jeudi 12 décembre 2013

Le jour où je me suis pris pour Stendhal, de Philippe Cado



 Ce livre n'a pas à voir directement avec le projet tutoré que j'aurai à rendre sur les stéréotypes (je l'ai lu en attendant de recevoir les derniers livres de psy sociale commandés), mais il a à voir directement avec la lutte contre les stéréotypes (il s'agit ici d'expliquer que l'écrasante majorité des schizophrènes ne sont pas, contrairement à l'extrême majorité des schizophrènes évoqués à l'occasion de faits-divers, des sortes de tueur·se·s fous·lles-furieux·ses). L'auteur, schizophrène ("schizophrénie dysthymique, tel est le nom de ma maladie. On peut aussi dire de moi que je suis schizo-affectif"), est aussi diplômé en lettres et en philosophie, a une formation en pédagogie (il fait partie de la génération qui a étrenné feu les IUFM), a participé à des ateliers d'écriture en tant qu'intervenant et en tant que... euh... qu'intervenu, et fait partie d'une association visant à mieux faire connaître cette pathologie ( www.schizo-oui.com ). On a donc le grand luxe d'être invité à l'intérieur de l'esprit d'un schizophrène par quelqu'un qui a des compétences sérieuses en écriture, en pédagogie, et qui a des contacts réguliers avec d'autres personnes souffrant de cette pathologie ("en partageant mon expérience avec d'autres personnes concernées par la maladie, j'apprends aussi beaucoup moi-même sur la schizophrénie"). Le livre est divisé assez nettement en deux parties : dans la première, l'auteur raconte de façon détaillée son basculement progressif (entre le 11 et le 20 mai 1992) vers la schizophrénie (il avait eu une bouffée délirante, avec hospitalisation, quelques années plus tôt) alors qu'il était professeur de français en formation, et dans la seconde partie des informations plus générales sont données sur l'évolution et le traitement de la maladie.

Vers la fin de l'année scolaire, avec un mémoire à présenter et devant faire ce qu'il peut entre les instructions de l'IUFM et l'attitude qu'on pourrait qualifier d'anti-pédagogiste de sa tutrice de stage (on a un bel exemple d'injonction contradictoire, même si rien n'indique si ça a joué ou non un rôle pour la suite), l'auteur est pris de délires de grandeur avec lesquels il prend de moins en moins de distance, avec des passages à l'acte de plus en plus spectaculaires, dont une part non négligeable dans la salle de classe de ses élèves de seconde (il se réjouit à  posteriori à ce sujet d'avoir "le délire ludique comme d'autres ont le vin gai"). Il se sent principalement investi de deux missions : révolutionner la pédagogie en exécutant le cours ultime, sous le regard admiratif non seulement de ses élèves mais aussi du monde entier ("je pensais qu'il me faudrait interdire la porte aux journalistes désireux d'assister à ce cours que je prévoyais exceptionnel") et guérir Angélique (une élève qui lui avait confié souffrir de dépression nerveuse au moment même où de son côté la phase maniaque -euphorie et sentiment de toute-puissance- qui précédait tout le reste démarrait, il en a donc conclu que leurs destins étaient liés et qu'il lui revenait de faire comme une moyenne entre leurs humeurs respectives pour rétablir l'ordre) et la conquérir (autant dire que ce dernier aspect l'a fait bien plus culpabiliser après coup que les ambitions qui se limitaient à la didactique du français). La rapidité du basculement a empêché toute intervention de ses proches ou de ses collègues avant son arrestation par les gendarmes après qu'il ait passé une nuit de passages à l'acte délirants dans la ville de Noyon où il résidait : ses délires de grandeur à son club de théâtre se sont surtout manifestés de façon interne, son état de fatigue avancé (après avoir passé une nuit blanche à élaborer les cours les plus révolutionnaires) inquiète plus ses collègues stagiaires que ses propos étranges, ses cours dérangent de plus en plus les collègues des salles voisines mais ni eux ni les élèves (l'un d'eux lui demandera timidement s'il est alcoolisé) ne convainquent la hiérarchie d'agir en urgence, et même son ami psychologue appelé dans un moment de délire, bien que pas rassuré ("Comment te sens-tu toi?","Mais qu'est-ce que tu me demandes?"), ne perçoit rien de suffisamment net pour s'en préoccuper formellement. L'auteur s'invente, en plus de ses missions générales, des rituels à accomplir de plus en plus contraignants, dans des conditions précises ("Il y avait des choses à faire et à ne pas faire, des circuits à emprunter où à ne pas emprunter", "une seule erreur et la Troisième Guerre Mondiale serait déclenchée"), imagine être observé constamment par des alliés ("dans toute la ville, derrière les volets de leur maison, les habitants de Noyon priaient pour que je réussisse") comme par des adversaires, adapte ses délires à la réalité (persuadé que ses amis l'attendent dans une cathédrale, il s'y rend, ne les voit pas donc en déduit qu'ils l'attendent dans un autre lieu sacré, ou encore il interprète le fait qu'Angélique débranche brusquement le magnétophone, pièce centrale d'un cours qui mêlait Stendhal, le surréalisme, Lacan et Bobby Lapointe, comme une victoire) tout en sachant éviter de trop s'y confronter (" J'ai agi comme si j'avais voulu préserver la fiction que je me créais de tout contact avec une réalité qui la détruirait"), et voit des signes d'une importance capitale dans tout ce qu'il perçoit (son, regard, …). Le texte qu'il a rédigé "sur un très vieux cahier de brouillon à peine entamé en établissant de très savants parallèles et analogies entre les situations de la classe et des instants de ma vie" ressemble probablement par certains aspects au livre autobiographique du Président Schreber (objet de l'une des Cinq psychanalyses de Freud), avec lequel il partage aussi, mais sur un mode moins érotique, des délires sur le thème de l'androgynie ("j'étais capable de me déplacer entre le monde des hommes et celui des femmes. J'en avais pour au moins vingt années de travail à explorer cette découverte"). Cette partie autobiographique du livre s'achève lorsque, à l'occasion de la troisième intervention des gendarmes de la soirée, il est cette fois-ci emmené au poste puis, après examen par un psychiatre, transféré à l'hôpital. Si le psychiatre vu à la gendarmerie a un geste peut-être pas éthique mais heureux ("il m'a dit qu'une ambulance allait venir me chercher dans une demi-heure et qu'il fallait que je signe un papier si je voulais éviter beaucoup d'ennuis"... faire signer un papier sous la menace à quelqu'un qui délire est discutable en théorie, mais ce papier faisait la différence, apparemment considérable, entre une hospitalisation d'office ou volontaire!), l'auteur reproche aux intervenants rencontrés ensuite leur attitude ("personne n'a songé à m'expliquer où je me trouvais ni ce qui allait se passer pour moi", "on n'expliquera jamais assez au personnel soignant qu'il ne faut pas considérer le malade, présentât-il tous les aspects du délire, comme un objet"). Non qu'ils lui aient fait subir des mauvais traitements (dont il a pu avoir l'expérience lors de sa première bouffée délirante! -emmené à l'hôpital endormi par les sédatifs, réveillé par un infirmier avec un plateau-repas qui lui ordonne d'avaler le médicament posé sur le plateau en question, retransféré du pavillon à l'encadrement plus léger où on avait fini par l'admettre au service initial pour une crise de larmes, infirmier qui le trouble en imitant le mouvement de ses pieds "de façon que je ne sache pas si c'était lui ou moi qui guidait le geste" pour s'amuser, douche froide, phlébite prise pour une douleur simulée, …-), mais le fait qu'on ne lui explique rien d'une part n'était pas rassurant et d'autre part laissait libre cours à de nouveaux délires interprétatifs, puisqu'il devait lui-même deviner ce qu'on ne lui expliquait pas (le passage d'une ambulance à un taxi-ambulance a par exemple été interprété comme une libération future : on le sortait selon lui de l'ambulance parce qu'une erreur le concernant avait été admise).

La seconde partie concerne sa première expérience de bouffée délirante, dont j'ai parlé plus haut ("Les médecins pariaient sur le fait que cette bouffée délirante serait la première et la dernière de ma vie. Je fis donc comme si rien ne s'était passé") mais surtout la suite, sa vie de malade : les hospitalisations, le traitement médicamenteux, les symptômes au quotidien, les rechutes, ses activités et projets... Une rechute après avoir obtenu le CAPES de documentaliste l'a dissuadé de reprendre une activité professionnelle (même s'il est maintenant bénévole dans une association, et qu'il n'a jamais pris de décision définitive à ce sujet). Bien qu'il ait à priori tous les éléments pour être un bon enseignant (compétences académiques considérables, nombreuses expériences de contact avec des adolescents - "j'avais été animateur auprès d'enfants, puis formateur auprès de futurs animateurs, j'exerçais le métier de surveillant depuis plusieurs années et avais connu différents types d'établissements"-), il a la particularité d'avoir d'énormes difficultés pour passer du projet (confortable) à son aboutissement, entre autres parce que l'aboutissement constitue la fin du projet, provoquant un vide. De cette angoisse constante du vide ("l'unique sentiment d'un grand vide intérieur sur lequel je ne peux avoir aucune prise"), malgré la pratique de la méditation de pleine conscience, découlent d'autres symptômes ("repli sur soi, retrait social, difficulté à agir, tels sont les trois grands maux contre lesquels j'ai à lutter"). Il a du mal à définir sa propre identité, tend à être d'accord par automatisme avec l'interlocuteur, ne parvient parfois à se concentrer que sur une chose à la fois ("lors d'un pot récent entre amis, je ne me suis aperçu que mon chocolat était délicieux qu'à partir du moment où l'une de mes camarades a fait remarquer à tous combien il était onctueux"). L'un des moyens de lutter contre cette angoisse du vide est de s'occuper constamment, et de s'investir et de s'enthousiasmer pour chacune de ses activités, dont une grande partir consiste à lire ("j'ai réussi l'exploit de m'empêcher de penser en lisant des livres de philosophie"), en particulier dans son lit qui fait office de bulle protectrice. Il souffre également de difficultés à mémoriser, si surprenant que ça puisse paraître au vu de son parcours universitaire.

Le traitement médicamenteux, vital, s'est amélioré au fur et à mesure de tâtonnements, avec des psychiatres plus ou moins disposé·e·s à écouter les demandes et ressentis de leur patient. Son traitement actuel, celui qui a le plus d'avantages ou plutôt le moins d'inconvénients, est le résultat d'environ 20 ans de différentes expériences ("c'est moi qui, grâce à la rencontre d'une amie ancienne interne en psychiatrie et schizophrène elle-même, ai proposé à ma nouvelle psychiatre d'essayer une nouvelle molécule : l'aripiprazole"). L'équilibre à trouver entre la limitation des délires, le contrôle des phases maniaques sans pour autant tomber dans la dépression, les effets secondaires à éviter, est délicat. Un·e psychologue n'est certes pas habilité·e à prescrire, mais ce n'est pas plus mal de préciser qu' "un médicament contre la schizophrénie", ou même "un médicament contre la schizophrénie dysthymique", ça n'existe pas.

Le livre, et je pense que c'est le but, est très accessible. Il est court, se lit aussi facilement qu'un roman (et encore, un roman qui se lit facilement), le propos est toujours clair même pendant la partie narrative, … Il est donc à recommander que l'on soit confronté·e professionnellement à des schizophrènes, que l'on fasse des études pour être amené·e à l'être, que l'on ait un·e proche qui souffre de schizophrénie ou, probablement, que l'on soit soi-même schizophrène. C'est un cliché de dire ça, mais ça permet vraiment de voir la maladie, et surtout ceux et celles qui en souffrent, autrement, ce qui n'est pas forcément évident, j'imagine, quand on les rencontre pendant qu'iels sont pris·es dans un délire intense. Quatre références sont proposées à la fin pour approfondir, trois livres (dont un Que sais-je?) et le site Internet de l'association Schizo? Oui!

dimanche 8 décembre 2013

Les nouveaux visages de la discrimination, d'André Ndobo





 Si la xénophobie, le sexisme, l'homophobie sont à l'évidence présents dans la société contemporaine, ses manifestations, comme le film Case Départ, par exemple, le souligne, ont radicalement changé. L'un des changements les plus évidents est législatif : alors que les discriminations étaient dans un passé pas aussi lointain qu'on pourrait le souhaiter inscrites dans la loi (interdiction du droit de vote aux femmes, séparation des Noirs et des Blancs dans l'espace public -transports en commun, restaurants... et même toilettes- aux Etats-Unis, …), la législation d'aujourd'hui sanctionne au contraire les différences de traitement avérées dans l'accès, entre autres, au travail et au logement. L'auteur, chercheur en psychologie sociale, se demande de quelle manière les préjugés persistent dans la société contemporaine (très contemporaine, le livre a été publié en 2010), comment ils sont exprimés et comment lutter contre leurs nouvelles manifestations.

Le livre commence sur des rappels généraux (spécificités des relations intergroupes -instinct de protection de l'endogroupe contre l'exogroupe, par l'agression ou la fuite selon le rapport de force ressenti, apport et limites de la notion de personnalité autoritaire, conditions du sentiment d'endogroupe et d'exogroupe, ...-, concepts de préjugé, de stéréotype et de discrimination) qui seront poussés assez loin, et qui apprendront donc quelque chose même aux lecteur·ice·s qui connaissent déjà ces bases. Il rentrera ensuite dans le vif du sujet, à savoir les différences entre le "racisme classique" (explicite, assumé, qui n'est pas précédé par "je ne suis pas raciste"), qui existe toujours ("malgré les apparences, ce racisme est tenace dans nos sociétés et il semble survivre aux différentes politiques et législations progressistes visant à combattre les préjugés et les discriminations") et ses formes contemporaines, telles qu'elles peuvent couramment s'exprimer.

Pour donner une idée de la différence avant/après, le terme de "racisme" lui-même n'existe que depuis 1932 (ce qui ne veut pas dire que des tensions sur le sujet n'aient pas existé avant, Clémenceau s'était par exemple opposé en 1885 à Jules Ferry qui évoquait, à propos de la colonisation, les droits et les devoirs des races supérieures envers les races inférieures). Les scientifiques reconnus ne cherchent plus dans leurs travaux à justifier une hiérarchie entre les races (André Ndobo balance à ce sujet quelques noms, comme Galton, Spearman ou Le Bon, que tout·e étudiant·e en psycho aura croisé dans ses manuels, probablement en 1ère année, sans que cet aspect douteux de leur œuvre ne soit nécessairement mentionné). Les outils de mesures des stéréotypes utilisés par les chercheur·se·s en psychologie sociale ont eux-mêmes dû évoluer tout au long du XXème siècle : collecter les préjugés ou stéréotypes déclarés n'a plus beaucoup de sens (sauf si on veut démontrer artificiellement la fin du racisme!), il convient de trouver des moyens de pousser le sujet à les exprimer à son insu (comparer une condition A avec un personnage endogroupe à une condition B avec un personnage exogroupe, relever la proportion de vocabulaire mélioratif et péjoratif dans le discours, mesurer des temps de réaction pour voir si le sujet associe telle caractéristique, ou son absence, à telle minorité, proposer des items dont la réponse pourra être interprétée comme motivée par autre chose que du racisme, …). Les chercheur·se·s, surtout des chercheur·se·s américain·e·s donc les recherches concerneront principalement les relations entre Blancs et Noirs, ont identifié plusieurs formes de racisme (ambivalent, symbolique, moderne, subtil, néoracisme, …) qui s'avèrent finalement plutôt voisines (certain·e·s chercheur·se·s ont aussi constaté une corrélation entre le racisme classique et ses autres formes). Le constat général est que la plupart des gens se déclarent prêts à réduire les inégalités, mais s'avèrent soudain réticents quand des mesures concrètes les concernent directement (discrimination positive à l'emploi ou pour l'établissement scolaire, présence des individus des minorités dans le voisinage, …). Les justifications données, toutefois, seront expurgées de l'argument raciste (la corrélation avec les préjugés n'est donc qu'une terrible coïncidence) : tel·le candidat·e n'est pas idéal·e pour le poste, la discrimination positive est incompatible avec la méritocratie, cet exogroupe ne partage pas les valeurs de l'endogroupe donc ça ne va pas le faire, … La clef est que les discours soient compatibles, non pas avec la responsabilité citoyenne, mais avec la désirabilité sociale (la crainte de se ressentir comme raciste est telle que, dans une expérience où le sujet devait insulter quelqu'un pour les besoins de l'expérience -la personne insultée, complice de l'expérimentateur·ice, s'en allait avant qu'on lui explique le vrai motif des insultes-, il en faisait plus, en ayant l'occasion de se rattraper -en recopiant de nombreuses fois une phrase pour les besoins d'une recherche de la personne insultée- si sa "victime" était noire que si elle était blanche). Les responsables politiques, qui ont moins à se soucier de la désirabilité sociale puisqu'ils en sont, dans une certaine mesure, les arbitres (hauts placés, personnages publics, porteurs de responsabilité, leur comportement contribue directement à influer sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas), ont eux-mêmes des reproches à se faire dans le maintien de l'idéologie raciste : Pierre Tevanian et Sylvie Tissot ont par exemple recensé en 2002 (dans Le dictionnaire de la lepénisation des esprits) des citations qui "attestent de la réappropriation du discours de l'extrême-droite par la classe politique française dans son expression publique"... depuis 1982. Dans la mesure où le FN était très loin, en 1982, de faire 20% au premier tour, c'est l'occasion de constater que cette attitude responsable a une grande rentabilité électorale. Une autre façon de tenir un discours raciste sans le dire est d'évoquer la culture plutôt que l'origine, ou de prêter implicitement des comportements incivils au groupe ciblé en laissant à l'interlocuteur·ice le soin de faire le lien ("après le discours sur l'immigration clandestine (lorsqu'elle est invisible), succède celui sur les jeunes de banlieue (ennemis intérieurs), violents et incivils et, plus tard, le discours sur la menace islamiste, qui jette le soupçon sur tout ce qui est islamique").

Une fois les mécanismes insidieux identifiés, l'auteur évoque les moyens connus de lutter contre les discriminations, sans trop croire à leur efficacité définitive ("l'unité de contenu entre les formes classiques et modernes des préjugés incline au pessimisme sur la fin des préjugés") bien qu'il considère ce combat indispensable ("le projet de création et de pérennisation des conditions d'un mieux vivre ensemble est un défi majeur"). Les solutions proposées sont entre autres intégrer la diversité culturelle dans l'éducation (préférer la connaissance au mythe, limiter l'ethnocentrisme, …), communiquer à grande échelle selon certains conditions ("certaines campagnes de masse produisent souvent des effets contraires aux attentes"), par exemple produire un message positif et explicite et insister sur les points communs entre endogroupe et exogroupe (de préférence exogroupeS), créer une situation de coopération (un exemple concret de coopération pour un travail scolaire est proposé), reproduire dans un jeu de rôles la situation Blue eyes/Brown eyes où les sujets se retrouvent tour à tour en situation d'oppresseur et d'opprimé, proposer des façons diverses d'appréhender sa propre identité (si on estime avoir plusieurs identités, plus d'individus vont partager au moins une identité avec nous), … Le livre s'achève sur trois expériences de l'auteur (il nous fournit même les résultats chiffrés), deux où l'on constate peu de différence sur un refus d'embauche mais une différence sur le discours justifiant le refus si le candidat est noir (VS un candidat blanc) ou une femme (VS un candidat homme) et une troisième où le fait d'inviter à la bienveillance pour une candidature au nom de la discrimination positive nuit en fait à la candidature (l'auteur pense que l'effet nuisible de l'injonction est probablement vrai aussi pour les lois mémorielles : le sujet préfère être exemplaire de lui-même, c'est juste dommage qu'il le soit rarement si l'on en croit l'état actuel des choses).

Le livre est très dense et parfois technique et complexe : malgré ses ambitions citoyennes, il s'adresse clairement aux étudiant·e·s (de la 2ème année de licence au Master 1, selon la maison d'édition). Les chapitres sont suivis d'un rappel des mots-clef (sans leur définition, si on oublie on a gagné un tour gratuit dans le chapitre qu'on avait fini à l'instant) et de redoutables "Questions pour mieux retenir" et "Questions pour mieux réfléchir", histoire de constater qu'on a zappé une ou des parties qu'on vient pourtant de lire.

On peut regretter aussi que le chapitre sur le sexisme soit extrêmement court, principalement parce qu'il traite presque uniquement du sexisme dans le travail (le thème est en revanche très bien traité, l'auteur explique par exemple que non seulement les stéréotypes homme/femme tendent -mais c'est probablement une coïncidence- à maintenir les femmes dans les postes moins qualifiés -"les profils professionnels, notamment ceux des dirigeants, tendent plutôt à recouper les stéréotypes masculins (puissance, initiative, ambition, …) que les stéréotypes féminins (sensibilité, chaleur, empathie, ...)"-, mais que le fait même de ne pas coller aux stéréotypes est mal vu -"les profils des candidats qui transgressent les prescriptions stéréotypiques (une femme agentique ou un homme communial, par exemple) seront pénalisés"-, ce qui constitue une inégalité des chances doublement difficile à surmonter et, de plus, insidieuse), alors qu'il se manifeste aussi dans les loisirs (la gameuse Mar_Lard explique, dans ce texte emblématique mais pas que, que le·a consommateur·ice de jeu vidéo, contre toute logique factuelle, est considéré comme presque forcément un homme -par ailleurs obsédé sexuel et pas très malin-, ou que certains voient comme une offense insoutenable à leur virilité qu'une fille ait des connaissances en informatique, mais on pourrait aussi parler des pages bleues et roses des catalogues de jouets) ou des violences trop tolérées que peuvent subir les femmes (manque de liberté dans l'espace public à cause du risque de drague lourde, sifflements etc... -un parallélisme peut être fait avec le contrôle au faciès, sortir en paix est un privilège-, violence conjugale -la violence conjugale c'est un crime mais là c'était une crise de jalousie c'est pas pareil/une gifle de temps en temps ça compte pas/c'est elle qui invente pour lui soutirer plus de sous avec le divorce/si elle reste avec lui et qu'elle laisse faire en même temps elle est un peu responsable-, minimisation ou présomption de consentement en cas de viol -surtout si par malheur elle avait une jupe ou un décolleté quand c'est arrivé, ou qu'elle sortait seule et tard, ou que le coupable est son conjoint ou un ex-, …). Le sexisme est aussi particulièrement cohérent avec le thème des nouveaux visages de la discrimination : les stratégies pour ne pas s'admettre sexiste ou pour ne pas admettre que l'inégalité est un fait sont nombreuses et les arguments sont en général maintenus avec virulence, un contournement sémantique peut être opéré ("complémentarité" homme/femme) ou la violence changée de côté ("théorie du genre", volontairement vague, agitée comme un épouvantail par les plus extrémistes, terme de féminisme considéré comme péjoratif au point que la formulation "je ne suis pas féministe, mais..." est fréquente, …). La question de la désirabilité sociale et les préjugés exprimés de façon indirecte, caractéristiques des nouvelles manifestations des préjugés, s'appliquent donc tout particulièrement au sexisme, ce qui apparaît très peu dans le livre. J'imagine (mais je n'en sais rien, sinon j'aurais écrit le livre au lieu de le résumer!) qu'il aurait pu être pertinent de consacrer une partie spécifique au lien entre humour et préjugés. L'humour est évoqué, le thème de la désirabilité sociale largement traité, mais le thème paraît suffisamment riche pour être plus développé (d'ailleurs, il y a un exemple de développement ici même si c'est un sociologue qui écrit et pas un chercheur en psy sociale). Dernière critique : le livre parle énormément de la discrimination positive, de ses avantages et de ses inconvénients, mais un avantage n'est pas mentionné. Si "les stéréotypes ont deux propriétés : ils sont collectifs et résultent d'un accord interpersonnel", l'aboutissement de la discrimination positive est, on peut rêver, une représentation, et donc une visibilité importante des minorités dans des contextes où elles n'avaient, selon les stéréotypes, rien à faire. Par exemple, dans une société où une femme ou un maghrébin ministre ou PDG est l'exception, les stéréotypes sont renforcés : le fait de ne pas avoir d'exemple visible de ces minorités à ce niveau de responsabilité peut donner l'impression qu'iels n'y seraient pas adaptés, voire que les rares contre-exemples sont des usurpations. Si de tels exemples sont fréquents, les individus concernés auront plus de chances d'être perçus par leur fonction avant de l'être par leur appartenance à une minorité, et ces contre-exemples plus normalisés auront toutes les chances de diminuer la puissance des stéréotypes. Cela reste toutefois une conséquence à long terme de la discrimination positive, donc quelque chose de difficilement mesurable.

Bon, c'est tout pour les critiques, et puis elles sont un peu plus la faute du thème que la faute de l'auteur. Le livre est à recommander, mais surtout si on maîtrise les bases de la psychologie sociale, comme l'indique la couverture.

jeudi 5 décembre 2013

Tous racistes? de Pascal Morchain



  Tiré d'une conférence de l'auteur, dont le contenu a été développé en fonction des interventions du public, le livre a, même s'il est admis que c'est impossible, l'ambition d'être exhaustif et concis. D'un côté, personne ne niera qu'il est concis : ses 55 pages se lisent très vite.

L'ambition d'exhaustivité sera surtout servie par la précision du message : le titre n'est pas uniquement une accroche provocatrice ou un truc facile à retenir pour inciter à l'achat, mais le thème du livre. Si les bases de la psychologie sociales sont rappelées, l'objet est d'expliquer que nous sommes tou·te·s concerné·e·s par les stéréotypes, et que ça peut parfaitement être involontaire et inconscient ("que je le veuille ou non, je possède une série de stéréotypes concernant les femmes, les maghrébins, les juifs, les travailleurs sociaux, les artistes, etc."), même quand ça aboutit à des discriminations.

Le livre commence par un rappel du vocabulaire de base, ce qui est plutôt une bonne idée, ça permet par exemple de comprendre la phrase "les stéréotypes sont moins prédicteurs de la discrimination que ne le sont les préjugés". En fait, les préjugés désignent l'aspect affectif de l'attitude (bien/mal, j'aime/j'aime pas). Par exemple, j'adore les personnes qui sont nées un mardi. Les stéréotypes concernent la partie cognitive de l'attitude, je prête telle ou telle caractéristique au sujet (les gens qui sont nés un mardi sont doués en informatique et fans de Maria Carey). Enfin, la discrimination désigne ce qu'on fait, les actions qui sont la conséquence de l'attitude. Pour reprendre l'exemple précédent, quand je rencontre quelqu'un qui est né un mardi, je lui propose une partie d'échecs en parlant en javanais (sauf, bien sûr, s'il mesure 1m74). Bon, c'est génial, maintenant vous pouvez comprendre la phrase au début du paragraphe! On peut regretter, quand l'auteur précise que les stéréotypes peuvent être positifs, qu'il ne rappelle pas qu'en général quand les stéréotypes sont positifs il y a quand même anguille sous roche. Dire que les Noirs sont naturellement sportifs ou bons danseurs est une manière bien commode de sous-entendre qu'ils ne sont pas très malins (on ne peut pas tout avoir), de la même façon que dire que les femmes ont des compétences relationnelles fantastiques peut les dissuader implicitement par exemple de faire des études scientifiques (les chiffres ce n'est pas très relationnel, on ne va tout de même pas leur faire ça), ce qui, mais c'est forcément une coïncidence, éloigne de débouchés plus lucratifs.

C'est bien de savoir qu'on a tous des stéréotypes, mais on peut se demander d'où ils viennent (et en plus c'est utile, "l'application automatique des stéréotypes, qui peut entraîner la discrimination, est proche de la conduite automobile ou de nombre de nos routines quotidiennes : elle résulte d'un apprentissage"). Seront listés, en précisant qu'ils n'expliquent pas tout, le contexte socio-économique (quand c'est la crise, on est prompt à désigner un coupable), le conflit entre groupes (sans blague!), le milieu social (telle la télégénique candidate FN aux municipales qui, habituée qu'elle est à être entourée de militants FN, enchaîne une série des clichés les moins subtils sur les Noirs tout en répétant le plus sincèrement du monde qu'elle n'est pas raciste), la répétitions des stéréotypes des parents ou de ceux induits par la société discriminante dans laquelle on vit, que ce soit en observant ce qui se passe réellement ou ce que les médias nous expliquent, … En ce qui concerne les cause individuelles, la personnalité autoritaire est évoquée et un peu trop vite éjectée. D'une part on peut regretter que, dans un livre ultra récent (2012!), la personnalité autoritaire soit présentée telle qu'Adorno la définissait comme si rien n'avait été fait depuis ([mode branleur on] Pascal Morchain devrait lire mon blog [mode branleur off]), et d'autre part, si on peut effectivement dire des stéréotypes qu' "au sein d'une société particulière, ils sont partagés par tout un chacun" et que, si on a un livre de psychologie sociale entre les mains, c'est qu'on ne niera pas que les contextes situationnels "apparaissent pourtant déterminants dans la compréhension du phénomène", il y a quand même des gens qui prennent beaucoup moins de distance que d'autres avec les stéréotypes. Ce n'est certes pas le sujet du livre, pour l'excellente raison que y a pas la place et donc il y a des choix frustrants à faire, mais si au sens strict les stéréotypes ne sont pas générés spontanément par le tempérament des gens, rejeter du revers de la main cet aspect peut induire en erreur. Dernier aspect, les stéréotypes existent aussi pour la simple raison qu'ils sont bien pratiques : le classement en catégories permet d'avoir plus de données (ou d'avoir l'impression d'en avoir plus) avec moins d'infos au départ, et on aime bien avoir plus de données. Et la catégorisation reine, c'est la différence qu'on fait entre Eux et Nous ("le simple fait d'être catégorisé dans un groupe ou une catégorie entraîne la perception que NOUS valons (un peu) mieux qu'EUX, et entraîne facilement la discrimination"). J'ai dit plus tôt que l'auteur ne précisait pas, quand il disait qu'un stéréotype pouvait être positif, qu'en général les stéréotypes positifs ne l'étaient pas tant que ça : en fait là il le fait un peu quand il explique que les stéréotypes qui concernent les autres sont spontanément négatifs. Il va sans dire que les stéréotypes positifs qu'on s'applique à soi sont, eux, sincèrement positifs. Cette explication sur la catégorisation s'achève sur un tableau bien pratique qui rappelle en un coup d'œil comment cette tendance évolue selon le contexte : en situation standard, les autres sont bien, on est juste meilleurs, en situation de compétition, on est bien meilleurs, et en cas de conflit on passe à gentils VS méchants. Un élément particulièrement insidieux, et qui peut paraître contradictoire avec la fonction d'économie cognitive du stéréotype, est qu'on aura moins de scrupules à céder au dit stéréotype si on a plus d'infos sur la situation ("des experts peuvent être amenés à produire des jugements plus stéréotypés que les non-experts"). L'auteur relate ainsi une expérience où il était demandé aux sujets de se prononcer sur une petite fille (des informations, différentes selon les sujets, étaient fournies sur son niveau socio-économique et sur la profession des parents). Les sujets se prononçaient alors plutôt mollement. Dans une autre situation, il était suggéré que la petite fille avait passé un test d'intelligence : dans cette deuxième condition, les sujets se sont prononcés sur son intelligence de façon parfaitement conforme aux stéréotypes induits.

 Les stéréotypes n'ont pas seulement des causes, ils ont aussi des conséquences, au delà de l'éventuelle discrimination. Ils peuvent par exemple, et c'est là qu'ils sont très dangereux, s'autojustifier. La prophétie autoréalisatrice peut être autoréalisée par le stéréotypeur (qui adapte son comportement aux attentes qu'il a envers la personne concernée, une attitude méprisante aura par exemple un impact sur l'estime de soi de l'interlocuteur) et même par le stéréotypé (ça s'appelle alors la menace du stéréotype) : dans une expérience particulièrement éloquente, où on faisait passer un test de mathématique à des femmes asiatiques, le groupe auquel on disait tester les compétences en maths des femmes avait de mauvais résultats, et le groupe auquel on disait tester les compétences en maths des asiatiques avait de bons résultats. Certaines recherches ont aussi montré que, si le sujet sait à l'avance que l'expérimentateur veut vérifier un stéréotype, l'effet de la menace du stéréotype est atténué.

  Le livre se termine sur des propositions pour lutter, en cohérence avec le titre du livre, non pas contre l'ardente propagande anti-roms ou anti-musulmans qui nous entoure ou contre l'homophobie dans sa forme la plus décomplexée, mais contre nos propres stéréotypes (et en fait, c'est déjà pas mal). Prendre conscience de nos propres croyances (et éventuellement les noter sur papier) est une première étape (plus le droit de dire "je suis pas raciste"... et encore moins "je suis pas raciste, mais"). Le contact entre groupes discriminants et groupes discriminés est une autre solution, mais seulement sous certaines conditions (pas de hiérarchie préalable, contexte de coopération si possible, …). Une autre solution est d'utiliser le moins possible les termes qui suggèrent des endogroupes et exogroupes (les anglophones ont par exemple la bonne idée de parler de Human Rights -droits de l'être humain- au lieu de Droits de l'Homme, qui mettent 50% de l'humanité de côté à chaque fois qu'on a la flemme de faire une périphrase pour dire que l'Homme en fait c'est tout le monde) ou encore la catégorisation croisée, mais ça pour vous en parler il faudrait que je comprenne ce que l'auteur a bien pu vouloir dire par "on parle de catégorisation "croisée" quand il y a pour chaque sujet une dichotomie entre sa catégorie d'appartenance et l'autre catégorie selon une première catégorisation qui ne se recouvre pas mais qui se croise avec sa catégorie d'appartenance et l'autre catégorie selon une seconde catégorisation". Et aussi, bonne nouvelle, légiférer, ça marche ("le contexte sociétal est important dans la génération ou le contrôle de ces phénomènes"... ce qui veut dire à l'inverse que des responsables politiques qui font la course aux propos xénophobes ont un effet néfaste sur les comportements individuels). L'auteur fait une autre proposition intéressante et non consensuelle : "dans le domaine éducatif, nier les différences ethniques n'apparaît pas comme une bonne stratégie d'intégration", "affirmer et exploiter les différences apparaît plus intéressant. Et si l'on en croit Saint-Exupéry, combien plus enrichissant?". Sur un sujet si complexe et explosif, c'est regrettable que le propos ne soit pas plus développé, avec des propositions plus concrètes. Si les hurlements de rage ou de panique des éditorialistes qui s'alarment de la fin approchante de la culture française me font surtout, selon leur niveau d'influence, rire ou pleurer, la lutte contre la xénophobie m'apparaît plus compliquée que se prendre tous par la main et faire une ronde dans les champs en chantant "all you need is love" sous le soleil couchant, même si le Petit Prince intègre la ronde (et même si l'image d'Eric Zemmour et Dieudonné dansant avec le Petit Prince sous le soleil couchant n'a pas de prix). "Affirmer et exploiter les différences", est-ce que ce n'est pas justement faire un mode d'emploi des stéréotypes? Pascal Morchain connaît son sujet et sa proposition est probablement censée, mais elle reste trop vague (on peut lui faire dire tout et n'importe quoi, d'ailleurs je viens de le faire) et il faudrait à mon humble avis plus de 55 pages pour la développer.

 En plus de cette proposition, ce livre qui consiste principalement à reprendre les bases de la psy sociale, serait-ce pour faire prendre conscience d'une vérité peu agréable à entendre, contient quelques éléments qui sont eux aussi non consensuels, qui font du livre quelque chose de plus personnel. Je pense par exemple à une critique de l'hétérosexualité comme norme (dire  que l'hétérosexualité n'est pas plus normale que l'homosexualité, c'est aller beaucoup plus loin que de seulement dire que l'homophobie c'est mal) qui apparaît discrètement au détour d'une critique de publicité ("l'image et le texte activent non seulement un stéréotype féminin, mais aussi une représentation des relations de couple, dans lequel l'un des membres est obligatoirement une femme"), ou encore une comparaison, où il cite un livre publié en 2009 qu'il a lui-même écrit (Psychologie sociale des valeurs), entre la notion de race créée de toutes pièces sur des critères absurdes pour justifier une oppression institutionnelle et le sexisme (une critique aussi virulente et directe du sexisme est loin d'être admise comme une évidence... y compris en psychologie sociale, j'ai le mauvais souvenir d'avoir lu des choses douteuses écrites par Joule et Beauvois).

  Le livre est court (il se lit à peu près aussi vite qu'un manga), et traite un sujet qui concerne tout le monde, il peut donc être judicieux de le faire tourner à un éventuel entourage un peu coopératif. Si on veut chipoter on peut éventuellement reprocher à l'auteur d'utiliser du vocabulaire technique certaines fois où ce n'est pas nécessaire (il arrive quand même à caser "résultante évaluative" dès le 3ème paragraphe!), ce qui demandera un peu d'efforts aux lecteur·ice·s profanes sans pour autant rendre le texte inaccessible. Et s'il vient à l'auteur l'idée de publier quelque chose de plus long, je pense qu'on peut y aller en toute confiance.

mardi 3 décembre 2013

Les meilleurs trilogies sont en trois épisodes: projet tutoré de psychologie sociale



 Après celui de psychologie clinique il y a 2 ans et celui de psychologie du développement l'année dernière, c'est en psychologie sociale que je vais devoir faire un projet tutoré cette année. Grand luxe pour mes camarades étudiant·e·s et moi, nous avons le choix entre deux formats, soit un projet tutoré classique (donc comme les deux précédents, on explique que telle recherche révolutionnerait son champ d'étude et on explique comment il faudrait la faire, puis on ne la fait pas, on garde ce plaisir pour le Master), soit un projet tutoré allégé (c'était le terme l'année dernière, il a peut-être changé cette année) qui consiste au contraire a faire passer un questionnaire élaboré par les enseignant·e·s, et à traiter les données recueillies (calculs, conclusion, …). Vu que le projet tutoré nouvelle formule a été agité l'année dernières par de nombreuses péripéties qui feraient passer Indiana Jones pour une partie de Uno dans une maison de retraite, le choix a été vite fait en ce qui me concerne. Restait à choisir le thème, stéréotypes ou attribution (je choisis le premier mais cool, la vague idée de sujet que j'ai concerne les deux!).

Vu que je suis encore en train de mendier rechercher un stage, et que l'urgence avant de me mettre sérieusement aux cours c'est le projet tutoré et le stage, les prochains posts du blog vont concerner les stéréotypes. Comme la bibliographie proposée consiste en des fichiers pdf, en anglais pour une bonne partie d'entre eux, je ne savais pas trop quoi prendre comme livres pour compléter, donc ma rigoureuse sélection a consisté en des livres au hasard écrits par des profs de psy sociale sur les stéréotypes. J'imagine que la lecture des livres au hasard en question me donnera des idées de références plus précises pour approfondir, si j'ai le temps (sont longs les pdf déjà fournis!).

dimanche 1 décembre 2013

Introduction aux théories des tests en psychologie et sciences de l'éducation, de Dany Laveault et Jacques Grégoire



 Ce n'est ni ce qui vient à l'esprit en premier quand on pense au métier de psy ("tu vas m'analyser!"), ni le plus sexy, mais une part non négligeable de la valeur ajoutée d'un diplôme de psychologue est la compétence à faire passer des tests. Ça sert en psychologie clinique (le fameux Rorschach par exemple), en neurologie bien sûr, pour faire de la recherche quel que soit le domaine, en psychologie du travail (une sélection à l'embauche, c'est un test : on vérifie par les moyens les plus fiables possibles -ou qui vont le plus faire bonne impression à l'employeur·se, comme la couleur de la peau du·de la candidat·e ou l'analyse graphologique- si un·e candidat·e va être un·e bon·ne employé·e), en psychologie de l'enfant (pour dépister un trouble du développement, ou faire passer un test de QI à la demande de parents qui estiment urgent de raconter savoir si leur enfant de 4 ans sera plus tard chirurgien·ne ou juste ingénieur·e), dans le cadre d'une expertise judiciaire (ce qui consiste, si on en croit la commission qui a suivi l'affaire d'Outreau -il est question des expertises psychologiques et psychiatriques le 23 février et le 7 mars-, à donner à des questions non pertinentes du·de la juge d'instruction des réponses qu'iel comprendra de travers), … En attendant d'être effectivement psychologue, ça permet de critiquer d'un air supérieur les tests dans les magazines, soit en se contentant de la crédibilité fournie par le statut d'étudiant·e en psycho, soit en utilisant plein de mots compliqués si on maîtrise effectivement le sujet. Bref, pour comprendre correctement l'ensemble des cours, il importe de comprendre comment on fait passer un test, comment on peut l'évaluer, comment il est construit, … Et, vu la bûche que j'ai ramassé au partiel dans cette matière (en 2ème année), il m'a paru judicieux, pour affiner ma maîtrise du sujet (qui, semble-t-il, était quelque peu incomplète), de profiter d'au moins une des références bibliographiques proposées dans le livre de cours.

Dans un développement écrit, il paraît qu'on est censé aller du plus évident au plus important, mais là ma critique concerne les deux : le terme d' "introduction" dans le titre est plutôt injustifié. C'est bien parce que certains points sont très approfondis, mais c'est aussi pas très bien parce que, pour en profiter pleinement, il faut déjà avoir un certain niveau de compétences sur le sujet. Il est d'ailleurs précisé sur le 4ème de couverture que l'ouvrage "intéressera tout particulièrement" les élèves des 1er et 2ème cycles... et leurs enseignant·e·s! L'étudiant·e en première année qui veut prendre de l'avance risque d'être vite perdu·e, et même pour les autres, à moins d'une maîtrise très avancée des stats, certains passages sont pour le moins acrobatiques à comprendre. Le premier chapitre (construction d'un test), toutefois, est à la fois simple, clair et intéressant et est à mon avis à conseiller à tou·te·s les enseignant·e·s, en tout cas celles et ceux qui seront amené·e·s à infliger des contrôles de connaissances à leurs élèves, c'est à dire leur écrasante majorité. Les différences de fonction des QCM, questions fermées et questions ouvertes sont détaillées, les dangers de fausser l'évaluation (réponse qu'on peut déduire de la question -ou des autres réponses proposées dans un QCM-, manque de clarté de la consigne, niveau d'exigence de la réponse non explicite, question qui facilite ou complique la tâche pour des raisons collatérales, …), qui rappelleront probablement des souvenirs d'élève aux lecteur·ice·s, sont listés, ... L'enseignant·e d'histoire-géo qui a l'habitude de rédiger ses contrôles de connaissance en mandarin apprendra par exemple avec émotion que, si ses élèves ne parlent pas le mandarin, leurs mauvais résultats ne s'expliquent pas nécessairement par un niveau insuffisant en histoire-géo. Si cet enseignant·e a lui·elle-même un niveau de mandarin catastrophique, ce sera l'occasion de réaliser que la compétence qu'iel évalue chez ses élèves n'est ni le mandarin, ni l'histoire-géo, mais la divination. Il est intéressant aussi de lire qu'un contrôle de connaissances (l'élève a-t-il appris ce que l'enseignant était là pour lui apprendre?) ne doit pas être élaboré de la même façon qu'un test qui doit aboutir à une sélection (par exemple pour accorder ou non un souhait d'orientation, comme dans Battle Royale mais en moins drôle), tant le système scolaire (en tout cas français) est une sorte de compromis entre les deux.

 Même s'il y a des passages très complexes et envahis d'équations au sens mystérieux, ça vaut le coup de s'accrocher et, parfois (souvent), d'accepter de ne rien comprendre du tout pas saisir toutes les nuances de ce qui est expliqué, parce que si le livre n'est certes pas organisé par niveau de difficulté, certaines notions sont importantes et claires. Des problématiques sur la validité des tests (est-ce que le test mesure ce qu'il est supposé mesurer?), sur leur fidélité (quel est le poids des circonstances -juge, contexte de passation, …-?) ou autres notions essentielles sont parfaitement accessibles, il faut juste les chercher patiemment au milieu des équations, des tableaux et des graphiques. On pourra par exemple avoir le plaisir d'apprendre qu'une distribution de scores peut être platykurtique ou leptokurtique (en fait ça veut juste dire soit qu'à peu près tous les scores sont représentés après le passage du test, soit que tout le monde ou presque a eu un score proche de la moyenne), ou que pour évaluer un nouveau test, on cherche à vérifier ce qu'il mesure mais aussi ce qu'il ne mesure pas (par exemple, lorsque que le Rod and frame test -mais si, le fameux Rod and frame test, celui que tout le monde connaît!- a été converti en test papier-crayon -Test collectif des figures cachées-, il a été constaté qu'il y avait corrélation entre les résultats aux deux tests, donc qu'ils mesuraient comme prévu quelque chose de comparable, mais que les résultats à la version papier-crayon avaient moins rien à voir avec certains tests d'intelligence non-verbale que la version originale, la nouvelle version s'est donc avérée moins spécialisée).

 Malgré mon grand amour pour la mauvaise foi, je ne peux pas accuser les auteurs de mal expliquer. Le livre est difficile d'accès parce que l'univers des tests est loin d'être simple et nécessite beaucoup de connaissances en soi, pas parce qu'il est rédigé dans un langage fantaisiste accessible uniquement à ceux qui l'ont rédigé (non, je ne fais pas référence à un enseignant de l'IED, d'ailleurs je ne vois pas ce qui vous fait dire ça!). Et être pris au sérieux, en tant que lecteur·ice, est plutôt une bonne chose ("Votre adversaire, vous le respectez alors vous le frappez!", disait le respectueux karatéka Fabrice Fourment à ce sujet lors des entraînements), même si ça a quelques inconvénients (comme l'absorption massive d'aspirine ou la sensation d'être idiot·e). Le terme d'"introduction" reste quand même mal choisi...

 Un reproche objectif toutefois : si le livre comporte en annexe une traduction des hiéroglyphes symboles mathématiques utilisés, et aussi des termes techniques du français vers l'anglais et inversement, ce qui peut justifier en soi de le garder à portée de main, l'absence d'un lexique avec une définition des termes importants se fait cruellement sentir. Le·a lecteur·ice qui veut éclaircir une notion en particulier sera réduit·e à une navigation plus ou moins périlleuse, en devant se contenter de l'aide relative de la table des matières.

vendredi 8 novembre 2013

De l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, de Georges Devereux



  D'abord, merci à Anton qui, en plus de laisser le premier commentaire sur ce blog (\o/ \o/ \o/) m'a signalé que le livre était disponible à un prix abordable sur e-bay ("seulement" 40 Euros). En fait, le livre a été réimprimé depuis donc est disponible partout et au prix d'un livre normal, mais j'aurais difficilement pu le savoir si je n'étais pas allé le chercher grâce à son info, du coup ça aurait quand même compliqué les choses pour en faire un résumé.

Chimiste de formation, psychanalyste qui n'a été convaincu par la validité des théories de Freud qu'à l'occasion de son travail d'ethnologue auprès de la tribu mohave, Georges Devereux, qui est donc familier à un niveau élevé avec de multiples formes de la science, fait bénéficier aux lecteur·ice·s de son expérience et de ses réflexions dans cet inventaire de ce qui se glisse, plus ou moins volontairement, entre le "et c'est cela que je perçois" (la formule revient très souvent) des chercheur·se·s et l'établissement d'une vérité scientifique (par exemple, "ce qu'on ne sait ni ne peut savoir dans le cadre de sa propre discipline, ce qu'on refuse de savoir (de prendre en considération) pour des raisons méthodologiques et ce qu'on présente (de manière optimiste) comme une explication (variables intermédiaires, constructions hypothétiques, etc. ) de ce qu'on sait et consent à prendre en considération", qui concerne tous les psychologues selon l'auteur).

  Même si la validité scientifique de la psychanalyse, sujet qui revient souvent en psychologie, est largement discutée et argumentée (à fortiori parce que l'auteur est lui-même analyste : "le psychanalyste, dans la mesure où il est un savant, devrait se soucier davantage de ses propres défaillances que de celles de ses critiques", "des outils doivent pouvoir se défendre tous seuls ; ils doivent mériter leur droit à l'existence jour après jour, et on doit les mettre de côté sitôt qu'ils cessent d'être les meilleurs dont on dispose") dans l'un des chapitres (pour conclure que si les concepts finaux ne le sont justement pas parce que, de l'aveu même de Freud qui parlait de "notre mythologie", ils ne sont pas des vérités définitives mais des constructions, la méthodologie elle-même est scientifique), et qu'à de nombreuses reprises l'auteur ironise sur les chercheur·se·s qui surestimeraient l'objectivité des expériences qui impliquent des rats (l'auteur parle d'un "rat statistique", virtuel bien sûr, qui serait l'idéal de ces chercheur·se·s), il ne sera pas question d'un concours de quelle est la méthode la plus scientifique, mais de comment tirer les conclusions les plus fiables possibles en général ("si nous voulons commencer à savoir, nous devons commencer par faire l'aveu d'une ignorance qui est dépassée une fois qu'elle est admise"). Le livre pourrait d'ailleurs s'appeler De l'angoisse à la méthode dans les sciences tout court, mais le parcours de l'auteur fait que les -très- nombreux exemples concernent, pour une majorité écrasante, les sciences du comportement.

 La pratique des chercheur·se·s ou des thérapeutes, ne leur en déplaise, et si blanche que soit la blouse blanche qu'iels portent éventuellement, est en effet orientée par force facteurs comme leur propre inconscient ("toute recherche est autopertinente sur le plan inconscient, si éloigné du Soi que son sujet puisse paraître au niveau manifeste"), le fait que l'individu tende à s'établir lui-même comme norme (son origine, son sexe, son âge, … comme "prototypes de ce qui est humain") et à "modeler sur lui l'image du monde extérieur", les découvertes qu'iels sont prêt·e·s ou non à accepter (Devereux donne un exemple où son aversion pour l'alcoolisme a nui à son travail d'ethnologue, erreur qu'il a pu rattraper avant de publier quand un de ses confrères lui a fait remarquer l'incohérence concernée à l'occasion d'une relecture), les réactions qu'iels provoquent chez l'objet étudié ("nous cherchons à éviter la contre-observation parce que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes ni ne connaissons notre valeur de stimulus... et que nous ne souhaitons pas la connaître", et pourtant même l'observation du·de la physicien·ne provoque une réaction chez l'électron -enfin c'est Devereux qui le dit, mais il s'y connaît un peu mieux que moi en électrons et en observation d'électrons, donc je vais pas le contredire-, c'est dire s'il est illusoire d'imaginer une observation qui n'influence pas un être vivant -"l'individu "rabaissé" par une étude qui néglige ou étouffe sa conscience de soi proteste contre cette "dévalorisation" par une mise en valeur excessive de sa conscience de soi"-, ce qui n'est pas nécessairement un problème du moment que c'est admis : "les données les plus caractéristiques de toutes les sciences du comportement sont des phénomènes que l'observation elle-même déclenche" -c'est, par exemple, au centre de l'expérience fondatrice de Milgram-, "ce que veut une science valable du comportement, ce n'est pas un rat privé de son cortex (au propre et au figuré) mais un savant à qui on rendra le sien") et celles qu'il lui prête (ces dernières préoccupations sont centrales en psychologie du développement, qui n'est pas évoquée dans le livre de Devereux, peut-être parce qu'elle était moins avancée à l'époque -le livre est paru en 1967-), …

 La partie sur l'ethnocentrisme et le racisme plus ou moins explicite est particulièrement fine et développée (limite pas rassurante tellement elle est encore valable aujourd'hui), prenant sauf erreur de ma part une avance certaine sur la psychologie sociale qui est pourtant un excellent outil pour comprendre ce type de mécanismes, ce qui s'explique probablement en partie par les multiples expériences d'ethnologue et d'immigré de Georges Devereux. Il évoque la condescendance envers les civilisations étudiées par l'ethnologue ("la plupart des spécialistes du comportement s'intéressent aux théories primitives, populaires, mythologiques, théologiques ou métaphysiques du comportement seulement en tant que "phénomène culturel" et non comme "science" " alors que "maintes observations primitives sont reprises aujourd'hui par les laboratoires modernes"), la tendance à considérer l'étranger·ère comme moins humain·e, avec des termes qui deviennent plus policés avec le temps ("Si un groupe ne semble pas réagir en conformité avec nos conceptions de "la nature humaine", son comportement est souvent dénigré comme "inhumain" (cruauté) ou  "bestial" (sensualité). De nos jours, on évite d'employer des termes chargés d'un jugement de valeur, mais la mentalité qu'ils reflètent influence encore une bonne partie de la science du comportement") -pour l'anecdote, en psy sociale ça s'appelle l'infra-humanisation de l'exogroupe et c'était mon sujet de partiel en juin-, le fait d'oublier de faire une distinction entre une communauté et ses coutumes (c'est quand même embêtant, parce que ça évite de s'apercevoir comment et dans quelle mesure les lois, rituels etc. les plus contestables sont effectivement contestés au sein de la communauté -au fait, c'est un écueil qui est évité dans l'extraordinaire série documentaire Tribe, qu'il faut absolument commander ou ne-pas-télécharger-parce-que-c'est-illégal-et-je-n'oserais-pas-suggérer-de-faire-une-chose-pareille si vous ne connaissez pas, vous ne le regretterez vraiment pas c'est promis juré et tout et tout-), des conséquences cliniques de la xénophobie ("des troubles exceptionnellement graves du modèle-de-soi et de l'image corporelle affectent des individus appartenant à des minorités raciales défavorisées qui acceptent sans critique le modèle-de-soi racial de la majorité", actes manqués de médecins qui passent à côté d'un diagnostic, même quand pour le coup il est justifié, qui pourrait sembler suggéré par un stéréotype, …), … Le chapitre sur l'influence cognitive des différences hommes-femmes est de même teneur (il explique même magnifiquement que le fait que l'homme et le pénis soient au centre des concepts psychanalytiques, qui font de la femme un être qui cherche à compenser le fait de ne pas être un homme, provient surtout du fait que l'homme s'est mis d'autorité au centre, parce qu'on pourrait tout à fait justifier un homme qui cherche à devenir femme -remplacer l'envie du pénis par l'envie de grossesse ou l'envie de seins, ...-), ce qui n'est pas non plus une énorme surprise vu que les mécanismes sont les mêmes (stéréotypes, préjugés, discriminations, plus ou moins délibérés ou ancrés, évidents), fournissant un redoutable argumentaire féministe clefs en main... avant de tout foutre en l'air en expliquant que les féministes sont à côté de la plaque parce qu'elles cherchent à imiter les hommes et que ça n'a pas vraiment de sens (sans se soucier du fait que les fameuses "imitations", par exemple conduire une voiture, gagner un salaire, sortir ou voter, ont plus pour objet le partage du pouvoir que de singer pour le plaisir de l'anticonformisme).

 Si la subjectivité est une fatalité et doit donc être identifiée, Devereux rappelle qu'il n'est pas non plus souhaitable que le·a chercheur·se se transforme en ordinateur ("le véritable scientifique n'est pas un "idiot savant", mais un créateur", "les analystes du comportement ont encore beaucoup à apprendre des poètes"). Le fait que Freud, médecin de formation, ait été un très grand consommateur de littérature, ou encore que la recherche par exemple en psy sociale ou en neurobiologie, qui implique des données sous leurs formes les plus glaciales (tableur Excel, ANOVA, imagerie cérébrale, …) demande énormément de créativité, lui donne plutôt raison. En ce qui concerne la méthodologie, il convient toutefois de se méfier de la créativité pour la créativité ("l'orthodoxie anxieuse de la vieille garde bornée, tant dans la science que dans les arts, est aussi stérile que l'hétérodoxie anxieuse des rebelles sans talents"). Il estime également que la science n'est vraiment une science que si elle s'appuie sur des faits ("un modèle qui n'est qu'intellectuel ne fait qu'éblouir l'intellect. Il est aussi "ingénieux" qu'une dispute médiévale sur le nombre d'anges pouvant se tenir sur la pointe d'une aiguille").

 En plus de très nombreuses illustrations factuelles tirées de la mythologie, de son expérience de clinicien ou d'ethnologue ou encore de celle des autres, Devereux fournit un guide de subjectivité complet et salutaire. On peut regretter qu'il ait été écrit avant des avancées importantes qui auraient pleinement concerné ce thème et sur lesquelles il aurait certainement eu beaucoup à dire (méthodologie en psy sociale pour neutraliser les différents biais du sujet, recherche d'objectivité en psy du développement alors que, toute armada de mesures et de chiffres qu'elle implique, "notre information sur la vie psychique du nourrisson est de nature surtout inférentielle ; elle consiste en reconstructions plus ou moins valides" -ah bien tiens, si, il en parle!-, expérience de Milgram où l'angoisse était centrale, …), mais en même temps il nous donne de beaux outils pour y réfléchir, alors est-ce que c'est si grave que ça?

mardi 8 octobre 2013

S5r le fil...



 Surtout pour des résultats de partiels, mieux vaut tôt que tard, mais mieux vaut tard que jamais (et puis on n'a pas vraiment le choix, c'est pas comme si on pouvait corriger les copies à la place des profs... d'ailleurs je me demande bien pourquoi). Si la première session des partiels a comporté quelques bonnes surprises (une très bonne en psychologie sociale, mais surtout une note de stats qui bien que de 3/20 se compense avec d'autres matières ---> je suis débarrassé à vie du calcul d'Anova à la main!!!), les résultats ont tout de même impliqué un voyage aux rattrapages (What did you expect?, comme dirait Uma Thurman). Vous l'aurez compris, c'est un peu pour ça que le blog était très très désert pendant presque deux mois (eh non, je n'étais pas en vacances... si seulement...), avec en plus le timing qui a fait que c'est Dolto qui s'est retrouvée en page d'accueil pendant cette période (c'est dire si j'étais trop occupé pour poster).

 Bref, je voulais crier ma joie à la face du monde : mon semestre 5 est validé, mon objectif de cette année est rempli!!! \o/ \o/ \o/ Et, pour faire les choses de façon holywoodienne, j'ai validé le semestre à 1 point près! Ça va un peu au delà de l'anecdote, parce que parmi les trois matières que j'ai passées au rattrapage, il y avait Attention, Perception, Mémoire, la matière la plus impossible de l'année (derrière les stats), une centaine de pages dont chaque paragraphe était à retenir, avec des noms de chercheur·se·s et des nuances de partout, et surtout dont un tiers était de la science physique (j'ai dû renoncer à m'entendre avec la science physique vers le 2ème trimestre de 4ème, soit environ 2 trimestres après ma rencontre avec la science physique). Autant dire que j'étais très satisfait de mon 7/20 en juin. Autant dire que ce n'est pas sur cette matière là que je comptais pour gagner l'essentiel des 6 points qui me manquaient pour pouvoir regarder de haut le reste du monde parce que moi, j'ai un S5 de psycho. Cette matière se trouvait aussi, par le hasard du planning, être la dernière à passer. Avec la fatigue accumulée : des révisions du juin, du stress de juin, des partiels de juin, du stress des résultats de juin, de mon travail où l'été est de loin la période la plus chargée, des révisions de septembre, du stress de septembre, du début des partiels de septembre et du bout du tunnel qui apparaissait, en lisant le sujet et en voyant que je ne connaissais pas du tout le cours pour une des questions (hop, noté sur 15, ça, c'est fait) et que je ne saisissais pas bien ce qui était demandé pour une autre, j'ai été tenté de sortir de l'amphi et de rendre copie blanche. Il a fallu que je me secoue, que je me dise que bon il y a 5 points en QCM (sans points négatifs) donc si je sais répondre genre à 3 questions, que j'ai de la chance sur les deux autres, il me suffit de gratter 3 points sur le reste du sujet pour ne pas être venu pour rien, 3 points c'est quand même faisable, pour me décider à faire le partiel "normalement" et marmonner quelque chose (oui, marmonner par écrit, parfaitement!) aux questions de cours, ce qui paraissait avant de m'y mettre un effort insurmontable.

 Bon, vous me voyez venir, surtout que je suis déjà venu tout à l'heure, j'ai eu 8/20 tout pile à cette épreuve, soit 1 point tout pile de gagné. A celle où j'avais eu 5/20 en juin et que je la sentais bien et en plus je savais mon cours, j'ai eu à ma grande incompréhension 6/20 (les 6 et 8 en 2ème année qui restent pour moi un grand mystère, avec la même prof, auraient dû me mettre la puce à l'oreille...). A celle où j'avais eu 6/20 mais cette fois je savais mon cours, j'ai eu 10/20, ce qui n'est ni une bonne ni une mauvaise surprise. Il fallait que je gagne 6 points minimum, j'ai eu 6 points tout pile... et j'en aurais eu 5 si j'avais cédé à la tentation de rendre copie blanche. Si je ne m'étais pas mis une paire de gifles (métaphoriquement, même si l'inverse n'aurait pas manqué d'intéresser les futur·e·s psy qui m'entouraient), j'aurais deux matières, dont cette fameuse et redoutable APM, à me traîner pendant mon semestre 6. Tout ça pour dire, RESISTEZ à la tentation de rendre copie blanche ou de ne pas venir au partiel. Vu de loin ça peut paraître évident. Quand même, tant de préparation, tout ça pour sur place renoncer à une malheureuse heure et demie (maximum) d'efforts! Mais sur le moment, avec la fatigue et le stress, je sais pas si c'est le fight or flight ou autre chose mais ça peut paraître super cohérent, et je ne pense pas être le seul à qui c'est arrivé (je ne parle pas des cas où on n'y va pas parce qu'on vise un 15/20 dont on a besoin pour être sélectionné quelque part, alors que si on a par exemple 11 ou 12 c'est fini, on ne peut plus repasser cette matière... là c'est cohérent pour de vrai de ne pas se présenter).

 Sinon, pour le projet tutoré de psy du développement qui a occupé ce blog autant dans la section fiches de lecture que dans la section je raconte ma vie, j'ai finalement eu 13/20, c'est satisfaisant. Par contre je n'ai pas eu d'autre retour que la note, donc je ne sais pas ce qui m'a valu d'avoir ces 13 points, ni ce qui m'a valu de ne pas avoir les 7 autres.

 Maintenant que j'ai toutes mes notes, je peux regarder résolument, le menton noblement relevé, vers l'avenir. Mon objectif de l'année prochaine est de valider le semestre 6, et ainsi de récupérer une belle licence de psychologie qui fera tenir sur un bout de papier 5 années mémorables (oui, première année en un an et après un semestre/an). C'est un peu intimidant, après ces débuts qui semblaient interminables, d'être à une seule année de l'entrée en Master. Le Master, c'est chez les grands... Les deux principales montagnes qui se dessinent à l'horizon de ce semestre 6 sont un projet tutoré en psychologie sociale... et un stage d'observation de 100 heures!!! 100 heures c'est pas beaucoup, mais je vais enfin voir des vrais patient·e·s, des patient·e·s qui sont pas en encre et en papier! Et voir des vrai·e·s psys qui travaillent pour de vrai, de près, pendant qu'ils travaillent! Ces deux montagnes vont être visibles depuis le blog. Bien sûr je ne vais pas raconter le stage (ne pas respecter le code de déontologie des psychologues avant même d'avoir la licence c'est pas nécessairement bon signe) mais la prof qui corrige le rapport de stage demande un maximum de lectures (si on peut même pas aller déranger des professionnel·le·s les mains dans les poches...), donc entre ça et le projet tutoré les lectures tiendront plus des suggestions des enseignant·e·s que des choix personnels. Pour mes camarades de l'IED : la prof de Méthodologie de l'Entretien étant semble-t-il très exigeante, attendez-vous aussi à voir pousser ici des fiches de lecture de la bibliographie proposée pour ce cours (par contre n'attendez pas exprès, je n'ai aucune idée de quand!).

Le programme pour l'année suivante c'est, si je suis admis (LOL), d'aller en M1 de psychologie clinique (à l'IED bien sûr, à moins de gagner au loto sans jouer ou que mon employeur, dans un élan de générosité, décide de me payer sans que je travaille en échange), sinon d'aller en M1 de psychologie du développement (qui est en fait un M1 clinique de l'enfant et de l'adolescent), où la sélection est semble-t-il moins sévère. Si je ne suis pris à aucun des deux (c'est envisageable parce que là, depuis la 1ère année je flirte tellement avec la moyenne que c'est limite du harcèlement), je vais probablement préparer le concours de conseiller·ère d'orientation (il se peut que ça signifie la fin des mises à jour sur le blog : en tant que pas psy ma légitimité pour parler de livres de psycho est déjà moyenne, donc continuer d'en parler sans même envisager d'être psy...). Mais jusqu'au 4 novembre, date de la rentrée, le programme, c'est vacances ^^

samedi 5 octobre 2013

The Authoritarians, de Robert Altemeyer



 J'avais lu par hasard le premier chapitre de ce livre en cherchant une version considérée comme à jour méthodologiquement de la F-scale (l'auteur présente, dans ce premier chapitre, la RWA-scale qu'il a lui-même créée et qui a d'ailleurs connu plusieurs versions successives) il y a un peu plus d'un an, dans le cadre de mon projet tutoré sur les troubles du comportement alimentaire (oui, j'ai de drôles d'idées). Bien qu'émerveillé par ledit chapitre, c'est à peu près un an plus tard que j'ai lu le reste du livre, pourtant disponible en ligne et gratuitement. Mon haut niveau de procrastination est pour une fois bien tombé, d'une part parce que, si j'avais eu une compréhension plus fine de la personnalité RWA, ça m'aurait compliqué la vie pour le projet tutoré et j'étais bien assez en retard comme ça, et d'autre part parce que l'opposition virulente qu'il y a eu en France au moment de l'autorisation du mariage entre homosexuel·le·s constituait une illustration bien plus précise de cette personnalité que la radicalisation acceptée de l'UMP en cours depuis 10 ans (un chapitre du livre explique d'ailleurs, à propos en particulier de Georges Bush fils, que la radicalisation d'un parti politique ne s'explique pas particulièrement par la radicalisation des électeurs).

 Le livre, écrit pour être publié gratuitement en ligne (par contre, à ma connaissance, il n'est hélas dispo qu'en anglais), est le résultat de recherches qui ont occupé l'essentiel de la vie universitaire de l'auteur, et son existence résulte à la fois de raisons scolaires (l'auteur s'est dirigé vers ce secteur de recherches après s'être ramassé dans un partiel à une question sur, si j'ai bien compris, la fameuse F-scale) et citoyennes (les élections présidentielles de 2008, il en parle dans un texte complémentaire, lui ont temporairement donné tort, mais il estime au moment de la publication du livre en 2006 que la situation est grave et qu'il y a urgence - "les six dernières années nous ont fourni de bien nombreux exemples de comportement autoritaire dans le gouvernement Américain. Ça n'est jamais autant tombé sous le sens, ça n'a jamais été aussi pertinent, ça n'a jamais été aussi urgent de parler du sujet", "Il n'y a pas eu dans mon existence de président plus autoritaire que George W. Bush, et il n'y a jamais eu de pire président. Ce n'est pas une coïncidence"). Son objet est d'être lisible par tou·te·s (et pas uniquement par quelques obscurs chercheur·se·s et étudiant·e·s), et de fait il se lit très vite, mais si l'auteur fait un effort de pédagogie et épargne aux lecteur·ice·s une partie des détails techniques, il ne fait pas de concessions sur la complexité des données ("ce n'est pas La personnalité autoritaire pour les Nuls"). Il m'est déjà arrivé de préciser sur ce blog le fait évident que le résumé n'est pas le livre, j'oublie forcément des choses importantes et à la limite c'est tant mieux, mais ce sera particulièrement vrai ici puisque le contenu est  dense.

 Pour ceux·elles du fond qui ne suivent pas je vais commencer par parler de la F-scale, vu que sans F-scale Robert Altemeyer n'aurait pas pu nous dire tout ça et du coup je serais en train de parler d'autre chose. Les dictatures qui ont terrifié et ensanglanté l'Europe à partir à peu près des années 30 jusqu'à conduire à la 2ème guerre mondiale, et qui maintenant servent à insulter l'interlocuteur à longueur d'échanges sur les réseaux sociaux sur Internet quand on n'a pas trop d'arguments, n'ont pas seulement inspiré 1984 mais aussi des recherches fondatrices en psychologie sociale, pour tenter de comprendre comment on pouvait en arriver là (la plus célèbre étant probablement celle de Milgram, dont vous avez tou·te·s lu le livre depuis que je vous l'ai ordonné ici). Parmi celles-ci, la création par Theodor Adorno de la F-scale (vous aurez brillamment déduit par vous-même que le F correspond à "Fasciste"), test de personnalité pour évaluer la sensibilité aux idéologies des dictatures en question. Celle là c'est la plus célèbre, il y en a d'autres, complémentaires, mais je ne pourrai pas en dire plus parce que j'ai juste lu leur nom une fois sur Wikipédia (je crois...). Si ceux·elles du premier rang qui suivent veulent prendre le relais iels sont les très bienvenu·e·s. L'un des défauts, peut-être le plus saillant, de la F-scale est que tous ses items vont dans le même sens (c'est une échelle de Likert, c'est à dire qu'on donne un score à chaque phrase proposée selon à quel point on est d'accord ou pas d'accord, sauf qu'ici, pour chaque phrase, plus on est d'accord plus on est "F", et ça se voit quand on passe le test). Altemeyer rapporte la teneur des débats pour faire évoluer ce test : "c'est ennuyeux, le biais d'approbation fausse le test" "Oui, mais peut-être que justement, la personnalité F implique une forte tendance à l'approbation, il faudrait vérifier ça expérimentalement" "Excellente idée! Comment on va sélectionner les individus F pour cette expérience?" "Euh, en leur faisant passer le F-scale?" (pour l'anecdote, oui, la personnalité autoritaire va de pair avec une forte tendance à l'approbation).

  L'échelle RWA, en plus d'impliquer pour avoir un score élevé d'être d'accord avec certains items (par exemple "Un jour notre pays sera détruit si l'on n'écrase pas les perversions qui rongent notre fibre morale et nos valeurs traditionnelles") et en désaccord avec d'autres (par exemple "Ceux qui ont défié la loi et le sens commun en militant pour le droit à l'avortement, les droits des animaux, ou contre la prière à l'école forcent l'admiration"), a été affinée au fur et à mesure des versions pour isoler trois traits principaux : une forte soumission aux autorités établies, une forte agressivité au nom des autorités en question, et un grand conformisme. RWA signifie Right-Wing Authoritarian (littéralement "personnalité autoritaire de droite"), mais pour l'auteur le "right" est plus à comprendre dans le sens de l'obéissance à la loi et à l'autorité que désigne le vieil anglais "riht" (ce n'est pas une faute de frappe, ça s'écrit comme ça, c'est pas de ma faute c'est du vieil anglais). On peut envisager des individus RWA de gauche, par exemple dans une dictature communiste. La personnalité LWA (Left-Wing Authoritarian) désignerait plutôt quelqu'un qui partagerait ces traits, mais serait au service d'une instance qui souhaite renverser l'autorité établie (j'ai beaucoup de mal à comprendre le concept... les soutiens de Trump auraient été RWA puis pouf seraient devenus LWA le lendemain de la passation de pouvoir?). Le test, il faut aussi le préciser, a été élaboré pour la population d'Amérique du Nord. On peut imaginer que des modifications seraient nécessaires, par exemple, pour la France et le Japon, où le rapport à la religion est différent (de nombreuses références sont faites à la religion, bien qu'être croyant·e ne signifie pas avoir une personnalité RWA, loin de là... dans l'un des recueils de données les plus larges qu'ait faits l'auteur, 62% de ceux·elles qui avaient un score très faible au test étaient religieux – en revanche, cela permet d'évaluer le niveau d'agressivité, de conformisme et de soumission au nom de valeurs religieuses). Autre précaution : s'il s'agit d'un test de personnalité, et s'il est un peu moins transparent que le test du F-scale (alternance d'items à approuver ou désapprouver, test de personnalité sous forme de test d'opinion, ...), ce qui est évalué reste plutôt clair. La fiabilité test-retest est grande, mais le contexte a une forte influence sur les réponses (en particulier du fait du biais de désirabilité sociale -pas tout à fait la même chose que le biais d'approbation-... auquel les RWA élevés sont très sensibles). Donc, le faire passer à votre cousin qui dit "je suis pas raciste, mais..." toutes les 5 minutes aux repas de famille et dire "je le savais!" n'a pas grand intérêt, le score ne peut être évalué rigoureusement qu'avec une comparaison au score d'autres personnes ayant passé le test dans le même contexte (je suis bien d'accord, c'est même pas drôle).

 En tant que professeur d'université, Robert Altemeyer a depuis longtemps à sa disposition force sujets à qui faire remplir des questionnaires (en échange de points bonus quand le questionnaire est particulièrement laborieux à remplir) pour tester différentes hypothèses sur la personnalité RWA : les élèves et leurs parents (je n'ai pas dit que tout ce qu'on lit dans son texte concerne les élèves de l'Université de Manitoba et leurs parents! - d'autant que, en tant que chercheur, Robert Altemeyer se tient beaucoup au courant de l'ensemble des recherches sur le sujet -, mais ça permet dans pas mal de cas des résultats avec un gros effectif). Il a ainsi pu constater que la notion d'endogroupe et d'exogroupe est particulièrement importante pour les RWA ("Ils n'auront pas la médaille d'or olympique à l'épreuve des préjugés (on verra plus tard à qui elle reviendrait), mais soyez sûrs que les RWA élevés seront sur le podium"). Cela explique le contraste entre la violence qu'iels sont prêt·e·s à déployer envers ceux·elles qui s'écartent du droit chemin (à condition qu'iels ne puissent pas riposter), et leur indulgence lorsque c'est une autorité considérée comme légitime qui s'écarte du droit chemin en question. De la même façon, s'écarter du droit chemin pour s'en prendre à un groupe considéré comme ennemi (par exemple commettre un lynchage, ce qui est un peu illégal) ne sera pas nécessairement mal vu. Cette tendance pousse les individus de personnalité RWA à rester dans des groupes très homogènes (même religion, même couleur de peau... même personnalité RWA), et, dans cette mesure, à croire sincèrement qu'ils ne sont pas racistes, homophobes, misogynes etc... (puisqu'iels ne le sont pas plus que leur entourage). Autre conséquence de cet état de fait : en situation de tension, ce sont d'abord les individus RWA, de part et d'autre, qui voudront anéantir l'ennemi. Ainsi, une étude conduite parmi des étudiant·e·s d'Israël a établi qu'à la fois parmi les étudiant·e·s juif·ve·s et les étudiant·e·s palestinien·ne·s, ceux·elles qui avaient eu le score le plus élevé au test étaient aussi les plus hostiles à une solution pacifique au conflit territorial. Une autre étude, concernant la guerre froide, conduite sous Gorbatchev (qui venait d'étendre suffisamment les libertés individuelles pour que les universitaires russes puissent faire des recherches en psychologie sociale dans de bonnes conditions) a permis de montrer que les RWA élevés, que ce soit chez les étudiant·e·s russes ou américain·e·s, pensaient de la même façon que la course aux armements avait été enclenchée par l'ennemi, qui d'ailleurs serait prompt à utiliser l'arme atomique s'il avait la certitude de pouvoir le faire impunément, qu'il était légitime d'envahir un territoire voisin s'il donnait l'impression de vouloir s'allier avec l'adversaire, qu'iels étaient en situation de légitime défense et ne faisaient que le nécessaire pour se prémunir contre un envahisseur dangereux, agressif et immoral, … Ces individus, qui se détestent tant qu'ils sont prêts à communiquer par bombe atomique interposée, se trouvent donc en fait être les mêmes personnes, à ça près qu'ils se trouvent être nés d'un côté ou de l'autre du rideau de fer.

  Une telle agressivité s'explique en partie par la forte sensation d'être en danger : ceux·elles qui ont un score élevé au test RWA ont généralement un score élevé au test du Monde Dangereux (iels sont fortement d'accord avec des items tels que "Si notre société continue à dégénérer comme elle le fait ces derniers temps, elle va probablement s'effondrer comme une bûche rongée par la pourriture, et le chaos s'ensuivra", fortement en désaccord avec des items tels que "Notre société n'est pas envahie par des communautés immorales et dégénérées qui s'en prennent cruellement aux honnêtes citoyens. La presse, quand elle en parle, en rajoute et induit en erreur"), et le test du Monde Dangereux est le meilleur indicateur d'agressivité RWA que l'auteur ait trouvé à ce jour (enfin, au jour où il a publié ce livre, après j'en sais rien). Les préjugés ne sont pas la seule explication ("les parents des autoritaires ont appris à leurs enfants à avoir peur des homosexuels, des gens subversifs, des athées et des pornographes. Mais ils les ont aussi invités, plus que la plupart des parents, à se prémunir des kidnappeurs, des chauffeurs imprudents, des brutes et des ivrognes"). D'ailleurs, non seulement un score RWA élevé prédispose à un score Monde Dangereux élevé, mais "les gens semblent pour la plupart prédisposés à voir leur score RWA bondir en temps de crise". La peur augmente l'agressivité, mais aussi la soumission.

  Dans une étude, Altemeyer a demandé à des élèves si le problème le plus grave, aujourd'hui, pour le pays, était la drogue et la criminalité qu'elle impliquait. "Oui", ont répondu une nette majorité (60 à 75%) des RWA élevés. A un autre groupe, il a demandé si la destruction de la famille était le problème le plus grave. "Oui", ont répondu une grande majorité (plus de 75%) des autoritaires. Une troisième groupe d'entre eux considérait, dans une large majorité, qu'en effet, la perte de foi religieuse et d'engagement religieux était le problème le plus grave. Dans un quatrième groupe, iels étaient également de 60 à 75% à être d'accord avec le fait que le problème le plus grave, c'était la destruction de l'environnement. Ce qui fait beaucoup de problèmes le plus grave. Quand on explique à un RWA faible que tel ou tel problème est le plus grave, sa réaction est généralement: "ah oui?". A la même assertion, la réaction d'un RWA élevé sera généralement "ah oui!". Les autoritaires tendent en effet à avoir l'esprit compartimenté. Il convient de préciser que TOUT LE MONDE a l'esprit compartimenté. La psychologie sociale a identifié un grand nombre de mécanismes qui font la différence entre la pensée sociale et la pensée rationnelle, et en identifiera d'autres. Seulement, les RWA élevés ont l'esprit plus compartimenté encore. Par exemple, la plupart estimeront que le syllogisme "Les poissons vivent dans la mer. Les requins vivent dans la mer. Donc, les requins sont des poissons" est juste, voire ne verront pas où est le problème si on leur fait remarquer qu'ils se sont trompés. Les requins sont bien des poissons, non? Et, si méfiant·e·s qu'iels soient envers les cibles qu'on leur a appris à redouter et à haïr, iels prêteront une oreille attentive à celui ou celle qui dit ce qu'iels veulent entendre, sans s'inquiéter si ce qu'iel dit, avec ferveur de préférence, contient des éléments contradictoires, et sans se préoccuper de savoir, par exemple, s'iel dit ça pour la seule et unique raison que c'est ce qu'iels veulent entendre. Ce qui nous amène au test d'Approbation de la Domination Sociale, qui permet entre autres de déterminer une tendance à dire aux gens ce qu'iels veulent entendre si ça peut servir.

  Sam McFarland, chercheur à l'University of Western Kentucky, a cherché parmi 22 tests lesquels étaient les meilleurs prédicteurs de la tendance aux préjugés. 2 seulement ont donné satisfaction : le test de RWA et le test d'Approbation de la Domination Sociale (exemples d'items positifs : "Certaines personnes ont tout simplement plus de valeur que d'autres", "certains groupes ne sont tout simplement pas égaux aux autres", "le pays se porterait mieux si on s'inquiétait moins de l'égalité entre tout le monde", exemple d'items négatifs : "s'il y avait plus d'égalité de traitement entre les gens, il y aurait moins de problèmes dans ce pays", "Chacun devrait traiter l'autre d'égal à égal dans la mesure du possible", …). Seulement, la corrélation entre les résultats aux deux tests est faible. Si la conversation entre un RWA élevé et un Dominateur Social porte sur la juste place des femmes dans la société ou les immigré·e·s qui pillent les emplois et les aides sociales et veulent imposer chez les autres leurs coutumes de sauvages, iels s'entendront merveilleusement. Mais pour le reste? En fait, iels s'entendront encore mieux! Ils n'ont pas la même ferveur religieuse, leur agressivité n'a pas la même raison d'être, les Dominateurs Sociaux n'ont pas le même esprit compartimenté (ça n'a pas grande importance, les valeurs morales ça ne sert pas à grand chose)... mais c'est sur leur rapport à l'autorité qu'iels seront le plus différent·e·s et complémentaires. La soumission constitue une part importante de la personnalité RWA. A 18 ans, leur désir de pouvoir à 40 ans (entre 0, pas de pouvoir du tout, et 5, avoir une influence décisive sur le pays entier) est significativement inférieur à la moyenne des étudiant·e·s testé·e·s. Vous l'aurez compris, les Dominateurs Sociaux ont, de leur côté, un désir de pouvoir significativement supérieur à la moyenne. On a donc d'un côté, des gens qui ne demandent qu'à être pris en main (par des leaders qui sont d'accord avec eux), et de l'autre des gens qui ne demandent qu'à être obéis au doigt et à l’œil. Un autre test (Pouvoir Personnel, Méchanceté et Domination, exemple d'items positifs : "est-ce que l'argent, la richesse et le luxe sont importants pour vous ?", "gagner n'est pas le plus important : c'est la seule chose qui compte", "est-ce que vous aimez qu'on ait peur de vous ?", "C'est une erreur d'interférer avec "la loi de la jungle". Certains sont faits pour dominer les autres", exemple d'items négatifs : "la meilleure façon de diriger un groupe dont on a la supervision est de faire preuve d'amabilité et de considération, et de traiter les gens comme des alliés, pas comme des subordonnés", "Il vaut mieux, de loin, être aimé que craint", "la charité (donner sans rien recevoir en échange) est admirable, et non ce n'est pas stupide", "aimeriez-vous être connu comme quelqu'un de bon et clément?") a une forte corrélation avec les résultats au test d'Approbation de la Domination Sociale et donne une idée de l'intérêt à avoir une oreille peu critique à disposition (éteignez-moi cette imprimante, je vous ai déjà dit que ça n'avait pas d'intérêt de faire passer le test à une seule personne, alors laissez votre cousin tranquille... non, je ne veux pas savoir ce qu'il dit sur les chômeur·se·s!).

 Bien que cela soit surprenant (les deux groupes sont complémentaires parce qu'ils sont très différents entre eux), 5 à 10% des individus qui passent les deux tests ont un score élevé à la fois au RWA et au test d'Approbation de la Domination Sociale (si vous vous demandiez depuis le début du résumé qui était en haut du podium aux Jeux Olympiques des préjugés, vous avez maintenant la réponse). Altemeyer les baptisera Double High (je laisse en anglais, parce que Elevé Deux Fois ça sonne quand même super mal). Ils ont, par exemple, obtenu le score le plus élevé à un autre de ses tests, qui mesure l'adhésion à la thèse qu'un complot juif vise à prendre le contrôle des Etats-Unis, et que, par exemple, l'ONU ou les lois restreignant le port d'arme font partie intégrante du complot (à mon grand regret, l'auteur ne fournit pas le test, ni même un extrait). Ils approuvent bien la soumission à une autorité, mais la soumission des autres : ils veulent être l'autorité en question. Ce sont des RWA qui veulent détenir le pouvoir (serait-ce avec l'usage répété de l'hypocrisie), des Dominateurs Sociaux avec une grande ferveur religieuse. Cette ferveur religieuse leur donne un avantage sur les autres Dominateurs Sociaux  envers les RWA, qui accordent une grande importance à la religion : le Dominateur Social n'aura aucun scrupule à proclamer que son but dans la vie est de servir Dieu si ça fait plaisir à son audience, mais le Double High aura passé un temps conséquent à l'église "pour de vrai", aura bien plus de familiarité avec les textes, les rituels religieux et, accessoirement, les croyant·e·s. Ses discours contribueront également à entraîner des fondamentalistes religieux·ses (un chapitre entier, très intéressant en plus, leur est consacré mais bon, vous je sais pas mais personnellement je commence à trouver que le résumé est déjà long, là), pas nécessairement politisé·e·s, vers les urnes.

  Altemeyer a fait passer le test du RWA (anonymement) à de nombreux·ses politiques, aux Etats-Unis et au Canada. Au moment du recueil de données, le test d'Approbation de la Domination Sociale n'existait pas encore, mais dans la mesure où les RWA en général ne sont pas intéressés par le pouvoir, il se permet de supposer que l'essentiel des RWA élevés sont en fait des Double High. Aux Etats-Unis, le bipartisme fait que le résultat au test RWA ne permet pas vraiment de déterminer si le sujet est Républicain ou Démocrate... toutefois, les résultats des Républicain·e·s sont bien plus homogènes, et iels restent en moyenne plus RWA que les Démocrates. En ce qui concerne les électeur·ice·s, le test RWA est loin de constituer un indice fiable sur le bulletin qui va être mis dans l'urne, et ce pour diverses raisons ("beaucoup de gens s'intéressent autant à la politique que je m'intéresse aux rutabagas, pour les mêmes raisons", "il faut reconnaître que les partis politiques nous facilitent rarement la tâche quand on cherche à comprendre leurs revendications", …). Toutefois, "plus les gens s'intéressent à la politique, plus le choix de leur parti va corréler avec le résultat au test RWA". Dans l'échantillon des politiques du Canada, où la pluralité des partis politiques est plus proche de la situation française, "l'affiliation à un parti a une corrélation moyenne de .82 avec l'autoritarisme, c'est l'une des relations les plus fortes jamais constatées en sciences sociales", "du moins en ce qui concerne le Canada, dire qu'un politique est plus où moins de gauche ou de droite, c'est dire s'il aurait eu un score plus ou moins faible ou élevé au test du RWA".

  Comme tout livre soulevant un problème qui se respecte, celui-ci se termine sur les solutions (l'argumentation rationnelle n'est pas une solution : "Vous pourriez gagner les 15 rounds d'un débat catégorie poids lourds face à un dirigeant Double High en apportant des preuves historiques, logiques, scientifiques, en citant la Constitution ou ce que vous voulez, dans un auditorium rempli de RWA élevés, que vous ne décaleriez pas leur avis d'un millimètre"). L'auteur commence par les solutions idéales mais surréalistes, comme prier les dirigeant·e·s de bien vouloir arrêter d'expliquer aux gens que c'est la fin du monde parce que c'est la crise/parce qu'un attentat terroriste menace à chaque seconde/parce que les femmes hétérosexuelles vont passer leurs journées à avorter pendant que les homosexuel·le·s vont commander des enfants sur Internet/parce qu'un tsunami d'immigrant·e·s envahit nos terres dans le seul but de finir plus nombreux que nous avec leurs 5 femmes et 17 enfants par famille et de nous imposer leur mode de vie et encore c'est que le début. En revanche, il est pessimiste sur leur bonne volonté. Il ne croit pas non plus beaucoup à la faisabilité d'intégrer l'apprentissage de la désobéissance dans l'éducation (tiens donc, mais pourquoi parents et enseignant·e·s pourraient-iels bien être réticent·e·s à apprendre aux enfants à désobéir?), à fortiori en ce qui concerne la bienveillance des familles RWA (le trait de personnalité RWA, contrairement au trait de personnalité Domination Sociale, se retrouve fortement de parents à enfants) envers cette proposition.

  La solution la plus efficace consiste simplement à passer du temps avec les RWA. En effet, les RWA sont des champion·ne·s du préjugé, mais c'est surtout parce qu'iels passent la plupart de leur temps dans des groupes homogènes. Les études à l'Université, par exemple, diminuent le score au RWA-scale sur le long terme. Mieux, en faisant passer un test d'attitude à deux classes, l'une à laquelle il avait dit être homosexuel, l'autre à laquelle il n'avait rien dit du tout, il a pu constater que les élèves de la première classe étaient moins défavorables aux homosexuels (mais lui étaient plus défavorables à lui!). Les RWA passant beaucoup de temps entre eux, il faut aller les chercher, mais c'est possible. Du fait de leur religion, iels se préoccupent par exemple de respecter la planète, et ça tombe bien, il y a de quoi faire, et c'est une bonne nouvelle d'une part parce que ça permet de passer plus de temps à plus nombreux avec eux·elles, d'autre part parce que leur tendance à prendre les causes qu'iels défendent extrêmement au sérieux en feront des allié·e·s précieux·ses de toutes façons (en revanche, profiter de l'occasion pour faire de la propagande risque de les braquer). La violence, quant à elle, est de toutes façons à éviter, déjà parce que la violence c'est mal, et ensuite parce que ce serait dérouler un tapis rouge aux Dominateurs Sociaux pour prendre le pouvoir, peut-être même en intégrant votre propre camp ("on entend sans arrêt les leaders autoritaires parler de défendre la liberté, d'exporter la liberté, et de se sacrifier (mais pas eux) pour la liberté"). Autre cadeau que les Dominateurs Sociaux attendent qu'on leur fasse : baisser les bras et se dépolitiser ("les dominateurs sociaux veulent que vous soyez dégoûtés de la politique, ils veulent que vous n'y croyiez plus, ils veulent que vous ne soyez plus sur leur chemin").

  Bien que les données présentées puissent paraître manichéennes (à fortiori dans ce résumé, où je n'entre pas dans le détail des expériences parce que j'aimerais bien aller me coucher un jour), et que les motivations à l'origine du livre soient en partie politiques, l'auteur précise à de nombreuses reprises qu'il s'agit d'un travail scientifique, et non d'un pamphlet pour appeler à voter pour ou contre tel ou tel parti politique ("déjà, je ne fais pas confiance aux partis politiques") … pas même contre le parti Républicain, celui de Georges Bush. Ou plutôt si, il appelle clairement à voter contre le Parti Républicain de Georges Bush parce que ce parti n'est plus un parti conservateur en alternative au parti Démocrate, mais un parti pris en otage par la droite religieuse et ses dangereuses revendications RWA ("Si le Parti Démocrate avait été envahi par les autoritaires comme l'a été le Parti Républicain, c'est d'eux que je serais en train de parler, pas des Républicains. Je veux que le Parti Républicain revienne aux Grand Old Principles de ses débuts et qu'il constitue de nouveau une option conservatrice pour le peuple américain, pas qu'il impose l'option autoritaire", "la prise de contrôle est telle que nombreux sont ceux qui ont oublié ce que voulait dire "conservateur" avant de vouloir dire "autoritaire" "). Mais, plus que de montrer patte blanche quand à ses opinions politiques, Altemeyer rappelle surtout que les travaux qu'il présente sont des travaux scientifiques, donc qui concernent des données recueillies de façon neutre ("dans presque toutes les expériences, les RWA bas et les Dominateurs Sociaux bas avaient tout autant de chances de faire mauvaise impression que les sujets situés à l'autre extrême"). Et, plus important que cette profession de foi, il invite le·a lecteur·ice à relativiser ces résultats : "C'est manichéen si on en conclut que les autoritaires n'ont pas la moindre qualité à faire valoir, parce qu'ils ont des qualités. Les RWA élevés sont dignes de confiance, travaillent dur, sont joyeux, charitables, très dévoués aux gens qui font partie de leur groupe, sont de bons amis, etc... Les Dominateurs Sociaux sont ambitieux et ont l'esprit de compétition, soit deux vertus essentielles dans la société américaine", "si on est tentés par les résultats présentés au début de ce livre de penser que les RWA et les Dominateurs Sociaux sont des méchants démoniaques alors que nous nous sommes dans le camp des anges, on ne tombe pas seulement dans le piège de l'ethnocentrisme, on ne plonge pas seulement bien profond dans une piscine de vertu autoproclamée, on est aussi probablement en train de se faire des films" (vertu autoproclamée est la moins pire traduction que j'ai -laborieusement- trouvée pour self-righteousness, trait de caractère central dans la personnalité RWA qui se trouve être un mot qui n'existe pas en français, au point que même le si précieux www.wordreference.com raconte n'importe quoi). Pour être crédible et convaincant, l'auteur complète ses injonctions morales par une illustration à partir de deux des dispositifs expérimentaux utilisés par Milgram dans sa fameuse expérience (oui, parce qu'on dit toujours -et on, c'est moi aussi, d'ailleurs- "l'expérience de Milgram", mais pour dépasser le stade du "haaaan, c'est pas bien" -qui est déjà une bonne chose d'accomplie, au passage, vu le choc que ça fait quand on en entend parler- et comprendre ce qui se passait, Milgram a reproduit son expérience de base avec de nombreuses variantes, donc on devrait dire "les expériences de Milgram"). Dans ces conditions, le sujet participait activement (sans cette participation, l'expérience fictive ne pouvait pas avoir lieu), mais n'infligeait pas les chocs électriques lui-même. L'une d'elles impliquait deux personnes (complices de l'expérimentateur) pour les électrocutions. Elles se rebellaient et refusaient de continuer au bout de 210 Volts, et le sujet était prié de les remplacer, allez hop, plus vite que ça! Seuls 10% des sujets se sont exécutés. Dans l'autre, la personne qui électrocutait le faisait sans la moindre protestation. Pour ce dispositif expérimental, 92% des sujets ont continué de fournir leur assistance jusqu'à la fin de l'expérience. Illustration efficace du fait que, si la personnalité compte indubitablement (8% des sujets ont eu la présence d'esprit et le courage d'arrêter l'expérience dans la seconde condition, et 10%, dans la première condition, ont obéi à des consignes cruelles, dangereuses et absurdes, qu'ils désapprouvaient probablement, alors qu'ils venaient d'assister à deux exemples de désobéissance impunie), le contexte peut avoir un poids écrasant, d'où ses conclusions : "la recherche a montré qu'il fallait plus de pression pour pousser un RWA bas à des comportements honteux comme dans l'expérience de Milgram qu'il n'en faudrait pour des RWA élevés. Mais, je le répète, la différence entre autoritaires bas et élevés est une différence de degré, pas de personnalité", "L'échelle RWA et l'échelle d'approbation de la domination sociale ne montrent pas "à quel point on est autoritaire". Elles donnent un indice sur notre tendance à être autoritaire. C'est notre comportement qui montre à quel point on est autoritaire. "Salut, moi c'est Bob. Je peux être autoritaire" ".

 Intérêt supplémentaire du livre, comme l'auteur souhaite que le texte soit accessible à tou·te·s sans pour autant simplifier son propos, il donne (surtout en notes de bas de page, pour éviter de saouler ceux·elles que ça n'intéresse pas) des cours de psychologie sociale, sur le fonctionnement des tests, le recueil des données... qui risquent fort d'être un rappel bienvenu pour l'étudiant·e débutant·e (genre en 3ème année de licence, pour donner un exemple complètement au hasard...). Il prend aussi l'excellente initiative de créer une norme pour l'interprétation des coefficients de corrélation (inférieur à .316 : corrélation faible, de .316 à .417 : corrélation modérée, de .418 à .458 : corrélation solide, .549 à .632 : forte corrélation, .633 à .707 : très forte corrélation, supérieur à .707 : quasi du jamais vu), dont on ne peut que regretter qu'elle ne soit pas officielle, et que je garde sous le coude quoi qu'il en soit. Pour ne rien gâcher, l'humour et la passion de l'auteur font que le tout se lit vite et facilement.