lundi 28 février 2022

Pourquoi es-tu restée? de Christine Payot

 


 Je dois admettre que ce qui a attiré mon attention vers ce récit autobiographique n'est pas la question posée dans le titre (les raisons de rester, dans les situations de violences conjugales, sont multiples... l'efficacité des manipulations -le dénigrement constant ou au contraire les promesses récurrentes de, cette fois, se reprendre et tout arrêter-, l'isolement social construit par l'agresseur·se, les difficultés matérielles, le danger -le moment de la séparation est celui où le risque de passage à l'acte violent voire meurtrier est le plus élevé-, ...), mais à l'inverse celle de savoir comment l'autrice a pu partir après 25 ans de relation, 25 ans de violence et d'emprise.

 Si Jérôme sait en effet dans un premier temps se montrer "gentil, prévenant", au point de convaincre l'autrice de quitter son compagnon actuel pour lui, il impose vite ses propres règles, fait comprendre, de moins en moins implicitement, que l'important, ce sont ses désirs. Il accepte, réticent, qu'elle fasse un stage chez les pompiers pour lequel elle est enthousiaste, mais c'est pour lui reprocher, de façon virulente ("Il ne dit pas un mot. Ensuite, il hurle... Il gueule après moi, accélère et tape sur son volant à coup de poing"), d'avoir osé figurer sur la photo de groupe faite à la fin. Elle va passer des vacances chez sa correspondante en Allemagne? C'est un motif de rupture. Finalement, c'est annulé, ouf! Mais il ouvre sa valise et constate qu'il y a des jupes, c'est suspect! Ces deux incidents, et d'autres, lui seront reprochés un nombre incalculable de fois.

 Les règles imposées sont de plus en plus absurdes, de plus en plus violentes, jusqu'à interdire à la famille de l'autrice d'être présente à leur mariage (et aller les narguer en klaxonnant devant leur maison le jour même), lui interdire un travail s'il risque d'impliquer un contact avec des hommes. Il devient de plus en plus capricieux, estime qu'il est à plaindre que sa compagne soit inconsolable après une fausse couche, puis plus tard que leur fils pleure. Il boit, s'enferme, devient de plus en plus agressif avec les années. Il s'énerve contre les voisins trop bruyants jusqu'à exiger un déménagement, ne travaille pas et bien sûr refuse à l'autrice le droit de travailler elle-même (tout en exigeant qu'elle aille lui acheter alcool et cigarettes), regarde pendant des heures des documentaires sur des dictateurs (pour les admirer!) et des films pornographiques. L'autrice apprend à repérer les signes avant coureurs de ses colères qui explosent souvent la nuit, redescendra à sa rencontre alors qu'elle est déjà couchée pour préserver les enfants (qui, iels le confirmeront plus tard, entendent tout, évitent même d'aller aux toilettes pour ne pas prendre de risques), apprendra à laisser autant que possible passer l'orage ("Un mot, une réflexion, un reproche. Je sais qu'il ne faut rien répondre. Pourtant, il l'attend sa réponse en tapant du poing sur la table, il hurle, se relève, se rassoie. Va-t-il oser ce soir?"), les interrogatoires interminables où il cherchera des preuves d'adultère, l'accusera continuellement, lui qui en début de relation lui avait fait la liste de ses conquêtes, de vouloir "faire la pute", ce qui semble être selon lui le but dans la vie de l'ensemble des femmes.

 Elle fera un premier pas vers la sortie de cette prison en créant un espace pour elle, un blog littéraire, en se mettant elle-même à l'écriture, avec son accord (il dénigrera régulièrement ses compétences d'écrivaine), en s'engageant à ne pas interagir avec des hommes. Mais la règle est de plus en plus difficile à respecter : comment garder un lien avec une communauté dans ces conditions? Elle s'interdit d'abord les messages privés, puis renonce aussi à cette règle. C'est ainsi qu'elle fait la rencontre de Marco, et échange de plus en plus avec lui, malgré le risque, s'aperçoit qu'elle a des sentiments. Elle se livre peu à peu, en minimisant de moins en moins. Il partage avec elle des vidéos sur les pervers narcissiques : le profil correspond énormément à celui de Jérôme!

 La séparation arrive enfin, avec l'aide de sa mère, d'une association, de Marco, et Jérôme continue d'être méchant, mesquin, de poser des exigences, de garder le plus d'affaires possibles (y compris des souvenirs ou la voiture de leur fils aîné), utilise les enfants pour faire du mal (il les suit, les épie, lorsqu'il les voit les interroge sur les faits et gestes de leur mère). L'autrice découvre la vie sans cette chape de plomb avec laquelle elle a si longtemps vécue, mais doit subir le système judiciaire dont il s'empare pour manipuler encore ("l'avocate de Jérôme, que je connais, se penche vers moi et me dit : -Vous savez, il vous aime encore, il a sur lui un petit cadre avec une photo de vous. Il me l'a montré. Il est vraiment peiné par votre séparation"), en particulier en demandant un droit de visite, qui lui sera accordé (en terrain neutre), visites auxquelles il ne daignera pas se rendre ("Encore une fois, pourquoi laisser une nouvelle chance à un homme qui en a laissé passer des centaines? Pensent-ils vraiment dans ces tribunaux que nous n'avons pas déjà eu notre compte de fausses excuses, de plaintes, de remords?"), et surtout vivre avec la crainte qu'il ne décide, un jour, d'utiliser son fusil ("Chaque jour, j'ai peur au point de ne plus oser regarder ces histoires meurtrières. La question me taraude  : je porterai quel numéro?", "Son neveu a commis un féminicide : je l'apprends en écrivant ce livre. Il a pleuré, lui aussi, aux obsèques de sa compagne en tenant la main de sa petite fille. Et pourtant, c'est lui qui l'avait étouffée puis il avait noyé ces deux chiens"). Mais malgré ces difficultés et injustices, aucun regret d'avoir fait ce choix : "partir, c'est se sauver".

 Ce livre est adressé aux victimes de violences conjugales, femmes et hommes, mais aussi à leurs proches ("son silence et son effacement ne sont pas une acceptation. Lui parler, c'est être un soutien, un encouragement ou juste incarner une écoute. Ecoutez ce qu'elle consentira à vous dire. Soyez une présence. Ne la jugez pas. Vos jugements, vos critiques, donnent raison à son bourreau"), et à la France qui est malheureusement encore loin de faire le nécessaire pour protéger les victimes.

mardi 22 février 2022

Correspondance, Carl R. Rogers - André de Peretti, 1966-1986

 



 Ce recueil, effectué par Les cahiers du PCAIF, concerne des échanges entre Carl Rogers et André de Peretti qui débutent autour de l'organisation d'un séminaire à Dourdan. C'est l'occasion de découvrir la perception que Carl Rogers a de son séjour en France, tant d'un point de vue touristique ("la vallée de la Loire et ses châteaux ont été fascinants") que de celui des personnes qu'il rencontre ("ma réaction essentielle concerne la vision imaginaire que j'avais sur le cauchemar du Français, qui s'est révélée plus profonde que je ne l'imaginais à ce moment là, et qui était en général valable pour de nombreux membres de l'ARIP. D'une manière simplifiée, cela veut simplement dire que l'expression ouverte, naturelle de sentiments chaleureux est quelque chose qui au minimum vous rend mal à l'aise, au pire vous effraie, vous rend exagérément circonspects et négatifs"). Une lettre particulièrement salée d'André de Peretti à destination de l'équipe organisatrice figure aussi dans la correspondance, qui documente certains aspects de la rencontre entre psychanalyse et ACP (pas mal d'interprétations sont faites sur les tensions qui ont eu lieu, en particulier sur les transferts envers Carl Rogers) mais aussi les tensions qui peuvent se créer à l'occasion des groupes de rencontre (largement évoquées par Rogers en particulier dans ses derniers livres, mais ici présentées de façon plus... directe).

 Le titre reste un peu trompeur : l'ensemble des textes publiés sont des courriers de Rogers adressés à De Peretti, sans que les messages de De Peretti ne soient disponibles (c'est particulièrement saillant quand Rogers adresse des réponses numérotées à 18 questions, sans que les questions ne figurent). On peut aussi lire le retour d'une participante sur un séminaire... et, à propos de celui de Dourdan, une demande de retours par Rogers (on peut donc voir qu'il insiste pour obtenir des retours y compris négatifs voire confus, mais aussi qu'il demande des réponses sous deux jours si possible par crainte que la procrastination de fasse son œuvre). Les échanges plus privés, plus informels (encore que...) donnent une vision différente et privilégiée de Rogers (je ne m'attendais pas à le voir désigner Buber comme un "amical petit gnome!"), comme un courrier qu'il a rédigé lui-même en français (les autres sont traduits), ses relations avec ses frères et sa sœur, ou encore son approche de la religiosité (en 1973, " "Je suis trop religieux pour être religieux". Je pense que ce paradoxe résume très bien ma position. Je suis idéaliste, humaniste, et certains buts de mon travail sont les mêmes que ceux de personnes religieuses, mais j'ai peu ou pas d'utilisation pour des étiquettes ou concepts de la religion") ou son refus de se prononcer trop fermement sur d'autres approches de psychothérapie (toujours en 1973, "Je n'aime pas évaluer les méthodes de thérapie qui ont été créées par d'autres personnes. La seule opinion que je pourrais éventuellement donner ne pourrait être qu'une opinion partiale et je n'aime pas faire cela. Si j'avais vraiment pensé qu'une autre méthode de thérapie était plus valable que ce que je fais, je l'aurais adoptée"), pour sélectionner quelques thèmes de façon tout à fait arbitraire.


Les personnes intéressées peuvent vérifier la disponibilité en écrivant au PCAIF ( secretariat@pcaifrance.com )