Si elle est désignée
comme l'autrice du livre, il s'agit en fait d'une sorte de très
longue interview de Françoise Dolto pour éclairer sa conception de
l'enfance. Elle est interrogée sur des sujets aussi variés que son
propre parcours, le statut de l'enfant à travers l'Histoire, la
Maison Verte qu'elle a fondée, le système scolaire, … Si son
interlocuteur·ice reste anonyme (probablement parce qu'iel est plusieurs),
s'autobaptisant "les passages en italique", ça ne l'empêche pas
d'être parfois passablement relou, par exemple en se vautrant dans
des clichés ("la phrase la plus entendue ces dernières années,
dite par des adolescents et des moins adolescents, c'est "nous
n'avons pas demandé à naître" "), en jouant avec
complaisance à distribuer des points en expliquant que personne ne
fait ce qu'il faudrait pour les enfants, même voire surtout ceux qui
veulent leur bien (les associations humanitaires, par exemple, osent
ne pas régler tout les problèmes... c'est vrai que publier un livre
d'entretiens avec Dolto, ça, ça va révolutionner radicalement et
durablement la vie des enfants du monde entier) ou en caricaturant
quand ça lui plaît ("l'éthologie, qui étudie le
comportement des diverses espèces animales, a mis au premier plan de
l'apprentissage des petits le phénomènes d'attachement aux
nourriciers. Les psychologues de s'emparer de cette observations et
de déclarer : "Cela doit exister chez les êtres
humains, puisque ça existe chez les animaux" "... "les
psychologues" n'ont pas "déclaré" mais ont
fait des recherches conséquentes et intelligentes, mais bon quelle
importance, c'est plus sexy d'imaginer Mary Ainsworth regarder des
canaris et en tirer des conclusions sur le psychisme de l'enfant). Lespassagesenitalique se fait toutefois discret·ète l'essentiel du
temps.
Ça peut paraître
contradictoire dans un livre avec un tel titre, mais la volonté de
Françoise Dolto est, autant que possible, de ne pas voir les enfants
considérés comme des êtres à part ("moi, je ne savais pas
que j'aimais les enfants... j'aimais les humains, voilà tout ").
L'adulte doit traiter l'enfant comme lui-même voudrait être traité,
que ce soit dans le domaine du respect des désirs, de
l'apprentissage de la morale... l'enfant est un être humain
responsable au même titre que l'adulte, avec des compétences
motrices et cognitives moindres. Contrairement à ce qu'on peut
parfois entendre sur Françoise Dolto, elle ne recommande pas à
l'adulte d'être aux ordres de l'enfant, il n'y a pas la moindre
ambiguïté là-dessus : avoir ses moindres désirs satisfaits
n'est pas décrit comme quelque chose d'enviable ("si le désir
est toujours satisfait, c'est la mort du désir"), le respect
des règles doit être enseigné (les enfants accueillis à la Maison
Verte sont d'ailleurs informés d'office du règlement), même si ce
respect ne concerne que les règles qui ont un sens (par exemple,
"tout interdit, pour un enfant, n'a de sens que si l'interdit
est le même pour les parents"), la participation aux corvées
doit être encouragée ("ce serait valorisant") et,
surtout, il importe que les parents continuent de vivre leur vie
d'adultes, d'avoir des centres d'intérêt d'adultes, tout en élevant
leurs enfants ("on se créé la fausse obligation de sacrifier
la vie du couple (sacrifice inutile, comme la plupart des
sacrifices)").
Françoise Dolto s'en
prend par exemple longuement au système scolaire, qui selon elle
enseigne surtout à se plier aux désirs de l'adulte ("le bon
élève, en fait, c'est celui qui accepte que l'adulte l'ait coupé
de ses racines et forcé à l'imiter"). Elle déplore que le
programme soit imposé à l'enfant qu'il le veuille ou non, et
surtout sans qu'il ait son mot à dire sur le rythme (elle propose
par exemple une séparation plus nette entre les matières, pour
qu'un enfant de 8 ans puisse par exemple avoir un niveau CM2 en
maths, et un niveau CP en géographie, sans que cela ne pose de
problèmes ni à l'enfant ni à l'institution - "c'est le
rythme de chacun qui devrait compter et non pas l'âge civil").
Le programme imposé tendrait également à anéantir la curiosité
de l'élève, richesse qu'il faudrait au contraire exploiter. La
satisfaction des élèves qui ont bénéficié des pédagogies de
type Freinet et Montessori lui donnent raison, mais ces noms ne sont
évoqués qu'en coup de vent par Lespassagesenitalique, qui
préfère disqualifier dans la mesure du possible ce qui ne vient pas
de Dolto.
Le respect implique le
dialogue, et le dialogue, sous des formes différentes, est très
largement au centre de l'ouvrage. Si la période où les internes de
l'hôpital prenaient l'externe Françoise Dolto pour une folle parce
qu'elle parlait aux bébés (dans une anecdote qu'elle rapporte, le
bébé en question avait quand même 18 mois!), ce qui ne l'empêche
pas d'avoir un jugement très tranché sur le parler-bébé ("c'est
de la non-communication"), elle juge qu'on sous-estime encore
énormément la capacité de compréhension des enfants, y compris de
réalités difficiles. Elle insiste ainsi beaucoup sur
l'importance de parler aux enfants de leur identité, de leur
origine. L'enfant est élevé par une mère célibataire? Il faut lui
expliquer que même s'il ne l'a jamais vu il a un père, que sa mère
a aimé (ou pas), mais qu'ils se sont séparés. De même si l'enfant
a été adopté : ses parents ont probablement été contraints
de l'abandonner car ils n'avaient pas les ressources pour s'occuper
de lui, mais ses parents adoptifs étaient ravis de le recueillir. La
mère désirait un enfant de l'autre sexe? Il faut lui pardonner ses
réactions de déception et surtout se rassurer : un enfant
n'est pas un projet d'enfant, et le désir non assouvi d'une fille ou
d'un garçon n'empêchera pas d'aimer l'enfant réel. Lorsqu'elle
parle longuement de la Maison Verte (qui a pour vocation d'être un
espace de transition entre la famille et les lieux de garde
institutionnels -crèche, école, ...-) et de son fonctionnement qui a
pris de nombreuses personnes au dépourvu (mères s'indignant de
devoir rester avec leur enfant, de ne même pas pouvoir s'absenter 5
minutes, alors qu'elle espéraient une garderie, professionnels de la
petite enfance surpris qu'un médecin psychanalyste soit là, mais ni
en tant que médecin ni en tant que psychanalyste ou encore qu'il n'y
ait pas d'activités programmées - "être avec les humains, ce
n'est pas faire. Il faut faire ! Est-ce le jeu ? Non. C'est
de développer plus d'être"-, …), c'est l'occasion de
présenter plusieurs vignettes cliniques d'enfants en retard de
développement apparent, qui ont fait des progrès spectaculaires au
point de pouvoir paraître magiques lors de la révélation, en
présence des parents, d'un non-dit, ou lorsqu'un sens a été donné
à une histoire de vie douloureuse.
La pensée de Françoise
Dolto sur la cause des enfants est cohérente et enrichissante, même
sans être d'accord avec tout ce qu'elle dit. Le livre est toutefois
très long, et certains chapitres s'éloignent du sujet (la courte
autobiographie de Dolto, introduite par le long récit de son
apprentissage de la lecture) ou, à mon avis, le desservent (le
premier chapitre décrivant la conception de l'enfant à travers les
âges, où Lespassagesenitalique s'en donne à cœur joie pour
résumer des périodes historiques en un paragraphe, remplaçant la
complexité par une affirmation -à l'époque A, l'enfant=B pour
telle ou telle raison- et estimant probablement faire preuve d'une
grande culture), mais il peut par ailleurs être intéressant, à
titre anecdotique ou non, de savoir par exemple ce qu'apporte la
double expérience d'infirmière et de médecin, ce que pense Dolto de
la psychologie expérimentale (de la vision analytique classique du
sujet -"ce qui est observable, testable, n'est que la partie
visible de l'iceberg"- à un reproche éthique pertinent -on
demande l'accord des parents, pas des enfants-, en passant par un
reproche à côté de la plaque -la recherche expérimentale ne
permettrait de trouver que ce qu'on sait déjà, sauf qu'elle dit ça juste après un joli contre-exemple-), l'immensité des âneries qu'elle
est capable de dire -heureusement, quand elle sort du sujet- (mettre
la fin de l'expansion coloniale et la baisse de la natalité sur le
compte d'une obsession contemporaine de la sécurité -parce que bien
sûr, le risque est la motivation première du colonisateur comme des
parents de famille nombreuse- ou joyeusement conclure le livre en
confondant avortement et contraception -les défenseurs de la
légalisation de l'avortement y voient, pour une raison connue d'elle
seule, "le moyen le plus sûr de contrôler les naissances"-
et d'achever l'ouvrage et l'argumentaire anti-droit à l'avortement
sur "Arrêtons le génocide" -bon, alors on va
reprendre tout doucement... le génocide, c'est prévenir les
nouvelles naissances en tuant TOUS ceux de l'origine qu'on veut
exterminer, l'avortement, c'est ne pas aller au bout d'une grossesse
non désirée, et ça n'empêche même pas d'avoir eu des enfants
avant et d'en avoir après... un point de repère pour situer
facilement, si les femmes qui avortent ne se suicident pas, on peut
estimer -en fermant les yeux sur énormément de choses- que c'est un meurtre, mais on est super loin du génocide-) ou
encore d'autres choses que j'aurais oubliées. Pour un équivalent plus synthétique, on peut se diriger vers Les étapes majeures de l'enfance.