dimanche 30 décembre 2012

Donnez-moi un P! Donnez-moi un T! Projet tutoré! Projet tutoré!

  
 Comme indiqué il y a 10 jours, il faut prévoir cette année de rendre un projet tutoré (deux pour ceux qui font l'année scolaire sur un an) très très vite... Je vais donc devoir me mettre urgemment à la psychologie du développement (évolution du psychisme et des compétences de l'enfant), et plus spécifiquement à son approche des interactions mère-enfant (le thème n'est pas original -ce sera probablement de loin le plus choisi, d'autant que c'est celui qui semble le plus lié à la psychologie clinique- mais ma façon de le choisir l'est, puisque dans ma grande inspiration j'ai fait ma sélection de thème avec random.org). Les prochaine fiches de lecture vont donc porter sur ce thème et pour la plupart venir de la bibliographie conseillée par l'enseignante (et, je l'espère, se succéder rapidement, d'ailleurs qu'est-ce que je fais à raconter ma vie ici au lieu de lire pour trouver un sujet?).

dimanche 23 décembre 2012

Le plaisir de vivre, d'Anne Ancelin Schützenberger

 Titre pas original ni contrariant, joli dessin de Noël sur la couverture (intitulé La lecture de Grand-Maman )... ça sentirait pas un peu la guimauve? Oui, mais sur la couverture il y a aussi le nom de l'autrice, Anne Ancelin Schützenberger, Mme Psychogénéalogie, Mme Psychodrame, qui a fait une partie de son analyse didactique avec Dolto et travaillé avec des élèves directs de Kurt Lewin, qui nous écrit du haut de ses 90 ans, alors le moins qu'on puisse dire c'est qu'on ne risque pas grand chose à aller plus loin.

 Et, si l'agréable et magnifique avant propos constitue un éloge des petits (et pourquoi pas des grands) plaisirs du quotidien ("ce plaisir de vivre améliore la situation quelle qu'elle soit"), même (presque surtout) à un âge avancé ("les petits rien de la vie sont la terre de l'existence. Quatre plaisir par jour, tous les jours, redonnent du sel à la vie"), ce livre à l'argumentation (la narration?) étrangement articulée nous guidera vers une façon d'exister qui limite les effets du cancer (le vrai cancer qui se soigne avec des chimios, pas le cancer métaphorique qui désigne tout truc d'abord insidieux qui pourrit l'existence de façon de plus en plus inéluctable). Et le mot de la fin ("Pour guérir, il faut vouloir guérir. Pour vouloir guérir, il faut avoir envie de vivre. On a d'autant plus envie de vivre qu'on a réellement affronté la mort, qu'on s'est découvert soi-même, ses possibilités et sa voie.") fait tout de suite moins guimauve que la couverture.

  L'avant-propos est suivi par un développement sur le concept de sérendipité avec des exemples vécus, un récapitulatif des recherches effectuées, un résumé du conte Les trois Princes de Serendip, ... La sérendipité est une réceptivité aux coïncidences heureuses et décisives. Les Princes de Serendip ont en effet une vie remplie de ce genre d'évènements, qui permet si mes souvenirs sont bons (oui là maintenant j'ai la flemme de relire) de sauver le monde, entre autres, dont, comme il se doit, une princesse. En même temps ils trichent un peu, non seulement ce sont des princes mais ce sont aussi des personnages principaux de conte (et en plus ils sont trois, ce qui a tendance à être bien vu dans les contes, mais ça c'est compliqué à expliquer à son·a conjoint·e). Qu'est-ce que ça fait entre un avant-propos et un récit autobiographique? La conclusion est que si seul le hasard peut initier les coïncidences, on ne peut en bénéficier que si on sait les saisir. Cette conclusion est une grille de lecture qui explique l'intérêt du parcours de vie raconté ensuite.

 Histoire et géographie ont en effet pas mal promené Anne Ancelin Schützenberger. Départ aux Etats-Unis (où elle découvrira plus tard la psychologie sociale qui ne s'appelle pas encore comme ça mais surtout le psychodrame) annulé par trois fois (dont une par la seconde guerre mondiale)... mais si elle était partie plus tôt, ses aller-retour entre Europe et Amérique alors que la psychologie cherche à se définir auraient-ils été si décisifs? Mari rencontré à une soirée entre étudiant·e·s où elle se sentait obligée d'aller et voulait ne faire que passer... parce qu'elle avait un rendez-vous galant programmé ce soir là (il a dû passer une bonne soirée, lui!). Contacts avec des universitaires influents indirectement obtenus grâce aux réseaux constitués en tant que résistante puis bénévole. Recherche financée par un chercheur rencontré à une journée de conférences... où elle était de passage un quart d'heure avant de prendre l'avion. Rencontre avec Moreno (créateur du psychodrame) qui a mal démarré (une amie, estimant qu'il était indispensable qu'elle le rencontre, la "kidnappe" et lui fait faire dix-huit heures de voiture au prétexte d'une petite course, ce qui n'empêche pas l'intéressée d'estimer encore aujourd'hui "j'ai horreur des surprises, des cadeaux, et de ce que l'on fait pour moi sans me prévenir ni me demander mon accord") et s'est mal terminée (une conférence de très grande ampleur sur le psychodrame, initialement organisée en Hongrie, a dû être déplacée en panique en Autriche... sauf que rien en Autriche n'a été financé, et Moreno fait le sourd quand les organisateurs frappent à la porte de sa chambre d'hôtel en disant qu'ils doivent tout annuler si personne ne passe à la caisse... Schützenberger, dos au mur, dépense sa propre épargne et s'endette, ce qui lui vaut... la rancœur de Moreno qui ne lui reparlera que sur son lit de mort -cet épisode n'y sera pas évoqué-). En fait de chercheuse, Anne Ancelin Schützenberger ne serait qu'une plume ballotée par le vent, qui n'a rien trouvé mais qui a été trouvée par ses découvertes? Oui mais... si elle avait renoncé à son voyage aux Etats-Unis après trois coups du sort? Si elle n'avait pas relevé le challenge quasi imposé d'organiser des conférences sur le psychodrame en Europe (elle reçoit une plaquette présentant la conférence... et découvre qu'elle y est désignée organisatrice!)? Si les conditions matérielles difficiles de l'après-guerre l'avaient conduite à sécuriser carrière et salaire (elle travaillait au départ dans le droit des assurances) plutôt que de reprendre des études, au détriment du niveau de vie de son jeune couple? Le tout est raconté dans un style très simple (une feinte? "Les gens sont très gentils, quand on est plein de bonne volonté mais un peu stupide, ils vous aident beaucoup. Alors que si on est intelligent, ils ont peur de vous. Ainsi je dis : je ne comprends pas... Et ils expliquent. Ils rentrent dans les détails.") qui rappelle Candide sans l'ironie. La simplicité sera d'ailleurs un élément important dans son approche de la thérapie du cancer ("tout le monde se méfie toujours des choses simples, gratuites et pleines de bon sens").

 Marquée par la mort de sa cousine d'un cancer duquel tout était réuni pour qu'elle survive ("bonne chimiothérapie", "opération réussie" "à Paris par les princes de la cancérologie", elle-même "médecin", "directrice d'un centre de recherche médicale", "mère de famille, grand-mère, sportive, très épanouie, l'image de la joie, de la bonne humeur"), elle s'est intéressée aux travaux de chercheur·se·s (en particulier Carl Simonton et son épouse Stephanie Matthews) qui se demandaient ce qui différenciait ceux·elles qui survivaient de cancers réputés incurables des autres patient·e·s. Le développement qui suit, l'essentiel du livre à mon avis, convoque d'autres chercheur·se·s et l'expérience clinique personnelle d'Anne Ancelin Schützenberger. L'essentiel consiste à développer un projet de vie ("ceux qui étaient soignés dans des hôpitaux parlaient de survivre, alors que ceux qui utilisaient la méthode Simonton en plus parlaient de vivre")... et à savoir être égoïste! D'une part prendre conscience des bénéfices secondaires de la maladie (le·a patient·e a-t-iel une raison de vouloir mourir?), ce à quoi la psychogénéalogie aide considérablement (loyauté invisible, script de vie inconscient, ...). D'autre part, parler de ses souffrances quand le besoin s'en fait sentir (tant pis pour l'autre s'iel n'est pas disponible pour accueillir cette douleur) et élaborer des projets, ce qui va d'être acteur·ice du projet de soin ou prévoir de réaliser un rêve (perdu pour perdu, une patiente au stade terminal a quitté l'hôpital pour faire le tour du monde qu'elle avait toujours voulu faire... et a miraculeusement guéri) à se ménager des moments de plaisir chaque jour (écouter de la musique, manger un carreau de chocolat...), même si les circonstances ne semblent pas s'y prêter (les moments de plaisir se voient... prescrits par l'équipe soignante -"on les "oblige" donc à faire des choses agréables"-). En plus de ça, la méditation plusieurs fois par jour est capitale, pour se représenter les mauvaises cellules redevenir bonnes mais aussi mieux supporter la douleur ("quand on est trop angoissé ou quand on a mal, on ne peut plus consacrer ses forces à guérir").

  Toutefois, Anne Ancelin Schützenberger prend bien soin de préciser ce qu'elle ne dit pas ("Ne me faites pas dire qu'il suffit de changer de manière de penser et de vivre, de manger, de renverser la vapeur pour sauver tous les malades. Je ne le dis pas, et ne le pense pas"). Et, point essentiellissime, il est précisé que cette méthode (ces méthodes) ne dispensent pas d'un traitement médical conventionnel ("cette méthode est une méthode adjuvante de la médecine classique"), même si la méditation est infiniment plus sexy que la chimiothérapie. Non parce que je vous entends d'ici, dire qu'avec Isabelle Filliozat je suis tellement énervé qu'on m'entend crier à travers l'ordinateur (et encore je n'ai pas lu le livre où elle parle expressément de psychosomatique) alors que là je suis béat d'admiration:p Ma première réaction à toute explication psychologisante du cancer est d'ailleurs la défiance, car cette explication est à la fois trop commode et insupportable par ce qu'elle sous-entend (n'auraient de cancer que ceux·elles qui le veulent bien). De formation scientifique, Schützenberger cite quelques études avec des chiffres en plus de ses cas cliniques. Mais, bien qu'elle relève qu'un chercheur... ayant voulu démontrer le contraire a validé scientifiquement les bienfaits de cette méthode (et que les cas cliniques présentés pour des raisons pédagogiques donnent une impression de quasi-infaillibilité), elle reste très humble sur son évaluation des guérisons effectives ("on peut passer de 46 à 49% de guérison à un peu plus, mettons 50 à 51%"), ce qui ne l'empêche pas de parler, quelle que soit l'issue, d'une grande amélioration de la qualité de vie ("il s'agit de rendre au malade la paix de l'âme et du cœur et de lui permettre de vivre pleinement ce qu'il vit, et souvent alors la stabilisation, la guérison, arrive de surcroit").

 Vous l'aurez compris, c'est un livre que je recommande, qu'on se destine à être soignant·e ou pas et, bien entendu, même si on est en bonne santé! Facile à lire, il peut aussi s'offrir à quelqu'un qui n'y connaît rien en psychologie.

jeudi 20 décembre 2012

Guide de l'étudiant, millésime 2012-2013


 Retardée par une grève des enseignant·e·s, puis par le succès de ladite grève (ben oui, les revendications c'était entre autres l'élaboration d'un projet pédagogique), le début de cette année scolaire se sera fait attendre... On attendait le guide de l'étudiant avec le Beaujolais nouveau (grosso modo date de la fin de la grève), on l'aura finalement eu au pied du sapin (et, intention délicate, la veille de la fin du monde, comme quoi si l'équipe enseignante est superstitieuse elle est vraiment super impliquée dans son travail!).

Je pourrais dire en septembre (non, pas en juin, faut pas rêver!) si ça valait la peine d'attendre, si l'année aura été gouleyante ou bouchonnée, moelleuse et fruitée ou âpre et tannique. Elle sera de toutes façons agitée : non pas un mais deux projets tutorés à rendre (respectivement psychologie du développement et psychologie sociale), et 100 heures de stage, en plus des matières enseignées plus conventionnellement (= lecture des PUFs ou des pdf jusqu'à la migraine puis devoir sur table qui portait juste sur ce qu'on a pas retenu), même pour les paresseux·ses comme moi qui font ça sur deux ans ça occupe (et la bonne nouvelle, c'est que pour le projet tutoré de psy du développement, la 2ème session se termine le 15 mai, soit avant la 1ère session d'exams, alors que le projet tutoré demande à priori plus de temps).

 Le stage est l'occasion d'être enfin sur le terrain plutôt que dans les livres (et de profiter des largesses du droit du travail français en posant un DIF), mais pas évident évident à trouver... Si on choisit de faire son stage en psy clinique, il faut que le référent (= la gentille personne qui accepte d'avoir un·e étudiant·e dans les pattes alors que son travail est déjà assez compliqué comme ça) soit impérativement psychologue clinicien·ne (certes si iel est informaticien·ne ou footballeur·se l'intérêt est limité, mais un·e psychiatre? Non?), qu'il n'exerce pas en libéral (le psy qui dit "72 Euros" dans Bref est éliminé aussi) et qu'iel ne soit pas enseignant·e ou chercheur·se à Paris 8, ni qu'iel travaille dans une structure qui emploie des enseignant·e·s ou chercheur·se·s de Paris 8 (donc ceux·elles qui voulaient faire un stage au centre Georges Devereux pour leur approche originale de la clinique peuvent se mettre ce stage dans les narines, il fallait être étudiant·e ailleurs).

 Bon, c'est pas tout ça, mais c'est parti pour de nouvelles aventures (avec, très probablement, de nouvelles fiches de lecture monothème, projet tutoré oblige). Au programme ce soir : Attention, perception, mémoire

mardi 11 décembre 2012

Cléomène le roi fou, de Georges Devereux



  Comme l'éditeur ne l'indique pas sur la couverture, ce livre a été écrit à plusieurs mains. Ce travail que Georges Devereux n'a pu achever à cause d'un empêchement (son décès) n'existait au départ que sous la forme de notes trop éparses pour être publiées telles quelles, mais, selon l'éditeur, trop intéressantes pour ne pas être publiées. Le fait de parfois lire (ça fait bizarre!) "selon Devereux" alors qu'on est justement en train de lire Devereux ne vient donc pas d'une lubie de l'auteur qui, comme César, De Gaulle ou Napoléon, déciderait de parler de lui à la 3ème personne, mais du fait qu'un travail de recherche inachevé ait été complété et mis en page le plus honnêtement possible par des troisièmes personnes (le fait que les noms grecs soient en "latin franchisé" ou encore qu'il ne soit stipulé à aucun moment que Mélanie Klein ne comprend rien à rien sont d'autres indices qu'il ne s'agit pas d'un texte intégral de Georges Devereux).

  Alors que, dans Tragédies et poésie grecques, Devereux utilise les outils conceptuels de l'ethnopsychiatrie pour éclairer et enrichir la littérature de l'Antiquité grecque, son travail est cette fois-ci directement un travail d'histoire où il s'attache à démontrer que le roi spartiate Cléomène (demi-frère de Léonidas, rendu célèbre au cinéma en particulier par un superbe front-kick balancé en hurlant, dans le Grec ancien le plus parfait -qui s'avère ressembler plus qu'on ne le croit à l'anglais US-, "This-is-Spartaaaa!" devant un fond vert sous la caméra de Zack Snyder, qui par ailleurs lui succèdera) souffrait de schizophrénie paranoïde (Cléomène, pas Léonidas), ce qui explique divers épisodes de sa biographie.

 Les ennuis de Cléomène commencent avant sa naissance, alors que son futur père et actuel roi de Sparte, Anaxandride, et son épouse, persistent à ne pas avoir d'enfants, inconvénient majeur pour assurer une descendance, ce qui est généralement mal vu pour un roi. Une loi est donc votée pour l'autoriser à avoir une seconde épouse ("il fut le seul Spartiate à avoir eu deux épouses et à avoir habité simultanément deux maisons"), ladite seconde épouse se trouvant être un peu imposée par le clan achéen, ce qui ennuie Anaxandride qui d'une part aimait sincèrement sa première épouse, d'autre part est Agide (clan rival des Achéens). Une fois Cléomène né de cette seconde union (ça, c'est fait), Anaxandride retourne faire ce qu'il a à faire avec sa première épouse qui par ailleurs deviendra très rapidement enceinte (il paraît que les gynécologues-psychosomaticiens, dont j'ignorais jusqu'ici tout de l'existence, bénéficient de l'appui de recherches sérieuses et solides pour confirmer que la "disparition" de la stérilité dans de telles circonstances est possible), d'abord d'un fils qu'Anaxandride appellera Dorieus (le Dorien) pour faire chier la belle-famille signifier son hostilité aux Achéens, puis de deux autres fils, à priori jumeaux, Léonidas et Cléombrotos.

 La seule joie que la naissance de Cléomène procurera à son père sera donc celle de pouvoir le délaisser, et sa mère avec lui ("la naissance de Cléomène semble avoir mis fin à la vie affective et sexuelle de sa mère"), ce qui n'augure pas de la vie de famille la plus épanouissante (la grande affection de Cléomène, plus tard, pour sa fille Gorgos, est par ailleurs interprétée comme pouvant permettre une substitution à l'affection paternelle dont Cléomène lui-même a été privé). La naissance de Dorieus, à peine plus jeune que lui, en plus de le priver d'affection, risquait de le priver de pouvoir ("Cléomène dut très tôt comprendre que l'échec de la vie sentimentale de sa mère mettrait en danger ses chances d'accéder au trône"), il a donc dû grandir en se préoccupant d'éviter qu'une nouvelle loi ne le prive de son droit d'aînesse ("si Dorieus espérait pouvoir succéder à son père, c'est qu'il devait lui sembler possible d'annuler rétroactivement la loi qui avait obligé Anaxandride à épouser une seconde femme").

  Les manifestations de schizophrénie paranoïde latente sont ensuite examinées dans la vie de Cléomène adulte et roi. Si elles ne sont pas toujours flagrantes dans la mesure où son exercice du pouvoir constituait précisément une défense ("s'il se maintient longtemps sans qu'éclate sa folie, cela était dû à son pouvoir royal, qui lui permettait de plier la réalité à sa volonté","tant que Cléomène dirigeait les autres et tant que son échec n'apparaissait pas trop manifestement, il disposait d'une soupape de sûreté qui lui permettait de projeter ses conflits latents vers l'extérieur"), quelques unes restent observables même à travers des sources vieilles de 2500 ans. Le fait que l'exercice du pouvoir constitue une défense est d'ailleurs une manifestation en soi : Cléomène ne se sent exister qu'à travers son pouvoir. A l'inverse de Louis XIV qui, par la maxime "l'Etat c'est moi", exprime le fait qui celui qui insulte le monarque a pour objectif d'insulter la nation, il estime que toute contrariété dans les affaires gouvernementales (revers politique, contestation, …) est une insulte personnelle, ce qui est contraire à la tradition du règne spartiate ("la conception cléoménicienne de la royauté et de l'Etat était complètement incompatible avec la nature de la royauté spartiate"). Ses décisions politiques, suivant un modèle obsolète ("les agissements de Cléomène apparaissent comme des échos du programme politique que Chilon, parent de sa mère, poursuivait vers 550") de façon bornée sont également conformes à la schizophrénie paranoïde ("ils deviennent esclaves du système qu'ils ont construit ou adopté, d'où l'appellation ancienne de délire systématisé. Le comportement du paranoïde apparaît incohérent, obligé qu'il est par son système à réagir à une situation de type A comme s'il s'agissait d'une situation de type B","ce que l'historien évalue comme une politique anachronique et inadaptée au contexte socio-politique apparaît pour le psychiatre comme l'expression d'un véritable "passage à l'acte" "). Echo direct à son traumatisme initial personnel, il écarte du pouvoir son rival Démarate en contestant la légitimité de sa filiation, argument qu'il avait dû utiliser par le passé à la fois pour écarter son demi-frère du trône et pour affirmer son identité même (affirmation d'une filiation dont son propre père ne voulait pas).

Pour comprendre en quoi certains de ses traits de caractères sont pathologiques, il convient également de les observer à la lumière de la culture spartiate. Ainsi, à l'occasion de négociations, il apprend par les Scythes à boire le vin sans le couper d'eau et surtout, semble-t-il, prend l'habitude de boire régulièrement. Alors que dans de nombreuses cultures à travers le globe et le temps la consommation d'alcool est associée à une virilité guerrière, à Sparte "une telle attitude était considérée comme un défaut grave et même comme déshonorant dans une société qui voyait dans l'ivrognerie une vulgarité digne d'un Hilote" (oui, les Spartiates étaient racistes et utilisaient les Hilotes comme esclaves, et d'ailleurs parfois les forçaient "à s'enivrer puis les exhibaient devant les jeunes de la cité afin de leur enseigner la sobriété"). De même, si l'humour, au même titre que le maniement des armes, était important à Sparte à fortiori pour l'utiliser contre l'ennemi (bien que le film 300 évoqué plus haut prenne sans doutes de très très très... très grandes libertés avec la réalité historique, Léonidas répondant "Eh bien on se battra dans le noir" à la menace de Xerxes de faire tirer tellement de flèches qu'elles masqueront le soleil est cohérent avec ce qui est connu de la culture spartiate), celui de Cléomène, pourtant semble-t-il efficace (il faudra que je lui pique "J'ai oublié le début de ton discours, ce qui m'empêche d'en comprendre le milieu et je suis en désaccord avec ses conclusions") est fondamentalement différent. Il "ne recèle la moindre bonhomie, ni la moindre trace de cette dignité tranquille dont les Spartiates aimaient à se donner au moins les apparences. Ses répliques, boutades ou prétentions s'expriment sans la moindre trace d'humour et sans bonhomie aucune. Ils n'expriment que tension, nervosité, méfiance et mépris ; en un mot, une agressivité gratuite" (en droite ligne avec son agressivité politique, ne reculant pas devant la trahison ou le parjure pour l'emporter sur ses ennemis, même lorsqu'il s'agit de tuer des soldats déjà désarmés).

 Tous ces exemples sont toutefois au service d'un diagnostic qui sera surtout conforté par le suicide de Cléomène. Exilé de Sparte suite à son utilisation inconséquente du pouvoir, puis accepté à nouveau surtout pour éviter qu'il ne soit à l'origine d'un dangereux complot anti-spartiate avec une autre armée, son comportement, loin d'exprimer la rédemption ("il frappait les Spartiates qu'il rencontrait"), conduit à son arrestation. Isolé avec un garde hoplite, il lui demande un couteau (le garde refuse d'abord, mais l'argument que si il osait désobéir il allait voir ce qu'il allait voir quand Cléomène serait libéré non mais oh il sait à qui il parle finit par porter) puis, le couteau obtenu, se lacère violemment, en remontant des cuisses au ventre jusqu'à déchirer les entrailles elles-mêmes. Les versions alternatives proposées par d'autres historiens (assassinat par commodité puis mise en scène, torture, ...) sont une à une réfutées (la torture était rare et ne concernait pas les personnes de haut rang, les Spartiates habitués à la vue des cadavres auraient immédiatement identifié des coups de couteau portés post-mortem, mise en scène de la folie improbable du fait que ce type de suicide n'était pas considéré connu, …) : selon Georges Devereux, privé de la principale défense contre sa folie, Cléomène y a succombé.

 Comme dans Tragédie et poésie grecques, Devereux se livre à un exercice d'ethnopsychiatrie en ajoutant la difficulté de la distance temporelle à celle de la distance géographique. La démonstration est convaincante, mais reste difficile à juger quand le manque de connaissances historiques contraint à le croire sur parole.

dimanche 2 décembre 2012

Sauve toi, la vie t'appelle, de Boris Cyrulnik



  Ce livre est présenté par l'éditeur comme l'autobiographie de Boris Cyrulnik ("les mémoires de Boris Cyrulnik", dit ce bandeau  de l'éditeur autour du livre qui a pour fonction de dire "ne vous prenez pas la tête à le feuilleter c'est une valeur sûre, vous pouvez directement passer à la caisse", pendant que le quatrième de couverture indique que l'auteur "nous raconte pour la première fois en détail" cette "histoire bouleversante") mais, plutôt qu'une vignette clinique géante ou une auto-étude de cas par celui qui est probablement l'expert contemporain de la résilience le plus médiatique, la partie narrative du livre est plutôt mise au service d'un essai sur le récit en général, sa construction et son intérêt.

  Bien entendu, le·a lecteur·ice qui attendait une autobiographie ne sera pas floué·e : des rares souvenirs d'avant la disparition successive de ses deux parents (il était âgé à ce moment là de deux ans et demie) à ses études en médecine réussies malgré une grande pauvreté, on connaîtra la vie de l'auteur jusqu'aux débuts de l'âge adulte, avec une insistance particulière sur l'épisode le plus marquant, son arrestation, à l'âge de 6 ans et demie, par l'armée nazie, puis son évasion alors qu'il était parqué avec d'autres dans une synagogue en attendant la déportation. Le livre comporte également des indications sur le processus de résilience : comment un attachement sécure, offert précocement par sa mère, et une forme d'anesthésie mentale, ont permis à l'enfant de supporter le danger de mort constant, la fuite dans différents foyers, le sentiment de culpabilité d'être, du fait d'être désignable par le terme "juif" dont il ne savait pas grand chose, un danger ("Si tu dis ton nom, tu mourras. Et ceux qui t'aiment mourront à cause de toi") pour ses sauveur·se·s (réaction de colère où de terreur pour certains à la vue de l'enfant) et potentiellement responsable de la mort de ses parents ("cet enchaînement de souvenirs me fait penser que, si mes parents sont morts, c'est parce que sans le faire exprès, j'ai dû donner mon adresse en parlant"), comment différentes socialisations (ami·e·s d'école ou de foyer, couple de la tante qui l'a ensuite adopté et de son conjoint, …) ont été essentielles alors que toute sensation de solitude, d'isolement (solitude dans un appartement vide, incrédulité devant ses récits, antisémitisme, bataille juridique entre son ancienne tutrice et sa tante pour l'adoption, …) lui portait un coup terrible, comment l'enfant sur lequel le tragique paraît glisser sur le coup n'est pas pour autant tiré d'affaire et comment parler comme un adulte ou un "petit vieux" à 10 ans n'est pas signe de maturité saine ("sous le coup du trauma, les enfants s'éteignent et les adultes admirent leur "maturité" ") et doit alarmer, l'expérience de l'insupportable qui a contribué à lui donner la force de faire des études difficiles ("si j'avais été équilibré, je n'aurais pas fait d'études, pas dans ces conditions en tout cas"), ...

  Toutefois, c'est de récit qu'il sera question, de plusieurs façon différentes dont, sans surprises dans une autobiographie, de récit personnel. Pour autant, Boris Cyrulnik ne se contente pas d'être un narrateur, de nous faire profiter de son récit, mais explique comment ce récit s'est constitué... car pour être en mesure de nous en faire bénéficier, sa mémoire seule n'a pas suffi ("Vous n'allez pas me croire quand je vous dirai que j'ai mis longtemps à découvrir que, lors de cette nuit impensable, j'étais âgé de 6 ans et demie. J'ai eu besoin de repères sociaux pour apprendre que l'évènement avait eu lieu le 10 janvier 1944, date de la rafle des Juifs bordelais", nous confie-t-il dès la 2ème page). La psychologie cognitive est ainsi au service de la psychologie clinique, et inversement, alors que le·a lecteur·ice est guidé·e dans les souvenirs, mais aussi dans les oublis (des personnes l'ayant hébergé pendant la guerre, ou leur famille, complètement oubliées rencontrées à l'occasion de conférences) et les faux-souvenirs. Les illustrations sont particulièrement claires et bien expliquées : le souvenir est une reconstruction ("Quand on a vu dans le réel trois pieds d'une table, on voit dans son souvenir les quatre pieds de cette table. C'est une représentation logique même si, réellement, elle tenait sur trois pieds"), on relie des éléments mémorisés les uns aux autres ("dans la mémoire de soi, la vérité des choses est partielle : on ne se rappelle presque rien des milliards de milliards d'informations qui chaque jour nous pénètrent") pour former un tout cohérent (et les interstices sont comblés avec la plus grande sincérité, on peut ainsi se souvenir de choses fausses), la mémoire est le résultat de la construction d'un récit. Retrouvant bien des années plus tard l'infirmière qui l'avait sauvé le jour de la rafle, Boris Cyrulnik évoque avec elle l'officier allemand qui ouvre la porte de l'ambulance dans laquelle il était caché, soulève le matelas sur lequel une femme mourait des suites d'un coup de crosse de fusil au ventre et sous lequel lui-même était dissimulé, donc voit l'enfant caché sous ce matelas mais laisse quand même partir l'ambulance. Oui mais... la camionnette n'était pas une ambulance, lui dit l'infirmière, et l'officier allemand n'a pas soulevé le matelas (il s'est juste assuré oralement que la blessure au ventre de la femme qui reposait dessus était bien mortelle avant de donner son accord pour le départ, pas la peine de s'embêter à déporter quelqu'un qui est déjà condamné), d'ailleurs l'enfant lui tournait le dos donc a pu l'entendre, mais pas le voir. Volonté de prêter un peu d'humanité à l'ennemi? Souvenir d'un autre Allemand en uniforme qui lui avait donné des bonbons, alors qu'il était beaucoup plus jeune, avant que sa mère ne les refuse assez vertement (avant d'expliquer "il ne faut jamais parler à un Allemand")? Echo avec celui qui, vérifiant que personne n'était caché dans les toilettes, n'a pas levé la tête, ce qui lui aurait pourtant permis de voir juste au dessus de lui ce petit Juif le dos appuyé contre une paroi, les pieds sur l'autre (et volonté d'interpréter cette étourderie comme délibérée)? Boris Cyrulnik se souvient également de la beauté de la jeune infirmière, avec ses cheveux blonds. L'infirmière aux cheveux (maintenant) blancs sourit et lui apporte une photo de l'époque, "jeune femme en uniforme d'infirmière, belle en effet, avec ses cheveux noirs, comme un corbeau". D'autres souvenirs sont pourtant très précis ("nous partageons les mêmes images, au détail près, nous nous émerveillons de la fiabilité de nos réminiscences"). Encore plus tard, lors d'une visite de cette synagogue, il est surpris que cet escalier gigantesque qu'il se souvient avoir dévalé pour courir jusqu'au camion est constitué... de trois marches ("Dans ma mémoire, je dégringole un escalier aussi grand que celui du Cuirassé Potemkine. Dans le réel, je ne vois que trois marches moussues!"). Oui, mais dans le film d'Eisenstein, un landau dévale l'escalier, condamnant à mort le bébé qui est dedans... le visionnage du film par l'adulte ou l'adolescent a fait écho au ressenti de l'enfant, le souvenir est donc d'une certaine façon exact. Alors que le rêve, selon Freud, est représentation du contenu latent par un contenu manifeste, les souvenirs sont la représentation des faits et de leur ressenti ("ils agencent des morceaux de vérité pour en faire une représentation dans notre théâtre intime").

  Un moyen d'optimiser, de réorganiser cette représentation, particulièrement vital pour une représentation aussi traumatique, est de parler, de raconter son histoire ("j'aurais voulu en parler simplement, mais était-ce possible d'en parler simplement?"). Cette opportunité a été niée à Boris Cyrulnik ("j'évoquais les événement passés, mais chaque fois que je laissais échapper une bribe de souvenir, la réaction des autres, interloqués, dubitatifs ou gourmands de malheurs, me faisait taire","Si j'avais parlé pendant la guerre, on m'aurait tué. Quand je parlais en temps de paix, on ne me croyait pas"), comme à tant d'autres enfants dans le même cas (un jeune Juif, émigré en Israël après la guerre, s'est par exemple vu affubler du doux surnom de "savon"), ou d'anciens déportés (le mariage entre ancien déportés a permis à certains de pouvoir parler, mais le poids pour l'enfant exposé au dialogue de ses parents était d'autant plus lourd). Il a donc dû se raconter sa propre histoire à lui-même, dans un univers intérieur qu'il nomme sa crypte (cf. Maria Torok et Nicolas Abraham, L'écorce et le noyau). L'explication donnée à cette hostilité (partie à mon avis la plus inattendue du livre, donc la plus personnelle alors précisément qu'elle n'est pas autobiographique) est que ces récits vont à l'encontre du récit collectif, de la résilience collective.

  L'adolescent juif dont l'émigration en Israël a été évoquée plus haut avait en effet eu l'indélicatesse d'avoir passé les années 40 en Europe. Les Juifs israëliens (palestiniens à l'époque), raconte Cyrulnik, avaient pris les armes avec succès contre les troupes arabes alliées du régime nazi, puis lors de la guerre israëlo-arabe de 1948, alors que les Juifs d'Europe occidentale, en tant que civils, avaient subi les lois antisémites et la déportation... ils se ressentaient donc comme de valeureux guerriers, et se figuraient les victimes du génocide comme de lâches moutons qui s'étaient laissés conduire à l'abattoir, ce qui explique ce surnom donné à l'époque par des Juifs, alors qu'aujourd'hui il apparaît comme l'antisémitisme le plus violent et le plus provocateur. Cette vision des choses n'est bien entendu plus d'actualité, entre autres suite au procès Eichmann. Boris Cyrulnik, lui, a été directement concerné par le récit rétrospectif de la guerre en France, la construction de sa représentation collective. La nation, traumatisée par la guerre, doit organiser sa propre résilience, ce qui implique une narration appropriée dans laquelle la culpabilité et tout ce qui s'oppose à la joie de vivre retrouvée n'a pas sa place. D'une part, chacun a souffert, donc peu nombreux sont ceux qui veulent en plus accueillir la souffrance des autres ("C'est tout !", s'est d'ailleurs exclamé spontanément Cyrulnik enfant pendant la guerre quand un résistant déplorait un mort et trois blessés graves après une bataille, avant d'entendre à son tour "Ce n'est rien tout ça... nous aussi on a souffert, on n'avait pas de beurre" après la guerre... "Arrête de te plaindre, nous aussi on a souffert, on devait tuer le cochon en cachette", s'entendaient de leur côté dire les ancien·ne·s prisonnier·ère·s de Pol Pot par leurs compatriotes), sans compter qu'il fallait une énergie positive pour prendre son courage à deux mains et reconstruire au sens propre. "Dans les familles endeuillées, on supportait mal les récits d'horreur qui gâchaient les soirées et empoisonnaient le retour de la vie", "il fallait taire l'horreur et mettre en scène le courage", "les revenants, eux aussi, se faisaient complice du silence". Le cinéma permettait une communion à plus grande échelle, et était un moyen d'encadrer les sujets de préoccupation : "nous rentrions chez nous pour discuter sans fin de nos problèmes et de nos conceptions de la société que les comédiens venaient d'incarner sur écran". Cependant, comme pour la mémoire individuelle, la mémoire collective ne peut se souvenir de tout, "les récits collectifs s'emparent d'une réalité partielle", et "ce qui est partiellement vrai devient totalement faux". La littérature, pour proposer un récit alternatif, a du user de moyens détournés. Alors qu'il a récemment fait parti des sujets du bac pour les terminales L, "Primo Levi, après avoir été refusé par plusieurs éditeurs qui lui répondent que personne ne peut s'intéresser à de telles horreurs, ne vend que sept cent exemplaires l'année de la parution du livre, en 1947" (et ce alors que, loin d'insister émotionnellement sur l'insoutenable de son vécu ou de mettre en valeur les détails les plus insupportables, Primo Levi reste factuel et cherche à comprendre et expliquer). En revanche, le journal d'Anne-Frank, récit de vie par une jeune fille d'une famille enfermée pour se cacher, qui précisément s'arrête au moment de l'inconcevable, a permis progressivement d'accepter d'écouter, de même que la littérature concentrationnaire... de fiction! L'intégration progressive de cette réalité au récit collectif, en particulier le procès Papon mais aussi, plus tôt encore, le film Shoah de Claude Lanzmann, ont contribué de façon non négligeable à la résilience personnelle de Boris Cyrulnik ("la simple évocation de génocide me suffisait, puisqu'en offrant le mot on offre une sépulture à mes parents"). La reconnaissance d'une réalité a aussi l'avantage d'être un premier pas vers sa compréhension ("comprendre pour gagner un peu de liberté", autre facteur de résilience : "pour s'en sortir, il vaut mieux comprendre que pardonner").

 Quelques éléments sont avancés pour comprendre, justement, faisant écho au livre de Philip Zimbardo aussi commenté sur ce blog (The Lucifer Effect) et contribuant à le compléter : l'utopie (car quel totalitarisme ne se met pas en scène comme une utopie?) comme point de départ du pire ("puisque nous pensons le Bien, la société parfaite, l'égalité des âmes et la pureté, les autres différents nous souillent et détruisent notre utopie","toute tentative d'aventure personnelle, comme l'art ou la psychologie, est considérée comme un blasphème", "moins on a de connaissances, plus on a de certitudes", ...), la violence et la négation de l'autre au nom d'une intention vertueuse et bienveillante ("c'est donc au nom de l'humanité qu'on a pu commettre tous les crimes contre l'humanité"), ou encore le désaccord qui n'empêche pas la complicité ("ils ont demandé à leur supérieur hiérarchique de mettre de la paille dans les wagons à bestiaux qui devaient convoyer les prisonniers jusqu'à Drancy puis à Auschwitz, ils ont protesté auprès de leur chef pour qu'on distribue quelques couvertures et quelques cartons de lait concentré aux quelques mille sept cents personnes qui s'en allaient mourir", "une telle adaptation permet de garder son poste et d'exécuter les ordres criminels sans éprouver de culpabilité") rappelant les gardes réticents aux violences de la prison expérimentale de Stanford, ...

  L'importance thérapeutique vitale de l'intégration des tragédies de l'Histoire dans les récits collectifs est, comme ce récit le montre, une donnée non négligeable dans la mesure où les reconnaissances officielles -au moment de la rédaction de cet article celle des crimes français envers les habitants de l'Algérie colonisée et leurs immigrés sur le sol hexagonal- sont des enjeux politiques majeurs (on peut d'ailleurs constater que, paradoxalement, ceux qui s'opposent de loin le plus vivement à ces reconnaissances sont ceux qui à priori sont les moins susceptibles de s'opposer aux faits qui sont reconnus), l'ouvrage constitue donc un argument de poids dans ces débats qui dépassent la thérapie dans un cadre soignant-patient : sera-t-il retenu en tant que tel ou comme l'autobiographie d'une célébrité?