mardi 22 juillet 2014

Protocoles et échelles d'évaluation en psychiatrie et psychologie, de Martine Bouvard et Jean Cottraux



 
 Régulièrement réédité (là c'est la 5ème édition), le livre présente de nombreux tests utilisés régulièrement par les psychiatres et psychologues clinicien·ne·s. Ah, et c'est aussi le 50ème livre présenté sur ce blog, youhou \o/ (je sais, en fait on s'en fout un peu)

 Une longue intro de Jean Cottraux décrit la méthodologie de la recherche scientifique, histoire que la deuxième partie ne ressemble pas pour le·a lecteur·ice à du Chinois rédigé en alphabet hébraïque. Si, bien sûr, le vocabulaire et les spécificités importantes des tests sont présentés, cette intro concerne la recherche en général (y compris l'éthique, ou encore des problèmes particuliers comme ceux qui se présentent quand des médicaments sont inclus -comment prendre en compte l'observance ou non du traitement par les sujets, comment gérer les placebo ou les traitements en cours avant l'expérience, ...-) et est donc intéressante en soi (même si un contresens sacrilège horrible y est fait sur l'expérience de Milgram : certes, les traits de caractère propres à la personnalité autoritaire -soumission, conformisme, agressivité- constituent un cocktail des plus redoutables pour une personne mise dans la situation de l'expérience, mais celle-ci est marquante justement parce qu'elle a montré que tout le monde -sauf moi, bien sûr- pouvait être amené à commettre des horreurs sur commande, et PAS seulement ceux ou celles qui auraient une personnalité particulière, scrogneugneu!). Le chapitre de Cottraux a aussi le mérite non négligeable d'être plutôt clair, alors que le sujet évoqué est technique et pas nécessairement simple.

 Comme promis dans le titre, de nombreux tests sont ensuite présentés (par Martine Bouvard), classés par domaine clinique concerné (agoraphobie et attaques de panique, anxiété et anxiété généralisée, phobie sociale et compétence sociale, trouble obsessionnel compulsif, stress post-traumatique, troubles de l'humeur, troubles psychotiques, troubles sexuels et problèmes de couple, médecine comportementale, troubles des conduites alimentaires, addiction, personnes âgées). Sont donnés pour chacun leur intérêt et leurs limites, et quand c'est possible et pertinent plus d'informations sont fournies, en particulier le résultat de leurs études de validation (comparaison entre les résultats d'une population contrôle et ceux de la population ciblée, fidélité test-retest, fidélité inter-juges -ça n'a rien à voir avec la vie sexuelle des magistrat·e·s-, corrélation avec les résultats d'autres tests, …), le plus souvent pour la version française du test et sa version anglophone. Les tests eux-mêmes sont souvent fournis, ce qui a un intérêt énorme en soi (parce que bon, l'ensemble ne se lit pas non plus comme un roman), même si pour certains d'entre eux il faut demander une autorisation supplémentaire pour s'en servir.

 C'est aussi l'occasion, indirectement, de faire de la psychopathologie. Déjà, parce qu'avoir une longue liste d'items auxquels une réponse particulière indique une pathologie (ou un degré plus ou moins important de celle-ci) en apprend plus sur la pathologie : un exemple particulièrement parlant est l'Inventaire des Troubles Alimentaires 2, qui évalue les patient·e·s sur des thèmes très spécifiques aux troubles du comportement alimentaire (recherche de la minceur, boulimie, insatisfaction de son propre corps, ascétisme) mais aussi d'autres plus généraux (perfectionnisme, peur de la maturité, méfiance interpersonnelle, sentiment d'inefficacité, …), pour lesquels les études de validation ont confirmé une différence avec un groupe contrôle. Ensuite, les corrélations entre différents tests constituent un bon rappel des erreurs de diagnostic dont il faut se méfier.

 Le livre ne prend pas beaucoup de place et est bien pratique à avoir sous la main, surtout dans l'optique d'une pratique professionnelle ou pour préparer un mémoire.

dimanche 6 juillet 2014

La relation d'aide et la psychothérapie, de Carl Rogers



 Rogers propose dans ce livre des apports méthodologiques à la psychologie clinique, que ce soit en tant que telle (personne qui vient consulter en demandant qu'on le·a libère d'un problème, thérapie de couple, …) ou quand la discipline est utilisée de façon moins directe (sur le lieu de travail, en milieu scolaire, …), auquel cas l'auteur parle de relation d'aide ("counseling")... c'est d'ailleurs de loin le terme qu'il utilisera le plus souvent. Si Rogers ne parle pas encore de psychologie humaniste, le·a patient·e est déjà rebaptisé·e "client·e" et la méthodologie non-directive est déjà évoquée. En fait, elle est évoquée plus ou moins discrètement au début (par exemple en comparant les approches directive et non-directive), mais il est de plus en plus clair que c'est en fait l'objet du livre, jusqu'à une confession à la fin au cas, on n'est jamais trop prudent, où le·a lecteur·ice n'aurait pas encore compris ("le procédé thérapeutique évoqué ici constitue probablement une grande avancée pour notre société en ce qui concerne la motivation et le comportement humains"). Bien que le livre date de 1942, on ne peut vraiment pas l'accuser d'être poussiéreux (à part des fois le style quand même) : Rogers a principalement travaillé à partir d'entretiens enregistrés (au phonogramme!), et il évoque des enjeux contemporains comme l'intérêt d'utiliser la psychologie clinique pour la réinsertion des anciens combattants (Médiapart a fait un article là-dessus il y a 2 ans, soit quand même 70 ans après), ou encore dans le monde de l'entreprise.

 Mais alors, que se passe-t-il dans le cabinet d'un·e psy (ou d'un·e conseiller·ère dans un collège ou un lycée) qui utilise l'entretien non-directif? Pour aller vite, on peut relever une liste de consignes données (pas par Rogers) pour conduire des entretiens auprès d'employés de la Western Electric Company, choisie (par Rogers) pour en illustrer les principes :
"1. Le chercheur doit écouter son interlocuteur patiemment et amicalement, tout en faisant preuve d'intelligence critique
2. Le chercheur ne doit faire preuve d'aucune autorité
3. Le chercheur ne doit pas donner de conseil ni effectuer d'injonctions morales
4. Le chercheur ne doit pas contredire son interlocuteur
5. Le chercheur ne doit parler ou poser de questions que sous certaines conditions :
a. Pour aider la personne à parler
b. Pour rassurer l'interlocuteur si une crainte ou un sentiment de malaise affecte sa relation avec le chercheur
c. Pour remercier la personne interrogée de restituer avec précision ses pensées et sentiments
d. Pour rediriger la conversation vers un sujet oublié ou évoqué trop rapidement
e. Pour éclairer des messages implicites, quand c'est pertinent"
 Sur le plan plus pratique, le·a client·e vient parler de son/ses problèmes, et le rôle du ou de la psy (ou non-psy, d'ailleurs) est de l'inviter à développer. Le succès de la thérapie est donc autant de la responsabilité des client·e·s que de celle des thérapeutes, c'est ce qui la rend non-directive : le·a client·e ne se verra pas proposer de consignes, de traitement médicamenteux, de règles de vie, d'interprétations sur son subconscient... L'idée est qu'à force de parler de son problème, iel identifiera, à son rythme, les tenants et aboutissants de ce problème (conflit intérieur, bénéfices secondaires, …) - "la compréhension implique généralement le choix entre des objectifs qui garantissent une satisfaction temporaire et immédiate, et d'autres qui promettent une satisfaction plus tardive mais plus permanente"- et sa part de responsabilité, ce qui lui donnera les moyens de s'en débarrasser. "Le client, c'est sûr, ne repart pas avec une "solution" artificielle à son problème, mais en ayant défini bien plus clairement sa situation dans son esprit, avec plus de visibilité sur les choix possibles, et avec la sécurité confortable d'avoir été compris par quelqu'un qui, malgré ses comportements et ses problèmes, a pu l'accepter". De la part du ou de la thérapeute, même les interprétations sont à manipuler avec prudence : si le·a client·e n'est pas prêt·e à accepter l'interprétation proposée, la thérapie sera en fait ralentie par une résistance de sa part ("plus l'interprétation est précise, plus elle a de chances de se voir opposer une résistance défensive").

Vu comme ça, on peut avoir un peu l'impression que le rôle des thérapeutes se limite à attendre que le·a client·e ait fini de parler pour utiliser une relance au hasard ("tiens, c'est marrant, ça fait 4 fois que je tombe sur "silence", hier j'arrêtais pas de tomber sur "écho"... qu'est-ce qu'il est en train de raconter, lui, au fait?"). En fait, relancer de façon adéquate demande savoir théorique et expérience ("Dans la rapidité des échanges pendant un entretien, c'est impossible que chaque réaction soit la plus pertinente, ou la plus cohérente avec le contexte de relation d'aide"). On a déjà vu que l'interprétation était un exercice périlleux, ce qui peut être frustrant pour le·a thérapeute qui voit le·a client·e tourner autour du pot à longueur de séance. Une autre difficulté est d'éviter de répondre trop directement aux demandes des client·e·s. Expliquer le partage des responsabilités peut par exemple demander de la diplomatie (il s'agit de ne pas donner aux client·e·s la sensation qu'on les abandonne, tout en leur rappelant -ou en leur expliquant- qu'il leur revient de faire une grande part du travail) mais, plus généralement, c'est à l'émotion des client·e·s qu'il faut faire écho, plutôt que de rechercher une réponse sur le plan rationnel ("toutes nos prises de paroles peuvent être associées à une attitude émotionnelle"). Un exemple est donné d'une enfant qui prend le thérapeute à témoin pour lui dire que, franchement, ce qu'on apprend à l'école des fois ça ne sert à rien, la trigonométrie par exemple... Son premier réflexe est de lui répondre que, euh, si si ça peut servir, imaginons dans une promenade en forêt, ça peut lui permettre de calculer à quelle distance se trouve tel ruisseau qu'elle aperçoit (autant vous dire qu'à la lecture de cet argument percutant, j'ai toutes affaires cessantes balancé mon livre pour foncer réviser le théorème de Thalès!). Etrangement, l'intervention n'a pas incité la cliente à soudain investir sa scolarité de toute son énergie... L'enjeu était en fait de tester la fidélité du thérapeute : serait-il du côté de l'institution scolaire comme sa mère ou de son côté à elle, lui fournissant en plus un argument à utiliser contre sa mère ("même le psy que tu m'as envoyé voir est d'accord avec moi")? La maladresse de la réponse était un mal pour un bien, permettant difficilement de le situer d'un côté ou de l'autre. Un peu plus tard, les bénéfices secondaires des heures de colles sont évoquées par la cliente : ça lui permet de passer du temps avec des élèves plus rebelles qu'elle n'ose l'être. Cette fois-ci, le thérapeute saisit l'occasion pour lui permettre d'exprimer plus explicitement son sentiment ambivalent envers l'école, ce qui était, sur le plan émotionnel, un autre enjeu de la question sur l'utilité des cours. Rogers recommande aussi de retranscrire le plus exhaustivement possible le contenu des séances, et de le relire très attentivement après coup (il omet juste d'expliquer comment on peut recopier l'intégralité d'un échange de près d'une heure tout en écoutant ce que le·a client·e raconte et en le·a relançant correctement... ça me semble pourtant être une question intéressante). Vous l'aurez compris, ne parler qu'à la fin de la séance pour dire "72 Euros", ce n'est pas de la thérapie non-directive (et j'ai les références culturelles que je veux).

 Des problèmes qui concernent à peu près tous types de psychothérapie sont aussi évoqués. Est-ce que le·a client·e consulte pour lui ou elle ou parce qu'on l'a traîné·e devant le·a thérapeute?  Dans ce dernier cas les premières séances devront lui permettre de s'approprier la thérapie, et de formuler sa propre demande. Est-ce que le·a client·e dit la vérité? Selon Rogers ça n'a pas d'importance, puisque c'est le travail sur le ressenti qui permet d'avancer. Comment mettre fin à la relation? En général le·a client·e sait le faire lui ou elle-même, et plus tôt que prévu, il ne faut donc pas s'alarmer d'une éventuelle régression des symptômes qui surviendrait vers la fin -il semble que ça arrive souvent- quand la thérapie se dirige vers son terme. Peut-on envisager ce type de thérapie avec quelqu'un qu'on connait personnellement? Là c'est très clair c'est non. Avec quelqu'un envers qui on a une relation d'autorité? C'est possible mais c'est partir avec un gros handicap, le·a client·e ne pouvant pas parler librement.

 Le livre s'achève sur la retranscription intégrale de la thérapie d'un dénommé (pour l'occasion) Herbert Bryan (je mets fin au suspense tout de suite : ce client ne rate pas de séance, et prévient la fois où il arrive en retard, le psy n'a donc pas l'occasion de se demander "Where is Bryan?"). L'objet de la consultation est une sensation glaciale, parfois douloureuse, qui paralyse presque le client (qui a par ailleurs souffert, plus jeune, d'un trouble du langage) la plupart des fois où il souhaite entreprendre quelque chose (relation sexuelle, initiative professionnelle, parfois au milieu d'un dialogue philosophique entre amis...), obstacle malvenu opposé à ses ambitions de grandeur. Les huit séances sont commentées en direct par Rogers, qui relève et argumente les bonnes et mauvaises interventions du thérapeute, et les avancées du client. Par contre, si vous n'aimez pas les notes de bas de page, vous allez souffrir. Atrocement. La thérapie illustre parfaitement de nombreux points théoriques du livre. Herbert Bryan identifie progressivement les bénéfices secondaires de son problème, ce qui lui permet de réduire les symptômes. Une fois les enjeux de sa pathologie parfaitement identifiés (à la moitié des séances), il évite pendant un temps conséquent d'une part de décider s'il renonce aux avantages qu'elle procure (ne pas se remettre en question, ne pas se lancer dans la vie professionnelle, …), d'autre part d'admettre qu'il lui revient à lui seul de prendre la décision et d'agir en conséquence. Comme indiqué plus tôt, les interprétations trop rapides donnent lieu à un recul du patient (qui au lieu de continuer de parler de lui se met à parler en termes philosophiques, abstraits, …) pourtant très habitué avant même de venir à l'introspection (il estime qu'il est en train de suivre une psychanalyse, ce n'est pas démenti pour éviter de rentrer dans justement dans un débat théorique). Les progrès sont très clairement visibles (et soulignés par Rogers au cas où on les raterait quand même), lorsque son discours change de tout au tout sur un thème identique (en général, le progrès consiste à admettre sa responsabilité -plutôt que de lister celle des autres, ou des événements extérieurs-, puis sa propre capacité à changer). On peut aussi constater que des progrès radicaux peuvent avoir lieu entre les séances (impensable, selon l'auteur, pour d'autres thérapeutes plus directifs).

 Bien qu'ayant validé le cours de méthodologie de l'entretien (youpi \o/), deux autres résumés de livres de Rogers vont suivre en lien avec ce cours. Certes les livres de cet auteur ne sont ni dans la bibliographie recommandée par la prof, ni dans celle du PUF, mais dans ces livres il est dit plusieurs fois que Rogers a beaucoup fait avancer les choses dans la conception de l'entretien thérapeutique, et cette lecture l'a plutôt confirmé!