vendredi 26 juillet 2019

Des jeux et des hommes, d'Eric Berne




 Dans ce livre, Eric Berne développe la notion de jeu, comme concept d'analyse transactionnelle (en tant que créateur de l'analyse transactionnelle, il est a priori bien placé pour en parler). Les jeux sont une interaction sociale avec un but caché, et dont l'issue peut être grave. Une fois la partie lancée, le plus souvent à l'initiative d'un·e expert·e, les joueur·se·s tendent à être entraîné·e·s jusqu'à la fin de la partie, une étape déclenchant la suivante. Les joueur·se·s peuvent être deux, ou plus nombreux·ses (avec l'éventuelle participation d'un·e thérapeute pas assez affûté·e, plusieurs exemples sont donnés). Pour mieux en identifier le fonctionnement, Berne propose les instances psychiques d'Adulte, d'Enfant et de Parent (qui désignent des attitudes à un moment spécifique, et non un profil de personnalité), l'Adulte se rapprochant de l'objectivité et de l'autonomie, Parent et Enfant reproduisant respectivement l'image que le sujet a intégrée de ses parents (ou, alternativement, la personne idéale dans les représentations supposées des parents), et son comportement dans l'enfance (ce qui peut être associé à l'immaturité mais aussi à la joie, à la créativité, ...). Dans une situation de communication, l'individu s'exprime depuis l'un de ces trois états du moi (c'est le terme utilisé par l'auteur), et l'interlocuteur·ice réceptionne avec l'un de ses propres états du moi (le plus souvent, une communication Adulte-Adulte, ou Parent-Enfant, ...). La communication devient difficile quand les interlocuteur·ice·s n'échangent pas au même niveau (transactions croisées), par exemple quand un·e interlocuteur·ice pense être dans un échange Adulte-Adulte ("Je cherche mon stylo, tu ne l'aurais pas vu par hasard?") et que l'autre perçoit une communication Parent-Enfant et répond en fonction ("Tu es en train de m'accuser de l'avoir perdu, c'est ça? Surveille mieux tes affaires au lieu d'être sur mon dos"). Pour compliquer le tout, une distinction est aussi à faire entre le niveau social (ce qui apparaît extérieurement) et le niveau psychologique (interne). Par exemple, "j'ai vu un super film de [tel·le réalisateur·ice obscur·e] la semaine dernière, j'ai bien envie de le revoir, tu voudrais qu'on y aille ensemble?" : au niveau social, il peut s'agir d'une communication Adulte-Adulte sur une proposition de passer du temps ensemble, mais selon la relation entre les personnes et le contexte, au niveau psychologique, il peut s'agir d'un message Parent-Enfant ("Je suis plus cultivé·e que toi, et tu as plutôt intérêt à l'admettre en acceptant ma proposition").

  Après les explications théoriques, l'auteur décrit une série de jeux, ayant des contextes (le couple, les soirées entre ami·e·s, la psychothérapie, ...) et des niveaux de gravité (qu'il divise en trois niveaux) différents. Si certains peuvent sembler relativement évidents ou anodins (comme "Tu pourrais.. -Oui mais", où une personne se plaint d'un problème puis refuse toutes les suggestions, souvent parce qu'elle y a déjà pensé avant, ou "Dans quel monde on vit", qui consiste à se plaindre d'un problème de société en déplorant la médiocrité du ou de la coupable désigné·e -les parents qui ne savent plus éduquer leurs enfants, la cupidité des gens, ...- donc se plaçant au dessus du lot), la liste démarre avec un schéma particulièrement ambitieux, puisqu'il propose une compréhension de l'alcoolisme, en mettant de côté la réalité ou non de l'aspect biologique, comme un jeu pouvant impliquer jusqu'à cinq joueur·se·s, dans une articulation complexe qui aboutit à la rechute. Selon lui, l'intérêt de l'alcoolique, sa raison de jouer, n'est pas la consommation d'alcool (c'est là que les clinicien·ne·s, selon lui, font une erreur importante) mais la gueule de bois, moment où il se dévalorise avec virulence, ce qui lui permet d'obtenir par réaction le pardon et la compassion de son entourage. Sans aller jusqu'à trouver cette approche révolutionnaire (les comportements des différent·e·s joueur·se·s à chaque étape me semblent un peu trop rigides et précis pour être réalistes), j'ai trouvé le décalage de point de vue intéressant, et je me demande si l'efficacité de l'analyse transactionnelle pour soigner les addictions a été évaluée. Si les comportements des joueur·se·s, dans les descriptions, me semblent particulièrement stéréotypés et spécifiques, certains jeux décrits révèlent surtout le sexisme crasse de l'auteur, qui semble faire une fixation sur le cliché de la femme manipulatrice et séductrice, comme quand il consacre plusieurs pages au jeu très très très spécifique de la femme frigide (qui refuse les relations sexuelles avec son époux en disant quand il l'approche que tous les hommes sont des porcs -oui, c'est spécifique!- puis l'allume progressivement jusqu'à ce qu'il cède à nouveau et qu'elle s'indigne aussitôt qu'il a bien prouvé que les hommes sont des porcs -oui, c'est très très spécifique!-) ou, moins grotesque mais bien plus dangereux, le jeu du Rapo (qui en plus revient souvent!) qui est celui de la fausse accusation d'agression sexuelle, ou de tentative d'agression sexuelle (fausse accusation précédée, comme il se doit, de séduction, parce que comme chacun sait il convient de se méfier des femmes qui ont souvent comme but principal dans la vie de réduire à néant les efforts aussi constants qu'héroïques des hommes pour rester droits et chastes). Le jeu Rapo peut vite devenir un jeu de niveau 3 (le plus grave, qui peut finir à l'hôpital ou au tribunal), s'alarme Eric Berne, oubliant que dans la mesure où l'impunité des violeurs est bien plus massive que les fausses accusations, c'est surtout lui qui est dangereux en colportant ce stéréotype et en lui donnant une légitimité (je ne maîtrise pas assez l'analyse transactionnelle pour savoir à quel jeu il joue).

Si l'approche dans son ensemble est intéressante pour comprendre les conflits et les dynamiques néfastes qui se répètent, l'auteur aurait facilement pu la rendre plus intéressante en modifiant légèrement la structure du livre... En effet, celui-ci est divisé assez hermétiquement entre une partie "théorie" et une partie "exemples", en allant souvent assez vite pour décrire des dynamiques parfois complexes... Le·a lecteur·ice risque donc d'avoir la sensation d'être bombardé·e de théorie, puis d'être bombardé·e d'exemples. Pour ne rien arranger, les exemples pourraient facilement être beaucoup plus clairs si, au lieu d'être classés par contexte, ils suivaient une progression logique, en étant problématisés plutôt que simplement listés, d'autant que dans les descriptions d'un jeu, il est souvent mis en perspective avec d'autres jeux... qui ne seront présentés qu'après! L'originalité de l'approche donne envie d'approfondir, mais pas avec des livres écrits par Eric Berne.

mardi 23 juillet 2019

La relation Aidant-Aidé dans la maladie d’Alzheimer, de Pierre Charazac, Isabelle Gaillard-Chatelard et Isabelle Gallice




 S’il est évident que l’entrée dans la dépendance a des conséquences sur les individus, elle a aussi des conséquences, par définition, sur leurs proches. Pour diverses raisons (personnelles, culturelles, économiques, ...), le choix n’est pas toujours de faire intégrer un Ehpad à la personne dépendante, et les soins du quotidien sont fournis, avec souvent une aide professionnelle extérieure (pas toujours bien accueillie!), par, le plus souvent, l’un des enfants, ou le·a conjoint·e, de la personne dépendante, qui en plus d’avoir son quotidien radicalement modifié ("le temps passé à s’occuper du malade est en moyenne de 8 heures par jour", "93 % des aidants se sentent épuisés, 90 % sont déprimés"), voit une relation de longue date se redéfinir et se reconstruire. Spécialistes de gériatrie, les auteur·ice·s reprennent plusieurs enjeux psychique de cette situation, sans négliger les aspects pratiques. Contrairement à ce qu’indique le titre, le livre ne concerne pas spécifiquement la Maladie d’Alzheimer mais la dépendance liée au vieillissement en général.

 Pour limiter les risques de maltraitance liés aux différents enjeux de la situation (difficulté de prendre une pause, moyens de communication limités par les déficiences, recherche d’une perfection impossible pour l’aidant·e qui transformera sa culpabilité en agressivité envers la personne dépendante, …), dont certains ne sont pas sans rappeler le triangle dramatique, les auteur·ice:s proposent, reprenant le célèbre concept de Winnicott ("l’adaptation de l’aide dans la maladie d’Alzheimer possède des bases pulsionnelles identiques"), la notion d’aidant·e suffisamment dévoué·e. Iels proposent en particulier, à travers le concept du sentiment de bien-faire, une sortie progressive de la sensation de maîtrise totale et de l’illusion gémellaire, permettant de mieux supporter les aggravations de l’état de la personne dépendante ou la participation des tiers, la notion de sortie de la bientraitance (qui peut être repérée et rectifiée, par opposition à la maltraitance qui s’installe dans la relation), ou encore le travail de la dépendance, qui est une forme de pré-deuil avec l’acceptation éventuelle de l’ambivalence et de la culpabilité. Du côté de ce que le·a soignant·e peut proposer, les auteur·ice·s proposent un travail de guidance ("un soutien spécialisé demandé par l’aidant ou indiqué par un tiers, pratiqué par un clinicien formé à la psychothérapie, visant à soutenir le travail de mentalisation").

 L’une des spécificités du livre est que près de la moitié est consacrée à des vignettes cliniques ("observations commentées"), ce qui permet d’une part de constater la diversité des situations et surtout leur dynamisme (l’état de santé de la personne dépendante varie… mais aussi celui de l’aidant·e, sans compter que les relations familiales se redéfinissent), le nombre de personnes impliquées (on a vite fait de se représenter des situations presque uniquement duelles!) ou l’importance des représentations, y compris pour les soignant·e·s qui doivent être bien vigilant·e·s à écouter tou·te·s les interlocuteur·ice·s tout en observant les éléments factuels (tests mémoire, …), le niveau de dépendance pouvant vite être sous-estimé ou surestimé. Le fait que chaque auteur et autrice commente les observations individuellement est une richesse supplémentaire : même entre professionnel·le·s, l’attention ne se porte pas nécessairement sur les mêmes éléments. C’est particulièrement le cas dans une vignette clinique dans laquelle le fils de la personne dépendante détourne ses fonds, la laissant avec quatre mois de loyers de retard quand ses autres enfants s’en aperçoivent. Alors que l’une des autrices s’attardera sur la situation d’abus de faiblesse en général, indiquant les éléments qui doivent appeler à la vigilance, un autre s’intéressera plus aux enjeux psychiques intrafamiliaux, comme la tentation de laisser faire en voyant ça comme une rémunération indirecte pour l’aide apportée, la difficulté de porter plainte contre un membre de sa propre famille, ou encore les échos que ce type de situation peut avoir avec des rivalités de longue date dans la fratrie.

 Pour ce sujet on ne peut plus concret (peut-être un peu trop, comme vient le rappeler la statistique de 93% d’aidant·e·s qui se sentent épuisé·e·s) et probablement appelé à concerner de plus en plus de personnes avec le vieillissement de la population, ce livre offre un bon compromis entre théorie et pratique, et invite surtout, ce qui est rendu difficile par la situation, à ne pas rester seul·e (aide de soignant·e·s, groupe d’aidant·e·s, …). Il peut aussi aider les professionnel·le·s (aide à domicile, …) à mieux comprendre les enjeux de ces personnes qu’iels fréquentent au quotidien, avec lesquel·le·s les relations ne sont pas nécessairement évidentes.

mercredi 17 juillet 2019

Psychologie de la personnalité, de Michel Hansenne



 La personnalité est un terme qui semble plutôt aller de soi dans le langage courant, mais qui devient effroyablement complexe quand on cherche à le circonscrire plus précisément. Comment trouver des critères suffisamment universels pour pouvoir situer chaque personne, mais suffisamment spécifiques pour rendre compte de l’aspect unique de chacun·e? La personnalité permet-elle de prédire un comportement dans telle ou telle situation? Elle permet certes de définir quelqu’un, mais ne peut-on pas changer de personnalité au cours de sa vie? Et puis la personnalité reste-t-elle vraiment la même dans différents contextes? Quelle part attribuer à la génétique, aux événements de vie, à l’environnement social, familial, professionnel (et bien sûr au brillant travail du ou de la psychothérapeute)? Certaines personnalités sont-elles préférables à d’autres, en général ou dans des circonstances particulières? Ce livre rend compte des nombreux enjeux de ce sujet, et plus que de répondre à toutes ces questions (même si bien sûr plusieurs infos sont données sur l’état de la science!), expliquera comment les chercheur·se·s ont tenté d’y répondre.

 Difficile d’avoir un consensus sur un sujet aussi vaste, d’autant que, comme l’avance l’auteur, "les théories actuelles trahissent bien souvent encore les conceptions personnelles qu’ont leurs auteurs des sources des différences individuelles et des priorités qu’ils y accordent". L’humain est-il un compromis boiteux entre ses pulsions les plus sombres et la nécessité de vivre en société (Freud?), un être qui ne demande qu’à s’accomplir en optimisant au mieux les ressources dont il dispose (Rogers et Maslow), condamné à l’errance au gré des stimuli et de la façon dont il y réagit (Skinner), un scientifique guidé par l’observation de ses impacts sur son milieu (George Kelly)? Ces propositions ne sont qu’une fraction des perspectives de la personnalité présentées et critiquées, sachant que le modèle le plus utilisé dans la recherche est le Big Five, qui a la spécificité d’être issu d’analyses factorielles (comme d’autres modèles concurrents, par exemple celui d’Eysenck qui jusqu’à la fin de sa vie dans les années 90 a défendu son modèle à trois facteurs) et situe la personnalité sur cinq dimensions principales (Ouverture, Conformisme, Extraversion, Agréabilité, Neuroticisme), même si leur dénomination ne fait pas l’unanimité. Après s’être attardé sur la construction des modèles présentés, l’auteur fournira des éléments de réflexion sur différents enjeux : que sait-on sur les liens entre la personnalité et les émotions, les performances cognitives, la psychopathologie, ou encore la capacité à se représenter le passé et le futur (ça s’appelle la conscience autonoétique, et il faudra absolument que je le case dans une conversation, nom de Zeus!)?

 Si le sujet est complexe et technique et que le livre offre plus de questions que de réponses, il arrive à rendre le thème et ses enjeux intéressants, et à couvrir un vaste territoire. C’est idéal pour un·e étudiant·e en psychologie (surtout que de nombreux rappels sont faits sur la méthodologie de la recherche), mais pourra aussi satisfaire (augmenter?) la curiosité de quelqu’un qui s’intéresse au sujet sans vouloir être un·e expert·e.

mardi 2 juillet 2019

Ecouter, Comprendre, Encourager, L’approche centrée sur la personne dans l’accompagnement de personnes ayant un handicap mental et de personnes dépendantes, de Marlis Pörtner




 Marlis Pörtner propose dans ce livre une méthodologie pour appliquer l’Approche Centrée sur la Personne en institution. L’enjeu est particulièrement pertinent dans la mesure où la dépendance peut présenter des obstacles à l’empathie qui est le point central de l’ACP, que ce soit en perturbant la représentation de l’humain qu’a le·a soignant·e (l’autrice met en garde contre la conception de l’handicapé·e comme quelqu’un dont le but dans la vie serait d’être valide, conception qui en dit surtout long sur les angoisses du ou de la soignant·e), le cadre potentiellement contraignant, quand ce n’est pas un sentiment de supériorité assumé (condescendance, surnoms, parler de la personne devant elle, ...). L’objet de la démarche Ecouter, Comprendre, Encourager (Ernstnehmen, Zutrauen, Verstehen en VO) est de "mettre l’intégrité et la dignité des personnes au premier plan", ce qui permet bien sûr un meilleur développement personnel pour les résident·e·s mais aussi une meilleure communication entre elles et eux et les soignant·e·s, dans des situations qui pourraient vite dériver dans le rapport de forces, avec colère et épuisement des deux côtés. L’autrice donne l’exemple d’une résidente particulièrement furieuse au moment de passer l’aspirateur : le comportement semblait dans la continuité de sa réticence habituelle envers les tâches ménagères, mais des investigations plus poussées ont permis de constater que l’aspirateur était abîmé et que le bouton On devait être maintenu appuyé en permanence, ce qui était extrêmement contraignant pour la résidente du fait de son handicap. L’intérêt de chercher ensemble des solutions, ce qui passe par la communication et la volonté de mieux comprendre le ressenti de la personne concernée, est aussi bien illustré par l’exemple de cette résidente qui dépensait tout son argent d’un coup malgré de nombreux conseils et explications des soignant·e·s et se sentait discriminée quand les autres pouvaient encore dépenser (la solution a été de diviser son argent du mois devant elle en quatre enveloppes, chacune lui étant donnée avec son accord chaque semaine), ou encore d’une autre qui transformait chaque lever pour aller prendre le petit déjeuner à l’heure en bataille épuisante (le fait de remplacer le·a soignant·e par un réveil, lui permettant de se lever et se préparer elle-même, a réglé et les conflits et les retards). Dans un autre exemple, un soignant répond à une petite de quatre ans qui a l’habitude dans sa famille d’être au centre de l’attention et donc sollicite beaucoup (limite énormément) le personnel : "Tu voudrais maintenant que je m’occupe de toi. Je t’aime bien et j’aimerais bien passer un peu de temps avec toi mais je ne peux pas maintenant. Tu dois rejoindre ta maisonnée, tu ne peux pas rester ici. Quand j’aurais terminé, je viendrai chez toi. Alors, nous pourrons faire quelque chose ensemble pendant dix minutes." Rien de bien extraordinaire, une application des plus basiques des principes de l’ACP, avec la reconnaissance et l’acceptation des émotions de l’autre et l’expression authentique de son propre ressenti ? Sauf que les autres soignant·e·s, agacé·e·s, avaient plutôt tendance à répondre "Tu déranges, pars s’il te plaît", ce qui déclenchait une crise mouvementée… où l’enfant se retrouvait effectivement au centre de l’attention.

 En plus des rigidités autour de la perception du symptôme (ne voir la personne qu’à travers son symptôme risque, en plus d’effacer l’humain·e derrière… d’aggraver le symptôme), l’autrice constate qu’une trop grande rigidité du cadre peut être néfaste. Faire des reproches à quelqu’un qui refuse un repas en excluant l’idée qu’il arrive d’avoir moins d’appétit certains jours que d’autres, forcer à participer à telle ou telle activité dans des cas où ça ne viendrait pas à l’esprit pour un adulte plus autonome, provoque une dynamique contradictoire avec les principes de l’Approche Centrée sur la Personne. Il n’est bien entendu pas question, dans un accès d’angélisme, de balancer tout cadre à la poubelle. L’exprimer, et exprimer que la réticence du ou de la résident·e a bien été perçue, suffit parfois à apaiser des situations difficiles. Laisser à la personne l’opportunité, le plus souvent possible, de faire des choix, même quand ils peuvent semblent dérisoire (choisir son pain au petit déjeuner), a des effets très positifs. L’autrice a également des recommandations sur le cadre de l’institution. Si la liberté et le respect de la personnalité de chacun est l’objectif ultime, elle ne va pas jusqu’à prétendre que ça peut se faire sans cadre. Au contraire, faire comme s’il n’y avait pas de hiérarchie, comme si on se retrouvait entre ami·e·s, peut s’avérer très contreproductif. L’accent est mis sur l’importance de la communication, et surtout sur la clarté des objectifs et des moyens de chacun·e.

 Concernant les personnes les plus déficientes, c’est la pré-thérapie qui est recommandée, dont les principes sont rappelés. Si la plupart des vignettes cliniques sont tirées du livre de Garry Prouty, une autre, importante, est présentée sur quelques pages. Si elle offre un message d’espoir et d’optimisme tant la situation de départ était difficile, elle est surtout pour moi un appel à la persévérance et à la patience, les progrès apparaissant lentement, avec des étapes qui auraient pu ressembler à des reculs (quand Laure S. sort de son attitude de repli pour hurler de désespoir, la psychologue a la présence d’esprit de voir ça comme une avancée, parce que les émotions sont enfin exprimées… un peu plus de scepticisme aurait pu amener à conclure que la démarche thérapeutique lui faisait du mal et qu’il était temps d’arrêter les dégâts).

 Le livre propose d’étendre la pratique de l’ACP dans un cadre particulier, mais on peut aussi constater qu’il est particulièrement conforme aux principes de l’ACP : un propos qui pourrait paraître simpliste (avoir une attitude plus humaniste dans le cadre d’institutions thérapeutiques c’est mieux qu’être inutilement rigide ou condescendant·e, quelle trouvaille!) porte une idéologie forte (l’objectif face à des personnes dépendantes est d’optimiser leur humanité, de leur donner les moyens d’exprimer leurs désirs et leur personnalité, et non de les rendre les moins contrariantes possible pour optimiser le fonctionnement de l’institution ni même en première intention de compenser leur handicap… la hiérarchie entre résident·e·s et soignant·e:s doit dont être réduite au minimum nécessaire) et tire sa légitimité et ses améliorations de la pratique (l’idée est de le faire parce que ça marche, pas parce que ça sonne bien). Je suis tenté de le recommander à tou·te·s les professionnel·le·s concerné·e·s, même si en tant qu’étudiant qui fait un métier qui n’a rien à voir je ne suis pas forcément le mieux placé pour le faire. D'un autre côté le risque n’est pas bien grand, le livre se lit vite, et les bénéfices peuvent être importants.