mardi 23 décembre 2014

Soignante en devenir, de Florence Braud





Note (31/05/2019) : les trois blogs dont il est question sont maintenant regroupés sur http://www.soignanteendevenir.fr/ , avec beaucoup de contenu qui à sauté pour ma plus grande tristesse (mais bon c'est pas moi qui décide j'avais qu'à écrire ces magnifiques textes moi-même), et l'autrice est sortie de l'anonymat et n'a donc plus son ancien pseudo. Je laisse quand même la présentation initiale de son travail telle quelle parce que je suis super paresseux pour garder une trace.

 Oyez oyez, l'aide-soignante (ancienne auxiliaire de vie) et maintenant trois fois blogueuse Babeth ouvre un nouveau blog, qui a vocation à accueillir des témoignages sur les maltraitances effectuées, volontairement ou non, consciemment ou non, par les soignant·e·s.

 Dans empathie, compétence, honnêteté, les qualités essentielles du ou de la soignant·e rappelées par Michel Hanus et Olivier Louis, il y a empathie, donc même si le·a soignant·e a une blouse blanche, une agressivité ou une condescendance sortie de nulle part, c'est un manque de professionnalisme (par ailleurs, dans certains témoignages, il y a AUSSI un problème avec la compétence et/ou l'honnêteté). Si la méchanceté pure et simple, c'est très malheureux, existe, ou peut aussi être maltraitant·e (ou moins bientraitant·e qu'on ne pense l'être) involontairement, comme dans le cas de cette aide-soignante qui n'a, semble-t-il, pas eu l'idée de prendre son temps pour aller vite. Le blog a en effet vocation à recueillir les témoignages de patient·e·s maltraité·e·s (certaines maltraitances rapportées ne sont, on l'espère, pas ordinaires, mais hélas parfois elles ne sont vraiment pas petites), mais aussi ceux de soignant·e·s qui réaliseraient, après coup, qu'iels auraient pu mieux réagir dans telle ou telle situation, et peuvent permettre à d'autres, grâce à leur expérience, de mieux s'en sortir dans la même situation.

 L'initiative me paraît formidable parce que je n'ai jamais soigné personne donc c'est bien commode de voir d'autres se faire critiquer déjà d'un point de vue pragmatique, pour en tant que patient·e se rappeler qu'il n'est pas normal de subir certaines choses et en tant que soignant·e à mieux percevoir les mécanismes qui peuvent conduire à la maltraitance (voire à avoir des solutions clefs en main à des problèmes qu'on n'identifiait pas forcément), mais aussi d'un point de vue cathartique parce que ça permet de ne pas garder pour soi ce qu'on a pas osé dire, intimidé·e par la blouse blanche et/ou le pouvoir que le·a soignant·e a sur nous (parce que si on a affaire à un·e soignant·e, en général, c'est qu'on ne va pas très bien à la base) et même, soyons fous, d'un point de vue social : ce blog est une façon de dire "allez vous faire foutre" à celles et ceux qui estimeraient que le diplôme et le statut de soignant·e (et de bien-portant·e) dispense d'avoir du respect pour la personne en face, donc plus le blog a de retentissement, plus il sera clair que certains comportements ne sont pas les bienvenus.

 Pour envoyer vos témoignages : vieuxetmerveilles@hotmail.fr
 Et tant que vous y êtes, vous pouvez suivre Florence (anciennement Babeth) sur twitter ( @BraudFlo ), ou aller faire un tour sur ses deux autres blogs, je pense que vous ne le regretterez pas.
 http://www.vieuxetmerveilles.com/ : plus autobiographique, le blog parle aussi de l'expérience d'auxiliaire de vie de Babeth, métier qui implique de nombreuses préoccupations extra-professionnelles (ce qui est intéressant à lire à l'heure où des responsables politiques estiment intéressant de reculer sur le droit du travail). A lire aussi, impérativement, pour ceux qui s'intéressent au sujet de la résilience.
 http://www.aidersoigner.com/ : Babeth parle ici de sa formation et de ses débuts d'aide-soignante, le tout entrecoupé de quelques coups (très) durs

 Dans ces deux blogs, Babeth est sans concessions sur le sujet de la bientraitance, donc non seulement l'ouverture de Petites maltraitances ordinaires est une excellente initiative, mais en plus c'est particulièrement bienvenu que ce soit elle qui créée et gère ce blog.

mardi 16 décembre 2014

Les Nourritures affectives, de Boris Cyrulnik




 Utilisant la méthodologie (le plus souvent) de l'éthologie, Boris Cyrulnik dresse un portrait de l'être humain avec, semble-t-il, la volonté d'identifier le sens de la vie (les "idées qui brodent une existence humaine").

 Le récit, s'il s'achève aux portes du décès (les individus "qui toute leur vie auront vécus dans l'affection, la sécurité et l'aventure sociale, vivront intensément les cent-vingt ans de leurs promesses génétiques"), démarre bien avant la naissance, avec les enjeux de la rencontre des parents. Chacun envoie à l'autre un ensemble de signes, que ce soit à travers l'histoire familiale et le statut social, les vêtements, l'attitude, ou même la pilosité (cheveux, moustache... entre autres) ou l'univers olfactif (l'être humain, contrairement au chien par exemple qui a pourtant un meilleur odorat, se donne beaucoup de peine pour dissimuler les odeurs corporelles) : même en dehors du cas extrême du mariage arrangé, la rencontre et son résultat ne relèvent pas toujours autant de la coïncidence qu'on ne pourrait le croire. L'insémination artificielle est bien sûr également évoquée. En faisant commencer l'histoire de l'individu à la rencontre de ses géniteurs, Cyrulnik annonce déjà implicitement le thème de la construction du récit. S'ensuit un chapitre où le neurologue prendra (un peu) le dessus sur l'éthologue, qui parlera cette fois-ci de la vie du fœtus : la vie, en effet, commence avant la naissance, et le fœtus, avant de sortir du ventre de sa mère, a déjà développé des compétences surprenantes (vue, ouïe, odorat, mémoire à court terme, …). On peut même identifier des éléments de personnalité ("A la vingt-sixième semaine, les profils comportementaux sont déjà différents d'un fœtus à l'autre. Certains bébés sont très suceurs, d'autres peu. Certains sont terriblement gambadeurs (956 mouvements par jour), d'autres très calmes (56 mouvements par jour)" ). "Il sursaute, cligne des paupières, explore et goûte quand sa mère chantonne". Une fois né, l'enfant est membre d'une famille, plus largement d'une société, qui participeront aussi à la constitution de son identité. L'enfant adopté aura la possibilité de s'inventer des parents idéaux, et les rencontres qui ont réellement lieu sont souvent source de déception. Grandir avec une identité trop vague pousse à s'en construire une, alors que se sentir membre d'une communauté fournit un rôle implicite. Quand la fin de la vie approche, le thème de la construction du récit reste présent, la personne âgée revient bien sur son passé, mais pas d'une façon aussi linéaire qu'on ne pourrait le croire ("la vieillesse n'est pas le résumé du drame en trois actes de notre existence"). La mémoire prend plutôt la forme d'un palimpseste (parchemin recouvert de plusieurs couches d'écriture, dont on a effacé les plus anciennes pour pouvoir réécrire dessus... enfin, moi, je savais parfaitement ce que c'était, je n'ai pas du tout eu besoin de regarder sur un moteur de recherche) : qu'il y ait ou non troubles cognitifs, l'entourage comme la personne âgée elle-même pourront être surpris par la couche de souvenirs qui ressortira plus que les autres. Ainsi, une personne très âgée, secouée par un cambriolage, demande, terrifiée, à être protégée contre des violeurs. La demande est plutôt accueillie par de la dérision : le cambrioleur n'a pas dû trouver urgent de se précipiter sur cette femme de 78 ans (leur présupposé n'est pas si pertinent que ça : la vulnérabilité, en soi, augmente beaucoup les risques de viol, bien plus que l'attractivité physique). Seulement, "sa famille apprit avec étonnement qu'elle avait été violée à l'âge de 15 ans et qu'elle n'avait jamais eu la force d'en parler". Un autre s'étonne de repenser régulièrement au vol très ancien de sa voiture : lui-même ne pensait pas que ça l'avait marqué. Ces souvenirs sont l'occasion de donner un sens au passé ("les réminiscences font souffrir de manière détournée et quand elle ne servent pas à faire un récit, elles martyrisent le corps"). Cependant, même si "empêcher le récit d'un âgé, c'est l'empêcher de prendre sa place, c'est l'exclure, c'est l'isoler affectivement et socialement", certains récits ne peuvent être racontés, car personne ne peut les entendre. Cyrulnik donne l'exemple d'un vigneron traumatisé par une bataille en Algérie : l'ennemi, parfait connaisseur du terrain, avait fait en sorte de séparer son bataillon en deux et de faire chaque côté tirer sur l'autre, lui a vu les autres tomber autour de lui avec la certitude qu'il allait mourir à son tour. L'armée l'a invité à éviter de mentionner cet épisode pas assez héroïque, et ses proches lui ont reproché d'avoir passé des vacances en Algérie, au service des colons, pendant qu'eux travaillaient dur. Il n'a donc pu parler de cet événement pourtant traumatisant que des années plus tard, à son psychiatre (un certain Boris C... quelque chose) : "pour prendre sa place dans un groupe, on doit donc faire le récit que ce groupe est capable d'entendre".

 Boris Cyrulnik parle aussi de deux éléments particulièrement constitutifs de la société : la violence et l'inceste. Dans les deux cas, la problématique de la distance est centrale ("pour que la violence de l'un s'impose à l'autre comme un contresens émotionnel, il faut qu'il n'y ait pas de représentation du monde de l'autre et qu'une absence de communication empêche la contagion des émotions et des idées", "tout objet ne peut pas devenir sexuel. Le partenaire doit posséder une forme ni trop semblable, ni trop différente, ni trop lointaine"). Quand on achète un poulpe au supermarché, on n'est pas préoccupé par le fait de bénéficier du meurtre d'animaux qui "pensent, agencent des problèmes, trouvent des solutions et s'attachent à leurs petits". La distance peut parfois être introduite artificiellement, au nom de l'intérêt général bien sûr, comme la science ("ayant expérimenté sur des animaux parce qu'ils n'ont pas d'âme et sont différents par nature, ces chercheurs appliquent leurs conclusions aux hommes, comme s'ils étaient analogues après avoir été différents")... ou l'effort de guerre (y compris quand ce sont des civil·le·s qu'il s'agit de massacrer). La promiscuité peut également être source de violence, contre les autres (une société de rats, enfermée dans une cage, devenait désorganisée, les membres s'agressant entre eux et les mères abandonnant leurs petits à la naissance, dès que la population dépassait un certain seuil, avant de retrouver un comportement normal) ou contre soi-même (l'ours enfermé dans une cage se frottant le museau jusqu'au sang, le rituel, à fonction apaisante, devenant contreproductif). En ce qui concerne l'inceste, Boris Cyrulnik, qui a déjà coécrit un livre sur le sujet avec Françoise Héritier et Aldo Naouri, revient beaucoup au complexe d'Oedipe, tout en différenciant très clairement le phénomène psychique du passage à l'acte ("l'Oedipe n'est pas l'inceste. Le petit garçon qui demande sa mère en mariage structure son affectivité et non pas sa sexualité"). L'interdit de l'inceste contribue à définir la famille, donc la société ("si une loi autorisait l'inceste mère-fils, je suis prêt à parier que cette permission légale ne modifierait pas les comportements sexuels"). Comme je l'ai dit plus haut, selon Cyrulnik le modèle explicatif principal de l'inceste est le manque de distance ("il n'y a pas d'émotion à toucher l'autre, comme si c'était soi-même, et, dans ce cas, on se demande pourquoi il y aurait un interdit à toucher son propre corps"), ce qui éclairerait entre autres des comportements incestueux chez les sujets atteints d'une pathologie qui empêche de se différencier de l'autre (schizophrénie, Alzheimer, ...). En plus de contraster avec l'analyse plus récente et bien plus solide de Dorothée Dussy , qui précisément travaille à partir du passage à l'acte et non de l'interdit et des représentations qu'il implique (pour elle, il s'agit d'abord d'une expression de domination particulièrement totale et violente), l'approche parfois extrêmement détendue de l'auteur (qui utilise d'ailleurs surtout comme illustration des incestes mère/fils) a de quoi faire grincer des dents ("La société ignore tout de ces trames familiales, joviales, amoureuses ou tragiques, mais toujours secrètes") d'autant qu'elle contraste, c'est le moins qu'on puisse dire, avec les témoignages de victimes.

 Vous l'aurez constaté, l'approche est très pluridisciplinaire, du développement sensoriel du fœtus aux interdits constitutifs de la société, en passant par les conditions du bon vieillissement chez le chien (si si!). Et, alors que pour l'essentiel les informations sont très documentées et des sources précises citées, d'autres fois sont écrites des généralités aussi absurdes qu'affligeantes, qu'il faut relire plusieurs fois pour s'assurer que l'auteur a bien écrit ça, en cherchant désespérément un indice qui annoncerait qu'il plaisante (du coup on ne sait pas trop quoi penser des phrases intermédiaires, comme "les âgés vivant en institution se rappellent davantage les faits anciens que les faits récents, à l'inverse des sujets demeurant à leur domicile" : il dit ça parce que ça sonne bien, ou il a de solides raisons de le croire?). Petit florilège :
"Les petits Occidentaux aujourd'hui ne savent pas qui est leur père. Ils connaissent la biographie de Balzac, de Marx ou de Michel Platini, mais ne savent pas que leur père a une histoire, ils ne peuvent pas constituer leur génogramme, ni même dire quel est son métier." Je ne sais pas ce qui manque le plus de crédibilité : que les petits occidentaux ne sachent pas quel métier fait leur père, ou que les enfants d'aujourd'hui (en 2000) soient des experts de la vie de Platini, qui n'est pourtant pas pour grand chose dans le célébrissime "3-0" qui a eu lieu 2 ans avant (et si des profs de français passent par là, j'attends avec impatience leurs lumières sur la connaissance encyclopédique de la vie de Balzac par leurs élèves). On peut par ailleurs rêver, au moment où des ouvriers meurent sur les chantiers au Qatar pour préparer les stades de la Coupe du Monde, que Platini connaisse un peu mieux Marx, mais c'est un autre sujet.
"Comment vont-ils raconter l'histoire d'un père transparent, d'une mère débordée, d'une école morose et d'une anxiété monstre, sans commémorations ni fêtes?" Eh oui, tous les pères du monde sont désormais transparents, ce qui est bien pratique pour être agent secret mais n'est pas sans inconvénients, par exemple depuis la naissance de ma fille aînée je n'ose plus m'asseoir dans le métro car les gens s'assoient systématiquement sur moi, c'est très inconfortable et en plus je me fais engueuler. Les mères sont aussi, c'est un cauchemar, devenues débordées du jour au lendemain, alors que quand la contraception existait peu et que la participation aux tâches ménagères était encore plus inégalitaire, elles avaient un temps libre indécent une fois qu'elles avaient fini de s'occuper de leurs 6 enfants (un de plus si on compte le mari) et en étaient réduites à faire des études de chirurgie et du sport de haut niveau pour ne pas trop s'ennuyer. Et, alors que le quotidien d'aujourd'hui est morne et gris, avant, tous les jours (mais surtout les jours d'école et les jours de commémoration) tenaient de la comédie musicale.
"Pendant les guerres il n'y a plus d'insomnie parce que les rythmes sociaux sont parfaitement synchronisés". Les alarmes et les bombardements étaient d'ailleurs particulièrement propices à l'ambiance sereine propre aux temps de guerre, et l'incertitude du retour des proches qui sont au front donnait à la vie un piment qui manque un peu aujourd'hui.
On continue? "Le Code Civil parlait alors de la "puissance paternelle". Dans sa grande tolérance, il a dû, sous la pression des féministes, remplacer cette belle expression par celle d' "autorité parentale" qui, à peine décrétée, devint désuète" (les méchantes féministes et leurs fameux ciseaux...).
"La simple présence du père donne à la femme une place affective différente : c'est aussi la femme du père, elle n'est pas consacrée aux besoins physiques de l'enfant, elle peut aussi ressentir des plaisirs différents des siens." Oui, parce que comme la femme n'a pas d'identité (il l'a expliqué plus haut : la société moderne lui intime de ne pas construire de famille au nom de l'indépendance alors qu'elle a tellement besoin d'un soutien masculin, et pour une raison inconnue une femme ne peut pas fonder une famille ET s'épanouir personnellement et professionnellement, les hommes n'étant pas, on ne sait pas non plus pourquoi, concernés par ces problèmes), elle n'existe que soit pour son mari et ses enfants, soit uniquement pour ses enfants, ce qui n'est bien sûr pas un problème pour elle mais peut l'être pour les enfants en question.
 Si le "c'était mieux avant" (alors que, comme le rappelle GiedRé, "avant il y avait les 2b3") niais et très mal argumenté au mieux fait sourire et au pire agace, la légèreté est, justement, bien moins légère, quand elle est au service d'un discours sexiste plus que douteux, qui confirme la mauvaise impression donnée par la plaisanterie faite au début du livre (à propos de Lacan, spécialiste du fétichisme des étoffes, qui les collectionnait lui-même) "la perversion des étoffes n'existe pas, sinon toutes les femmes en seraient atteintes", qu'on avait plutôt envie d'oublier.

J'ai consacré par mal de place à ces extraits étranges, parce que le malaise est réel, mais quantitativement leur présence est infime, et le livre n'est par ailleurs pas dénué d'intérêt, que ce soit pour l'originalité de l'approche éthologique ou le thème de la construction du récit. Leur présence en est d'autant moins indispensable.

lundi 8 décembre 2014

Ici et maintenant, vivons pleinement, d'Anne-Ancelin Schützenberger



 Ecrit (ou plutôt dicté, car elle ne peut plus lire ni écrire) à l'âge honorable de 95 ans, le livre est volontairement constitué de très courts chapitres en vrac (et les citations sont de mémoire, les psychanalystes pourront s'amuser à débusquer et interpréter les erreurs) : les développements théoriques des livres de jeunesse d'Anne-Ancelin Schützenberger (comme par exemple Le Plaisir de Vivre, publié quand elle avait à peine 92 ans) sont ici absents.

 Extraits d'histoire de vie, citations, découvertes, nombreux hommages à Sainte Rita ("la sainte des causes difficiles et, si j'ose dire, une vieille copine à moi. Amis lecteurs, je vous la recommande!", d'ailleurs, argument imparable, "cela marche du tonnerre, Sainte Rita, pour les places de parking!"),  les chapitres font entre une phrase et 4 pages, l'idée est d'illuminer la vie, la rendre plus heureuse, sachant qu'un état d'esprit positif a une réelle influence sur le bonheur.

 Faire ce résumé juste après celui de Vieillissimo n'était pas prémédité, mais les brefs extraits pleins de vitalité d'Anne-Ancelin Schützenberger ne sont pas sans faire penser au livre de Véronique Griner-Abraham (pendant que le vrac évoque l'atome social des Exercices pratiques de psychogénéalogie), et n'est-ce pas là un parfait exemple de transmission?

dimanche 7 décembre 2014

Vieillissimo, de Véronique Griner-Abraham



 Véronique Griner-Abraham est souvent en retard, a fait médecine pour plaire à ses parents puis psychiatrie pour leur déplaire (et aussi parce qu'elle avait du mal avec la vue du sang ou des cadavres, ce qui peut poser problème dans d'autres spécialités), se fait prêter un certain nombre d'origines différentes du fait de son nom et de son teint, et surtout, depuis 25 ans, elle "fait les vieux" ("non, je ne fait pas les enfants, ou plutôt si, j'en ai fait deux, Dieu merci, ça m'a suffi") en libéral, et travaille aussi en Ehpad.

 Vieillissimo, ça désigne un rythme, par opposition à pianissimo, le rythme associé de façon stéréotypée à la vieillesse. Et, en effet, le livre est rythmé, constitué de brefs extraits de conversation avec des patient·e·s, rapportés par l'autrice avec humour, et il a bien un aspect musical. Si les conversations sont classées par thème ("histoires d'amour", "histoires de névrosés", "histoires de maisons de retraite", "histoires de guerre", …), c'est presque anecdotique tant l'enchaînement est fluide. Après, bien entendu, ça fait un peu juste pour parler de vignettes cliniques, d'ailleurs ce n'est pas l'objet... Du coup, ce n'est pas évident de savoir si on a affaire à des vignettes tout court, à des miettes cliniques, à l'un puis à l'autre...

 C'est vers la fin du livre que sera donné un sens à cette succession d'anecdotes, après une anecdote qui prend un ton bien plus grave que les autres : l'autrice rapporte comment elle est parvenue à faire raconter sa vie ("Sur le génogramme établi par l'équipe, je vois que son mari était d'origine espagnole. Mariée après la guerre, elle aura milité dans une association de déportés. Ces deux éléments me mettent la puce à l'oreille. Je crois que Valentine a autre chose à dire que sa passion pour le tricot") à une patiente atteinte d'Alzheimer dont l'agitation inquiète l'équipe de l'Ehpad. La conversation est longue, ponctuée de "ça ne vous dit rien?", et permet de comprendre que la maison "dont il avait fait la charpente et toutes les fenêtres" qu'elle a quittée était tout ce qui lui restait de son époux, ancien résistant déporté à Dachau et qui avait parlé à elle et elle seule de cette période (l'autrice retrouvera sur Internet les noms et matricules de l'époux et de son ami). "En sortant du bureau, mon stagiaire me demande : "Vous croyez que ça sert à quelque chose de lui avoir fait raconter tout ça? A elle, je veux dire?" Servir à quelque chose, je ne sais plus trop ce que cela veut dire. Si cela ne sert à rien, je ne vois pas l'intérêt de continuer ce métier".

 Ça semble être précisément à ça, que sert le livre. Au delà de la variété et de l'énergie des échanges présentés, qui tranchent avec les différents stéréotypes sur les personnes âgées (qui peuvent par ailleurs, comme ça au hasard, causer une appréhension à travailler -ou, vraiment au hasard, à faire un stage- dans le milieu du vieillissement), l'ouvrage illustre avec abondance (surtout pour un livre aussi court) le fait que les personnes âgées, quand on passe du temps avec elles, ont quelque chose à transmettre.

jeudi 4 décembre 2014

Résilience et personnes âgées, dirigé par Louis Ploton et Boris Cyrulnik



 

  Constitué de 14 chapitres rédigés par des spécialistes du vieillissement (en tout cas pour la majorité) venu·e·s de domaine très variés, le livre est très clairement marqué par la diversité. Plus que le fait de retrouver l'énergie de vivre après un traumatisme (ce en quoi est censée consister la résilience évoquée dans le titre), ce qui lie pour l'essentiel ces différents chapitres, c'est ce qui permet de vieillir dans de bonnes conditions. Les compétences motrices et cognitives, la qualité des interactions avec l'entourage diminuent, la mort approche... autant dire que tou·te·s ces expert·e·s ne sont pas de trop pour donner des outils. Les recherches évoquées précisent par exemple que la personne âgée est encore capable d'apprendre, que le langage non-verbal complète la parole lorsque son usage devient plus difficile pour peu que les proches fassent l'effort de s'adapter à cette nouvelle communication, les questions que posent l'étude de la théorie de l'esprit (capacité de se représenter le point de vue de l'autre) chez les personnes âgée seront détaillées, … Les sujets, comme vous pouvez le constater, sont très variés, allant du très général (les facteurs de résilience avérés chez la personne âgée, par Boris Cyrulnik) au très spécifique (musique et vieillissement par Pierre Lemarquis, vieillissement et théorie de l'esprit, déjà évoqué, par Alain Brossard, …) voire à l'insolite (vieillissement et résilience... chez l'animal, par Claude Béata) : les disciplines utilisées sont aussi très diverses (neurosciences, psychanalyse, psychologie cognitive, psychologie du développement, …), de même que les choix de rédaction (du développement appuyé par des vignettes cliniques elle-mêmes détaillées dans leur évolution au préalable théorique à la recherche scientifique). On a presque envie d'ajouter, sous le titre Résilience et personnes âgées, le sous-titre "Vous avez deux heures" (et en plus, ça ferait une intro!) (oui, il n'y a pas d'intro qui explique la démarche du livre, et la résilience n'est définie que dans la conclusion, parce que qui suis-je pour juger que "on a trouvé intéressant de se mettre à plusieurs pour parler d'un sujet, et vous avez 270 pages pour deviner pourquoi et comment on s'est organisés" est moins pertinent qu'une autre façon de faire?)

  Si le voisinage exotique et inexpliqué (enfin, expliqué, mais seulement à la fin) de tous ces chapitres donne l'impression d'avoir affaire au hors-série thématique géant d'un magazine, les chapitres, séparément, sont loin d'être dénués d'intérêt (au fait, j'ai dit que la complexité, elle-aussi, variait beaucoup?)... et ça peut être bon à savoir, pour le·a lecteur·ice qui ne s'intéresse qu'à un sujet en particulier (on peut par exemple s'intéresser à la musique sans être follement passionné par le psychodynamisme et le socle narcissisme, mentalisation et objet... l'inverse étant, peut-être, un peu plus rare), qu'ils peuvent parfaitement, justement, être lus comme ça, séparément.

lundi 1 décembre 2014

La sixième fois sera la bonne!


 Le stage est fini depuis peu, et je me suis d'ailleurs empressé de démarrer le rapport de stage, que j'ai bientôt fini de rédiger je suis en vacances d'IED pour deux semaines parce que... euh, parce que j'ai décidé. Le stage a commencé avant la rentrée et s'est terminé après, et puis les démarches pour l'obtenir ont eu lieu l'année dernière, donc je ne savais pas bien en quelle année scolaire j'étais pendant le stage, mais là c'est officiel : ma 3ème année de L3 est démarrée, et sauf catastrophe, c'est (enfin!) ma dernière année de licence (bon, là maintenant je suis en vacances, mais on va faire semblant d'oublier ce détail). Au programme cette année : repasser Echelles et Tests (il me fallait 10 pour être débarrassé de cette matière terrifiante qui m'a fait rendre ma première "vraie" copie blanche et j'ai eu 9 aux rattrapages... aaaargh!), neuro, rendre le rapport de stage (ce qui implique de le rédiger avant, j'aimerais bien sauter cette étape mais la prof est horriblement pointilleuse), et courir après les notes qui manquent (ben oui, je rappelle que je suis étudiant à l'IED, ça fait partie intégrante du cursus), ça va être pratique il m'en manque en L1, en L2 et en L3... Une fois que tout ça sera fait (l'idée vu que c'est plus light c'est d'avoir fini en juin donc de pouvoir prendre des vacances avec les CP utilisés pour les rattrapages), je vais finir soit en M1 clinique si je suis sélectionné (c'est mal engagé, comme je l'ai dit ici une fois ou deux -ou douze-, mais il y a pas mal de versions divergentes sur le taux et les critères d'admission et j'ai décidé d'être naïf optimiste), soit en M1 développement où il n'y a pas de sélection (pas de sélection, ça veut dire pas encore, mais comme je viens de le dire j'ai décidé d'être n... optimiste). Que ce soit l'un ou l'autre, ça va être parti pour quatre ans au moins d'apnée (la tête enfouie dans les cours, la recherche de stage -à ne pas confondre à la recherche à faire pendant le stage avec des vrais gens et des vraies stats-, ...) si tout se passe bien (et même très très bien, puisque ça impliquerait une utopique admission en M2), mais je n'en suis pas encore là.

 Le stage lui-même c'était ultra-court (c'était presque plus long de le chercher O:) ), mais c'était vraiment bien : déjà comme prévu la psycho c'est mieux avec des vrais gens qu'avec des livres et des fichiers pdf, ensuite j'ai eu la chance de travailler avec une équipe sympathique, et l'avantage d'un stage en EHPAD c'est que ça permet d'avoir affaire à des publics très différents (la dépendance, ça recouvre beaucoup de choses... et on est aussi en contact avec les familles des résident·e·s). Dans les livres qui m'ont le plus aidé, il y a eu celui de Pierre Charazac et... ceux de Rogers. Alors que je n'en voyais vraiment pas l'intérêt hors d'un cadre de consultations formelles, les relances non-directives sont bien pratiques pour discuter avec une personne très atteinte cognitivement (quand une phrase prononcée n'a rien à voir ni avec la précédente ni avec la suivante, et ne veut pas nécessairement dire quelque chose, on peut imaginer que des interprétations psychanalytiques ou un programme TCC intéresseront moyennement l'interlocuteur·ice), et quand la personne qui nous parle est plus lucide c'est un formidable outil... pour éviter de l'interrompre quand elle a envie de parler. Si j'avais parfois l'impression gênante que les interactions étaient simplistes (mais une résidente a su me faire comprendre qu'elle appréciait ces conversations quand par malheur j'avais l'idée d'écouter quelqu'un d'autre), l'ensemble du stage aurait été bien plus compliqué si je n'avais jamais entendu parler de Rogers.

 Un problème quand même, c'est que les lectures prévues (bon, il y en a qui se sont invitées en cours de route) pour préparer le stage ne sont pas finies, ce qui est un peu embêtant dans la mesure où le stage, lui, est fini. L'idée, à peu près suivie, c'était de caser les lectures plus axées sur la pratique au début, et de garder pour après les plus théoriques, qui devraient, faute de m'aider à agir pendant le stage, me permettre de mieux comprendre ce qui s'est passé pendant (en gros, elles serviront à préparer non pas le stage mais le rapport de stage). Et oui, bien sûr, on peut parfaitement distinguer les deux types de livres avant de les avoir lus, vous ne le saviez pas mais c'est normal c'est parce que... euh... parce que c'est récent! Bref, il y aura encore quelques fiches de lecture sur le vieillissement.