dimanche 25 avril 2021

Le cerveau attentif, de Jean-Philippe Lachaux



 Difficile à mesurer et même à définir, l'attention est pourtant une préoccupation fréquente. Jean-Philippe Lachaux, chercheur en sciences cognitives, nous éclaire dans ce livre sur ce que la science peut nous en dire, avec des aller-retours entre le fonctionnement détaillé du cerveau et les applications au quotidien.

 Ne pas perdre (encore!) ses clefs ou renverser son café (ceci n'est absolument pas autobiographique), finir d'apprendre ce chapitre de psy sociale malgré la tentation pressante et répétée de faire un tour sur les réseaux sociaux ou sur Animal Crossing (la tentation inverse s'avère souvent, tant mieux ou tant pis, beaucoup moins irrésistible), écouter ce que dit le.a prof plutôt que cette voix intérieure qui joue et rejoue une conversation à venir ou qui chante Ça fait rire les oiseaux... l'attention, on y prête généralement son attention quand elle nous fait défaut. Et si l'auteur sympathise avec cette frustration ("les contraintes de l'esprit sont plus difficiles à admettre que celles du corps, parce que leur cause est moins immédiatement visible") et qu'il donne des astuces pour mieux s'en sortir, il insiste surtout sur leurs limites, comparant l'attention à un animal sauvage, qui réagit mieux aux tentatives d'apprivoisement qu'à la contrainte.

 L'attention, c'est d'abord un choix, celui de sélectionner parmi l'infinité de stimuli de notre environnement celui sur lequel nos sens, voire nos capacités exécutives (dans un deuxième temps... l'auteur compare le processus à un policier appelé sur une enquête, qui décide ensuite éventuellement d'informer le commissaire qu'il faut y consacrer des ressources), vont se centrer. Et les candidat.e.s sont nombreux.ses : ce qui est nouveau, ce qui se démarque (couleur vive, son bruyant, ...), ce qui alerte de l'éventualité d'un plaisir (la certitude et l'intensité du plaisir en perspective augmentent d'autant la sensibilité) ou d'un danger... Ce premier niveau de capacité attentionnelle est facilement capté, et implique non seulement les sens mais aussi le mouvement (Jean-Philippe Lachaux met au défi le.a lecteur.ice de se déplacer en se forçant à regarder pendant tout le trajet dans une direction fixe). Ça a certes bien des inconvénients, mais fait aussi office de signal d'alarme, ce qui constitue un avantage certain (Platon rapporte que Thalès a déjà été plongé dans ses réflexions mathématiques au point de tomber dans un puits). Et la liste d'obstacles, déjà longue, ne s'arrête pas là : les sources de distraction ne sont pas seulement externes, mais aussi internes. Ceux.elles qui ont essayé de s'adonner à la méditation, même (surtout?) brièvement, ne le savent que trop bien : les conversations intérieures démarrent vite, très vite, et tendent à se prolonger un temps certain avant même qu'on ne s'en aperçoive.

 Tout ceci serait moins contrariant si l'attention n'était pas si sélective... Mais, hélas, on peut difficilement à la fois se concentrer sur sa respiration et converser passionnément avec soi-même, se préoccuper la couleur de chaque voiture qui passe et arriver dans un délai raisonnable à la destination choisie, ... Le fait que cette sélectivité permette aussi d'inhiber (on ne peut pas suivre deux conversations à la fois, mais on peut écouter l'une ou l'autre même si on entend deux conversations à la fois) n'est potentiellement qu'une maigre consolation. Un comble : trop de concentration peut nuire à la concentration, comme le.a soldat.e qui ne sait plus marcher au moment où il.elle apprend la marche militaire qui n'est pourtant qu'une amplification du pas normal, ou le.a sportif.ve de haut niveau qui perd ses moyens quand l'enjeu est trop élevé (tirs au but, ...). Vous pouvez faire l'expérience en faisant scrupuleusement la chasse aux erreurs d'orthographe dans un texte : malgré une lecture extrêmement attentive, vous n'en aurez probablement pas retenu le sens. 

 Mieux connaître ces spécificités, en grande partie liées au fait que le cerveau est partisan du moindre effort ce qui permet, précisément, de faire plusieurs choses à la fois (réfléchir sans tomber dans un puits, sauf si on est Thalès, ne pas rester planté devant sa casserole pendant tout le temps de la cuisson des pâtes -ou du baekeoffe!-, ...). L'auteur conseille en particulier de créer des bulles, c'est à dire à la fois de décider en amont de ce qu'on veut, et de ce qu'on ne veut pas. Les bulles impliquent de bien connaître son environnement et ses préoccupations : combien de temps je peux consacrer à cette activité, et à rien d'autre? A quoi je dois rester vigilant (appel téléphonique potentiel, chat qui veut renverser la plante verte, rendez-vous à venir, ...), et combien de temps je peux relâcher complètement ma vigilance en toute sécurité? S'écouter, c'est aussi savoir remettre concrètement et activement à plus tard les préoccupations qui ne pourront être gérées de façon productive que plus tard ("nous sommes face à nos distractions comme un enfant au cinéma, convaincu que l'acteur meurt vraiment"). L'auteur donne aussi des conseils plus techniques pour mieux maîtriser l'attention au niveau chimique (et il le fait.... dans l'épilogue, moment où traditionnellement l'attention baisse!), mais je n'ai pas un niveau de maîtrise suffisant du sujet pour les restituer ici.

 Le livre est exigeant au niveau technique tout en restant très accessible, et permet d'y voir beaucoup moins flou dans les dimensions diverses de l'attention même si on ne maîtrise pas les détails les plus spécialisés, en particulier neurologiques, fournis (ils sont explicités, mais comme j'ai pu le constater sur mon bulletin de notes en L1, la neurologie ne s'apprend pas de façon express même si on peut vite comprendre pas mal de concepts). Les expériences scientifiques sont reliées aux aspects les plus concrets de la vie quotidienne, et, hommage cohérent tant le zen a exploré le domaine longtemps avant les neurosciences, les chapitres sont introduits par des haïku (la lecture pourra vous permettre de considérablement développer, par exemple, "Eternuant/Je perds de vue/L'alouette" ou "Le rossignol!/ Mes mains au dessus de l'évier/S'interrompent").

mercredi 21 avril 2021

Fin de cycle 2


 Il y a quelques jours s'est terminé pour moi le cycle 2 de formation à l'ACP (astuce mnémotechnique qui m'aide pas mal, c'est celui qui succède au cycle 1).

 Je le voyais comme axé sur la théorie (surtout par contraste avec le cycle 1 qui expédie de façon très directe dans la pratique, ça pique un peu au début -après aussi, en fait, mais après on est au courant-), mais c'est aussi un premier pas vers la pratique de thérapeute (c'est à dire qu'on s'entraîne, par opposition au premier cycle, à écouter des personnes qui ne sont pas en train de se former à l'ACP, et croyez-le ou non ce n'est pas toujours tout à fait pareil). J'ai donc eu par exemple le plaisir d'intégrer une association d'écoute téléphonique bénévole (et aussi d'être recalé d'une autre, et pour l'ego c'est top de se faire fermer la porte au nez d'une asso qui s'appelle La Porte Ouverte), même si cette écoute a beaucoup trop ralenti à mon goût à cause de cette *** de pandémie (j'ai le choix entre plusieurs trajets en transports en commun pour accéder au centre d'appels, mais tous impliquent de prendre une ligne très fréquentée, j'ai cru comprendre que ce n'était pas recommandé). Je devrais (enfin!) reprendre bientôt.

 Mais le changement le plus radical est qu'un aventurier et une aventurière m'ont fait l'honneur de me rejoindre dans mon parcours! 10 ans après mon inscription en 1ère année de psycho, j'ai donc enfin pu accompagner de vraies personnes, qui ont toute ma gratitude (oui c'est convenu comme formule mais c'est pour de vrai, à chaque moment de chaque séance). Cette recherche a aussi été l'occasion d'expérimenter les annonces passées dans le vide, les désistements et disparitions, sur lesquels les livres de psy clinique sont quand même assez discrets en général mais qui ont l'air de pas mal faire le sel de la pratique pro (je pense qu'en début de pratique la première formulation qui vient n'est pas nécessairement celle-là). Et, objectif pédagogique oblige, j'ai aussi découvert les joies de me voir et m'entendre sur un enregistrement ("mais pourquoi je hoche la tête comme les chiens en plastique à l'arrière des voitures? pourquoi j'ai une tête de chien en plastique à l'arrière des voitures? et c'est quoi cette voix? comment fait l'autre pour supporter ça pendant une heure?"). Et aussi, Skype, c'est pratique, mais gérer des problèmes techniques en direct quand mes connaissances en informatique les plus sophistiquées c'est Ctrl-Alt-Suppr tout en ayant l'air pro, j'ai pu constater que ce n'était pas tout à fait ma vocation ("ah pas de son je vais essayer de regarder d'où ça vient CALMEMENT JE SUIS TRES CALME POURQUOI ÇA MARCHE PAAAAS ça fait deux minutes j'ai toujours pas trouvé c'est comme la fin du monde mais en pire mais non je n'exagère pas").

 Mais heureusement, pour se remettre de retrouver la posture de thérapeute idéale face à tous ces obstacles, il y a la supervision, qui est d'ailleurs une grande part du cycle 3, qui va consister à devenir thérapeute pour de vrai (passer officiellement de l'accompagnement ACP à la thérapie ACP). Toujours des écoutes, donc (sauf bien sûr arrêt de leur part, je garde mes client.e.s-aventurier.ère.s, non mais! -et je continue l'écoute bénévole dans l'asso-), et toujours de la théorie, mais ça ce sera en autonomie puisqu'il faudra rédiger un mémoire (et aussi proposer une intervention à l'événement annuel d'ACP France, autant vous dire qu'en tant qu'introverti je suis extrêmement détendu à cette perspective). Cette année sur le blog il y aura donc soit une part des résumés consacrés à la préparation du mémoire, soit moins de résumés si le thème du mémoire ne concerne pas l'aspect psychothérapie de l'ACP (j'ai une idée qui va dans ce sens mais comme je ne me suis pas renseigné du tout sur ce qui allait être demandé je ne sais pas si ça va être pertinent de partir dans cette direction)... et aussi, donc, probablement, des posts pour râler aux moments où je vais ramer pour la rédaction (je sais c'est super surprenant parce que ce n'est vraiment pas mon genre de râler).

 Enfin tout ça c'est à partir de juin, pour l'instant je reste avec le souvenir des quatre années de formation passées et du champagne qui a accompagné la remise du diplôme (dans un gobelet en plastique, une occasion de confirmer que la vraie beauté est à l'intérieur), et la perspective de passer encore une année avec mon précieux groupe de formation que j'ai eu tellement de chance de rencontrer.

jeudi 8 avril 2021

Focusing-oriented psychotherapy, d'Eugene Gendlin

 


 Dans ce livre que je pensais bien plus ancien (il date de 1996), Eugene Gendlin expose dans une première partie, de façon détaillée, le fonctionnement pratique du focusing, puis, dans une seconde partie, explore les passerelles existantes avec différentes approches, ce qui l'amène à des développements personnels sur l'essence, selon lui, de la thérapie. 

 Gendlin fait remarquer que comprendre un problème ne suffit pas à le régler, même si l'explication est super classe et élaborée et, pire, même si elle s'incrit parfaitement dans le modèle théorique supériorissime du.de la thérapeute. Il parle d'impasse quand la compréhension est aboutie mais que le changement ne suit pas (tout en actant qu'il existe aussi des impasses avec le focusing, d'autant plus qu'il consacre un chapitre aux techniques pour les contourner). Si le focusing inclut bien la partie rationnelle du psychisme (l'auteur doit le rappeler plusieurs fois, parce que ce n'est vraiment pas le point de départ), c'est le corps, puis l'intuition, qui sont d'abord écoutés, permettant d'identifier plus précisément ce qui se vit, d'explorer des pistes potentiellement inattendues, de confirmer avec le ressenti si la direction prise est ou non la bonne : le.a client.e ne se dit plus "ça doit être ça", mais "c'est ça". Le point de départ est un sens corporel ("felt sense"), sur lequel l'attention sera dans un premier temps dirigée, avant de laisser la place aux émotions, images qui surviennent, de les préciser (seulement dans un second temps : les vignettes cliniques le rappellent, les silences ont une place très importante dans le processus), puis de chercher à les comprendre. Un problème lourd peut parfaitement avoir de nombreuses strates, et la répétition (en plusieurs séances! Gendlin invite d'ailleurs à finir la séance sur quelque chose de léger -voire prendre le thé, au sens propre- quand une avancée importante a été faite) fait aussi partie intégrante du focusing. Le livre rentre vraiment dans le détail de la technique, exemples à l'appui (avec la bonne idée d'utiliser des extraits d'entretiens de thérapeutes en formation), des moyens de déclencher le sens corporel (inviter le.a client.e à se dire que tout va bien semble être extrêmement efficace!) à son exploration, ce qui demande un équilibre complexe entre guider, être présent.e, et laisser de l'espace.

 Le focusing est une influence majeure de l'Approche Centrée sur la Personne (d'où ma surprise devant la date de parution du livre), au point que j'identifiais presque la méthode comme une fraction de l'ACP. La filiation se fait encore plus sentir dans la seconde partie : si l'ouverture de Gendlin à la psychanalyse et même au behaviorisme le plus classique (répéter un comportement, lorsque ça implique de surmonter un blocage, génère aussi un changement intérieur) est réelle alors qu'on pourrait (très) difficilement l'imaginer chez Rogers, l'intransigeance envers la liberté du.de la client.e (la séance lui appartient, c'est dit en ces termes), l'importance de la relation et de l'authenticité ("heureusement le thérapeute n'a pas à être un type particulier de personne, juste une personne. C'est un fait qui est générateur d'une solide sensation de paix. Je dois simplement être là pour qu'on puisse me trouver"), l'humilité nécessaire du.de la thérapeute (pour Gendlin c'est même important que le.a client.e intègre rapidement que le.a thérapeute peut se tromper, pour pouvoir le.a corriger quand c'est nécessaire sans que ça ne nuise à la fluidité de l'échange) sont autant d'échos pour le moins limpides. Il va même plus loin que Carl Rogers lorsqu'il dit que l'effort d'empathie du.de la thérapeute n'a pas à être ressenti par le.a client.e (l'une des conditions nécessaires et suffisantes selon la théorie de l'ACP), mais simplement être là pour que le.a client.e puisse le percevoir quand ce sera le moment. Le chapitre sur la relation client.e-thérapeute, l'un des plus longs du livre, aurait d'ailleurs probablement pu faire l'objet d'un résumé à lui seul, et le chapitre sur la définition de la thérapie, très personnel, est riche aussi. Gendlin a aussi une approche intéressante et originale du Surmoi : aussi irrationnel que le Ça, c'est une amplification, en plus virulent, des injonctions parentales et sociales. Pire, cette voix est contreproductive, amenant à s'autoflageller plus qu'à faire des efforts. Si la meilleure réponse au quotidien est de l'ignorer, comme une personne bavarde qui a tendance à dire des choses inintéressantes, il reste possible d'en extraire du positif en explorant la vulnérabilité qui est dissimulée derrière l'agressivité (l'auteur fait un parallèle avec le magicien d'Oz, homme chétif caché derrière un paravent qui projette l'image d'une créature impressionnante).

Les deux parties, technique et théorico-philosophique, sont donc riches et intéressantes pour des raisons très différentes. Le livre constitue une brique de plus, précieuse, dans l'édifice de la psychologie humaniste.

mardi 6 avril 2021

Pandorini, de Florence Porcel


 Ses vies sociale et professionnelle en suspens jusqu'à ses 19 ans à cause de graves problèmes de santé, la narratrice compte bien prendre sa revanche, entrer dans la vie par la grande porte. L'opportunité arrive bientôt : figurante sur un tournage avec le légendaire et charismatique Pandorini, acteur dont ceux.elles qui l'ont vu en vrai évoquent le magnétisme, fondateur et soutien très actif des Colettines, centres d'accueils pour victimes de violences conjugales, elle dépose une vidéo de démo dans sa loge, avec ses coordonnées. Après une attente interminable, c'est... l'acteur lui-même qui la rappelle! Il laisse un message vocal, tente de la joindre deux soirs à la même heure. Le troisième soir, la narratrice s'assure d'être disponible pour décrocher et... il lui propose un rendez-vous! Elle va rencontrer, elle, le légendaire Pandorini! Le rejoindre sur un tournage, puis être à son bureau. Pourtant, alors qu'elle avait tant envie de partager son incroyable aventure avec ses amies après le message vocal qu'elle a écouté et fait écouter tellement de fois, elle n'aura plus du tout envie d'échanger, au point d'être virulente, après le premier appel. Ce moment où l'échange a pris très subitement une connotation étrange ("-Est-ce que vous êtes heureuse? -Euh... oui... Oui, mon école me plaît beaucoup... -Et dans votre vie amoureuse? -Euh... oui, là euh je sais pas..." suivi de questions de plus en plus intrusives, obscènes "Vous n'avez jamais embrassé un garçon alors?" "Vous n'avez jamais fait l'amour?" "Vous vous caressez?" "Vous vous caressez comment?"), elle n'a vraiment pas envie de l'évoquer. Et il lui faudra un moment pour parler de ce qui s'est passé pendant le rendez-vous en question ("il a été trop cool parce qu'il a mis la capote sans faire d'histoire, hein Soline c'est pas si fréquent, il a été doux j'ai rien senti - enfin je veux dire j'ai pas eu mal - enfin si un peu à la fin mais c'est normal, il a pas insisté quand j'ai refusé de faire ce qu'il m'a proposé oh la la c'était tellement adorable de sa part"), avant de rentrer dans une fureur terrible parce que son enthousiasme n'est pas partagé.

 Structuré narrativement par les réactions médiatiques aux dénonciations des violences sexuelles commises par Pandorini (multiplicité croissante des témoignages d'un côté, défense plus ou moins agressive de la personne de l'autre), cette histoire peut en rappeler d'autres, en particulier après le mouvement #MeToo, après les réactions provoquées par l'obtention d'un César par Polanski. Et pour cause : ce récit est de très forte inspiration autobiographique. Florence Porcel a d'ailleurs, depuis la parution, porté plainte contre Patrick Poivre d'Arvor. Mais, si c'est bien la multiplicité des regards qui est au cœur du récit, c'est avant tout à travers l'évolution du regard de la narratrice, qui progressivement cessera de voir ce 22 mars comme "le plus beau jour de (s)a vie" suivi d'une histoire d'amour, et accédera finalement, quatorze ans plus tard, à une perception lucide ("de quel DROIT, Jean-Yves, DE QUEL PUTAIN DE DROIT?", "Cette situation n'est pas normale : IL T'A FAIT DU MAL") mais apaisée ("la déflagration avait fusionné les deux moi").

 Si ce temps était aussi long, aussi douloureux (vaginisme, tentative de suicide, médication nécessaire, ...), c'était toutefois nécessaire, car il s'agissait bien d'un viol, d'un traumatisme, avec le temps que ça implique pour s'en remettre alors que tant de vulnérabilités, parfaitement identifiées par l'agresseur, étaient présentes ("mon cerveau, sachant que la vérité m'aurait été insupportable, m'en a protégé comme il a pu"). Le rappel, simplement, des faits, est une première étape : le double-jeu de Pandorini, jouant la complicité voire la timidité avant de donner des ordres avec froideur, la confusion des genres dans un rendez-vous qui était supposé être professionnel (si elle a bien fait carrière, la narratrice n'a bénéficié d'aucun coup de pouce de l'acteur et producteur si influent), le fait qu'elle ait eu mal pendant le rapport et l'ait exprimé très clairement, sans aucune prise en compte en face, ... Et même dans la poursuite de la relation : il continue d'abord à être en contact avec la narratrice, par appels et SMS, puis disparaît du jour au lendemain, réapparaît avec un comportement ambigu... rien pour définir sainement la relation, la clarifier, l'aider à l'oublier ou à comprendre ce qu'elle représente effectivement pour lui. Et pourtant, même si l'attirance physique n'était pas vraiment là (la narratrice préfère Di Caprio), c'était le légendaire Pandorini : si son objectif était vraiment de coucher avec cette actrice de 19 ans à l'entrée de sa carrière, il avait bien des façons plus saines, et tout aussi fiables, d'arriver à ses fins.

 Un choix fort du récit est de se concentrer, plus que sur la destruction du criminel, de celui qui a provoqué tous ces traumatismes, semble-t-il à de nombreuses personnes (le récit commence d'ailleurs à la mort de Pandorini, alors que Patrick Poivre d'Arvor est bien vivant), sur le récit personnel de reconstruction. Accepter que ça prend du temps, accepter qu'il y ait de l'ambivalence ("je t'aimais"), montrer qu'il y a une fin possible à ces souffrances, sans rendre, en rien, les faits plus acceptables. Florence Porcel a déjà montré qu'elle savait exprimer sa colère de façon exceptionnelle, ce récit en est une preuve, considérable, supplémentaire, avec des enjeux à la fois individuels (la souffrance a une fin, les vécus paradoxaux sont pleinement légitimes et font même partie intégrante des mécanismes de ce type de violences, d'autres sont passé.e.s par là) et collectifs (les associations, les médias, ont leur rôle à jouer et le pouvoir de faire bouger les choses).

jeudi 1 avril 2021

Pratiquer l'ICV : l'intégration au cycle de la vie, de Peggy Pace


 Peggy Pace détaille ici sa méthode (ICV en français, pour Intégration au Cycle de la Vie) pour retrouver une unité plus complète entre les différents états du Moi, en particulier lorsqu'un ou plusieurs évènements de vie ont modifié la personnalité du.de la client.e. Un concept particulièrement important est la distinction entre la mémoire explicite (je suis capable de raconter l'évènement en utilisant mes propres souvenirs) et implicite (l'évènement est ancré dans mon corps et mon psychisme mais je ne suis pas en capacité de me remémorer suffisamment d'éléments pour en faire un récit cohérent).

 La procédure thérapeutique consiste à, par un voyage progressif dans les souvenirs balisé dans un premier temps par la mémoire explicite (l'autrice conseille de prévoir environ un souvenir par an pour constituer des repères), établir un dialogue entre le Moi du passé et le Moi du présent : ce dialogue peut permettre au Moi du présent de faire bénéficier de ses ressources au Moi du passé ou encore de le rassurer ("tu es en sécurité maintenant, ta peur et ta détresse appartiennent à une période qui est terminée"), ou encore de résoudre des conflits intrapsychiques. Pour ce dernier cas, un exemple particulièrement parlant est celui du soin de l'anorexie : l'autrice invite la personne à parler avec son Moi de l'adolescence (elle précise que les client.e.s savent généralement exactement situer l'âge concerné) et à entamer une négociation, en précisant que l'objectif est louable mais que les résultats sont dangereux (en donnant des exemples précis) et en réfléchissant ensemble à d'autres solutions pour mieux aimer son corps. La répétition (du voyage sur la ligne de vie) est un élément clef pour une intégration plus solide et complète (comme un sentier qui devient plus praticable à force d'être emprunté), c'est d'ailleurs répété plusieurs fois dans l'ouvrage. Le.a thérapeute ne s'adresse pas directement à l'état du Moi du passé, mais guide le.a client.e du présent dans leur échange, tout en laissant la place à son imagination et à son intuition (le.a client.e sait mieux que le.a thérapeute quel chemin suivre, tout en étant lui.elle-même souvent surpris de la direction que prend la thérapie). 

 "La thérapeute doit rester présente, ancrée, connectée énergétiquement à la cliente, et disponible émotionnellement tout au long du processus", sous peine de ne pas aider ou, pire, d'aggraver la situation. L'autrice insiste là-dessus à plusieurs reprises, et est très claire sur le fait que son livre ne constitue pas une formation suffisante pour exercer. L'importance de la présence solide et bienveillante du.de la thérapeute est explicitement reliée à la théorie de l'attachement, pilier théorique fondamental, parfois avec de drôles d'interprétations (un parent, même bienveillant, avec un attachement insécure, fera du mal à son enfant et risque de même de provoquer un trouble dissociatif de l'identité -mais qu'est-ce qu'elle raconte? ce qui cause un trouble dissociatif de l'identité ce sont des traumatismes extrêmes et répétés-, ou encore un enfant ne saura pas réguler ses émotions si ses parents ne savent pas le faire et sera prédisposé aux addictions et troubles du comportement alimentaires, et l'affirmation n'est pas sourcée parce que pourquoi faire...). Des affirmations pseudoscientifiques surgissent d'ailleurs parfois inopinément, comme l'hémisphère droit rationnel et l'hémisphère gauche intuitif (AAAAAARGH) ou encore la comparaison de l'émergence du langage avec un logiciel de traitement de texte (en cinq éditions, ça a été gardé? vraiment?), ce qui est extrêmement ironique au milieu de références à la neurologie et à la psychologie du développement.

 Des indications sont données pour soigner des troubles spécifiques comme les troubles du comportement alimentaire évoqués plus haut mais aussi par exemple la dépression, l'anxiété, avec une insistance particulière sur les traumatismes (avec, ce qui fait sens pour une thérapie avec "intégration" dans le nom, une place conséquente donnée au trouble dissociatif de l'identité). Le.a lecteur.ice n'en saura en revanche pas beaucoup sur l'efficacité à attendre : c'est précisé en fin d'ouvrage, le niveau de preuve se limite aux constats personnels, et, comme la méthode a plus de quinze ans, c'est probablement parce que les résultats n'ont pas suivi au moment de la recherche d'une validation plus solide. L'affirmation a toutefois le (grand) mérite de la transparence, et même si l'efficacité ne semble pas au rendez-vous pour des troubles spécifiques, difficile d'estimer que la méthode n'a pas d'intérêt quand elle offre des propositions pour explorer des parties difficilement accessibles du psychisme.