vendredi 26 janvier 2018

La structure de la magie (volume 2 : communication et changement), de Richard Bandler et John Grinder



 Comme son nom l'indique, ce livre est la suite du volume 1. Il va très largement compléter (et complexifier) le méta-modèle effleuré dans le premier volume, ce qui fait la différence entre la carte dont dispose l'individu et le territoire ("la carte n'est pas le territoire" est une notion centrale, si ce n'est la notion centrale, de la PNL).

 Alors que le premier volume s'attardait sur des éléments qui appauvrissaient les représentations, celui-ci va explorer l'ensemble de ce qui, chez l'individu en tant qu'émetteur et récepteur, peut être source de malentendus et de souffrances. Un profil est ainsi déterminé selon que la personne est plutôt dans l'intellectualisation, dans le visuel, l'auditif ou le kinesthésique (sensations) dans sa façon de s'exprimer et de comprendre (ce qui est perceptible dans le champ lexical généralement employé), la cohérence entre le langage verbal et le langage non-verbal (voix, posture, mouvements des mains, regard, …), ou encore des catégories communicationnelles élaborées par Virginia Satir (thérapeute systémique) : le·a suppliant·e, le·a blâmeur·euse, l'ordinateur et le·a distracteur·ice (on peut constater qu'aucun de ces profils n'est particulièrement flatteur).

 L'utilité de tout ceci est clarifiée par des vignettes cliniques : une personne peut avoir l'impression que son ou sa conjoint·e ne fait pas attention à elle parce qu'iel ne la regarde pas, reproche qui ne sera pas compris par l'intéressé·e qui était en train d'écouter attentivement. Faire passer d'un mode d'expression et/ou de réception à un autre (en utilisant le champ lexical adapté, en faisant remarquer la différence verbal/non verbal et en demandant ce que le corps veut exprimer, ...) peut également permettre de formuler et de percevoir un problème différemment. Des confrontations entre les différents aspects du psychisme peuvent même être organisées en invitant le·a patient·e/client·e à passer d'une chaise à l'autre pour les incarner successivement, sur le modèle de la Gestalt thérapie (référence explicite).

 Les vignettes cliniques sont particulièrement bienvenues : l'accumulation des critères, le vocabulaire technique et les explications pas tellement limpides des auteurs (pensée particulière au chapitre sur les polarités où le mot "polarité" est répété environ trois fois par ligne... je pense qu'il va hanter mes cauchemars), donne parfois plus l'impression de lire des équations qu'un livre de psychothérapie... le dernier chapitre est d'ailleurs consacré à la mise en équation des données thérapeutiques! Si je dois admettre que, dans ce dernier cas, même la vignette clinique m'a laissé perplexe, l'application dans le chapitre précédent du méta-modèle à la thérapie familiale est plutôt claire (qui a dit "contre toute attente"? Je suis outré!).

 Beaucoup plus laborieux complexe que le premier volume, celui-ci reste intéressant pour mieux comprendre la communication en général ou pour avoir une idée de ce en quoi consiste la PNL. Il peut probablement aussi être un aide-mémoire pour quelqu'un qui est déjà formé... en revanche, l'application pratique immédiate sera beaucoup moins accessible qu'avec le livre précédent.

vendredi 19 janvier 2018

Les groupes de rencontre, de Carl Rogers



 La psychothérapie et le développement personnel se pratiquent le plus souvent individuellement avec un·e client·e/patient·e et un·e thérapeute, mais peuvent aussi se pratiquer en groupe. Carl Rogers parle ici d'une forme bien spécifique de groupe (les groupes de rencontre) où l'on rencontre certes d'autres personnes mais qui permettent surtout de se rencontrer soi (oui, dit comme ça ça fait un peu illuminé, du coup je vais dire "qui permet l'exploration de sa personnalité propre à travers l'écoute empathique et l'expression sincère de ses émotions" pour que vous arrêtiez de me regarder bizarrement). La plupart du temps je ne peux parler sur ce blog que de théorie du fait de mon absence d'expérience clinique (à part 100 heures de stage en EHPAD), ce post sera donc un peu différent puisque je suis en ce moment en formation à l'Approche Centrée sur la Personne, formation qui consiste pour sa première partie, précisément, en des groupes de rencontre (d'ailleurs, même si ce post n'est pas sponsorisé, vous pouvez si ça vous intéresse venir expérimenter ce processus, ACP France par exemple en organise régulièrement, en particulier un séminaire annuel).

 Si les résultats à attendre d'un groupe de rencontre sont assez spécifiques (accepter ses émotions, y compris celles qu'on se refusait à percevoir avant, dans l'ici et maintenant, les exprimer et se les approprier au sein du groupe, prendre conscience de son propre changement de personnalité, s'intéresser à son processus propre plutôt qu'aux éléments externes, …) et ce quelles que soient la durée et l'effectif du groupe (Rogers se sent obligé de préciser, suite à des rumeurs, que les groupes de nudistes sont rares!), le cadre est, et paradoxalement se doit d'être, assez souple. Une première étape récurrente est d'ailleurs l'agacement envers les facilitateur·ice·s devant ce manque de cadre explicite. La non-directivité est importante au point que, pour décrire le rôle du facilitateur·ice, Rogers parle de sa propre pratique, en précisant bien qu'il s'agit de son approche personnelle. S'il donne quelques conseils de phrases de lancement de session ("J'ai comme l'impression qu'on se connaîtra bien mieux à la fin de ces sessions qu'on ne se connaît maintenant", "Nous y voilà. On peu faire absolument ce qu'on veut de cette expérience de groupe", "Je ne suis pas très détendu, mais ça me rassure un peu quand je vous regarde et que je me rends compte que c'est la même chose pour tout le monde. Alors, comment on se lance?", …), ou qu'il liste des choses à éviter chez le·a facilitateur·ice (centrer le groupe sur sa personne -oui, ça semble préférable!- ou au contraire le survoler sans s'impliquer émotionnellement, faire trop d'interprétations, mesurer la qualité du groupe par l'intensité des émotions exprimées, avoir un mode d'approche rigide, …), il va surtout s'attarder sur ce qui fonctionne pour lui. Cela passe principalement par des anecdotes, par exemple la fois où il a donné une consigne pour relancer le groupe (se répartir en deux cercles distincts, ceux de l'extérieur essayant de percevoir le ressenti de ceux qui sont plus à l'intérieur), consigne qui a sur le moment été superbement ignorée mais qui a au fur et à mesure amené à plus de tentatives, dans les échanges, de percevoir le ressenti de l'autre, ou encore cette fois où, agacé par un groupe qui s'éternisait dans des conversation anodines (alors que les participant·e·s avaient dit qu'iels ne voulaient surtout pas faire ça) mais ne se sentant pas légitime à secouer tout le monde, il a fini par partir, ce qui a provoqué diverses réactions à son retour.

 Si forts que soient les effets du dispositif, il ne s'agit pas non plus d'une formule magique. Sa plus grande limite, selon Rogers, est que lesdits effets risquent d'être temporaires : le cadre très spécifique, où la qualité des échanges et les relations entre les membres se sont construits peu à peu, contraste avec le retour au quotidien et ses multiples injonctions (je l'ai personnellement ressenti assez fort à une occasion, où je m'étais fait la réflexion que j'avais appris à communiquer avec des personnes en formation à l'Approche Centrée sur la Personne -c'est déjà pas mal!- mais que ça n'avait pas pour autant résolu tous mes problèmes de communication dans les autres contextes). Le changement de mode de fonctionnement dans la vie professionnelle, en particulier, implique parfois de bousculer l'ensemble de l'institution, ce qui ne demande pas la même implication qu'un changement personnel. Rogers donne pourtant l'exemple de personnes qui ont changé durablement, en particulier à travers sa correspondance commentée avec une participante à qui l'expérience de groupe à donné l'impulsion, par des changements et prises de conscience successifs sur une période de 6 ans, pour améliorer une relation tendue et conflictuelle avec sa mère, qui avait un impact important sur elle et qu'elle n'avait fait qu'effleurer au cours du groupe de rencontre. Si la récompense, temporaire ou non, est le plus souvent là (les recherches sur les effets des groupes de rencontre confirment que les personnes insatisfaites, si elles existent, sont minoritaires), le processus n'est pas de tout repos. L'agacement initial devant le manque de cadre est par définition inconfortable, écouter et exprimer ses émotions les plus authentiques, donc les plus intimes, ne va pas de soi (briser la glace, ça implique d'abord un impact, des fissures, ...), et écouter l'autre c'est aussi parfois écouter sa colère, qui peut être dirigée contre soi, et qui n'est pas toujours exprimée de la façon la plus diplomatique, comme c'est illustré dans un exemple!

 L'ensemble du livre articule avec fluidité illustrations concrètes, apports théoriques, commentaires de recherche scientifique, et explique bien en quoi consistent les groupes de rencontre, y compris dans leurs limites. Une partie est aussi consacrée à leur éventuel usage pour résoudre un problème spécifique (crise de management en entreprise, voire même conflit diplomatique international) mais je dois admettre que je l'ai lu moins attentivement, ayant du mal à me représenter la recherche d'authenticité dans ce type de contexte. La lecture est intéressante que ce soit pour comprendre spécifiquement les groupes de rencontre ou pour en savoir plus, de façon générale, sur l'Approche Centrée sur la Personne.

vendredi 12 janvier 2018

La vie des émotions et l'attachement dans la famille, de Michel Delage



 Dans ce livre, Michel Delage articule la théorie de l'attachement à la thérapie systémique, en s'intéressant à son impact sur les relations entre proches aux périodes clefs de la vie, d'avant la naissance (le couple) à la vieillesse (l'auteur ne va pas jusqu'à se prononcer sur la vie après la mort). Des premières relations parents-enfants à la naissance, déjà largement documentées par Bowlby, à l'arrière-grand-parentalité (arrêtez de me regarder comme ça, peut-être que le terme existe) où quatre générations interagissent, si la progression du livre est linéaire, les approches sont variées.

 Un attachement sécure consiste en une confiance gagnée envers une (ou des) figure(s) d'attachement particulière(s) qui permet, une fois ce sentiment de sécurité établi, de s'éloigner plus sereinement d'un environnement sécurisant. L'attachement se construit entre autres à travers, pour le nourrisson, des réactions adaptées et prévisibles aux différentes demandes et émotions, exprimées par la force des choses à travers le langage non-verbal. On imagine donc facilement son impact sur certaines périodes de la vie comme l'adolescence où l'individu commence à tendre vers l'autonomie, parfois dans le conflit où en recherchant un environnement nouveau qui ne convient pas nécessairement aux parents (drogue, …), ou encore le couple, espace dans lequel les réactions adaptées et prévisibles aux différentes demandes et émotions sont plutôt souhaitables!

 Au cours de chapitres très sourcés (avec des notes qui renvoient à la fin du livre et non en bas de page... que l'éditeur·ice aille marcher pieds nus sur des Lego), l'auteur resitue l'enjeu spécifique pour chaque période, et détaille les relations qui vont avoir tendance à se mettre en place selon le mode d'attachement des personnes concernées (sécure, ambivalent, évitant-résistant, désorganisé, …). L'ensemble est assez technique, les rappels théoriques en début d'ouvrage ne sont pas de trop (même quand on connaît un peu la base théorique), et plusieurs lectures ne sont probablement pas de trop non plus pour une utilisation pratique. La structure fait que la présentation est assez schématique et que le texte donne parfois l'impression d'être essentialiste (une personne ayant développé tel type d'attachement aura forcément telle attitude dans telle situation), mais l'auteur rappelle lui-même que "les symptômes, quels qu'ils soient, ne sont pas clairement reliés à un type d'attachement. Un même symptôme peut relever de divers mécanismes".

 L'avantage est que les chapitres peuvent parfaitement être lus indépendamment les uns des autres, pour éclairer une situation particulière ou pour avoir une perspective sur une difficulté rencontrée, même si des connaissances techniques peuvent se révéler utiles pour que la lecture soit claire, d'autant que le livre manque cruellement de vignettes cliniques.