vendredi 29 novembre 2019

Helping her get free, de Susan Brewster



 Pour se sortir d’une situation de violence conjugale, que ce soit pour prendre la décision de partir, pouvoir le faire dans de bonnes conditions, ou pour mieux vivre l’après, l’entourage est souvent important. Ingrid Falaise a trouvé la force de partir quand des détectives privés, engagés par ses parents avec qui elle avait coupé le contact, ont trouvé sa trace. Avant ça, une phrase de son beau-père, l’attitude du meilleur ami de son conjoint, n’ont pas changé grand-chose concrètement mais ont eu assez d’impact pour qu’elle s’en souvienne des années après. Sophie Lambda, après la rupture, a énormément souffert de l’incompréhension de ses proches. Asa Grennwall a pu compter sur son père pour l’héberger quand elle est partie, et pour récupérer ses affaires en sécurité le lendemain. Pourtant, alors que dans ces situations de danger les bonnes intentions ne suffisent pas et peuvent même être contre-productives, peu de ressources (à ma connaissance) sont destinées spécifiquement aux proches des victimes. C’est ce que propose l’autrice, psychothérapeute et travailleuse sociale spécialiste du sujet, elle-même ancienne victime. Elle utilise systématiquement le masculin pour parler de l’agresseur et le féminin pour parler de la victime, ce qui reflète probablement son expérience professionnelle, choix que je vais conserver dans ce résumé bien que ces violences existent aussi dans des couples homosexuels ou, bien plus rarement, infligées par des femmes à des hommes.

Si la situation est hélas fréquente (l’autrice rappelle que le.la lecteur.ice connaît probablement, qu’il.elle en ait conscience ou non, des agresseurs et des victimes), certains aspects peuvent en effet prendre au dépourvu même une personne bien intentionnée, qu’ils relèvent d’une méconnaissance des conséquences du traumatisme (état de confusion extrême, estime de soi très basse -le dénigrement, sous forme de culpabilisation, d’insultes, ... fait partie des violences-, espoir de voir l'agresseur changer) ou de clichés sur le couple (ça peut arriver à tout le monde de s’énerver, les problèmes de couple se règlent en couple, il suffit de partir, elle devrait mieux s’affirmer, elle n’est probablement pas non plus facile à vivre, …). Pour toutes ces raisons, le plus important est d’écouter, sans jugement, la victime, et, ce qui est peut-être le plus difficile, de respecter son rythme. L’humilité est d’ailleurs au cœur des recommandations, au point que, si l’autrice insiste sur le fait qu’il ne faut pas culpabiliser si ça se termine mal (l’agresseur est le seul responsable et coupable des violences), il n’y a pas lieu non plus de se féliciter en cas de succès : c’est la victime qui, en s’emparant des ressources fournies, a fait l’essentiel du travail. Si récompense à rechercher il y a, c’est dans les compétences acquises en servant de soutien.

 Le premier risque est d’être trop distant.e. L’isolement est une part intégrante de la relation abusive, les espaces pour développer des relations sociales sont potentiellement réduits. La victime passe l’essentiel de son temps avec une personne qui la fait douter de ses perceptions, éventuellement la maintient dans la honte, voire la dissuadera plus directement de parler en la menaçant de représailles. La construction d’une relation de confiance demandera du temps. Les premières évocations des violences seront probablement allusives, la situation minimisée. Si le rythme de la parole est à respecter (simplement être disponible pour la recueillir, ce qui peut consister dans un premier temps à appeler ou passer du temps ensemble sans parler de la raison pour laquelle on se rend réellement activement disponible, est déjà une étape importante), les allusions devront être relevées, éventuellement en demandant plus de précisions avec des questions ouvertes, sans pression à en dire plus mais en marquant un intérêt : les premiers pas doivent être encouragés, sinon la victime risque de laisser tomber. Et surtout, il est important de respecter sa perception même quand elle semble indulgente envers l’agresseur (sans pour autant exprimer qu’on partage cette perception, surtout si ce n’est pas le cas -la sincérité est fondamentale-), de ne pas prendre parti, quelle que soit la difficulté de rester neutre. Se rendre disponible ne dispense pas de tenir compte de ses propres ressources : le rôle éprouvant de soutien implique souvent d’avoir soi-même besoin de soutien, sans compter que se ménager des pauses, c’est aussi donner l’exemple, rappeler à la victime que c’est important de se respecter soi.

 Le second risque est… d’être trop pro-actif! Le titre initial du livre, To be an anchor in the storm, l’exprime bien : l’autrice invite bel et bien à être une ancre dans la tempête, et non, si tentant que ce soit, un phare ou un gouvernail. Paradoxalement, le nouveau titre (L’aider à prendre sa liberté), peut être interprété dans ce sens... Être ferme envers la victime pour la pousser à agir, dans une situation si évidemment néfaste, peut avoir l’air d’être la chose à faire, mais c’est en fait la pousser à choisir entre l’agresseur et nous… et l’agresseur, c’est la situation qu’elle connaît, c’est son conjoint, et c’est un manipulateur adroit : l’expérience professionnelle de l’autrice lui a permis d’observer que les victimes qui partaient sous la contrainte revenaient plus souvent et plus vite vers leur ex. Autre élément important : la rupture est le moment le plus dangereux, et un regard extérieur ne permet pas d’identifier aussi clairement que la victime le risque bien réel de représailles. Plus insidieux, prendre des initiatives, faire des choix à la place de la victime, c’est nier ses compétences et son autonomie, alors même que la confiance en elle est un élément essentiel de la résilience, de la reprise de pouvoir dont elle aura besoin précisément pour s’en sortir. L’autrice va jusqu’à inciter à ne pas donner de conseils même quand ils sont demandés. Elle invite par contre à rappeler à la victime les choix pertinents qu’elle a pu faire par le passé.

Les deux paragraphes précédents ont le point commun de mettre en valeur l'aspect désintéressé que doit avoir l'aide apportée : vous êtes l’ancre qui permettra à la victime de mieux percevoir la situation, et d’accéder à ses propres ressources. L’autrice donne des conseils précis, insiste sur le fait que devenir une ancre demande un entraînement (inévitablement, des erreurs seront faites… ça se rattrape) et invite à se jeter à l’eau (à l’eau… oui parce qu’on est une ancre… c’est drôle parce que… non, rien) : elle le répète plusieurs fois, le changement vient de l’action, plus que l’inverse. Ses conseils sont extrêmement proches de l’Approche Centrée sur la Personne, donc je ne peux qu’approuver (avec la plus grande objectivité) : reformuler les phrases de la victime (pour signifier son écoute, pas pour faire une imitation!) plutôt que chercher à lui répondre, prendre conscience de ses propres émotions pour mieux accueillir les siennes, faire la distinction entre émotions et pensées et éventuellement rediriger l'attention vers les émotions, avoir une attitude d’acceptation inconditionnelle (il faut s’attendre à ce que la victime prenne un certain nombre de décisions qui vont nous déplaire, voire nous sembler aberrantes) en posant toutefois comme limite notre propre sécurité, …

Des conseils sont aussi donnés pour faire face à l’agresseur, qui consistent en grande partie à des choses à ne (surtout) pas faire : le risque de confrontation, potentiellement de danger, est bien réel (l’amie qui a servi d’ancre à l’autrice s’est fait briser la vitre de sa voiture alors qu’elle fuyait l’agresseur venu à son domicile pour lui demander où trouver son ex, et a du s’échapper en appuyant sur l’accélérateur avec deux pneus crevés). Une étape importante est de savoir à qui on a affaire : les agresseurs, pour l’essentiel, sont des manipulateurs adroits, et ont presque pour automatisme de rejeter la faute de leurs propres actions sur les autres (ça peut inclure l’ancre : l’autrice prévient, si insolite que ça puisse paraître, qu’il est possible de culpabiliser soi-même envers l’agresseur contre lequel on consacre pourtant tant de temps et d’énergie à lutter). L’attitude la plus autodestructrice serait de rentrer dans son jeu, que ce soit dans la manipulation (c’est lui qui va gagner, il a toute une vie d’expérience) ou dans l’escalade de violence. Chercher à le changer est tout aussi illusoire : il ne changera que s’il le décide lui-même et qu’il s’y consacre activement avec une thérapie spécialisée (une thérapie tout court, ça ne marche pas : le problème, ce n’est pas qu’il souffre, c’est qu’il fait souffrir les autres, ce n’est pas qu’il ne contrôle pas sa colère, c’est qu’il estime que sa colère l’autorise à être violent). L’une de ses forces, en dehors du fait de se déresponsabiliser, c’est de mettre mal à l’aise, ce qui est particulièrement pratique lorsqu’il reste dans l’univers de l’implicite : lui demander d’expliciter ses actions ("tu dis que tu t’es un peu énervé hier, il s’est passé quoi exactement? Ah, c'est tout le monde qui criait? Parce que xxx me dit que tu l’as poussée devant les enfants et que tu as cassé des meubles", "Tu viens de me dire : "ça vaut mieux pour tout le monde si tu me donne la nouvelle adresse de xxx, je ne suis pas quelqu’un de très patient", qu’est-ce que tu entends par là? C’est une menace?"), c’est lui retirer une arme, comme par exemple refuser de se justifier lorsqu’il demande des comptes. Autre élément important : faire en sorte que ses actions aient des conséquences (dépôt de plainte, appel des forces de l’ordre en cas d’urgence, …), et ne pas céder lorsqu’une conséquence a été annoncée. Rentrer dans le jeu de la violence, c’est aller vers l’escalade, chaque message d’impunité, c’est aller vers l’escalade. Connaître précisément la loi (et, c’est hélas un critère, l’autrice a d’ailleurs eu l’occasion de le constater directement, le niveau d’implication des forces de l’ordre locales) est un atout important.

Ce livre très recommandé par Lundy Bancroft donne, en plus des encouragements pour qui s’engagera sur ce chemin potentiellement long et éprouvant, des conseils précis, souvent contre-intuitifs, pour assurer dans les meilleurs conditions possibles sur ce rôle de soutien qui pourrait pourtant sembler aller de soi… jusqu’aux premières difficultés. Hélas, le livre n’existe pas en français.


samedi 23 novembre 2019

Violences ordinaires et hors-normes, dirigé par Roland Coutanceau et Samuel Lemitre




 Le titre en lui-même ouvre des horizons assez vastes… L’ordinaire désigné concerne-t-il la norme légale, sociale, celle de la santé mentale opposée au pathologique? La violence ordinaire est-elle un mal nécessaire, est-elle par ailleurs toujours acceptable? D’ailleurs, dans quelle mesure la norme ne définit-elle pas la violence? Si tous ces sujets ne seront pas explorés, le livre couvre un large éventail, allant de l’inévitable thème de la normalité ou non des auteur.ice.s des violences les plus extrêmes tels que les terroristes, les serial-killers ou les participant.e.s aux crimes contre l’humanité ("peut-on sortir du balancement sempiternel entre la démonisation ("ce sont des monstres") et la généralisation ("tout le monde peut le faire dans certaines circonstances"?") à l’extrêmement spécifique et pour le moins anormal (le matricide avec décapitation), en passant par la violence conjugale féminine, la légitimité des différents outils de prédiction de la violence, le néonaticide, le harcèlement scolaire qui est d’une certaine façon une violence normative, l’origine du comportement violent soit dans le développement humain (à quel âge commence-t-on à être violent? que faire de ces comportements?) soit d’un point de vue plus évolutionniste (fonction homéostatique pour faire face à un débordement sensoriel ou émotionnel, …). La longueur des différents chapitres est très variable aussi, et certains thèmes seront traités plusieurs fois, des fois de façon complémentaire, des fois d’une façon qui s’apparente plus à un doublon.

La notion de norme et de violence se prête particulièrement à une approche statistique. Laurent Bègue va par exemple fournir un certain nombre de données sur les facteurs de risque, tout en rappelant ce qu’il ne faut surtout pas en faire puisque la stigmatisation elle-même est un facteur de risque, à la fois par l’isolement social qu’elle provoque et par le désir qu’elle suscite, dans un retournement du stigmate, de rechercher une valorisation dans le comportement violent qui a été prédit. Cet enjeu de la désirabilité sociale sera particulièrement mis en valeur avec le travail d’Eric Verdier sur le harcèlement scolaire : un comportement violent qui est source d’orgueil dans la discrétion, devant un public choisi, devient honteux quand il est exposé crûment devant un groupe plus large, en particulier quand la victime est présente. Concernant l’utilisation des statistiques pour anticiper les comportements violents, Mathias Rio compare, de façon critique, les différents outils disponibles, aucun n’étant tout à fait satisfaisant.

 La norme se glisse aussi, même si c’est plus confortable de l’oublier, dans la recherche. On peut l’observer dans le chapitre de Bintou-Miranda Sanoko, Suzanne Léveillée et Anne Andronikof sur la violence des femmes sur les hommes dans le couple. Si elles rappellent que "les auteurs d’approche féministe ont pourtant été parmi les premiers à relever l’existence de violences conjugales commises par les hommes", une confrontation est toujours d’actualité entre une perception, comme celle de Lundy Bancroft, de la violence conjugale comme intimement liée au patriarcat (selon cette approche, la violence conjugale féminine ne relève pas du "terrorisme intime" -la violence a pour objet de maintenir une situation de domination dans le couple-, mais de la "violence situationnelle", qui relève d’un acte de violence dans des situations spécifiques, parfois dans des cas de légitime défense) et celle qui la conçoit plutôt comme un problème interindividuel, où la prise en compte du genre n’a pas sa place. Le chapitre est certes très court, mais cite beaucoup de recherches et de méta-analyses, la compréhension fine de tous les arguments demande donc un travail supplémentaire conséquent, et il semble qu’il n’y ait pas encore de consensus scientifique concernant l’une où l’autre approche. Celle choisie par Roland Coutanceau est en revanche limpide dès le titre du chapitre qu’il consacre au "crime passionnel", dénomination extrêmement problématique en soi puisqu’elle met l’accent sur les supposés tourments émotionnels de l’auteur qui deviennent implicitement le motif des violences. Et le chapitre est hélas cohérent avec son titre : contrairement à l’auteur, petite chose fragile possédée par sa souffrance, la victime est, est-ce une surprise, "l’objet de l’acte". Celui qui est violent au point de tuer est humain, trop humain, la victime ne peut même pas prétendre au statut de sujet. Cette conception donne parfois lieu à des passages surréalistes, tels que, concernant le passage à l’acte, "on soulignera le rôle de certaines attitudes (rires ou sourires vécus comme moqueries) ou parfois de certaines phrases malheureuses vécues comme particulièrement provocatrices comme le classique "t’as pas les couilles pour tirer" face à un partenaire menaçant d’un fusil chargé" : c’est vrai ça, quelle idée d’aller provoquer une personne si sensible, alors qu’il n’avait pas de mauvaise intention, il était juste en train de menacer sa conjointe avec une arme à feu chargée, c’est quand même le genre de choses qui arrive à tout le monde. Lundy Bancroft l’explique très clairement : si les éléments psychologiques décrits (immaturité, dépression, honte de la séparation) jouent un rôle dans la forme des violences, leur motivation principale est une volonté de domination non négociable, vécue comme légitime. S’il a pu l’analyser et l’argumenter finement, c’est par le contact avec les auteurs et les victimes, ce qui est il est vrai peu compatible avec le fait de leur donner un statut d’objet. Roland Coutanceau, dans un chapitre qui a tous les aspects d’une approche scientifique (vocabulaire, structure, …), aligne de nombreux poncifs souvent reprochés aux articles de la rubrique faits-divers de la presse, pourtant a priori rédigés par des professionnel.le.s moins formé.e.s. C’est d’autant plus surprenant qu’il a codirigé un livre sur les violences conjugales... et sérieusement inquiétant quand, après avoir occulté un aspect essentiel du sujet, il déplore la difficulté de "tenter d'en décoder les éléments précurseurs".

De nombreuses pistes d’explication sont aussi fournies concernant ceux.elles qui commettent le pire, dont il est vite tentant d’oublier, voire d’exclure, qu’ils et elles soient normaux, ou même humain.e.s ("dans l’imagerie populaire, le psychiatre c’est "celui pour qui tout le monde est fou"… mais c’est aussi et surtout celui qui trouve normal ceux qui se présentent à la plupart comme des fous criminels"). Roland Coutanceau présente de manière synthétique ce qui est recherché lors d’une expertise psychiatrique (l’axe de la personnalité, l’analyse du passage à l’acte c’est à dire ce qui s’est passé avant, pendant, et, ça a aussi une grande importance, après, et l’approfondissement de thématiques spécifiques liées à l’acte lui-même). Daniel Zagury détaille de façon nuancée les spécificités psychiques des serial-killers, des participant.e.s aux génocides, des terroristes djihadistes (s’appuyant entre autres sur le travail de Marc Sageman, il rappelle que les cibles sociologiques des recrutements de l’organisation de l’État Islamique et d’Al Quaeda ne sont pas les mêmes). Concernant la violence dont chacun.e serait capable, Johan Lepage reprend de façon très détaillée les résultats des expériences de Milgram, et de leurs réplications ultérieures. La notion d’état agentique de Milgram (le sujet perd son individualité pour accomplir la mission donnée) est prolongée par Françoise Sironi avec la notion d’homme système : s’appuyant certes sur le cas d’une personne spécifique (le bourreau Khmer rouge Duch, avec lequel elle a eu de nombreux entretiens dans le cadre d’une expertise judiciaire) dans un contexte spécifique (le régime de Pol Pot, responsable de deux millions de morts en trois ans et demie), elle montre comment une personne peut renoncer à sa propre individualité pour devenir, intégralement, au service d’une idéologie, à travers entre autres des mécanismes d’hyper-adaptation et de clivage. Quatre éléments, nommés techniques traumatiques, sont entre autres identifiés : la frayeur (omniprésence du risque de mort), la douleur physique (ce qui inclut l’épuisement par le stress, le manque de sommeil), la douleur psychique ("un sentiment d’effraction psychique et de totale transparence aux yeux d’autrui") et l’absurdité logique.

 Ce livre est un objet particulier du fait de son contenu très diversifié par les thématiques des chapitres, et même leur longueur, leur qualité (mais ne le répétez pas), la formation des auteur.ice.s. Sur un thème qui laisse difficilement indifférent.e, c’est autant de visions à explorer, que ce soit pour se satisfaire du contenu du livre ou pour approfondir.

jeudi 14 novembre 2019

Qu’est-ce qui monte et qui descend ? Chronique d’une borderline, de KNL




Idées très sombres, cauchemars atroces, TOCs, émétophobie depuis l’enfance, puis crises d’angoisse, dépression, automutilation, "pensées magiques merdiques", peur excessive de l’abandon, tentatives de suicide… KNL a attendu l’âge de 25 ans pour être diagnostiquée borderline, et quatre ans de plus pour qu’ "un (fabuleux) psychiatre" trouve le traitement adapté ("ma vie est calme et paisible (alléluia!!").

 KNL partage avec nous, en aquarelle avec "des p’tits points, des milliers de p’tits points", deux ans de carnets de bord ("certains ont à leur cursus, HEC, l’ESSEC, l’ENA… UCLA. Mon parcours personnel tourne plutôt vers les CMP, CHU et autres HP, chacun sa destinée") : la clinique sur la butte d’Orgemont, sa tisanière ("un peu comme le bistrot du coin… mais sans alcool"), son "steak semelle de rando" et son ascenseur fou ("A tous ceux qui ont pensé tellement fort "elle n’a qu’à prendre les escaliers"… Eh bien non! Il n’y en a pas!"), l’extrême dureté de l’hôpital psychiatrique, les permissions, les rechutes, l’hôpital Saint Anne, et même deux voyages (dont l’un sera uniquement onirique) respectivement au Sénégal et sur l’île de la Réunion. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a des hauts et des bas, même si on oublie l’instabilité émotionnelle propre au trouble borderline : l’autrice compare souvent sa vie à un grand huit.

 Le ton lui-même varie, de la description documentaire de la maladie, des considérations sur le quotidien, l’environnement, les autres patient.e.s de la clinique ou de l’hôpital, aux proches de KNL (sa mère, " maman super-woman", et Romain, son "super amoureux", "dit Chou ou Chouchou") et aux moments les plus durs. En effet, si le ton est souvent léger, si l’humour fonctionne bien (" "-Je vais prendre votre tension, 10/8! Très bien, votre week-end s’est bien passé? -Oui, oui, très agréable, et le vôtre? -Bien, je vous remercie… et le transit, ça va? -Oui, oui très bien, et le vôtre ?" Blanc... ", "Comme quand on est tout petit à l’école, la maîtresse nous classe dans des groupes selon notre niveau, les wapitis, les castors ou encore le groupe des coccinelles. A l’hôpital, c’est pareil, mais en moins fun, je suis dans le groupe "Surveillance 2" "), certains passages sont bien plus sombres. C’est vite tentant de l’oublier, mais il est question de peur de rechuter, d’environnements parfois presque traumatisants ("Chaque fois que j’essaye d’aborder les illustrations concernant mon séjour en hôpital psychiatrique, je bascule dans des crises d’angoisse ingérables. Voici ma solution, je vais plutôt dessiner des crevettes dans leur milieu naturel (et pourquoi pas ?)"), et de tentatives de suicide ("pour calmer le jeu, je décide de me faire un bain bien chaud, l’idée paraissait bonne… […] Mon sang se mélange à l’eau claire, c’est intrigant, puis de plus en plus impressionnant. Très vite, je me retrouve immergée dans une eau écarlate devenue tiède", " "J’ai trois visions récurrentes maman, je me vois allongée sur un brancard avec une perfusion sur chaque bras et les poignets attachés aux barreaux du lit?" "Oui, c’est parce que tu étais agitée, tu n’arrêtais pas de les arracher" "). Mais ces moments si douloureux sont ceux qui donnent le plus de force au message final : "A vous qui êtes en plein combat, tenez bon ! De tout mon cœur je vous encourage à résister, à batailler, car un jour, vous en sortirez vainqueur et votre vie aura un tout autre sens".

Dans ce voyage bref mais intense (la métaphore du grand huit est appropriée!), l’autrice informe sur la violence du trouble borderline, sur la diversité de ce qui peut être vécu en cas d’hospitalisation, sur la difficulté de trouver un traitement adapté et sur ce que ça entraîne en effets secondaires, sur des années, sur la rapidité à laquelle il est possible de basculer dans une crise d’angoisse ou pire… et trouve la force de terminer son récit sur un message optimiste.

jeudi 7 novembre 2019

Pourquoi fait-il ça?, de Lundy Bancroft



 Les ressources sur les relations abusives sont nombreuses, souvent de qualité, mais concernent surtout, généralement, ce que les personnes violentes font, elle proposent, directement ou non (souvent les deux) des conseils aux proches et aux victimes pour identifier les mécanismes de manipulation, pour s'extraire du piège de la façon la moins dangereuse possible, ce qui est en effet le plus urgent. Les informations sur ce qui se passe dans l'esprit des agresseurs sont plus rares : leur comportement, en plus de sembler incompréhensible (la confusion extrême est presque un invariant chez les victimes, selon Lundy Bancroft, au point qu'il conseille à celles qui le lisent de ne s'attarder que sur les éléments du livre qui leurs semblent pertinents, si radical que soit le tri), reste donc souvent inexplicable. L'auteur, qui a 15 ans d'expérience auprès d'auteurs de violences, consacre ce livre à éclairer leurs motivations profondes. Dans la mesure où les violences conjugales sont dans leur grande majorité commises par des hommes sur des femmes (Bancroft rappelle que ça peut aussi être une réalité des couples homosexuels... où l'agresseur·se argumentera souvent du risque bien réel d'homophobie dans le parcours judiciaire pour décourager la victime de porter plainte -il est infiniment plus sceptique, et l'argumente, sur les violences commises par des femmes sur des hommes-), il utilise dans le livre le masculin pour parler de l'agresseur et le féminin pour parler de la victime, ce que je vais faire aussi dans ce résumé.

 Lundy Bancroft commence par démonter les idées reçues, y compris certaines dont il ne s'est que laborieusement débarrassé au cours de sa pratique. Plus qu'une astuce narrative pour attirer l'attention, non seulement ce démontage des idées reçues a des conséquences extrêmement concrètes (certaines fausses solutions, qui semblent de bon sens, peuvent au contraire aggraver les violences), mais il s'avère vite que comprendre ce que l'agresseur n'est pas permet de bien mieux comprendre ce qu'il est. Certes, chaque agresseur est différent, dans la capacité à changer, dans la forme et l'intensité des violences (sans compter que les agresseurs sont répartis assez équitablement dans toutes les origines, religions et classes sociales -l'auteur a eu des clients chirurgiens ou professeurs à Harvard, qui n'étaient pas moins violents que les autres mais de l'extérieur ne correspondaient pas tout à fait au profil de la brute sanguinaire la bave aux lèvres-), mais des constantes, et surtout des comportements à surveiller, reviennent souvent. L'élément essentiel est probablement que cette violence n'a rien de pathologique : ce n'est pas un problème de ressources, c'est un problème de valeurs. De nombreux agresseurs ont des histoires poignantes à raconter, de violences subies dans l'enfance, de figures féminines destructrices (alors que c'est plutôt le comportement du père qui est prédicteur de violences, comme le même auteur l'explique ici), voire d'ex tellement maltraitantes et sournoises qu'ils ont besoin de beaucoup d'abnégation et de patience de leur compagne pour pouvoir vraiment aimer et faire confiance à nouveau. Ces histoires ne sont pas nécessairement fausses (sinon pour les ex, que l'auteur conseille très fortement de contacter), mais ne justifient certainement pas et ne causent pas leur comportement. Quand l'auteur objecte à ses clients que ce passé de souffrance devrait au contraire augmenter leur compassion, ils arrêtent généralement d'en parler. Un client au cours d'une séance avait par exemple partagé une révélation : "J'ai réalisé que quand je frappais ma femme, en fait ce n'était pas elle que je frappais. Je frappais ma mère!". Le thérapeute, impassible, l'a fixé et a répondu : "Si, vous frappiez votre femme". L'argument de la perte de contrôle, qui peut sembler évident, est (sauf exceptions) tout aussi faux, ce qui ne l'empêche pas d'être souvent brandi par les agresseurs. Même sous l'effet de la soi-disant détresse ou de l'alcool, des questions précises permettent souvent de constater que l'agresseur ne dépasse en fait pas les limites qu'il s'est lui-même fixées (un client qui l'air contrit décrivait un épisode de violence particulièrement grave commis sous l'effet de l'alcool, est soudain devenu agressif et condescendant quand l'auteur lui a demandé pourquoi son épouse n'avait pas plus de bleus -"je n'allais quand même pas laisser des marques!"-, la compagne d'un autre client a constaté avec les questions de l'auteur que quand son conjoint cassait tout puis quittait l'appartement enragé avant de revenir, une fois calmé, l'air désolé, il ne cassait que ses affaires à elles, et ne l'aidait pas à ranger, signe certain que ses remords étaient limités). Un point de repère plus accessible : l'agresseur est souvent parfaitement capable de garder son calme dans les autres circonstances, même stressantes, du quotidien. Il ne traite pas ses amis, ses parents, de tous les noms quand il se fait contredire, ne menace et n'attaque ni son supérieur ni ses clients quand ils lui demandent quelque chose au travail, ... L'alcoolisme, la consommation de drogues, ne sont pas non plus, selon l'auteur, la cause des violences, même si elles peuvent les rendre plus graves (tout un chapitre est consacré aux liens entre addiction et violence conjugale).

 Ce qui explique tous ces éléments, et un certain nombre d'autres, est que le socle sur lequel ces comportements reposent est constitué des valeurs de l'agresseur : dans le couple, voire dans la famille, tout doit tourner autour de lui, autant que possible. Il doit être considéré et traité comme un être supérieur (certains clients de l'auteur peuvent se sentir menacés, donc être violents, parce qu'un de leurs amis a eu quelques instants une conversation avec leur conjointe plutôt qu'avec lui), pouvoir faire ce qu'il veut quand il veut, pouvoir demander ce qu'il veut quand il veut. La remise en question est exclue, ou alors de façon fugace. Les violences (sauf exception, quand la cruauté s'ajoute à la violence conjugale) ne sont pas un objectif en soi : l'objectif est le contrôle. Il est sincère quand il dit que les violences ont été provoquées par la victime : la distorsion réside dans sa propre notion de provocation. Quand il applique une surveillance constante sous prétexte de jalousie tout en trompant de façon répétée (éventuellement sans préservatif) sa conjointe, quand il se plaint que son épouse, enceinte, ne consacre pas toute son énergie à ses besoins à lui, quand il lui demande de baisser d'un ton parce qu'elle lui répond alors que lui hurle, l'insulte durement et frappe contre les murs, quand il ne travaille pas et se plaint qu'il ne lui reste plus d'argent à dépenser (ce qu'Ingrid Falaise a vécu)... la liste pourrait être longue, il ne perçoit pas d'incohérence, seulement une limite injuste opposée à sa volonté. Il considère sa conjointe comme sa propriété (c'est probablement ce qui a déclenché l'accélération des violences subies par Sophie Lambda : le projet d'emménagement peut avoir renforcé ce sentiment de propriété, comme peut le faire toute nouvelle étape de la vie de couple -mariage, grossesse, ...-). Il peut même être sincèrement opposé à la violence conjugale : dans ce cas, la violence, c'est ce que font les autres (l'auteur a eu de nombreuses occasions de le constater en direct, dans des conversations entre clients). Si les moments merveilleux souvent vécus au début de la vie de couple ont un intérêt stratégique (sa conjointe racontera elle-même à son entourage à quel point il est merveilleux, elle attribuera les violences à quelque chose qui se serait mal passé et serait réparable, aura l'espoir de retrouver cet amour initial, ...), ils sont généralement sincères : la différence fondamentale réside dans la représentation de cet avenir parfait ensemble. La sincérité n'exclut toutefois pas la manipulation, au contraire, puisque l'objectif ultime est le contrôle. L'auteur a pu être surpris, en entendant ses clients échanger entre eux, du niveau de conscience et d'élaboration des techniques pour effrayer, déstabiliser la victime tout en donnant une image exemplaire d'eux-même à l'extérieur. Après un accès de violence, les regrets exprimés peuvent être sincères : les excuses n'ont tout simplement pas la signification qu'elles semblent avoir. Il regrette les conséquences, mais ne compte pas se remettre en question. Et comme tout doit tourner autour de lui, quand lui-même va mieux, il estime que l'affaire se doit d'être close pour la personne qu'il a agressée aussi.

 Cette perspective a des conséquences pratiques très directes. La première est que le pardon, la compassion, ne fonctionnent pas : loin de ressentir de la gratitude et d'y puiser la détermination de changer, de se remettre progressivement d'une blessure profonde qui le conduisait à agir comme il le faisait faute de pouvoir ou savoir faire autrement, il percevra la confirmation qu'il est comme il se doit au centre du monde, que son comportement est excusable, ce qui est une excellente raison de continuer comme ça, éventuellement de revoir ses exigences à la hausse. L'auteur (cette partie du livre ne m'arrange pas, vu mon projet d'être thérapeute!) constate d'ailleurs que les agresseurs qui sont personnellement en thérapie sont particulièrement dangereux : l'introspection est un temps supplémentaire passé à se centrer sur eux, ce qu'ils font bien assez au quotidien, ils maîtrisent le langage de la psychothérapie et l'utilisent à merveille pour se justifier ou pour faire du mal à leur conjointe (on peut facilement imaginer la quantité de propos à leur disposition pour utiliser la détresse causée par les violences contre elles, ou pour exprimer des exigences particulières pour prendre soin de lui)... et ça, c'est quand ils ne manipulent pas leur thérapeute pour s'en faire un·e allié·e (l'auteur a sauté au plafond en entendant un thérapeute, dans le plus grand des calmes, faire un diagnostic de la victime d'un agresseur -qui selon lui, évidemment, faisait tant de mal à son client- sans l'avoir jamais vue ni entendue). Si un·e professionnel·le a eu une expérience différente, dans l'idéal en ACP mais d'autres méthodes bien sûr ça me va aussi, ça m'intéresserait beaucoup d'avoir des infos dessus. Peut-être plus contre-intuitif encore : la thérapie de couple, non seulement ne fonctionne pas, mais peut être destructrice. Si elle fournit l'apparence d'une opportunité d'échanger d'égal·e à égal·e, les personnes impliquées sont un·e thérapeute qui cherche à initier un échange, une victime en détresse dont chaque expression est surveillée de près par son agresseur, et l'agresseur lui-même, expert en manipulation et en apparences. Si la victime craque, l'agresseur s'empressera de la faire passer pour trop émotive, se présenter comme protecteur, ou les deux. Si la victime confie les violences, elle s'expose à des représailles (l'auteur évoque un cas où l'agresseur, devant les violences évoquées, a promis, les larmes aux yeux, de changer maintenant qu'il avait réalisé le mal qu'il faisait... il a été physiquement violent non pas après être rentré mais pendant le trajet du retour, tout en conduisant). Facteur aggravant : le moteur de la thérapie de couple est généralement que des efforts sont à faire des deux côtés. Dans les situations de violences conjugales, ce n'est pas le cas... et l'agresseur, habitué à formuler des exigences, sera prompt à proposer des efforts asymétriques. Une autre conséquence particulièrement importante de ce comportement provoqué par des valeurs est qu'il convient de particulièrement se méfier lorsque l'agresseur a quelque chose de spécifique à gagner (lever une interdiction judiciaire, se remettre en couple après une rupture...). Les cas de changements exemplaires qui ont pris fin en une fraction de seconde, une fois l'objectif atteint, sont extrêmement nombreux dans le livre. Rien ne sert non plus de faire miroiter à l'agresseur la vie merveilleuse qu'il aurait s'il changeait : la situation telle qu'elle est lui convient très bien, et en ce qui concerne la partie qui ne lui conviendrait pas, il estime qu'elle ne vient pas de lui.

 Mais alors, que faire? La partie qui concerne les solutions n'arrive qu'au dernier chapitre, autant dire qu'elle se fait longtemps attendre (surtout que le livre fait presque 400 pages), mais comme je suis sympathique je vais quand même en parler ici plutôt que vous dire de lire tout le reste du livre d'abord comme moi. L'essentiel est de faire prendre ses responsabilités à l'agresseur, ce qui consiste, c'est une partie importante, à assumer et réparer ses actes, et surtout ne pas attendre de récompenses du changement. Une première étape consiste à dépasser les mensonges que les agresseurs se racontent à eux-mêmes et aux autres, de leur permettre d'identifier leurs vraies motivations. Des objectifs précis sont fixés, l'exclusion suit si la coopération n'est pas au rendez-vous. Le contact du thérapeute avec les victimes est essentiel (Lundy Bancroft rappelle à plusieurs reprises que c'est pour elles qu'il travaille), pour des raisons de sécurité, mais aussi pour mieux connaître le client et mesurer de façon plus réaliste les progrès. Le chemin est long : les clients de l'auteur, en début de thérapie, trouvent souvent parfaitement fantaisiste l'idée d'échanger d'égal à égal en cas de conflit ("vous êtes en train de dire qu'on doit la laisser nous en mettre plein la tête sans rien répondre?"). Accepter d'indemniser, parfois substantiellement, après avoir changé, de faire des efforts sur le long terme sans même attendre de gratitude en retour, est à des kilomètres de la vision de l'essentiel des agresseurs. Et, l'auteur l'admet, malgré son expérience, son implication, et ses compétences voire celles de collègues qu'il estime meilleur·e·s que lui, ça n'aboutit pas souvent. Les proches de l'agresseur (qui ont rarement ce genre de préoccupation, l'agresseur prend en général soin de s'entourer de personnes qui partagent son idéologie) peuvent aider en l'incitant à se responsabiliser quand ils assistent à des propos ou comportements déplacés, en lui posant des questions précises quand il se plaint du comportement de sa conjointe, ou encore aider la victime en prenant le temps de l'écouter quand ils constatent que ça ne va pas. La victime elle-même doit avant tout penser à se protéger, éventuellement chercher de l'aide à l'extérieur (l'idéal étant d'appeler une ligne spécialisée, mais toute vie sociale ou même moment de tranquillité hors du milieu conjugal oppressif est une ressource précieuse). L'auteur est clair là-dessus : dire à la victime qu'elle n'a qu'à partir n'est pas une bonne initiative! Même en ne tenant pas compte d'un éventuel lien traumatique (dans ce milieu si éprouvant, tout réconfort est intense... et la personne qui permet ces minces moments de réconforts est souvent la même qui torture le reste du temps), le départ peut être difficile matériellement (contrôle des finances par l'agresseur, enfants, ...) et surtout dangereux (l'agresseur tient généralement à faire payer toute offense... et la rupture est une offense majeure). En cas de confrontation, il est essentiel de poser des exigences claires, avec des conséquences claires en cas de manquement... et s'y tenir. Une concession ne sera pas vue comme un signe de bonté, un effort pour aller vers l'autre, mais comme un signal d'impunité et une invitation à continuer. Pour aider la victime, l'auteur conseille... de lire To be an Anchor in Storm, de Susan Brewster, ce qui nous fait une belle jambe (surtout que le livre s'appelle maintenant Helping Her Get Free). Bon, il donne quand même d'autres conseils, en particulier de ne pas, avec de bonnes intentions (et accessoirement de la peur pour la victime et de la colère contre l'agresseur)... avoir un comportement qui se rapproche de celui de l'agresseur, qu'elle subit déjà quotidiennement (voire H24, si on prend en compte l'état émotionnel dans lequel elle est probablement maintenue). Lui dire quoi penser (pour lui ouvrir les yeux, bien sûr), lui dire quoi faire (normalement, partir, elle y aura pensé beaucoup de fois toute seule), c'est ne pas lui laisser d'espace, et cette expérience là elle l'a bien assez merci. Si difficile que ce soit (l'auteur conseille aux aidant·e·s... de se faire aider!), l'idéal est de lui proposer de l'écoute, des ressources. Simplement demander si quelque chose ne va pas, même si elle ne s'en empare pas, c'est déjà aider.

 Ce livre comporte beaucoup d'autres parties, de qualité, sur comment savoir si la relation est abusive, comment mesurer le risque de violences physiques (sachant que l'un des indicateurs les plus fiables est... l'intuition de la victime), comment savoir s'il a vraiment changé (là encore, pas vraiment de baguette magique), mais son originalité concerne surtout, comme l'annonce le titre, dans les explications, aussi claires que bien argumentées, des motivations de l'agresseur. Le livre est traduit en français depuis novembre 2023 si je ne me trompe pas, je croise les doigts pour que les autres livres de Bancroft suivent!