lundi 24 avril 2023

Mémoire soutenu... il semble que je suis thérapeute


 

  Après des hésitations (sur le sujet, sur le plan, sur le style d'écriture, sur le plan, sur la conclusion, sur le sujet, sur pourquoi je me suis lancé là dedans, sur le plan...), des certitudes (dont certaines étaient tellement inébranlables qu'elles duraient un bon quart d'heure), des gains et des pertes d'énergie intempestifs, des moments d'enthousiasme et des moments de c'est bon je veux juste rendre un truc de toutes façons presque personne va le lire, un délai de rédaction d'un an largement dépassé, des centaines d'hectolitres de café, j'ai enfin soutenu mon mémoire vendredi. La soutenance, c'est le moment où on passe d'heures interminables et dans l'ensemble solitaires de lectures et d'écriture à une présentation d'une heure environ et en public, et c'est aussi le moment où on est brusquement amené à se rappeler de l'existence dudit mémoire après avoir été ravi de ne plus en entendre parler au moment où on a enfin rendu une version définitive. J'étais un peu stressé avant (ça devait se voir puisque plusieurs personnes m'ont dit de respirer... comme si c'était le moment pour moi de me lancer dans des techniques de relaxation aussi avancées!), je pense que la conviction que mon mémoire était inintéressant et incompréhensible qui m'envahissait depuis 48 heures a pu y contribuer, mais ça s'est finalement bien passé (j'ai même réussi à parler distinctement pendant la présentation et les échanges avec le jury, ce qui était au dessus de mes ambitions les plus folles).

 Ce mémoire, c'était aussi la clôture d'une formation de 5 ans (oui, je sais, ça fait le deuxième post pour dire que j'ai fini la formation... et en plus je retourne à leur évènement annuel en septembre) qui se trouve être une formation de thérapeute. Je suis donc thérapeute... depuis vendredi après-midi (vendredi soir, si on compte à partir de la remise du diplôme), et j'ai du mal à réaliser. L'un des effets inattendus, c'est que ça m'a amené (malgré la fatigue et l'envie de plutôt faire le vide) à des questionnements sur ce que voulait dire être thérapeute.

 Est-ce que je suis thérapeute depuis que j'ai des client·e·s? Certes j'avais le statut d'étudiant et j'étais transparent là dessus, mais à ma connaissance les personnes que j'ai accompagnées ne sont pas venues pour faire un exercice, ne m'ont pas accordé leur confiance pour faire face à de fausses difficultés. Mais si je pousse ce raisonnement jusqu'au bout, dans ce cas pourquoi est-ce que ça allait de soi pour moi de finir la formation, et pas seulement, loin de là, parce qu'être thérapeute implique d'être toujours en train de se former? 

 Est-ce que je serai thérapeute quand j'aurai obtenu le Certificat Européen de Psychothérapie? C'est au programme, mais pas pour tout de suite (il me manque pas mal d'heures de thérapie personnelle), et si je veux partir dans cette direction, je pourrais toujours considérer à ce moment là que je ne suis pas thérapeute parce que ce certificat n'a pas de reconnaissance officielle en France (CEP ou non, je vais être psychopraticien, et je pourrais l'être aussi avec zéro formation). Est-ce que je suis préoccupé par ce sujet parce que je suis encore aigri d'avoir été recalé en Master de psychologie? Ah non hein, j'espère quand même être passé à autre chose!

 Est-ce que je serai thérapeute quand j'aurai créé mon entreprise et quitté mon travail actuel (qui est mon job d'été qui s'est un petit peu prolongé, ça va faire bizarre de partir)? Peut-être sauf que, comme je le disais plus haut, j'aurais techniquement pu faire ça sans la moindre formation (et j'aurais eu exactement la même interdiction de me désigner comme "psychothérapeute"), et pour le coup je me serais senti beaucoup moins thérapeute!

 Est-ce que je me pose tout simplement trop de questions, parce que c'est l'aboutissement le plus significatif d'un parcours qui a été très long (inscription en fac de psycho par correspondance à la rentrée 2009!) et souvent énergivore, en travaillant à temps plein (et en horaires décalées), et qu'en plus j'avais oublié cet aspect le jour de la soutenance (souvenez-vous, j'étais surtout occupé à me dire que mon mémoire était incompréhensible et inintéressant) (et que le réveil avait quand même sonné très tôt!), donc de me retrouver avec ce statut du jour au lendemain ça met du temps à s'ancrer (ça, et me dire que j'en ai enfin fini pour de bon avec le mémoire!).

 Bref, c'est la fin d'une aventure, le début d'une autre, je m'installe normalement en septembre, et je suis thérapeute!

(oui, ça me fait encore bizarre de l'écrire)

dimanche 23 avril 2023

Deuil et mélancolie, de Sigmund Freud

 


 Ce texte, dont la rédaction s'est étalée sur deux ans environ (nourrie d'échanges théoriques avec différents psychanalystes), a été publié en 1917, donc pendant la période de la 1ère Guerre Mondiale où la question de la perte et du deuil était pour le moins immédiate! L'édition proposée par Payot et Rivages, en plus d'une riche introduction de Laurie Laufer, complète l'article par un texte de Karl Abraham (Perte, deuil et introjection) qui prolonge certaines réflexions et appelle à compléter les vides théoriques encore présents.

 Freud observe qu'alors que la douleur de l'endeuillé·e n'est pas questionnée, celle de la personne mélancolique intrigue et est perçue comme pathologique, alors qu'elles ont des aspects très semblables (en particulier le fait qu'elles ont une temporalité marquée, un début clair et une fin attendue). Il attribue cette perception au fait que le deuil concerne un objet bien identifié et identifiable, ce qui n'est pas le cas de la mélancolie. La forte tendance au dénigrement de soi des personnes mélancoliques guide Freud vers l'objet en question : ledit dénigrement est causé par une colère, inconsciente, dirigée vers soi mais constituée d'une colère réellement destinée à une autre personne, le plus souvent d'une personne qui a été aimée à la hauteur de la colère qui en résulte. Freud observe également que la perte, lorsqu'elle est souhaitée (guérison, libération d'une difficulté financière, ...), peut au contraire conduire à un état maniaque. Ces questionnements le mènent à affiner sa compréhension de la structure du psychisme, mais là on entre dans un domaine que je ne maîtrise pas suffisamment pour en parler de façon satisfaisante (je pense que si des psychanalystes me lisent iels ont déjà levé les yeux au ciel une fois ou deux devant des simplifications ou raccourcis dans ce paragraphe).

 Abraham s'appuie sur le texte et son expérience clinique pour constater le poids de l'introjection dans la perte. Par exemple, surmonter le deuil, c'est en partie incorporer l'objet de la perte (il donne l'exemple d'un homme devenu grisonnant à la mort de son père qui avait les cheveux blancs, ou d'un homme qui, ayant cessé de s'alimenter après le décès de son épouse enceinte et de l'enfant porté, a rêvé qu'il la mangeait après avoir retrouvé l'appétit).

 Au delà de l'enjeu de la compréhension du deuil, dans une grande mesure obsolète plus d'un siècle après, ces deux textes permettent d'assister la construction, tâtonnante, d'une cohérence d'ensemble du psychisme selon la grille de lecture psychanalytique.

samedi 22 avril 2023

Les troubles bipolaires, de Marc Masson

 


 Explosifs, impactants fortement la vie des personnes concernées et de leurs proches, sujets, comme de nombreux troubles psychiques, à des idées reçues qui n'aident vraiment pas, difficiles à diagnostiquer (les récits autobiographiques de personnes bipolaires, ici ou ici par exemple, rapportent souvent une errance diagnostique douloureuse et dangereuse)... un livre destiné au grand public et synthétique sur le sujet des troubles bipolaires a, c'est le moins qu'on puisse dire, son utilité.

 Si l'auteur ne fait pas l'économie de termes techniques (en particulier dans la partie qui concerne l'origine du trouble), les chapitres sont courts donc les parties les plus complexes peuvent être relues plusieurs fois, et une version encore plus courte est proposée à la fin de chaque chapitre sous forme de points clefs (par exemple, si le jargon sur l'état de la science sur l'éventuelle origine génétique du trouble vous a fait fuir, vous pouvez par exemple lire quelques pages plus tard que "plusieurs facteurs (dont certains sont génétiques) sont impliqués dans son développement", explication qui n'implique pas de se plonger dans les subtilités de la méthylation du génome ou du volume de la substance grise amygdalienne).

 Un diagnostic correct est une nécessité, dans la mesure où des thérapies efficaces, même si elles se doivent d'être individualisées, existent (médicamenteuses, psychologiques -TCC et psychoéducation sont principalement recommandées-, ...) et où le danger, qui par ailleurs ne disparaît pas avec une prise en charge, est réel : le risque suicidaire est 20 fois plus important que dans la population générale (le début, les phases dépressives sévères, et les phases de transition d'un état à l'autre sont particulièrement à surveiller), avec un taux de tentatives dites réussies particulièrement élevé. Il est pourtant compliqué par différents facteurs. D'une part, les troubles bipolaires regroupent trois pathologies distinctes : de type 1 (au moins un état d'excitation sévère maniaque -euphorie, sensation de toute puissance, activité intense avec éventuellement prises de risques ou dépenses excessives, ...- et de possibles phases dépressives), de type 2 (états d'excitation modérés et épisodes dépressifs) et trouble cyclothymique (où les phases maniaques et dépressives sont plus modérées). D'autres part, certaines pathologies ont des manifestations proches (trouble borderline, schizophrénie -les périodes de crises peuvent être associées à des pensées délirantes- et TDAH) et d'autres ont tendance à être associées aux troubles bipolaires (addiction, troubles anxieux et troubles du comportement alimentaire).

 Sur ce sujet complexe et sensible, l'auteur parvient à faire une synthèse accessible mais dense, qui permet d'approfondir les points qui nécessitent une compréhension plus nuancée.

samedi 15 avril 2023

The Wiley World Handbook of Existential Therapy, supervisé par Emmy Van Deurzen

 


 Les nombreux·se·s auteur·ice·s de ce manuel entreprennent dans ce volume récent (2019) et conséquent, dont des rééditions (mais semble-t-il pas de traductions) sont déjà prévu·e·s, un état des lieux ambitieux mais nécessairement et volontairement subjectif ("nous sommes pleinement conscient·e·s que d'autres auteur·ice·s auraient pu offrir un panorama complètement différent du monde existentialiste").

 Impossible certes de proposer un travail exhaustif, mais les 600 pages sont bien remplies, proposant un historique, une structure théorique, des vignettes cliniques ainsi que des questionnements sur l'avenir (qui peuvent concerner des sujets théoriques, sur la validation scientifique, la formation, le développement institutionnel, l'émergence de problématiques comme la thérapie en ligne, ...) pour différents mouvements, avec un zoom particulier sur la Daseinanalyse (pionnière des thérapies existentielles s'appuyant en grande partie sur la psychanalyse tout en en rejetant certains aspects, qui a l'inconvénient non négligeable d'impliquer de comprendre les écrits peu accessibles d'Heidegger), la thérapie existentialo-phénoménologique, les thérapies existentielles-humanistes et existentielles-intégratives, et la logothérapie et l'Analyse Existentielle, son développement plus axé sur la pratique, très développé en Allemagne et en Autriche mais peu en France, au point que je n'ai pas trouvé le nom français donc pour autant que je le sache ça ne s'appelle pas comme ça (voire pas du tout?) en français. Illustration supplémentaire de la pluralité de la sphère de la thérapie existentielle, les auteur·ice·s précisent que Yalom, sa figure probablement la plus célèbre, ne peut pas être strictement situé dans l'un de ces mouvements.

 Une partie spécifique est consacrée aux thérapies de groupe, ce qui peut sembler paradoxal dans la mesure où plusieurs figures emblématiques de la philosophie existentialiste (Kierkegaard, Nietzsche, Schopenhauer, ...) faisaient l'éloge de la solitude et ont pour le moins mis leur vision en pratique dans leur vie. Il y a toutefois aussi des influences théoriques fondamentales venant de figures moins misanthropes, comme Martin Buber. Les auteur·ice·s observent que le groupe a la spécificité de permettre aux thématiques existentielles d'émerger de sujets du quotidien, et des exemples de pratique sont données, de groupes couvrant des thématiques très spécifiques (cancer du sein, traumatisme, ...) ou encore des supervisions de thérapeutes. Un juste hommage (en toute objectivité) est rendu aux apports théoriques et pratiques de Carl Rogers. Une autre partie couvre le développement des thérapies existentialistes dans différentes régions du monde, avec par exemple la spécificité de la Russie et plus généralement du bloc Est de la guerre froide (l'existentialisme a connu un essor explosif mais très récent par exemple en Lithuanie) où la dictature stalinienne a longtemps empêché de façon autoritaire (pléonasme) tout espace pour ces réflexions, bien que le travail de certains auteurs russes (en particulier Tolstoi, Dostoievski, Bakhtin, Rubinstein et Mamardashvili) nourrisse les questionnements existentialistes. La France, de son côté, s'est plus illustrée par la théorie (Sartre, Derrida) que par la pratique.

 Entre le volume, la densité, la quantité de références, et l'énergie communicatrice des auteur·ice·s (ça a d'ailleurs été l'occasion pour moi de découvrir qu'Emmy Van Deurzen avait une chaîne YouTube), il y a donc largement de quoi s'occuper, que ce soit pour découvrir ou aller (beaucoup) plus loin.