samedi 17 décembre 2016

L'autocompassion, de Christopher K. Germer



 Reprenant les principes de l'ACT et surtout les prolongeant avec les principes de la méditation de bienveillance, ce livre est fait pour être utilisé par ses lecteur·ice·s directement plutôt que par un·e thérapeute. Il sera donc très, très, très axé sur la pratique : vous n'y rencontrerez pas de drôles de termes comme matrice, défusion ou évitement expérientiel, mais beaucoup, beaucoup d'exercices (au point que l'auteur recommande à plusieurs reprises de faire une pause de quelques jours dans la lecture pour s'entraîner suffisamment aux exercices proposés et en saisir l'essence, c'est à dire exactement ce que je n'ai pas fait).

 Trop se débattre contre ses souffrances a en effet le plus souvent pour conséquence de les augmenter (sentiment d'impuissance, culpabilité, rancœur, …). L'auteur donne quatre exemple particulièrement illustratifs (accompagnés d'une illustration clinique) : le mal de dos (une cliente, par ailleurs professeure de yoga, a considérablement aggravé des douleurs lombaires à force de faire attention pour s'en débarrasser très vite, ce qui avait consisté à arrêter le sport -donc se privant d'une façon d'évacuer le stress donc se rendant plus tendue y compris physiquement- et à adapter ses postures pour épargner la zone douloureuse, postures qui forcément étaient moins naturelles donc plus contraignantes pour l'organisme), la timidité (l'auteur sait de quoi il parle, vu qu'il s'est déjà retrouvé face à un spectateur qui lui disait "respire!" une fois où son trac était un peu trop visible lors d'une conférence), l'insomnie (je peux confirmer très personnellement que voir les heures de sommeil disponible restantes diminuer à vue d'œil n'aide vraiment pas, mais alors vraiment pas, à s'endormir) et les conflits dans une relation. Il aurait pu en choisir bien d'autres, les enjeux du livre sont d'ailleurs bien plus vastes, mais ces exemples sont éloquents. La professeure de yoga a pu rapprocher sa reprise du yoga... en reprenant le yoga (tout en prenant soin de sa blessure, mais différemment), l'auteur accepte le stress avant une intervention publique plutôt que de se stresser en constatant à quel point il est stressé, l'insomnie est moins insurmontable quand on prend le temps de réaliser qu'on peut être fonctionnel même avec un manque de sommeil (et qu'en tant qu'insomniaque on a par ailleurs eu l'occasion de le constater) et que l'épuisement qui suivra sera l'occasion d'enfin dormir (ça alors, j'ai donc déjà fait de l'ACT sans le savoir!). Pour les conflits relationnels, l'auteur raconte une fois où il avait pris la résolution d'aider sa femme qui rentrait d'hospitalisation, et ce malgré le fait qu'elle ait besoin d'aide le matin, ce qui lui rendait la situation particulièrement difficile : ce n'est qu'après avoir pris conscience que son agacement montait de façon exponentielle (ce qui a pris du temps précisément parce qu'il ne voulait surtout pas être agacé : ce n'est pas lui qui rentrait d'hospitalisation, et en plus sa femme ne lui avait rien demandé) alors qu'il bataillait avec un plâtre qu'il s'est excusé de sa fatigue, a pris le temps de boire un verre de jus d'orange, et a pu continuer d'aider plus efficacement et plus volontiers (ne pas admettre la sensation d'agacement parce qu'elle était absurde aurait en fait eu pour conséquence de conduire à une dispute encore plus absurde).

 L'acceptation (à ne surtout pas confondre avec la résignation), l'observation de l'univers interne, sont des éléments clef de la méditation, le lien se fait donc assez vite. L'auteur va plus loin en proposant de pratiquer (parce qu'il s'agit bien d'une pratique, pas seulement d'un état d'esprit) l'autocompassion, en constatant que compatir pour soi peut être perçu comme un signe d'égoïsme ou de faiblesse alors même que compatir pour les autres est généralement bien vu. Plusieurs recherches scientifiques sur le sujet, présentées par l'auteur, ont pourtant montré que les exercices d'autocompassion d'une part augmentent parallèlement l'altruisme, et d'autre part incitent à se dépasser plutôt que de s'apitoyer sur son sort. L'auteur, sauf erreur de ma part, ne s'attarde pas sur les causes mais on peut probablement l'expliquer de façon plausible par le fait que, par exemple, la culpabilité est un gaspillage d'énergie (ce constat implique aussi qu'il ne faut pas culpabiliser de culpabiliser!) ou encore que l'autodépréciation essentialise les défauts donc bloque la recherche de solutions.

 De très nombreux exercices de metta (terme originaire pour désigner la méditation de bienveillance, l'auteur utilise les deux termes) sont proposés, que ce soit en méditation formelle ou au quotidien. La spécificité de la méditation de bienveillance est que les exercices sont centrés sur le mantra "Que je sois en sécurité. Que je sois heureux. Que je sois en bonne santé. Que ma vie soit facile", qui peut être intégré à une séance de méditation de pleine conscience classique. Il consacre une part importante à préciser l'intérêt des exercices, illustrés par des situations cliniques, mais aussi leurs limites (quel que soit le temps passé on ne pourra jamais être capable de tout accepter ou d'être tout le temps bienveillant, si des problèmes sont résolus rapidement il y a des risques de rechute qu'il faudra alors surmonter, s'éveiller à ses émotions peut être très douloureux dans un premier temps si on a résisté à des souffrances intenses en se fermant, …) et aux obstacles communs à la pratique (difficultés à s'y investir selon le tempérament, réticence à l'autocompassion ou à la bienveillance envers certaines personnes, …).

 Le livre est très accessible, peut aider autant des lecteur·ice·s en recherche de développement personnel que des personnes plus en souffrance, et donne une assise pragmatique à des valeurs qu'on aurait pu spontanément qualifier de naïves. En revanche, c'est surtout un livre d'exercices : le lire sans pratiquer, c'est se contenter d'une méthode Coué joliment illustrée.  

samedi 3 décembre 2016

Guide de la matrice ACT, de Kevin Polk, Benjamin Schoendorff, Mark Webster et Fabian Olaz




 La matrice est l'outil principal de la thérapie d'acceptation et d'engagement. Bien que d'apparence simpliste (un trait vertical et un trait horizontal, et on range des trucs dans les cases qui correspondent, à savoir mouvements d'approche vers ce qui est important, mouvements de fuite de ce qui est aversif, et ce que ces éléments nous font ressentir), son élaboration est le résultat de centaines d'heures de pratique, qui ont permis de constater que c'était le meilleur moyen de communiquer et de faire appliquer les principes de l'ACT, donc d'arriver aux objectifs souhaités ("optimiser la relation des clients avec leur expérience intérieure de façon à ce qu'ils soient mieux en mesure de faire ce qui est important pour eux même lorsqu'ils sont confrontés à des obstacles intérieurs"). L'intérêt de ce livre en particulier est qu'il va proposer, en six étapes, une méthodologie progressive pour apprendre aux client·e·s à utiliser la matrice de façon autonome. Il peut sembler paradoxal, pour une pratique qui fait l'éloge de la flexibilité et surtout qui requiert de la flexibilité pour aider au mieux chaque individu, de proposer une façon de faire bien précise, et, plus farfelu encore, d'introduire chaque chapitre par un script bien peu flexible et de le clore avec une checklist. Les auteurs sont clairs là-dessus : la flexibilité s'acquiert à force d'entraînement. De la même façon que le·a sportif·ve ou le·a musicien·ne doit sa créativité, entre autres, à des heures de répétitions d'exercices monotones, la capacité à s'adapter en temps réel aux client·e·s, à choisir dans le courant d'un échange tel travail plutôt que tel autre qu'on avait en tête, surmonter une résistance qui ne nous arrange pas trop par l'utilisation des principes de l'ACT, demande de s'attarder très laborieusement volontairement sur les différentes approches proposées, ce qui peut passer par un travail sur soi. En effet, si l'expérience a montré que le travail entre les séances optimisait les progrès des client·e·s, rien n'empêche le·a thérapeute de faire ce travail au quotidien. 

 La première séance proposée concerne le point de vue. Elle consiste à présenter la matrice au ou à  la client·e, éventuellement l'amener à remarquer qu'iel peut se classer lui ou elle-même dans les choses importantes (la question "qui est important pour vous?" est parfois un meilleur point de départ que "qu'est-ce qui est important pour vous?"). Le·a client·e sera ensuite invité·e à être attentif·ve aux mouvements d'approche et de fuite, et surtout à s'entraîner à trier. S'iel arrive à la séance suivante en étant découragé·e de ne pas avoir fait ces exercices, ce sera l'occasion de constater avec lui ou elle qu'iel vient, précisément, de remarquer qu'iel n'avait pas fait les exercices. Un enjeu majeur est d'ailleurs d'éviter que le·a client·e ne fasse les exercices proposés pour faire plaisir au ou à la thérapeute (pliance).

 La seconde étape consistera à interroger le·a client·e sur l'efficacité des mouvements de fuite. En reprenant la matrice remplie lors de la séance précédente, le·a client·e reprendra ses propres mouvements de fuite et en évaluera l'efficacité sur le court terme, et sur le long terme. La plupart des client·e·s se rendront compte que les méthodes, même celles qui sont efficaces sur le court terme (crier et quitter la pièce lors d'une dispute, renoncer à des sorties en cas de phobie sociale, ...), n'ont pas d'efficacité, voire aggravent la situation, à long terme. Cette notion pourra être éclairée avec la métaphore du trou : une personne bloquée dans un trou, avec une pelle entre les mains, aura pour réflexe de creuser pour en sortir, au risque de s'enfoncer plus profondément. Le·a thérapeute explique alors au ou à la client·e qu'iel s'attend probablement à se voir fournir une pelle high-tech, flambant neuve et solidissime, qui permettrait de mieux creuser, mais que même le·a ne dispose pas d'une telle chose. Une échelle pourrait certes bien arranger la situation, mais quand on est trop habitué à creuser, on risque d'une part de ne pas oser lâcher la pelle, d'autre part d'être tenté dans un premier temps d'utiliser l'échelle pour creuser : changer ses habitudes, en particulier en situation de tension, passe nécessairement par une période d'inconfort, mais c'est parfois la condition pour finalement aller mieux.

 La troisième étape sera consacrée à la métaphore de l'hameçon. Une fois qu'un poisson a mordu à l'hameçon du pêcheur, l'énergie consacrée à lutter est en général gaspillée. La lutte tend parfois à aggraver les choses. Par exemple, si vous avez Le petit bonhomme en mousse dans la tête, plus vous passerez du temps à penser au supplice que ça représente et au bonheur que ce serait d'en être libéré (ou délivré), plus vous allez la garder longtemps. Et ce, alors même que, si vous n'aviez pas lu ce résumé, vous n'auriez probablement pas pensé de la journée à Patrick Sébastien (de rien). Plus que la lutte, la méthode pour s'en sortir sera d'identifier au préalable les hameçons, et d'accepter leur existence. Le·a thérapeute rappellera, à toute fin utile, que tout le monde, le·a thérapeute le·a premier·ère, mord à l'hameçon régulièrement, personne n'est à l'abri et surtout les éliminer complètement est un objectif irréaliste (s'en vouloir d'avoir mordu à l'hameçon est, en soi, un hameçon).

 La quatrième étape sera l'occasion d'enfiler un kimono et de monter sur un tatami pour s'entraîner à l'aïkido verbal. Il est question d'aïkido parce que, face aux difficultés, cette approche permet de privilégier le contact fluide à l'opposition frontale. L'aïkido verbal consiste en une série de question quand le·a client·e décrit/ressent une difficulté : "qu'est-ce que vous percevez avec vos cinq sens?" "quels hameçons vous remarquez?" "qu'est-ce que cet hameçon vous fait ressentir? Vous ressentez ça où dans votre corps?" "qu'est-ce que vous faites quand vous mordez à l'hameçon?" "Qu'est-ce que ferait la personne que vous voulez être?" "En quoi c'est important d'être capable de faire ça?" "Qu'est-ce que ça vous fait ressentir? Vous ressentez ça où dans votre corps?". L'aïkido verbal est aussi présenté comme une très bonne méthode en cas de difficulté dans la relation thérapeutique : le·a thérapeute peut le·a pratiquer pour lui ou elle-même, à voix haute bien sûr et devant le·a client·e, par exemple pour exprimer sa réaction face à un reproche ou un doute exprimé (l'occasion, en distinguant le·a thérapeute hameçonné·e du ou de la thérapeute idéal·e, d'admettre ses failles donc de limiter la sensation d'hypocrisie que peut parfois avoir le·a client·e, du fait d'une faible estime de soi par exemple ou encore parce qu'iel suspecte que la bienveillance n'est que le résultat du paiement à venir en fin de séance).

 A l'entraînement à l'aïkido succède l'entraînement, à la cinquième séance, à l'auto-compassion. L'auto-compassion est introduite par l'histoire de la maman chat et de ses chatons (on peut utiliser un autre animal si ça parle plus au ou à la client·e concerné·e, mais au début l'animal utilisé était l'ours et l'impact n'était pas extraordinaire). Maman chat tend à accoucher dans un endroit sécurisé, en général obligeamment fourni par son ou sa propriétaire. Les chatons sont surveillés de près mais ils grandissent, explorent, et ce qui doit arriver arrive, un chaton finit par se perdre et appeler au secours, plein de détresse, avec des miaulements manipulateurs attendrissants. La réaction de maman chat est alors d'aller le chercher, et de le réconforter jusqu'à ce qu'il puisse à nouveau explorer. La nature humaine étant plus complexe, lorsqu'on est en difficulté, on est parfois moins indulgent avec soi-même que maman chat avec ses chatons, un peu comme si elle se disait "Celui-ci c'est plus possible, qu'il reste où il est ça me fera des vacances, et puis de toutes façons il me reste d'autres chatons" (jusqu'à ce qu'il en reste de moins en moins). L'inconvénient, en dehors du fait que tous les chatons font partie de la famille même si parfois ça ne nous arrange pas, c'est qu'un chaton qu'on ne réconforte pas, loin de se taire et de ronronner, va avoir tendance à devenir de plus en plus bruyant, et de plaintif devenir agressif. Le·a client·e sera invité·e, comme iel l'a fait plus tôt avec les hameçons, à être plus attentif·ve à ses propres chatons et à sa façon de réagir. 

 La sixième séance, et dernière présentée dans le livre, amènera le·a client·e à profiter, tout en étant guidé·e par le·a thérapeute, du savoir-faire acquis jusqu'ici. Le·a thérapeute l'amènera à se représenter une situation où iel est en difficulté, à la ressentir le plus fidèlement possible (dire où iel est exactement, ce qu'iel perçoit, ce qu'iel ressent, ...). Le·a client·e en séance d'ACT s'adressera ensuite au ou à la client·e en difficulté, assisté·e par le·a thérapeute qui commentera les échanges ("qu'est-ce que le "vous" du futur ressent quand vous dites ça? Qu'est-ce qu'iel vous répond? Qu'est-ce que la réponse vous fait ressentir? ..."). Des progrès assez directs peuvent généralement être constatés d'une séance sur l'autre, alors même que sur le coup ça ne semble pas nécessairement fructueux (non résolution du conflit entre le·a client·e du futur ou du passé qui n'y arrive pas et le moi du présent, par exemple, ou encore la vignette clinique qui vaut la peine d'être lue d'une adolescente qui passe plus de temps dans le dialogue à demander à la personne du futur comment elle peut physiquement être là qu'à se concentrer sur le problème, ce qui n'a pas empêché l'exercice de permettre de diminuer radicalement les disputes avec sa sœur).  

 Certains éléments sont assez constants au cours des chapitres, comme le souci d'éviter la pliance (le·a client·e fait ce qu'on lui propose pour faire plaisir au ou à la thérapeute), ou la contrepliance (le·a client·e refuse ce que lui propose le·a thérapeute parce que ça lui apprendra) mais ça ce n'est pas très spécifique à l'ACT, l'idée de souligner et renforcer ce qui est positif et d'ignorer ce qui est négatif (ce qui permet d'ailleurs de prévenir les comportements de pliance), l'important étant que le·a client·e travaille plus que le fait qu'iel travaille bien (dans un exercice de tri par exemple, si une perception est rangée dans les ressentis, ce n'est pas un drame puisque l'idée c'est que le·a client·e prenne l'habitude d'être attentif·ve aux ressentis et aux perceptions et ne prenne pas tout dans un bloc qui inclurait les pensées), ou encore que le fait de présenter explicitement les exercices aux client·e·s (par exemple en leur présentant les jolis schémas téléchargeables du livre), leur demander systématiquement leur accord avant de commencer quelque chose, entraîne une plus grande implication dans la thérapie.

 Les derniers chapitres couvriront certains cas particuliers de l'utilisation de l'ACT et de la matrice, comme la thérapie de couple, le développement personnel (en fait, je traduis "coaching" par "développement personnel" parce qu'en fac d'anglais on m'a appris que les calques c'était très très mal donc maintenant j'évite par snobisme, mais je pense qu'en français on dit plus souvent "coaching" que "développement personnel") ou les conflits entre parents et enfants. 

 Le livre est résolument axé sur la pratique. J'ai déjà parlé de l'invitation à s'entraîner ou encore de la checklist à la fin de chaque chapitre, mais il y a aussi de précieuses FAQ qui concernent les appréhensions ou les difficultés rencontrées en direct par les thérapeutes, qui expliquent comment contourner des pièges dont on n'aurait pas nécessairement pensé à se méfier.