jeudi 24 novembre 2016

La thérapie d'acceptation et d'engagement, guide clinique, de Benjamin Schoendorff, Jana Grand et Marie-France Bolduc



 La Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ou ACT... si si, les lettres correspondent, mais en anglais) est une méthode en cours de validation scientifique (les auteur·ice·s invitent les thérapeutes à le rappeler aux client·e·s) qui prend source dans les thérapies comportementales et cognitives, y compris la pleine conscience, et dans les thérapies humanistes (Carl Rogers est cité plusieurs fois). Les bases théoriques sont détaillées en annexe, mais la méthode est principalement dérivée de la Thérapie Basée sur l'Analyse Fonctionnelle (ou FAP), l'ensemble sera donc beaucoup plus clair pour ceux et celles qui seront familiarisé·e·s avec cette base théorique (mais le contraire n'est pas un obstacle insurmontable, sinon je n'aurais pas pu écrire ce résumé).

 L'influence des TCC est visible dans l'idée de rechercher et mesurer (ou du moins constater) des progrès spécifiques, et de proposer aux client·e·s des exercices pour avancer ("on ne peut apprendre des comportements que par la pratique"). L'apport des thérapies humanistes, en dehors du terme "client" qui remplace celui de "patient", se retrouve dans l'acceptation de la personne du ou de la client·e et de ses propos ("le thérapeute créé un climat dans lequel la personne de son client est en tout temps acceptable, telle qu'elle est", "ce qui compte est la vie ou l'expérience de votre client, pas vos opinions et vos croyances", "le thérapeute aide le client à se connecter avec ses valeurs propres sans imposer les siennes"), mais aussi dans le travail sur les émotions et la recherche d'une meilleure cohérence entre émotions, idées et actions. La pleine conscience sera précisément un outil pour prendre plus de distance avec les idées et ressentis, prendre une position d'observateur·ice, les identifier comme tels. Elle ne sera pas nécessairement pratiquée par la méditation directe (qui par ailleurs a des, certes rares, contre-indications : "l'entraînement formel aux techniques de méditation de pleine conscience pourrait être contre-indiqué aux personnes présentant une tendance à la dissociation ou une phobie aux sensations intéroceptives"), l'entraînement pourra consister, par exemple, en des exercices de tri (entre ressentis physiques, idées, perceptions, …). Il y a aussi énormément, mais alors énormément, d'analogies (la carotte et le renard, le surf, le bus, la maison, Flexi et Spiky, …), ce qui peut prendre au dépourvu voire parfois sembler infantilisant, mais en fait, les analogies, c'est officiellement bien.

 L'objet, contre-intuitif, de la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement n'est pas d'anéantir les symptômes mais de gagner en flexibilité, limiter leur impact sur le quotidien et sur le psychisme (c'est l'idée d'acceptation), avec pour finalité d'accomplir des actions (engagement) que lesdits symptômes semblaient rendre impossibles, diminuer les comportements de fuite (s'éloigner des souffrances) et amener à privilégier les comportements d'approche (agir en cohérence avec ses valeurs). Le thérapeute peut l'expliciter au client en lui donnant comme point de repère que, si l'objectif fixé est réalisable par un mort (ne plus avoir peur, ne plus souffrir, ne plus se détester, …), il n'est pas très attractif. Un exemple particulièrement concret est donné dans une vignette clinique où une cliente explique qu'elle aimerait avoir des enfants mais que, pour elle, tant qu'elle souffre de TOCs, c'est exclu. Le thérapeute l'invite à imaginer ce qu'elle ferait si elle avait des enfants, ce qui lui permet finalement de réaliser qu'elle pourrait faire plus de choses, épanouissantes pour elle, avec ses neveux et nièces avec lesquels elle ne cherchait pas jusqu'ici à être particulièrement proche. Plus simplement encore, l'acceptation des souffrances est un moyen de limiter leur impact : s'agacer de ses angoisses, par exemple, non seulement ne les fera pas disparaître, mais en plus ajoutera un affect négatif (l'agacement) à cet affect négatif.

 L'outil principal de la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement est la matrice (qui ne consiste pas à éviter des balles de pistolet au ralenti, j'étais très déçu quand j'ai compris ça) : un cercle est divisé en quatre secteurs. A gauche, tout ce qui concerne la fuite, l'éloignement des souffrances, à droite, tout ce qui concerne l'approche de ce qui est précieux. En haut, les actions ou perceptions sensorielles (respectivement de lutte et d'approche, donc), en bas ce que va recouvrir le psychisme (souffrances opposées au valeurs). Différentes méthodes d'entretien, différentes activités vont permettre au client de remplir la matrice avec le thérapeute, de placer tel ou tel ressenti, telle ou telle action, dans la matrice (sachant que certains éléments peuvent être dans une certaine proportion à la fois à gauche et à droite), et ainsi de gagner en lucidité et s'orienter vers un mode de vie qui lui convient mieux.

 L'entretien clinique lui-même est particulier : si le·a thérapeute accepte les valeurs du ou de la client·e, il s'agit tout de même d'un échange, et il peut être pertinent de partager ses émotions ("je vois que c'était difficile pour vous de parler de ça, je suis heureux·se que vous ayez partagé ça avec moi", "vous parlez très vite et dites beaucoup de choses différentes, j'ai du mal à vous suivre, est-ce que vous avez parfois l'impression de provoquer cette sensation chez vos interlocuteur·ice·s?"). Autre spécificité, si les renforcements sont très présents, leur objectif est d'optimiser ce qui fonctionne plutôt que de limiter ce qui ne fonctionne pas.  Par exemple, les affects négatifs (dévalorisation, remise en question de l'utilité de la thérapie, ...) sont explorés (à commencer, parfois, par ce qu'ils font ressentir physiquement) plutôt qu'écartés.

 Des concepts plus spécifiques sont proposés (évitement expérientiel, qui consiste pour le·a client·e à fuir tout ressenti de souffrance, se privant éventuellement de choses importantes, défusion, qui consiste à distinguer une idée de la réalité -se dire "je suis nul" est différent d'être effectivement nul-, …), ainsi que des activités (carte SIM -pour "Sensations, Intelligence, Monde"- qui consiste, sur le modèle de la méditation, à trier ce qui se passe en soi ici et maintenant, exercice du saut pour mieux percevoir le concept de lâcher prise, …) : le livre est en effet, comme son nom l'indique, un guide clinique, et permet dans un premier temps de comprendre, mais aussi pour les plus expérimenté·e·s de pratiquer, la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement. Si le style d'écriture est très clair (disons qu'on n'a pas l'impression de lire de la physique quantique ou du droit fiscal), bien que la méthode soit contre-intuitive par certains aspects, le livre, en effet, s'attarde sur les difficultés que pourra rencontrer le·a thérapeute, donc sera probablement tout aussi utile à celle ou celui qui pratique l'ACT et retrouvera dans la relecture de certains chapitres des subtilités qui lui avaient échappées avant qu'iel ne se retrouve face à un obstacle dans sa pratique. De désobligeants QCM, à la fin de chaque chapitre, rappellent par ailleurs qu'en comprendre finement le contenu dès la première lecture est plutôt ambitieux. Ce guide clinique est donc tout aussi indiqué pour les touristes que pour les voyageur·se·s plus chevronné·e·s.

mardi 8 novembre 2016

Shyness, what it is, what to do about it? de Philip Zimbardo



 Oui, l'auteur est bien LE Phillip Zimbardo, même si moi aussi ça m'a fait bizarre quand j'ai vu ce livre dans la bibliographie d'un chercheur en psychologie sociale, connu pour avoir dirigé (et arrêté) la fameuse expérience de Stanford. J'ai cru qu'il s'était perdu, ou alors qu'un de ses mémoires universitaires avait été publié par erreur, mais c'est en fait non seulement un thème qu'il a choisi, mais aussi un thème qui lui a été inspiré par l'expérience de Stanford en question, où il a pu constater de très près que, par l'effet du seul contexte, des individus s'affirmaient bien plus que de raison alors que d'autres s'appliquaient à s'affirmer le moins possible. Il a approfondi le sujet par des discussions informelles avec des étudiant·e·s, puis avec des vraies recherches.

 Le livre est scolairement divisé en deux parties, annoncées dans le titre. Ce serait mentir de dire que le·a lecteur·ice va de surprises en surprises dans la première partie, qui décrit en quoi consiste la timidité, mais il y a quand même quelques éléments intéressants, par exemple le fait que certaines célébrités (acteur·ice·s, sportif·ve·s, chanteur·se·s, avocat·e·s, …), pas vraiment connues, on s'en doute, pour leur tempérament introverti, souffrent en fait de timidité : s'affirmer devient parfois un moyen de défense, et un tempérament autoritaire ou agressif peut en fait en être le résultat. La timidité est par ailleurs décuplée dans les situations ambiguës, où le comportement à adopter n'est pas aimablement imprimé sur un script, fût-il métaphorique : l'ultraspécialisation, le fait d'être une référence dans son domaine, est donc aussi une forme de défense efficace. Une expérience intéressante est rapportée pour mesurer l'impact de savoir ou non ce qu'on a à faire : des groupes d'étudiants, hommes, divisés entre timides et non timides, devaient écouter une conférencière (bien charmante, Zimbardo le répète à de nombreuses reprises), seuls, sous le regard des chercheur·se·s, puis étaient testés sur ce qu'ils avaient retenu (pour évaluer à quel point la situation les avait déconcentrés). Dans un cas, ils étaient encouragés à poser des questions après la conférence, dans un autre ils ne devaient pas parler à la conférencière, et dans un troisième ils la voyaient sur un écran de télé. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, les étudiants timides étaient bien plus perturbés dans le troisième cas, où étant seuls dans la pièce ils étaient très préoccupés par leur situation d'observé, que dans la première où ils avaient quelque chose de précis à faire. Cet aspect fait de la timidité une prophétie autoréalisatrice : en société, la personne timide va avoir plus de mal à se comporter de façon adéquate car plus angoissée, donc va effectivement se comporter publiquement de façon moins adéquate et appréhender encore plus la fois suivante.

 L'auteur rappelle par ailleurs que le degré de timidité peut être très variable, de la gène qui finit par passer dans certaines situations spécifiques à la phobie sociale qui empêche de sortir de chez soi. Bon, il parle aussi de la violence que la timidité peut causer, mais disons que faire une liste de faits-divers où le·a meurtrier·ère était connu·e pour être timide/discret·ète n'est peut-être pas la méthodologie la plus fiable pour tirer des conclusions, même si ça peut permettre de faire une anthologie intéressante (j'attends avec impatience le chapitre qui expliquera que les propriétaires de hamster ou les joueur·se·s de curling sont des meurtrier·ère·s en puissance, et ne parlons même pas des gens qui viennent de manger des spaghetti).

 La deuxième partie, comme promis dans le titre, est un mode d'emploi pour se débarrasser de la timidité, que ce soit en renforçant son estime de soi, en optimisant ses relations sociales, … Il y a également un chapitre, qui intéressera plutôt les enseignant·e·s, pour aider les autres à surmonter la timidité. La méthode n'est pas originale ni sexy mais, on ne pourra pas dire le contraire, c'est une méthode. Point de paroles de sagesses qui ambitionnent de déclencher une illumination, mais un questionnaire d'auto-diagnostic suivi d'un programme très spécifique : c'est probablement efficace, mais il faut s'y mettre (le questionnaire d'auto-diagnostic est d'ailleurs aussi là pour mesurer les progrès). Se fixer des objectifs progressifs et accessibles, tenir un journal pour comparer nos appréhensions et ce qui s'est effectivement passé, faire un planning pour s'assurer qu'on a effectivement fait les exercices dans un temps donné plutôt que de prévoir de les faire plus tard (c'est dommage, je suis particulièrement fan de cette dernière option), exercices qui vont consister à prendre l'habitude de complimenter et recevoir des compliments, engager la conversation avec des inconnu·e·s ou alors s'adresser des compliments valorisants après avoir pris le temps de se mettre en état de relaxation, .... Un mode d'emploi est également fourni pour avoir (dans l'idéal engager) une conversation détendue dans différentes situations (sachant que les lieux qui servent implicitement à draguer sont en fait le pire endroit pour ce faire, puisque la conversation aura un enjeu, ou sera supposée en avoir un, enjeu qui pour ne rien arranger suppose une évaluation sévère -ah, et tant qu'on est sur un sujet voisin : pour draguer, la rue est le pire endroit - ), mais aussi pour gérer les situations sociales épineuses, comme la séduction justement (l'auteur précise à toute fin utile que quand on dit "non", rien n'impose de se justifier), ou encore engueuler son prochain exprimer son mécontentement (la méthode DESC, pour Décrire -dire ce qui ne va pas-, Exprimer -préciser que la situation nous ennuie-, Spécifier -proposer une solution-, Conséquences -dire ce qu'on fera de gentil si la solution proposée est adoptée-, à ne pas confondre avec la méthode SILENCE qui sert à ne pas contrarier quelqu'un qui a eu sans s'en rendre compte un comportement raciste).

 Les conseils proposés rappellent très très fortement les thérapies comportementales et cognitives, et ont sans doutes été dépassés depuis vu que le livre date de 1977 (comme Star Wars) et que ces thérapies, qui sont particulièrement adaptées contre les phobies sociales, ont tendance à évoluer rapidement (en bien, contrairement à Star Wars). Et, oui, c'est pas la peine de me regarder comme ça, j'aurais pu y penser avant de commander le livre. Reste qu'il est bien pratique, qu'il est parfaitement compréhensible et que, à mon avis, les conseils fonctionnent, même si les appliquer demandera du temps et de l'énergie et que le livre est donc plutôt à recommander à des lecteur·ice·s qui veulent s'attaquer fermement au problème (et, accessoirement, des lecteur·ice·s anglophones, sinon ça va être bien plus compliqué que nécessaire).