées, par la culture -Georges Devereux fait une distinction entre déviation de la norme (qui peut amener à une stigmatisation et une exclusion plutôt qu'un diagnostic clinique) et conformité à certaines normes marginales (être fou conformément à la façon attendue d'être fou)-.

 La psychopathologie éthologique est surtout particulière pour ses apports méthodologiques : elle a adapté les méthodes d'observation du monde animal à la recherche sur le psychisme humain. Son principal mérite est d'avoir contribué à élaborer l'incontournable théorie de l'attachement.

 Je serais bien en peine d'expliquer correctement en quoi consiste la psychopathologie existentialiste parce que, je suis ravi que Ionescu me l'accorde, "l'approche existentialiste requiert sans doute une bonne compréhension de la philosophie qui porte le même nom. Ceci n'est pas facile!" . Même Maslow trouvait ça super compliqué, au point qu'il l'a écrit dans un livre consacré au sujet. D'après ce que j'en ai laborieusement compris, ça consiste à faire précéder l'existence à l'essence (pour aller très vite, mon identité vient de ce que fais plus que de mon état civil). Le·a patient·e doit donc, avec l'aide du ou de la thérapeute (et non d'une secte), découvrir son être propre, et identifier les mécanismes qui pourraient fausser la perception de son identité (être défini par le monde alentour -Umwelt-, notre entourage -Mitwelt- ou notre image de nous-même -Eigenwelt-), dénouant progressivement les symptômes, voire permettant de se libérer d'une "psychopathologie de la moyenne".

 La psychopathologie expérimentale a débuté suite à des résultats imprévus du travail de Pavlov et son équipe : certains animaux sujets d'expérience sur le conditionnement développaient des troubles psychiques (on se demande bien pourquoi, passer ses journées dans une cage entre des expériences qui se termineront soit bien -nourriture- soit par des chocs électriques, ça doit pourtant être très épanouissant). La méthode a subi des objections sérieuses (Pavlov lui même, mais on aurait pu le faire sans lui, rappelle que les conclusions obtenues avec des animaux ne peuvent être transposées telles quelles pour les êtres humains) et moins sérieuses (un chercheur qui expérimentait sur les chats -probablement financé par le CCC- s'est vu opposer l'argument que les comportements observés ne pouvaient pas être le résultat de névroses, puisque les névroses ne pouvaient que provenir d'un conflit œdipien non résolu, hors les chats concernés n'avaient pas connu leur père). L'auteur donne un exemple plus moderne où des expériences de psychologie cognitive (mesure des temps de réaction), effectuées cette fois-ci directement sur la population concernée, ont permis d'établir que les patient·e·s schizophrènes (humain·e·s!) avaient une vitesse de traitement de l'information visuelle inférieure à celle des sujets non schizophrènes.

 La psychopathologie phénoménologique a le point commun avec la psychopathologie existentialiste d'avoir ses origines dans la philosophie, et d'être très complexe. Sa principale originalité est son approche de la recherche : au lieu de partir, comme la méthodologie l'impose habituellement, d'une hypothèse que l'on va confirmer ou infirmer selon des critères très stricts, on part de l'observation la plus exhaustive possible du ou de la patient·e, en particulier de ses propos (le·a chercheur·se ou le·a thérapeute "tente de connaître ce qu'est "l'expérience de la folie" à partir de ceux qui l'ont vécue et qui deviennent, ainsi, les principales sources d'informations et de données"). Autre particularité : "il s'agit d'une recherche engagée socialement qui, en se développant davantage, pourra contribuer à un changement des politiques en matière de services psychiatriques".

 Bon, la psychopathologie psychanalytique, je pense que vous connaissez. Intérêts particuliers du chapitre : Ionescu isole un tronc commun en quatre points des très nombreuses théories analytiques (le passé peut provoquer des troubles psychiques, surtout lorsqu'il est refoulé donc inconscient, la sexualité est centrale, le sens donné au vécu et son impact dépendent du stade de développement auquel il est survenu, la maladie mentale a une fonction, c'est une adaptation à la réalité pour éviter une souffrance), et dresse un inventaire des réponses données à l'éternelle question "la psychanalyse est-elle une science?" (y compris celles données par les détracteur·ice·s de la psychanalyse).

 La psychopathologie sociale, qui n'est pas la psychologie sociale, a pour objet d'identifier les aspects pathogènes de la société. Son point de départ était le constat quantitatif que les troubles psychiques étaient plus fréquents dans les milieux sociaux défavorisés.

 La psychopathologie structuraliste inscrit la psychopathologie dans la personnalité : une personne de structure névrotique, si elle est atteinte d'un trouble psychique, souffrira de névroses, une personne de structure psychotique souffrira de psychoses. Les structures peuvent être identifiées par les relations entre les différentes instances de l'inconscient chez le sujet (Ça, Moi, Surmoi, Idéal du Moi, …).

 Le titre du livre et sa brièveté peuvent donner l'impression qu'il s'adresse aux débutant·e·s, mais si le texte est clair, le contenu est dense, et une familiarité avec la psychologie clinique ne dispensera pas d'une lecture attentive. L'auteur a le plus souvent la démarche d'expliquer le général en rentrant dans les détails d'un exemple particulier, ce qui permet de publier le livre en un seul tome tout en ayant l'espace pour rentrer dans les subtilités nécessaires. Selon lui, toutes les approches doivent être prises au sérieux (même la psychopathologie behavioriste), et il commence sa postface en ironisant sur le fait que les amateur·ice·s de caricature auront probablement été très déçu·e·s en le lisant (iels pourront se consoler en lisant mon résumé! c'est ce qui arrive quand on résume en quelques lignes un contenu nuancé, et qu'on n'est pas Serban Ionescu mais un étudiant de 3ème année). Pour appuyer son plaidoyer sur l'écoute attentive entre les approches, il suggère que "Freud ne s'étonnerait pas des développements actuels des approches biologique, éthologique et sociale de la psychopathologie".

 Note : je l'ai déjà dit plusieurs fois mais c'est particulièrement le cas ici puisque pas mal de contenu que je ne maîtrise pas (on parle quand même de 14 approches qui ont chacune évolué au cours de décennies de réflexions entre spécialistes) est balayé dans un tout petit résumé, si il y a des approximations ou des contresens n'hésitez pas à le signaler en commentaire, pour éviter que des étudiant·e·s lisent des âneries

4 commentaires:

  1. J'aime bcp ta description de la psychopatho existentialiste ! :-) Je pense que Yalom en parle (et la pratique) un peu plus simplement. Par ex dans des romans comme "Mensonge sur le divan". Livre génial que je te recommande si tu ne l'as pas encore lu.
    Et si tu t'ennuies, je veux bien une fiche de lecture de L'écorce et le noyau d'Abraham et Torok, je n'y comprends rien !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Jamais lu Irvin Yalom mais à chaque fois que j'en entends parler, c'est en bien, il faudrait que je m'y intéresse de plus près.
      L'écorce et le noyau je veux le lire depuis très très longtemps, en fait depuis que Schützenberger l'a lourdem... euh, chaleureusement recommandé dans Aïe mes aïeux, que je pense avoir lu avant ma L1. Le planning de lecture est assez blindé (les 4 prochains livres sont programmés, et il faudra que je m'attaque à des lectures moins sexy mais qui collent au programme de M1 DEV), mais il faudrait que je cherche plus sérieusement à le caser dedans.

      Supprimer
  2. Formidable ce livre je l'adore

    RépondreSupprimer