mardi 27 septembre 2022

There and back again

 


 Depuis dimanche soir, j'atterris doucement du Workshop annuel d'ACP France, qui se trouve être la dernière partie expérientielle (où le travail va consister à vivre une expérience plutôt qu'à apprendre une technique ou de la théorie) de ma formation. Certes, ma formation en soi est loin d'être finie, pas seulement parce qu'être thérapeute c'est se former toute sa vie mais aussi, de façon bien plus terre à terre, parce qu'il me reste la soutenance de mémoire (ce qui implique de finir le mémoire, ça me paraît être un préalable intéressant) et des heures (beaucoup) de thérapie personnelle (eh oh, commencez pas à écrire "ça se voit" dans les commentaires!) et de supervision, et pourtant j'ai une double sensation de fin (une façon de me raconter que le mémoire sera une formalité? hum...). La sensation d'être enfin en haut d'un escalier qui a parfois été franchement abrupt et que j'ai commencé à monter en m'inscrivant en fac de psychologie à distance pour... septembre 2009, mais surtout la sensation, plus déstabilisante, d'arriver au bout de l'aventure entamée il y a 5 ans. C'était aussi la dernière fois que je voyais les personnes de mon groupe de formation en tout cas dans ce cadre mais, pour ça, j'étais tout à fait dans l'acceptation et la sérénité, vous n'avez aucune preuve du contraire.

 Une aventure qui a commencé, le monde est bien fait (ou alors j'aime bien faire des liens artificiellement pour permettre des analogies), en marchant dans la brume (sachant que c'était tôt le matin donc j'étais déjà bien embrumé à la base) sur un drôle de chemin qui allait me mener au lieu de formation, accompagné, le monde est bien fait, par la personne du groupe dont je suis devenu le plus proche (j'aimerais bien dire qu'une connexion s'est créée immédiatement mais, non, on a échangé des banalités). Tout ça pour dire que je suis passé directement de la fac de psychologie par correspondance (force aux étudiant·e·s de l'IED qui me lisent) à une formation qui consiste pour les deux premières années en des groupes de rencontre en résidentiel, autant dire qu'il y a eu comme un choc culturel. Et aujourd'hui, plusieurs années calendaires après cette première session de formation dont j'ai l'impression qu'elle s'est à la fois terminée hier et il y a une éternité, une page se tourne et c'est compliqué de réaliser que je ferme ce tome. Pour autant, difficile de revenir sur ce qui s'est passé entre temps (même si j'ai fait une tentative ici et ici) : je ne saurais pas l'exprimer aussi bien que Rogers donc je vais faire simpliste mais, l'expérientiel, ça se vit. Si je cherche à mettre des mots sur ce que j'ai vécu ces cinq dernières années, il y a de fortes chances, en particulier si vous n'avez jamais vécu ce type d'expérience (à travers par exemple les groupes de rencontre, la Gestalt, le focusing, ...) que vous ayez l'impression que j'exagère (voire que je me fiche de vous) ou que j'écrive sous l'influence de substances euphorisantes (je veux dire, plus que le café).

 Pour parler de choses plus objectivables, j'ai fait des rencontres précieuses (à l'IED aussi, d'ailleurs, j'ai fait des rencontres précieuses), appris à pratiquer parallèlement à l'acquisition de théorie (mais je continue à m'intéresser à la théorie!) et laborieusement progressé sur la communication entre ma partie mentale et ma partie émotionnelle, avancé sur des sujets et mesuré que ça allait être compliqué sur d'autres, eu, Graal ultime, de vrai·e·s client·e·s, et en plus en me sentant légitime comme thérapeute (j'espère que les personnes que j'ai écouté·e·s et qui me lisent éventuellement ne sont pas en train de soupirer fort en lisant ça... oops), commencé une thérapie personnelle (la précédente datait du lycée et disons qu'elle ne m'avait rien apporté de flamboyant), appris à parler moins vite et plus posément (non, ça ce n'est pas vrai ^^), fait l'expérience (que je continue à faire) de l'écoute bénévole à laquelle je tiens énormément, rédigé un mémoire avec moins de contraintes en particulier temporelles qu'à l'IED ce qui m'a permis d'y mettre plus de sens, et même parlé à peu près volontairement en public (c'était vendredi dernier) (ça s'est bien passé... enfin, après le moment où je me suis mis à perdre le fil et bégayer avec un stress ostensible). Je l'ai réalisé en écrivant, mais ce vécu fait bien écho au propos de Rogers qui associe le développement du ou de la thérapeute à un développement personnel. A l'IED aussi, j'ai évolué en tant que personne, à la fois en allant chercher des ressources pour surmonter des difficultés dont certaines n'étaient probablement pas indispensables et dans ce que m'ont apporté les apprentissages de façon plus classique (c'est une expérience bien particulière d'intégrer la théorie de l'attachement quand on s'est construit avec un tempérament asocial classe et ténébreux très introverti), mais ça reste loin de l'expérience vécue à ACP France (ce post n'est pas (encore) sponsorisé).

 C'est, j'ai insisté dessus, une fin, mais d'un autre côté ce n'est pas pas la fin (ça sonnerait super bien de dire que c'est un nouveau début, mais ce serait très artificiel vu que je n'ai pas prévu de m'installer avant septembre 2023). Dans les chantiers qui m'attendent, sur fond de caféine, il y a, donc, la fin et la soutenance du mémoire, et aussi, en vue de m'installer, la découverte de l'univers administratif qui va avec, qui me paraît pour l'instant aussi accueillant qu'un concert de marteaux piqueurs et aussi accessible que le programme de stats de L3. Et le blog va bien sûr poursuivre son œuvre, avec si tout va bien un rythme plus soutenu que cet été.

 

lundi 19 septembre 2022

Couples en difficulté, accepter ses différences, de Andrew Christensen, Brian Doss et Neil Jacobson

 

 Debra en a marre de l'attitude renfrognée de Frank, qui semble plus préoccupé de retrouver la télé plutôt qu'elle quand il rentre du travail. Quand elle cherche à en parler, il met fin à l'échange en disant qu'il est "fatigué". Frank trouve ces reproches injustes, il a d'autres qualités mais Debra semble accorder une importance démesurée à ce trait de caractère qui ne lui convient pas. En plus, ses journées de travail sont stressantes et il a effectivement besoin de s'affaler devant la télé en rentrant. Iels ont par ailleurs une différence de tempérament : Debra est assez émotive, et Frank, qui aime plutôt quand tout est calme, a souvent du mal à la suivre. Iels passent une soirée au restaurant avec un couple d'ami·e·s. Leur complicité, par contraste avec son propre couple, est douloureuse à voir pour Debra (et le contraste entre leurs réussites professionnelles n'arrange pas particulièrement son ressenti). Ce n'est plus possible, il faut faire quelque chose. Ce soir, pas de "je suis fatigué", on en parle, un point c'est tout. Frank a passé une bonne soirée, et est surpris de se faire encore tomber dessus. Là il n'a pas envie de subir encore une colère de Debra avec son cortège de reproches, si même une soirée entre ami·e·s peut servir de déclencheur il ne va jamais avoir la paix. Pour signifier que la conversation est close, au cas où son attitude ne serait pas assez claire, il se couche et met son oreiller sur ses oreilles. Debra répond à cette provocation en rallumant la lumière et en haussant le ton. La colère a maintenant atteint un certain niveau des deux côtés, et des mots agressifs, blessants, sont échangés qui ne reflètent certainement pas l'état d'esprit initial de Frank ni de Debra ni ce que chacun·e ressent pour l'autre.

 Un livre de thérapie de couple (c'est la version destinée au grand public de celui-ci) qui s'ouvre sur la description d'une dispute qui n'a absolument rien d'original, mais pour quoi faire? Sauf que les auteurs commencent par présenter le point de vue unilatéral de Debra puis de Frank, et ça change tout. Debra n'a aucune idée du ressenti de Frank sur leur sujet récurrent de conflit, puisqu'il refuse d'en parler. Frank ne mesure pas la violence de son geste quand il met son oreiller sur ses oreilles, puisque s'il a bien vu venir qu'il y aurait "encore" une dispute, il n'a pas réalisé que du point de vue de Debra il y avait "encore" un évitement et que, ce soir où elle avait décidé de ne pas laisser passer, ce geste revient à la réduire au silence. Lui sortait d'une soirée légère et agréable, elle d'une prise de conscience douloureuse. L'essentiel des lecteur·ice·s (à part peut-être celles et ceux qui ne se sont jamais disputé·e·s avec leur conjoint·e) reconnaîtront probablement de nombreux mécanismes dans cette introduction : quand les sujets conflictuels prennent de l'ampleur, ça devient de plus en plus évident que le problème, c'est l'autre, et c'est très important de lui faire comprendre, puisque la solution, tout aussi évidente si ce n'est plus, c'est qu'iel se décide enfin à changer, selon les modalités qu'on s'évertue à répéter et pas autrement. Maintenant. Sans surprise, ce point de vue, et les réactions qui tendent à aller avec (critiques, reproches, sarcasmes), enveniment les choses plus qu'elles ne les arrangent.

 Si le diagnostic est rapide, l'éventail des solutions proposées relève plus du guide d'escalade de l'Everest que du catalogue de baguettes magiques. Les auteurs affirment explicitement que les solutions simples sont rarement efficaces. Ils donnent l'exemple d'un couple dont le conflit porte sur les tâches ménagères : une solution simple consiste à lui demander de faire les corvées qu'elle lui demande de faire. Mais cette solution, qui certes ressemble à un juste milieu, n'est satisfaisante ni pour elle (elle doit toujours aller le chercher derrière son journal pour qu'il s'occupe de quelque chose), ni pour lui (ses exigences de propreté à elle ne sont pas ses exigences à lui, elle sera frustrée du résultat et lui fera savoir, et lui récoltera des reproches alors qu'il a fait des efforts). Pour ne rien arranger, les progrès ne seront probablement pas linéaires : faire un pas vers l'autre, c'est s'exposer, avec les risques que ça implique, en particulier dans un contexte tendu, avec des rancœurs accumulées potentiellement depuis des mois ou des années. Les conseils donnés couvrent un éventail large, sont précis et s'inscrivent chacun dans une démarche clairement décrite, mais s'il fallait les synthétiser (ce qui va forcément en donner une image simpliste et faussée, pardon les auteurs), ils consistent à gagner en bienveillance, envers soi et envers l'autre, et prendre de la distance, inscrire les échanges difficiles dans une vision plus générale, en particulier en identifiant au mieux les émotions impliquées et la demande derrière le message. En effet, paradoxalement, les émotions exprimées sont généralement plus agressives que les émotions ressenties (par exemple, "tu passes ton temps sur ton téléphone" pour exprimer le besoin de passer plus de temps avec la personne).  Les personnes familières avec la CNV seront souvent en terrain connu (de nombreux chapitres détaillent comment aider l'autre à exprimer son besoin, comment identifier le sien, comment reformuler la situation dans des termes neutres et faire une demande claire, parler de son ressenti ...), mais les outils qui concernent directement la communication ne seront pas les seuls proposés. Identifier les différences de tempérament et de mode d'expression, être vigilant·e aux difficultés extérieures qui peuvent exacerber les tensions (maladie, conflit avec la famille, difficultés financières, ...) et leur laisser leur juste place, travailler l'acceptation et ne pas la confondre avec la résignation, font partie des nombreuses propositions (et pour les personnes qui finiraient par vouloir jeter l'éponge devant l'ampleur de la tâche, les auteurs donnent des indications à la fin pour choisir un·e thérapeute de couple).

 Le livre s'achève sur la conduite à tenir quand certaines limites significatives ont été franchies, à savoir les violences physiques, les violences verbales, et l'adultère. Les auteurs sont extrêmement clairs : les situations de relation abusive ne relèvent pas de la thérapie de couple, et s'il est vital (potentiellement au sens propre) de se faire aider, les outils proposés dans le livre ne sont pas appropriés (d'autres ressources sont proposées, dont ce livre là ). Pour les violences physiques qui ne relèveraient pas de la violence conjugale (qui relèvent de l'exception plutôt que de la continuité, et bien sûr qui sont plus légères que des coups de poing ou un jet d'objet sur la personne -pousser, intimider physiquement, casser des effets personnels, ça relève de la violence physique-), la tolérance zéro est préconisée, d'une part pour le risque d'escalade en cas de récidive et d'autre part pour l'effet évidemment traumatogène pour la victime. Concernant les violences verbales, elles sont dans certains cas évidentes à identifier (menaces!, propos humiliants, ...), dans d'autres moins, auquel cas la solution est de poser et s'approprier (ça évite d'entrer dans le débat de savoir si le propos est objectivement intolérable ou non) ses limites ("pour moi ce terme est une insulte/n'est pas acceptable, ne l'utilise pas avec moi"), et d'effectivement couper court à l'échange (en sortant de la pièce, par exemple) si le·a partenaire persiste à l'utiliser (je rappelle que cette marche à suivre ne concerne pas les relations abusives, où les attentes ne peuvent pas être les mêmes). La réconciliation post-adultère est complexe (une section des ressources en fin de livre y est d'ailleurs consacrée) et je ne peux pas la résumer de façon satisfaisante ici. Le point commun entre ces trois éléments est que la seule personne responsable quand ces limites sont franchies, c'est la personne qui les a franchies : qu'elle dise ou même pense qu'elle a agi "pour" telle ou telle raison ou en réaction à telle ou telle action ne doit pas occulter que c'est une réaction possible parmi d'autres, qui relève d'un choix.

 Le livre est accessible, du moins autant que possible vu son ambition et son exhaustivité, et appuyé à la fois par des évaluations quantitatives et par l'expérience clinique des thérapeutes. Il permet d'explorer en profondeur la partie qui fait moins rêver des relations amoureuses, et donne de bonnes pistes (même si elles sont exigeantes) pour se sortir d'un enlisement douloureux.