samedi 17 décembre 2016

L'autocompassion, de Christopher K. Germer



 Reprenant les principes de l'ACT et surtout les prolongeant avec les principes de la méditation de bienveillance, ce livre est fait pour être utilisé par ses lecteur·ice·s directement plutôt que par un·e thérapeute. Il sera donc très, très, très axé sur la pratique : vous n'y rencontrerez pas de drôles de termes comme matrice, défusion ou évitement expérientiel, mais beaucoup, beaucoup d'exercices (au point que l'auteur recommande à plusieurs reprises de faire une pause de quelques jours dans la lecture pour s'entraîner suffisamment aux exercices proposés et en saisir l'essence, c'est à dire exactement ce que je n'ai pas fait).

 Trop se débattre contre ses souffrances a en effet le plus souvent pour conséquence de les augmenter (sentiment d'impuissance, culpabilité, rancœur, …). L'auteur donne quatre exemple particulièrement illustratifs (accompagnés d'une illustration clinique) : le mal de dos (une cliente, par ailleurs professeure de yoga, a considérablement aggravé des douleurs lombaires à force de faire attention pour s'en débarrasser très vite, ce qui avait consisté à arrêter le sport -donc se privant d'une façon d'évacuer le stress donc se rendant plus tendue y compris physiquement- et à adapter ses postures pour épargner la zone douloureuse, postures qui forcément étaient moins naturelles donc plus contraignantes pour l'organisme), la timidité (l'auteur sait de quoi il parle, vu qu'il s'est déjà retrouvé face à un spectateur qui lui disait "respire!" une fois où son trac était un peu trop visible lors d'une conférence), l'insomnie (je peux confirmer très personnellement que voir les heures de sommeil disponible restantes diminuer à vue d'œil n'aide vraiment pas, mais alors vraiment pas, à s'endormir) et les conflits dans une relation. Il aurait pu en choisir bien d'autres, les enjeux du livre sont d'ailleurs bien plus vastes, mais ces exemples sont éloquents. La professeure de yoga a pu rapprocher sa reprise du yoga... en reprenant le yoga (tout en prenant soin de sa blessure, mais différemment), l'auteur accepte le stress avant une intervention publique plutôt que de se stresser en constatant à quel point il est stressé, l'insomnie est moins insurmontable quand on prend le temps de réaliser qu'on peut être fonctionnel même avec un manque de sommeil (et qu'en tant qu'insomniaque on a par ailleurs eu l'occasion de le constater) et que l'épuisement qui suivra sera l'occasion d'enfin dormir (ça alors, j'ai donc déjà fait de l'ACT sans le savoir!). Pour les conflits relationnels, l'auteur raconte une fois où il avait pris la résolution d'aider sa femme qui rentrait d'hospitalisation, et ce malgré le fait qu'elle ait besoin d'aide le matin, ce qui lui rendait la situation particulièrement difficile : ce n'est qu'après avoir pris conscience que son agacement montait de façon exponentielle (ce qui a pris du temps précisément parce qu'il ne voulait surtout pas être agacé : ce n'est pas lui qui rentrait d'hospitalisation, et en plus sa femme ne lui avait rien demandé) alors qu'il bataillait avec un plâtre qu'il s'est excusé de sa fatigue, a pris le temps de boire un verre de jus d'orange, et a pu continuer d'aider plus efficacement et plus volontiers (ne pas admettre la sensation d'agacement parce qu'elle était absurde aurait en fait eu pour conséquence de conduire à une dispute encore plus absurde).

 L'acceptation (à ne surtout pas confondre avec la résignation), l'observation de l'univers interne, sont des éléments clef de la méditation, le lien se fait donc assez vite. L'auteur va plus loin en proposant de pratiquer (parce qu'il s'agit bien d'une pratique, pas seulement d'un état d'esprit) l'autocompassion, en constatant que compatir pour soi peut être perçu comme un signe d'égoïsme ou de faiblesse alors même que compatir pour les autres est généralement bien vu. Plusieurs recherches scientifiques sur le sujet, présentées par l'auteur, ont pourtant montré que les exercices d'autocompassion d'une part augmentent parallèlement l'altruisme, et d'autre part incitent à se dépasser plutôt que de s'apitoyer sur son sort. L'auteur, sauf erreur de ma part, ne s'attarde pas sur les causes mais on peut probablement l'expliquer de façon plausible par le fait que, par exemple, la culpabilité est un gaspillage d'énergie (ce constat implique aussi qu'il ne faut pas culpabiliser de culpabiliser!) ou encore que l'autodépréciation essentialise les défauts donc bloque la recherche de solutions.

 De très nombreux exercices de metta (terme originaire pour désigner la méditation de bienveillance, l'auteur utilise les deux termes) sont proposés, que ce soit en méditation formelle ou au quotidien. La spécificité de la méditation de bienveillance est que les exercices sont centrés sur le mantra "Que je sois en sécurité. Que je sois heureux. Que je sois en bonne santé. Que ma vie soit facile", qui peut être intégré à une séance de méditation de pleine conscience classique. Il consacre une part importante à préciser l'intérêt des exercices, illustrés par des situations cliniques, mais aussi leurs limites (quel que soit le temps passé on ne pourra jamais être capable de tout accepter ou d'être tout le temps bienveillant, si des problèmes sont résolus rapidement il y a des risques de rechute qu'il faudra alors surmonter, s'éveiller à ses émotions peut être très douloureux dans un premier temps si on a résisté à des souffrances intenses en se fermant, …) et aux obstacles communs à la pratique (difficultés à s'y investir selon le tempérament, réticence à l'autocompassion ou à la bienveillance envers certaines personnes, …).

 Le livre est très accessible, peut aider autant des lecteur·ice·s en recherche de développement personnel que des personnes plus en souffrance, et donne une assise pragmatique à des valeurs qu'on aurait pu spontanément qualifier de naïves. En revanche, c'est surtout un livre d'exercices : le lire sans pratiquer, c'est se contenter d'une méthode Coué joliment illustrée.  

samedi 3 décembre 2016

Guide de la matrice ACT, de Kevin Polk, Benjamin Schoendorff, Mark Webster et Fabian Olaz




 La matrice est l'outil principal de la thérapie d'acceptation et d'engagement. Bien que d'apparence simpliste (un trait vertical et un trait horizontal, et on range des trucs dans les cases qui correspondent, à savoir mouvements d'approche vers ce qui est important, mouvements de fuite de ce qui est aversif, et ce que ces éléments nous font ressentir), son élaboration est le résultat de centaines d'heures de pratique, qui ont permis de constater que c'était le meilleur moyen de communiquer et de faire appliquer les principes de l'ACT, donc d'arriver aux objectifs souhaités ("optimiser la relation des clients avec leur expérience intérieure de façon à ce qu'ils soient mieux en mesure de faire ce qui est important pour eux même lorsqu'ils sont confrontés à des obstacles intérieurs"). L'intérêt de ce livre en particulier est qu'il va proposer, en six étapes, une méthodologie progressive pour apprendre aux client·e·s à utiliser la matrice de façon autonome. Il peut sembler paradoxal, pour une pratique qui fait l'éloge de la flexibilité et surtout qui requiert de la flexibilité pour aider au mieux chaque individu, de proposer une façon de faire bien précise, et, plus farfelu encore, d'introduire chaque chapitre par un script bien peu flexible et de le clore avec une checklist. Les auteurs sont clairs là-dessus : la flexibilité s'acquiert à force d'entraînement. De la même façon que le·a sportif·ve ou le·a musicien·ne doit sa créativité, entre autres, à des heures de répétitions d'exercices monotones, la capacité à s'adapter en temps réel aux client·e·s, à choisir dans le courant d'un échange tel travail plutôt que tel autre qu'on avait en tête, surmonter une résistance qui ne nous arrange pas trop par l'utilisation des principes de l'ACT, demande de s'attarder très laborieusement volontairement sur les différentes approches proposées, ce qui peut passer par un travail sur soi. En effet, si l'expérience a montré que le travail entre les séances optimisait les progrès des client·e·s, rien n'empêche le·a thérapeute de faire ce travail au quotidien. 

 La première séance proposée concerne le point de vue. Elle consiste à présenter la matrice au ou à  la client·e, éventuellement l'amener à remarquer qu'iel peut se classer lui ou elle-même dans les choses importantes (la question "qui est important pour vous?" est parfois un meilleur point de départ que "qu'est-ce qui est important pour vous?"). Le·a client·e sera ensuite invité·e à être attentif·ve aux mouvements d'approche et de fuite, et surtout à s'entraîner à trier. S'iel arrive à la séance suivante en étant découragé·e de ne pas avoir fait ces exercices, ce sera l'occasion de constater avec lui ou elle qu'iel vient, précisément, de remarquer qu'iel n'avait pas fait les exercices. Un enjeu majeur est d'ailleurs d'éviter que le·a client·e ne fasse les exercices proposés pour faire plaisir au ou à la thérapeute (pliance).

 La seconde étape consistera à interroger le·a client·e sur l'efficacité des mouvements de fuite. En reprenant la matrice remplie lors de la séance précédente, le·a client·e reprendra ses propres mouvements de fuite et en évaluera l'efficacité sur le court terme, et sur le long terme. La plupart des client·e·s se rendront compte que les méthodes, même celles qui sont efficaces sur le court terme (crier et quitter la pièce lors d'une dispute, renoncer à des sorties en cas de phobie sociale, ...), n'ont pas d'efficacité, voire aggravent la situation, à long terme. Cette notion pourra être éclairée avec la métaphore du trou : une personne bloquée dans un trou, avec une pelle entre les mains, aura pour réflexe de creuser pour en sortir, au risque de s'enfoncer plus profondément. Le·a thérapeute explique alors au ou à la client·e qu'iel s'attend probablement à se voir fournir une pelle high-tech, flambant neuve et solidissime, qui permettrait de mieux creuser, mais que même le·a ne dispose pas d'une telle chose. Une échelle pourrait certes bien arranger la situation, mais quand on est trop habitué à creuser, on risque d'une part de ne pas oser lâcher la pelle, d'autre part d'être tenté dans un premier temps d'utiliser l'échelle pour creuser : changer ses habitudes, en particulier en situation de tension, passe nécessairement par une période d'inconfort, mais c'est parfois la condition pour finalement aller mieux.

 La troisième étape sera consacrée à la métaphore de l'hameçon. Une fois qu'un poisson a mordu à l'hameçon du pêcheur, l'énergie consacrée à lutter est en général gaspillée. La lutte tend parfois à aggraver les choses. Par exemple, si vous avez Le petit bonhomme en mousse dans la tête, plus vous passerez du temps à penser au supplice que ça représente et au bonheur que ce serait d'en être libéré (ou délivré), plus vous allez la garder longtemps. Et ce, alors même que, si vous n'aviez pas lu ce résumé, vous n'auriez probablement pas pensé de la journée à Patrick Sébastien (de rien). Plus que la lutte, la méthode pour s'en sortir sera d'identifier au préalable les hameçons, et d'accepter leur existence. Le·a thérapeute rappellera, à toute fin utile, que tout le monde, le·a thérapeute le·a premier·ère, mord à l'hameçon régulièrement, personne n'est à l'abri et surtout les éliminer complètement est un objectif irréaliste (s'en vouloir d'avoir mordu à l'hameçon est, en soi, un hameçon).

 La quatrième étape sera l'occasion d'enfiler un kimono et de monter sur un tatami pour s'entraîner à l'aïkido verbal. Il est question d'aïkido parce que, face aux difficultés, cette approche permet de privilégier le contact fluide à l'opposition frontale. L'aïkido verbal consiste en une série de question quand le·a client·e décrit/ressent une difficulté : "qu'est-ce que vous percevez avec vos cinq sens?" "quels hameçons vous remarquez?" "qu'est-ce que cet hameçon vous fait ressentir? Vous ressentez ça où dans votre corps?" "qu'est-ce que vous faites quand vous mordez à l'hameçon?" "Qu'est-ce que ferait la personne que vous voulez être?" "En quoi c'est important d'être capable de faire ça?" "Qu'est-ce que ça vous fait ressentir? Vous ressentez ça où dans votre corps?". L'aïkido verbal est aussi présenté comme une très bonne méthode en cas de difficulté dans la relation thérapeutique : le·a thérapeute peut le·a pratiquer pour lui ou elle-même, à voix haute bien sûr et devant le·a client·e, par exemple pour exprimer sa réaction face à un reproche ou un doute exprimé (l'occasion, en distinguant le·a thérapeute hameçonné·e du ou de la thérapeute idéal·e, d'admettre ses failles donc de limiter la sensation d'hypocrisie que peut parfois avoir le·a client·e, du fait d'une faible estime de soi par exemple ou encore parce qu'iel suspecte que la bienveillance n'est que le résultat du paiement à venir en fin de séance).

 A l'entraînement à l'aïkido succède l'entraînement, à la cinquième séance, à l'auto-compassion. L'auto-compassion est introduite par l'histoire de la maman chat et de ses chatons (on peut utiliser un autre animal si ça parle plus au ou à la client·e concerné·e, mais au début l'animal utilisé était l'ours et l'impact n'était pas extraordinaire). Maman chat tend à accoucher dans un endroit sécurisé, en général obligeamment fourni par son ou sa propriétaire. Les chatons sont surveillés de près mais ils grandissent, explorent, et ce qui doit arriver arrive, un chaton finit par se perdre et appeler au secours, plein de détresse, avec des miaulements manipulateurs attendrissants. La réaction de maman chat est alors d'aller le chercher, et de le réconforter jusqu'à ce qu'il puisse à nouveau explorer. La nature humaine étant plus complexe, lorsqu'on est en difficulté, on est parfois moins indulgent avec soi-même que maman chat avec ses chatons, un peu comme si elle se disait "Celui-ci c'est plus possible, qu'il reste où il est ça me fera des vacances, et puis de toutes façons il me reste d'autres chatons" (jusqu'à ce qu'il en reste de moins en moins). L'inconvénient, en dehors du fait que tous les chatons font partie de la famille même si parfois ça ne nous arrange pas, c'est qu'un chaton qu'on ne réconforte pas, loin de se taire et de ronronner, va avoir tendance à devenir de plus en plus bruyant, et de plaintif devenir agressif. Le·a client·e sera invité·e, comme iel l'a fait plus tôt avec les hameçons, à être plus attentif·ve à ses propres chatons et à sa façon de réagir. 

 La sixième séance, et dernière présentée dans le livre, amènera le·a client·e à profiter, tout en étant guidé·e par le·a thérapeute, du savoir-faire acquis jusqu'ici. Le·a thérapeute l'amènera à se représenter une situation où iel est en difficulté, à la ressentir le plus fidèlement possible (dire où iel est exactement, ce qu'iel perçoit, ce qu'iel ressent, ...). Le·a client·e en séance d'ACT s'adressera ensuite au ou à la client·e en difficulté, assisté·e par le·a thérapeute qui commentera les échanges ("qu'est-ce que le "vous" du futur ressent quand vous dites ça? Qu'est-ce qu'iel vous répond? Qu'est-ce que la réponse vous fait ressentir? ..."). Des progrès assez directs peuvent généralement être constatés d'une séance sur l'autre, alors même que sur le coup ça ne semble pas nécessairement fructueux (non résolution du conflit entre le·a client·e du futur ou du passé qui n'y arrive pas et le moi du présent, par exemple, ou encore la vignette clinique qui vaut la peine d'être lue d'une adolescente qui passe plus de temps dans le dialogue à demander à la personne du futur comment elle peut physiquement être là qu'à se concentrer sur le problème, ce qui n'a pas empêché l'exercice de permettre de diminuer radicalement les disputes avec sa sœur).  

 Certains éléments sont assez constants au cours des chapitres, comme le souci d'éviter la pliance (le·a client·e fait ce qu'on lui propose pour faire plaisir au ou à la thérapeute), ou la contrepliance (le·a client·e refuse ce que lui propose le·a thérapeute parce que ça lui apprendra) mais ça ce n'est pas très spécifique à l'ACT, l'idée de souligner et renforcer ce qui est positif et d'ignorer ce qui est négatif (ce qui permet d'ailleurs de prévenir les comportements de pliance), l'important étant que le·a client·e travaille plus que le fait qu'iel travaille bien (dans un exercice de tri par exemple, si une perception est rangée dans les ressentis, ce n'est pas un drame puisque l'idée c'est que le·a client·e prenne l'habitude d'être attentif·ve aux ressentis et aux perceptions et ne prenne pas tout dans un bloc qui inclurait les pensées), ou encore que le fait de présenter explicitement les exercices aux client·e·s (par exemple en leur présentant les jolis schémas téléchargeables du livre), leur demander systématiquement leur accord avant de commencer quelque chose, entraîne une plus grande implication dans la thérapie.

 Les derniers chapitres couvriront certains cas particuliers de l'utilisation de l'ACT et de la matrice, comme la thérapie de couple, le développement personnel (en fait, je traduis "coaching" par "développement personnel" parce qu'en fac d'anglais on m'a appris que les calques c'était très très mal donc maintenant j'évite par snobisme, mais je pense qu'en français on dit plus souvent "coaching" que "développement personnel") ou les conflits entre parents et enfants. 

 Le livre est résolument axé sur la pratique. J'ai déjà parlé de l'invitation à s'entraîner ou encore de la checklist à la fin de chaque chapitre, mais il y a aussi de précieuses FAQ qui concernent les appréhensions ou les difficultés rencontrées en direct par les thérapeutes, qui expliquent comment contourner des pièges dont on n'aurait pas nécessairement pensé à se méfier.


jeudi 24 novembre 2016

La thérapie d'acceptation et d'engagement, guide clinique, de Benjamin Schoendorff, Jana Grand et Marie-France Bolduc



 La Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ou ACT... si si, les lettres correspondent, mais en anglais) est une méthode en cours de validation scientifique (les auteur·ice·s invitent les thérapeutes à le rappeler aux client·e·s) qui prend source dans les thérapies comportementales et cognitives, y compris la pleine conscience, et dans les thérapies humanistes (Carl Rogers est cité plusieurs fois). Les bases théoriques sont détaillées en annexe, mais la méthode est principalement dérivée de la Thérapie Basée sur l'Analyse Fonctionnelle (ou FAP), l'ensemble sera donc beaucoup plus clair pour ceux et celles qui seront familiarisé·e·s avec cette base théorique (mais le contraire n'est pas un obstacle insurmontable, sinon je n'aurais pas pu écrire ce résumé).

 L'influence des TCC est visible dans l'idée de rechercher et mesurer (ou du moins constater) des progrès spécifiques, et de proposer aux client·e·s des exercices pour avancer ("on ne peut apprendre des comportements que par la pratique"). L'apport des thérapies humanistes, en dehors du terme "client" qui remplace celui de "patient", se retrouve dans l'acceptation de la personne du ou de la client·e et de ses propos ("le thérapeute créé un climat dans lequel la personne de son client est en tout temps acceptable, telle qu'elle est", "ce qui compte est la vie ou l'expérience de votre client, pas vos opinions et vos croyances", "le thérapeute aide le client à se connecter avec ses valeurs propres sans imposer les siennes"), mais aussi dans le travail sur les émotions et la recherche d'une meilleure cohérence entre émotions, idées et actions. La pleine conscience sera précisément un outil pour prendre plus de distance avec les idées et ressentis, prendre une position d'observateur·ice, les identifier comme tels. Elle ne sera pas nécessairement pratiquée par la méditation directe (qui par ailleurs a des, certes rares, contre-indications : "l'entraînement formel aux techniques de méditation de pleine conscience pourrait être contre-indiqué aux personnes présentant une tendance à la dissociation ou une phobie aux sensations intéroceptives"), l'entraînement pourra consister, par exemple, en des exercices de tri (entre ressentis physiques, idées, perceptions, …). Il y a aussi énormément, mais alors énormément, d'analogies (la carotte et le renard, le surf, le bus, la maison, Flexi et Spiky, …), ce qui peut prendre au dépourvu voire parfois sembler infantilisant, mais en fait, les analogies, c'est officiellement bien.

 L'objet, contre-intuitif, de la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement n'est pas d'anéantir les symptômes mais de gagner en flexibilité, limiter leur impact sur le quotidien et sur le psychisme (c'est l'idée d'acceptation), avec pour finalité d'accomplir des actions (engagement) que lesdits symptômes semblaient rendre impossibles, diminuer les comportements de fuite (s'éloigner des souffrances) et amener à privilégier les comportements d'approche (agir en cohérence avec ses valeurs). Le thérapeute peut l'expliciter au client en lui donnant comme point de repère que, si l'objectif fixé est réalisable par un mort (ne plus avoir peur, ne plus souffrir, ne plus se détester, …), il n'est pas très attractif. Un exemple particulièrement concret est donné dans une vignette clinique où une cliente explique qu'elle aimerait avoir des enfants mais que, pour elle, tant qu'elle souffre de TOCs, c'est exclu. Le thérapeute l'invite à imaginer ce qu'elle ferait si elle avait des enfants, ce qui lui permet finalement de réaliser qu'elle pourrait faire plus de choses, épanouissantes pour elle, avec ses neveux et nièces avec lesquels elle ne cherchait pas jusqu'ici à être particulièrement proche. Plus simplement encore, l'acceptation des souffrances est un moyen de limiter leur impact : s'agacer de ses angoisses, par exemple, non seulement ne les fera pas disparaître, mais en plus ajoutera un affect négatif (l'agacement) à cet affect négatif.

 L'outil principal de la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement est la matrice (qui ne consiste pas à éviter des balles de pistolet au ralenti, j'étais très déçu quand j'ai compris ça) : un cercle est divisé en quatre secteurs. A gauche, tout ce qui concerne la fuite, l'éloignement des souffrances, à droite, tout ce qui concerne l'approche de ce qui est précieux. En haut, les actions ou perceptions sensorielles (respectivement de lutte et d'approche, donc), en bas ce que va recouvrir le psychisme (souffrances opposées au valeurs). Différentes méthodes d'entretien, différentes activités vont permettre au client de remplir la matrice avec le thérapeute, de placer tel ou tel ressenti, telle ou telle action, dans la matrice (sachant que certains éléments peuvent être dans une certaine proportion à la fois à gauche et à droite), et ainsi de gagner en lucidité et s'orienter vers un mode de vie qui lui convient mieux.

 L'entretien clinique lui-même est particulier : si le·a thérapeute accepte les valeurs du ou de la client·e, il s'agit tout de même d'un échange, et il peut être pertinent de partager ses émotions ("je vois que c'était difficile pour vous de parler de ça, je suis heureux·se que vous ayez partagé ça avec moi", "vous parlez très vite et dites beaucoup de choses différentes, j'ai du mal à vous suivre, est-ce que vous avez parfois l'impression de provoquer cette sensation chez vos interlocuteur·ice·s?"). Autre spécificité, si les renforcements sont très présents, leur objectif est d'optimiser ce qui fonctionne plutôt que de limiter ce qui ne fonctionne pas.  Par exemple, les affects négatifs (dévalorisation, remise en question de l'utilité de la thérapie, ...) sont explorés (à commencer, parfois, par ce qu'ils font ressentir physiquement) plutôt qu'écartés.

 Des concepts plus spécifiques sont proposés (évitement expérientiel, qui consiste pour le·a client·e à fuir tout ressenti de souffrance, se privant éventuellement de choses importantes, défusion, qui consiste à distinguer une idée de la réalité -se dire "je suis nul" est différent d'être effectivement nul-, …), ainsi que des activités (carte SIM -pour "Sensations, Intelligence, Monde"- qui consiste, sur le modèle de la méditation, à trier ce qui se passe en soi ici et maintenant, exercice du saut pour mieux percevoir le concept de lâcher prise, …) : le livre est en effet, comme son nom l'indique, un guide clinique, et permet dans un premier temps de comprendre, mais aussi pour les plus expérimenté·e·s de pratiquer, la Thérapie d'Acceptation et d'Engagement. Si le style d'écriture est très clair (disons qu'on n'a pas l'impression de lire de la physique quantique ou du droit fiscal), bien que la méthode soit contre-intuitive par certains aspects, le livre, en effet, s'attarde sur les difficultés que pourra rencontrer le·a thérapeute, donc sera probablement tout aussi utile à celle ou celui qui pratique l'ACT et retrouvera dans la relecture de certains chapitres des subtilités qui lui avaient échappées avant qu'iel ne se retrouve face à un obstacle dans sa pratique. De désobligeants QCM, à la fin de chaque chapitre, rappellent par ailleurs qu'en comprendre finement le contenu dès la première lecture est plutôt ambitieux. Ce guide clinique est donc tout aussi indiqué pour les touristes que pour les voyageur·se·s plus chevronné·e·s.

mardi 8 novembre 2016

Shyness, what it is, what to do about it? de Philip Zimbardo



 Oui, l'auteur est bien LE Phillip Zimbardo, même si moi aussi ça m'a fait bizarre quand j'ai vu ce livre dans la bibliographie d'un chercheur en psychologie sociale, connu pour avoir dirigé (et arrêté) la fameuse expérience de Stanford. J'ai cru qu'il s'était perdu, ou alors qu'un de ses mémoires universitaires avait été publié par erreur, mais c'est en fait non seulement un thème qu'il a choisi, mais aussi un thème qui lui a été inspiré par l'expérience de Stanford en question, où il a pu constater de très près que, par l'effet du seul contexte, des individus s'affirmaient bien plus que de raison alors que d'autres s'appliquaient à s'affirmer le moins possible. Il a approfondi le sujet par des discussions informelles avec des étudiant·e·s, puis avec des vraies recherches.

 Le livre est scolairement divisé en deux parties, annoncées dans le titre. Ce serait mentir de dire que le·a lecteur·ice va de surprises en surprises dans la première partie, qui décrit en quoi consiste la timidité, mais il y a quand même quelques éléments intéressants, par exemple le fait que certaines célébrités (acteur·ice·s, sportif·ve·s, chanteur·se·s, avocat·e·s, …), pas vraiment connues, on s'en doute, pour leur tempérament introverti, souffrent en fait de timidité : s'affirmer devient parfois un moyen de défense, et un tempérament autoritaire ou agressif peut en fait en être le résultat. La timidité est par ailleurs décuplée dans les situations ambiguës, où le comportement à adopter n'est pas aimablement imprimé sur un script, fût-il métaphorique : l'ultraspécialisation, le fait d'être une référence dans son domaine, est donc aussi une forme de défense efficace. Une expérience intéressante est rapportée pour mesurer l'impact de savoir ou non ce qu'on a à faire : des groupes d'étudiants, hommes, divisés entre timides et non timides, devaient écouter une conférencière (bien charmante, Zimbardo le répète à de nombreuses reprises), seuls, sous le regard des chercheur·se·s, puis étaient testés sur ce qu'ils avaient retenu (pour évaluer à quel point la situation les avait déconcentrés). Dans un cas, ils étaient encouragés à poser des questions après la conférence, dans un autre ils ne devaient pas parler à la conférencière, et dans un troisième ils la voyaient sur un écran de télé. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, les étudiants timides étaient bien plus perturbés dans le troisième cas, où étant seuls dans la pièce ils étaient très préoccupés par leur situation d'observé, que dans la première où ils avaient quelque chose de précis à faire. Cet aspect fait de la timidité une prophétie autoréalisatrice : en société, la personne timide va avoir plus de mal à se comporter de façon adéquate car plus angoissée, donc va effectivement se comporter publiquement de façon moins adéquate et appréhender encore plus la fois suivante.

 L'auteur rappelle par ailleurs que le degré de timidité peut être très variable, de la gène qui finit par passer dans certaines situations spécifiques à la phobie sociale qui empêche de sortir de chez soi. Bon, il parle aussi de la violence que la timidité peut causer, mais disons que faire une liste de faits-divers où le·a meurtrier·ère était connu·e pour être timide/discret·ète n'est peut-être pas la méthodologie la plus fiable pour tirer des conclusions, même si ça peut permettre de faire une anthologie intéressante (j'attends avec impatience le chapitre qui expliquera que les propriétaires de hamster ou les joueur·se·s de curling sont des meurtrier·ère·s en puissance, et ne parlons même pas des gens qui viennent de manger des spaghetti).

 La deuxième partie, comme promis dans le titre, est un mode d'emploi pour se débarrasser de la timidité, que ce soit en renforçant son estime de soi, en optimisant ses relations sociales, … Il y a également un chapitre, qui intéressera plutôt les enseignant·e·s, pour aider les autres à surmonter la timidité. La méthode n'est pas originale ni sexy mais, on ne pourra pas dire le contraire, c'est une méthode. Point de paroles de sagesses qui ambitionnent de déclencher une illumination, mais un questionnaire d'auto-diagnostic suivi d'un programme très spécifique : c'est probablement efficace, mais il faut s'y mettre (le questionnaire d'auto-diagnostic est d'ailleurs aussi là pour mesurer les progrès). Se fixer des objectifs progressifs et accessibles, tenir un journal pour comparer nos appréhensions et ce qui s'est effectivement passé, faire un planning pour s'assurer qu'on a effectivement fait les exercices dans un temps donné plutôt que de prévoir de les faire plus tard (c'est dommage, je suis particulièrement fan de cette dernière option), exercices qui vont consister à prendre l'habitude de complimenter et recevoir des compliments, engager la conversation avec des inconnu·e·s ou alors s'adresser des compliments valorisants après avoir pris le temps de se mettre en état de relaxation, .... Un mode d'emploi est également fourni pour avoir (dans l'idéal engager) une conversation détendue dans différentes situations (sachant que les lieux qui servent implicitement à draguer sont en fait le pire endroit pour ce faire, puisque la conversation aura un enjeu, ou sera supposée en avoir un, enjeu qui pour ne rien arranger suppose une évaluation sévère -ah, et tant qu'on est sur un sujet voisin : pour draguer, la rue est le pire endroit - ), mais aussi pour gérer les situations sociales épineuses, comme la séduction justement (l'auteur précise à toute fin utile que quand on dit "non", rien n'impose de se justifier), ou encore engueuler son prochain exprimer son mécontentement (la méthode DESC, pour Décrire -dire ce qui ne va pas-, Exprimer -préciser que la situation nous ennuie-, Spécifier -proposer une solution-, Conséquences -dire ce qu'on fera de gentil si la solution proposée est adoptée-, à ne pas confondre avec la méthode SILENCE qui sert à ne pas contrarier quelqu'un qui a eu sans s'en rendre compte un comportement raciste).

 Les conseils proposés rappellent très très fortement les thérapies comportementales et cognitives, et ont sans doutes été dépassés depuis vu que le livre date de 1977 (comme Star Wars) et que ces thérapies, qui sont particulièrement adaptées contre les phobies sociales, ont tendance à évoluer rapidement (en bien, contrairement à Star Wars). Et, oui, c'est pas la peine de me regarder comme ça, j'aurais pu y penser avant de commander le livre. Reste qu'il est bien pratique, qu'il est parfaitement compréhensible et que, à mon avis, les conseils fonctionnent, même si les appliquer demandera du temps et de l'énergie et que le livre est donc plutôt à recommander à des lecteur·ice·s qui veulent s'attaquer fermement au problème (et, accessoirement, des lecteur·ice·s anglophones, sinon ça va être bien plus compliqué que nécessaire).

lundi 31 octobre 2016

L'examen clinique de l'intelligence de l'enfant, fondements et pratiques du WISC-IV, de Jacques Grégoire



 Comme le titre du livre l'indique, WISC n'est pas une onomatopée (et c'est bien dommage, parce que ce serait une super onomatopée) mais l'abréviation pour Wechsler Intelligence Scale for Children (donc, ici, sa quatrième version et pas la dernière en date comme j'avais écrit au début mais le V n'est arrivé en France que cette année donc on va faire comme si on n'avait pas vu), test qui est probablement le plus utilisé pour mesurer l'intelligence de l'enfant (jusqu'à 16 ans) et aboutir au fameux QI.

 Si le livre, là encore comme son titre l'indique, est très nettement axé sur la pratique et donnera des éléments précis pour optimiser la passation et l'interprétation du test, il ne fait pas l'économie d'un long (et clair) (et intéressant) développement théorique sur l'histoire et la signification de la mesure de l'intelligence. On s'en doute, le chemin entre la recherche, fut-elle armée de nombreuses données et de mesures statistiques élaborées, de l'essence de l'intelligence et la division d'un test en compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement, a été long (non, on ne mesure plus l'intelligence en regardant à partir de quelle distance on perçoit deux contacts distincts au lieu d'un sur la peau). Si, il y a bien longtemps (mais pas dans une galaxie lointaine puisque ça a démarré en France avec le test de Binet et Simon), le quotient intellectuel désignait le quotient de l'âge mental sur l'âge réel (quelqu'un qui à 10 ans réussissait les épreuves réussies par l'enfant moyen de 11 ans pouvait se targuer d'un QI de 110, enfin aurait pu si on avait déjà eu l'idée de multiplier le score par 100 pour plus de lisibilité), il ne s'agit en fait plus d'un quotient mais d'un classement : le nombre 100 désigne toujours la moyenne, mais la note permet de situer selon les écarts-types, sachant qu'un écart-type correspond à 15 (plus on s'éloigne de 100, moins sont nombreux les gens qui ont un QI aussi élevé, ou aussi bas, un QI de 145 signifiant par exemple qu'environ une personne sur 1000 est capable d'obtenir une note si élevée).

 S'arrêter là est encore trop simple. Entre autre parce que, plus le temps passe, plus les notes tendent à être tirées vers le haut (effet Flynn), le tout dans le plus grand irrespect des oracles qui déplorent régulièrement que le niveau baisse. La note est donc un classement par rapport à la dernière fois que le test à été étalonné, et pas par rapport à maintenant (c'est particulièrement important à prendre en compte, par exemple, si on passe le WISC III). D'autres éléments peuvent influencer le résultat comme l'appréhension du test, des éléments culturels (qui peut concerner l'habitude des exercices proposés, par exemple pour l'arithmétique ou le vocabulaire, mais aussi la relation à l'évaluation), … Et même sans tenir compte de tous ces biais, la fidélité du test, si relativement solide soit-elle, a ses limites (la note obtenue reflète donc une approximation du niveau du sujet), et n'est vraiment fiable que si l'ensemble des notes aux sub-tests est homogène.... Ainsi, si la notion de QI est fortement ancrée culturellement parce que l'idée de résumer l'intelligence en un nombre est séduisante, on voit que ça n'a pas grand chose à voir avec la réalité. Le test n'a d'intérêt que si on prend en compte le détail des résultats, qu'on est attentif à ce qui se déroule pendant la passation elle même, et qu'on a une idée de ce qu'on cherche à savoir. D'où l'intérêt de la seconde partie, très technique et spécifique, du livre.

 L'auteur prend le temps de s'attarder sur chaque indice, et même sur chaque test, pour préciser ce qu'il veut dire et ne veut pas dire. Le contenu s'appuie sur la pratique autant que sur des résultats d'études. Il est rapidement clair qu'un résultat seul ne suffit en aucun cas à faire un diagnostic, mais les vignettes cliniques de la fin montrent bien comment le test peut éclairer certaines situations. Un exemple intéressant est celui d'un adolescent qui a de grandes difficultés à se concentrer en particulier en classe : sa réussite à certains items qui demandent de la concentration et, pendant la passation, son stress devant l'évaluation qui le pousse à répondre parfois trop vite et à manquer de flexibilité et persévérer en cas d'erreur, permettent d'éliminer une éventuelle cause neurologique et de plutôt rechercher la source éventuelle d'un mal-être émotionnel.

 L'étudiant·e en psychologie (ou le·a psychologue) qui utilise régulièrement le WISC IV, à qui la seconde partie (et son abondance de termes poétiques comme rotation Varimax, saturation d'item, ...) s'adresse, aura probablement déjà entendu parler de l'ensemble de ce qui est dit dans les rappels historiques de la première partie, même si les rappels des fois c'est bien aussi. La première partie en question reste particulièrement intéressante pour l'étudiant·e moins avancé·e, ou pour quelqu'un qui se demande plus généralement en quoi consiste la mesure de l'intelligence. Le même livre semble donc viser deux publics assez distincts, mais vu que les parties concernées sont clairement distinctes aussi, est-ce que c'est vraiment embêtant?

mercredi 26 octobre 2016

Pré-requis insuffisant


 C'est officiel... sauf repêchage inespéré, je fais partie des 132 recalés parmi les candidats au Master Troubles de l'Enfance et de l'Adolescence. C'est par définition un risque quand on s'inscrit à un cursus sélectif, mais ça reste un coup sur la tête, et je ne peux m'empêcher d'avoir un sentiment d'injustice vu que c'est la conséquence indirecte de ce qui s'est passé l'année dernière.

 Comme la fac en présentiel est exclue pour moi (travail à plein temps en horaires décalés), et que je ne suis pas assez motivé par la psychologie sociale pour faire un Master (ce qui implique 300 heures d'un stage qu'il faut accessoirement trouver, mémoire de recherche, ...), je pense m'arrêter là pour la fac de psycho. Le projet pour l'instant c'est de me former en Approche Centrée sur la Personne (Carl Rogers), du coup si quelqu'un connaît les différents organismes qui proposent cette formation et en aurait un en particulier à me conseiller voire à me déconseiller, toute info serait très bienvenue soit en commentaires soit par mail (l'adresse est dans la présentation du blog, mais si, là haut). Bon j'aurais peut-être radicalement changé de projet dans 10 jours, parce que par définition quand on vient de prendre un coup sur la tête on n'y voit pas très clair, mais je ne pense pas finir par jeter à la poubelle ces sept ans d'effort.

 Pas de regrets de m'être inscrit au départ, déjà parce que je savais dès le début qu'il y avait sélection à la fin même si je m'attendait plutôt à être bloqué à la porte du Master 2, mais aussi parce que si je ne m'étais pas inscrit je n'aurais pas rencontré tous ces étudiants (surtout étudiantes, du coup) qui ont aussi enduré les aléas de l'IED, ont permis un soutien mutuel indispensable (malgré, précisément, la sélection qui arrivait) et ont enduré plus que de raison mon humour sur Facebook, je n'aurais jamais entendu parler de Rogers ni de Bowlby, je ne serais pas sorti de ma zone de confort pour faire des choses dont je me pensais incapable (faire un projet tutoré, trouver un stage, ...), je n'aurais pas créé ce blog, je n'aurais jamais su que "descendre en bas" n'était pas forcément un pléonasme (parce qu'en fait, on peut aussi descendre au milieu de l'amphi), ...

 Sauf changement de programme majeur, le blog va quand même continuer, puisque je vais continuer de me former (même si je ne vais pas renouveler mon abonnement au Journal des Psychologues parce que bon, on va pas non plus... hein... bon). Bon, parmi les prochaines fiches de lectures, les deux qui concerneront les tests psychologiques pour enfants et adolescents seront là purement pour la beauté du geste, mais j'ai déjà acheté les livres et ils coûtaient cher ^^ Sinon, je viens de faire une formation d'initiation à l'ACT -Thérapie d'Acceptation et d'Engagement-, donc il devrait y avoir quelques fiches sur le thème.

 Félicitations en tout cas, et surtout bonne continuation aux 74 non recalés!

vendredi 30 septembre 2016

Choisir une psychothérapie efficace, de Jean Cottraux



 Les types de psychothérapie existants sont nombreux, très nombreux, au point que même l'étudiant·e en psychologie peut parfois être perdu·e quand iel entend parler de telle méthode ou de tel courant pour la première fois alors qu'iel pensait avoir à peu près fait le tour... ce qui donne une idée de ce que le·a patient·e en souffrance peut éprouver lorsque, après avoir pris la décision de se faire aider par un·e professionnel·le, il lui faut encore deviner rechercher la meilleure solution à ses difficultés. Le Code de déontologie des psychologues est par ailleurs là pour rappeler qu'avoir un bac + 5 ne dispense pas de se préoccuper des limites de sa méthode, ce qui peut impliquer de rediriger le cas échéant le·a patient·a vers le·a confrère·sœur qui proposera une aide plus adaptée ("Il définit ses limites propres compte tenu de sa formation et de son expérience. Il est de sa responsabilité éthique de refuser toute intervention lorsqu'il n'a pas les compétences requises", principe 2). L'enjeu du livre est donc plutôt central, et l'auteur est bien placé pour en parler puisqu'il a été l'un des participants à un rapport de l'INSERM en 2004 qui portait précisément sur ce sujet là. Ledit rapport étant bien plus célèbre pour les réactions qu'il a provoquées (d'un côté pression d'associations psychanalytiques qui ont abouti à l'enterrement du rapport, le ministre arguant que "la souffrance psychique n'est ni évaluable ni mesurable" -le sujet dépressif ou schizophrène sera ravi d'apprendre qu'il ne peut pas savoir s'il va mieux, ni tant qu'on y est qu'il ne va pas bien-, de l'autre rédaction du Livre Noir de la Psychanalyse se convainquant de s'attaquer au plus redoutable des adversaires parce que "on peut pas critiquer la psychanalyse c'est plus possible heureusement on est trop des rebelles" -la psychanalyse est critiquée depuis sa création, y compris mais bien sûr pas seulement par des psychanalystes, mais on va pas chipoter- ) que pour son contenu, on ne peut que se réjouir que l'un de ceux qui l'ont élaboré nous éclaire sur le contenu en question.

 Utilisant comme source principale des méta-analyses (analyse et comparaison des résultats de nombreuses études sur un même sujet), les différentes méthodes thérapeutiques sont notées entre A et C selon le niveau de preuve d'efficacité disponible, pour divers troubles (anxiété, phobies, addiction, stress post-traumatique, anorexie mentale, …). Un tableau récapitule le tout à la fin, ce qui permet à un·e patient·e d'éventuellement orienter son choix de thérapie en un coup d'œil sans pour autant acheter lire le livre en entier, livre qui commence par un récapitulatif complet et intéressant des enjeux et de la méthodologie de l'évaluation. Les psychothérapies sont divisées en cinq grands courants : les thérapies psychodynamiques (dérivées de la psychanalyse mais plus centrées sur la guérison du symptôme), les psychothérapies cognitives et comportementales (que l'auteur connaît bien pour être un pionnier de ces thérapies), la thérapie interpersonnelle (j'admets ne pas trop avoir compris de quoi il retournait), les psychothérapies humanistes et les psychothérapies familiales (la thérapie systémique en est la version la plus connue mais il en existe dérivées de la psychanalyse ou des TCC). Une place est également consacrée aux méthodes de relaxation et à la méditation de pleine conscience (si j'ai bien compris l'hypnose est rangée là-dedans, mais il en est hélas très peu question), ou encore, mais très brièvement, à la psychologie positive, lorsqu'il sera question de l'avenir des psychothérapies. Le livre comprend aussi un chapitre original et intéressant sur les liens entre psychothérapie et religion. Chaque courant est décrit dans une perspective historique, avant d'en revenir aux informations scientifiques disponibles, en particulier les limites, les indications et contre-indications de chaque méthode.

 On peut hélas tiquer, pour un livre qui se veut si rigoureux, de voir plusieurs erreurs factuelles se glisser ça et là. Bon, je dis ça et là pour l'ensemble du livre, parce que sur la biographie de Freud qui introduit le chapitre sur la psychanalyse, c'est un festival. Pour mieux démolir l'image quasi-divine de Freud qu'auraient ceux qui apprécient son travail (gné?), l'auteur s'en donne à cœur joie pour le diaboliser le plus possible. C'en est au point où au moment de ma lecture où je m'étonnais qu'il n'ait pas parlé de "Freud et la coke", qui dans les solutions de facilité pour faire du Freud-bashing primaire se place quand même assez haut, je tombe sur une phrase sur le sujet (une phrase toute seule, sans contextualisation aucune, pour les lecteur·ice·s qui douteraient qu'on est dans la solution de facilité). On a également droit au point Godwin qui est peut-être le plus tiré par les cheveux de l'Histoire du point Godwin, alors que cette figure rhétorique est l'emblème même de la paresse argumentative : parmi les milliers de pages publiées par Freud, celui-ci déplore, dans L'avenir d'une illusion, que le peuple ne délaissera ses bas instincts pour se hisser vers la civilisation "que grâce à l'influence de personnes qu'ils reconnaissent comme leurs guides". Vous n'y voyez qu'un éloge de la verticalité, une admiration des grands hommes plutôt répandue? Malheureux·ses, c'est que vous ignorez que "guide", en allemand, se dit Führer! Avec un tel raisonnement, si Jean Cottraux a par hasard parlé de cortex préfrontal dans l'un de ses livres à un moment ou à un autre, c'est une allégeance évidente au Front National (surtout s'il mentionne qu'il concerne les fonctions supérieures!). Freud se voit par ailleurs prêter, en plus de ses affinités avec le régime nazi, des pouvoirs de divination, puisque L'avenir d'une illusion date de 1927 et que Freud était Autrichien et non Allemand. Dans les arguments qui laissent perplexe, on peut ajouter, par une dynamique dont la logique m'échappe, le fait que la théorie analytique devienne soudain valide... quand il s'agit de descendre la psychanalyse. Par une interprétation sortie de son chapeau, Jean Cottraux décrète que le concept du complexe d' Oedipe s'est imposé à Freud parce qu'il avait une liaison avec sa belle-sœur (ne cherchez pas d'autres rapports que le chiffre trois, il n'y en a pas), ou fait une telle description du transfert qu'il donne l'impression qu'après être passé sur le divan, remettre en question la psychanalyse est un exploit à peu près du même ordre que de s'adonner à la brasse papillon après avoir avalé des somnifères. Aliénation supplémentaire : les psychanalystes sont obligés d'exercer longtemps pour amortir le coût de leur analyse didactique... ça alors, il n'y a bien que ces salauds de psychanalystes pour avoir l'idée d'une formation payante, ou encore de la rémunération du travail! Ajoutons à ça que critiquer les positions politiques droitières de Freud ou son souci de notoriété après avoir loué entre autres le travail de Michel Onfray, c'est, disons, rigolo. Le livre contient pourtant des critiques sérieuses de la psychanalyse, dont celle, non négligeable, que l'hypothèse centrale de la substitution du symptôme (faire disparaître un symptôme sans résoudre le conflit psychique qui l'a provoqué ne soignerait en fait rien du tout, le symptôme disparu serait remplacé par un autre) s'est avérée fausse, ce qui a été confirmé par des études portant sur des suivis de plusieurs années, ou, plus anecdotique mais intéressant, que Freud avait tendance à faire le contraire de ce qu'il recommandait (le fait qu'il ait pris sa fille en analyse me fait, à titre personnel, particulièrement tiquer, mais on pourrait ajouter qu'il n'a pas fait d'analyse didactique, qu'il était souvent directif ce qui est contraire au principe d'associations libres, …). Dans les reproches faits aux psychanalystes, l'accusation de manquer d'esprit critique est récurrente : il semble pourtant que la psychanalyse perturbe aussi l'esprit critique de ses détracteur·ice·s.

 Si on peut prêter le passage surréaliste sur Freud à une aversion personnelle, d'autres passages m'ont posé problème, même si c'est plus anecdotique. Inscrivant les thérapies humanistes dans la période "Flower Power", l'auteur les décrit comme centrées sur une idéologie hédoniste. Rogers n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais dire qu'il faisait l'éloge de l'hédonisme a à peu près autant de sens que de dire que Freud était réticent à parler de sexualité (et pour un autre exemple, en ce qui concerne Fritz Perls, cet aspect m'a échappé dans ce que j'ai lu de lui). Les thérapies humanistes sont en revanche centrées sur les émotions, ce qui n'est pas spécialement mentionné, en tout cas pas avec insistance (autre élément surprenant : la thérapie centrée sur la personne de Rogers, par ailleurs plus souvent appelée approche centrée sur la personne, est rebaptisée thérapie centrée sur le patient, alors qu'une spécificité plutôt voyante des thérapies humanistes est de parler de client·e plutôt que de patient·e). Tant qu'à être casse-pieds je continue sur un autre chapitre : après avoir parlé du concept systémique d'injonction contradictoire (ou double lien, ou double contrainte, selon les termes choisis pour traduire double bind), et précisé utilement que son rôle dans le développement de troubles ultérieurs n'en est qu'au stade de l'hypothèse car il n'a jamais été prouvé, l'auteur donne des exemples... qui ne sont pas des injonctions contradictoires! Pour présenter le concept, l'exemple donné est celui, incontournable et emblématique, de l'enfant à qui sa mère tend les bras tout en ayant une expression de rejet. Si l'enfant répond à l'invitation, il s'expose donc audit rejet, mais s'il garde ses distances, il se le verra reprocher. La situation le contraint donc à agir, mais son action se retournera forcément contre lui. Si on rappelle que l'attachement est un besoin fondamental, on imagine le niveau de détresse de l'enfant qui se trouve dans cette situation. Mais, comme exemples supplémentaires, l'auteur présente des injonctions qui ont pourtant un rapport assez éloigné, telles que "En démocratie, on est libre, mais personne n'est censé ignorer la loi" (ça alors, les libertés ont des limites! Il ne manquerait plus que de découvrir que l'intérêt général consiste à équilibrer les libertés des uns et des autres!), "Sois spontané!" (l'injonction, dans la forme, peut en effet prêter à sourire, mais elle n'a rien d'un piège sans issue si elle est adressé à quelqu'un qui par exemple est trop scolaire ou inhibé dans son domaine) ou encore "Tu peux partir, je ne dirai rien, simplement, je pleurerai" (on peut si on y tient déplorer une formulation hypocrite ou passive-agressive, mais c'est plutôt clair qu'il y a une injonction de rester et de ne pas faire le contraire). Je suis conscient que mon relevé est pointilleux et redondant, mais ce qui me perturbe dans ces erreurs qui isolément sont presque anecdotiques, c'est précisément que j'ai pu les relever, y compris dans des domaines que, franchement, je connais plutôt superficiellement. Ma vulnérabilité pour avaler tout rond des erreurs du même type par exemple sur les thérapies familiales, sur l'analyse transactionnelle, sur la psychologie positive et encore bien d'autres domaines évoqués dans le livre était donc à peu près totale, alors même que le livre est supposé être placé sous le signe de la suprême rigueur. C'est problématique en soi, ça l'est encore plus quand l'auteur fait en abondance l'éloge des thérapies comportementales et cognitives, tout en étant membre du comité scientifique de l'Iffortecc (ce qui, c'est important de le préciser, n'est absolument pas dissimulé, pas plus que sa participation, enthousiaste de son propre aveu, au Livre Noir de la Psychanalyse). L'efficacité démontrée des thérapies comportementales et cognitives dans de nombreux domaines est peu suspecte, puisque l'efficacité démontrée est précisément l'essence de ces thérapies (ce qui fait partie des reproches qui leurs sont adressés : "la psychothérapie ne prétend pas répondre à l'ensemble des problèmes existentiels", rappelle l'auteur au moment de la conclusion... certains pourront argumenter que c'est une limite préoccupante), et leurs limites et contre-indications ne sont pas oubliées, mais on pourra plus tiquer quand l'éloge sera très peu nuancé ("la TCC s'obligeait elle-même à être efficace ou à périr. Désormais, toutes les écoles de psychothérapie sont obligées d'y répondre. Les bonnes questions ouvrent des chemins sans retour"), quand des principes des TCC sont détectés dans presque toutes les thérapies (ça fera partie, cela va de soi, de leurs qualités) ou quand par exemple l'EMDR sera désigné comme un vulgaire plagiat et expédié en quelques lignes.

 C'est pourtant appréciable que l'auteur ne parle pas que de méta-analyse quand il rapporte des vignettes cliniques (dont... deux exorcismes!), détaille le fonctionnement de la réalité virtuelle comme apport technologique aux TCC, ou décrit sa perplexité devant des pratiquants de kyudo à l'occasion d'un voyage au Japon ou son bref séjour à Esalen, centre des thérapies humanistes, au moment de son apogée. Ce livre qui s'annonçait très impersonnel a donc des aspects extrêmement personnels, ce qui est plus ou moins heureux selon les moments.

vendredi 23 septembre 2016

Everyday Feminism Magazine



 D'habitude, je ne commence pas mes posts de blogs comme ça, mais je vous prie de ne pas fuir en voyant le titre. Le mot "féminisme" fait certes parfois peur (surtout si vous avez lu ce livre là), bien qu'il ne signifie rien de plus qu'être en faveur de l'égalité entre hommes et femmes, mais je ne relaie pas ce site Internet pour faire de la propagande (en plus j'ai un autre blog pour ça O:) ) mais bien parce qu'il m'a autant intéressé qu'en tant qu'étudiant en psycho qu'en tant que citoyen.

 Ce site est plus précisément un site de féminisme intersectionnel, c'est à dire que son objet est non seulement le sexisme, mais l'ensemble des stéréotypes intégrés dans un système de domination (pas dans un sens complotiste mais dans la mesure où nous vivons dans une société qui rend ces stéréotypes, à notre insu ou non, normaux) qui peuvent conduire à des inégalités ou des difficultés au quotidien pour ceux et celles qui les subissent (racisme et homophobie pour les plus connus, validisme -qui concerne le handicap physique mais aussi la maladie mentale-, transphobie, grossophobie -c'est le vrai terme-, ...). L'un des grands intérêts cliniques est de donner d'abord la parole aux personnes directement concernées ("Tout ce qui se fait pour nous sans nous se fait contre nous", disait Nelson Mandela, mais je crois que ce n'était pas dans un article d'everydayfeminism.com ). La démarche n'est pas si fréquente puisque, du fait même des stéréotypes, il n'est pas rare que cette parole soit confisquée, quand la souffrance n'est pas tout simplement niée (le fait que reconnaître cette souffrance soit un premier pas vers la remise en cause du système -par exemple, condamner le harcèlement de rue va à l'encontre de certaines conceptions de la virilité ou de l'injonction à la discrétion des femmes- ne facilite pas les choses).

 Everyday Feminism propose donc une approche intéressante sur des thèmes divers, tels que cet article autobiographique sur comment le rapport à la nourriture dans la famille a largement contribué à des troubles du comportement alimentaire (et la difficulté pour la famille de se remettre en question même après coup) mais aussi des articles sur les idées reçues sur, exemples parmi beaucoup d'autres, la drogue, l'hyperactivité, la paranoïa, ...

 Le site a une quantité particulière de ressources sur la violence conjugale, qu'elle soit physique ou psychologique, ce qui correspond en effet au thème du site : les victimes de violence conjugales sont elles-mêmes victimes de stéréotypes, le racisme ou l'homophobie intégrés peuvent aggraver ces stéréotypes pour les personnes concernées, les stéréotypes de genre ont leur part de responsabilité, ... Le site offre donc de nombreuses ressources et témoignages pour aider les victimes lorsqu'on en a l'opportunité, repérer les signes avant coureurs, déjouer les pièges de la manipulation, mieux connaître le traumatisme qui peut suivre, ...

 Les articles sont écrits par des personnes concernées mais aussi par des professionnel·le·s tels des psychologues ou des travailleur·se·s sociaux·les (d'ailleurs on peut parfaitement être concerné·e et professionnel·le en même temps). Ils peuvent être lus à toute fin utile par tout le monde bien sûr, mais en particulier par l'étudiant·e qui veut recueillir rapidement des infos sur un sujet, le·a soignant·e qui veut donner des informations à la fois pratiques et dé-stigmatisantes à un·e patient·e sur ce dont iel souffre (l'aspect dé-stigmatisant peut être d'autant plus salutaire que tou·te·s les soignant·e·s sont loin d'être à l'abri des stéréotypes), les proches des personnes concernées... Le moteur de recherche est, ça ne gâche rien, très efficace et simple d'utilisation (il est en elastic search : quand on commence à taper un mot, le moteur de recherche commence déjà à proposer une liste d'articles qui correspond) et que, cette qualité est presque un défaut, il y a de nombreux liens intégrés dans chaque article, non pas pour combler ses lacunes parce qu'il n'y en a pas spécialement mais pour approfondir certains aspects : vous risquez donc de vous retrouver rapidement avec une dizaine d'onglets ouverts alors que vous vouliez juste lire un article (c'est d'ailleurs pour ça que je n'ai lu qu'à peu près la moitié des articles mis en lien dans ce post).

 Le site a en revanche le défaut, c'est indéniable, d'être en anglais...

Le lien : http://everydayfeminism.com/ 

mercredi 14 septembre 2016

Pratiquer la psychologie clinique auprès des enfants et des adolescents, dirigé par Silke Schauder


 
Très axé sur la pratique, un peu (qui a dit "exactement"?) comme Pratiquer la psychologie clinique auprès des adultes et des personnes agées qui lui ressemble à s'y méprendre (mais quelle peut bien être la différence entre les deux?), ce livre est constitué de chapitres rédigés par différent·e·s intervenant·e·s qui proposeront, en plus des informations institutionnelles (ce qui inclut souvent les associations avec lesquelles interagir ou encore les évolutions législatives sur le sujet) et d'éléments théoriques de base correspondant à chaque thème, plusieurs vignettes cliniques ou encore les tests (toujours présentés par Silvia Sbedico Miquel) les plus pertinents à utiliser.

 Cela va de soi dès le premier chapitre, qui concerne le travail du psychologue en maternité : intervenir auprès des enfants et des adolescent·e·s, c'est aussi dans la majorité des cas interagir avec la famille, en particulier les parents, donc avoir des interlocuteur·ice·s adultes. L'environnement familial n'a pas seulement un impact sur le passé des patient·e·s, comme ça peut être le cas pour les adultes, mais aussi sur leur présent... et leur souffrance a un impact sur la famille. Si des institutions très spécifiques sont présentées (maternité, PMI, ASE, crèches ou Maisons Vertes, école primaire, …), ce qui est bien pratique pour préparer un stage voire se préparer à y faire ses premiers pas professionnels, des situations plus transversales, qui peuvent concerner n'importe quel·le psychologue travaillant auprès d'un jeune public, sont traitées, telles que le handicap, qu'il soit sensoriel, moteur, intellectuel ou relationnel (une prise en charge précoce favorisera d'autant plus la remédiation et l'adaptation), la prévention du suicide ("il n'est pas possible d'assimiler la notion de mort chez l'enfant aux représentations qu'ont les adultes"), les situations de migration (si la situation de migrant·e a ses spécificités, l'auteur -Olivier Douville- rappelle régulièrement qu'il faut garder à l'esprit qu'on soigne un sujet avant de soigner un·e migrant·e -"le risque sera encore soit de prôner un culturalisme réducteur, soit de s'abriter derrière un universalisme purement abstrait"-), l'addiction (ce chapitre inclut les troubles du comportement alimentaire, qui en effet se déclenchent souvent à l'adolescence... considérer ces troubles comme des addictions ne va pas nécessairement de soi mais peut s'argumenter solidement) ou encore le sujet délicat de l'obligation de signalement, qui pose de nombreuses questions législatives, éthiques et pratiques (les questions complexes de la responsabilité professionnelle sont détaillées, il est rappelé que "le signalement n'est pas une délation, c'est une mesure de protection de l'enfant" mais aussi que le·a psychologue ne doit signaler que ce qu'iel a directement perçu, l'enquête elle-même étant du domaine des institutions judiciaires, il est déconseillé de promettre le secret à l'enfant ou encore de compter sur un membre de la famille pour le signalement dans la mesure où son implication est difficile à évaluer, …).

  Le livre, tout en couvrant de nombreux domaines, tient très largement ses promesses d'ouvrage axé sur la pratique. D'habitude, "axé sur la pratique", ça veut surtout dire qu'il y a des vignettes cliniques. Ici, si vignettes cliniques il y a (et il y en a un certain nombre), le·a lecteur·ice aura surtout à disposition le fonctionnement détaillé des institutions concernées ou encore les tests pertinents et fiables à utiliser. Les développements théoriques sont toutefois riches eux aussi, et une bibliographie commentée (enfin, commentée des fois) donne de quoi d'occuper pour approfondir. Les chapitres sont tout aussi profitables si on les lit séparément, donc ça peut valoir le coup d'avoir le livre sous la main pour préparer par exemple un stage où un mémoire même en étant intéressé par un seul thème.

vendredi 2 septembre 2016

C'est parti pour le M1 développement... à moins que ce ne soit pas parti pour le M1 développement


 
 Ma candidature pour le M1 est envoyée... Il s'agit du M1 DEV pour les intimes, M1 Troubles de l'enfance et de l'adolescence de son nom officiel. J'avais déjà prévu d'intégrer ses rangs l'année dernière mais, souvenez-vous, ça ne s'était pas passé comme prévu . Si j'ai bien compris, il faut s'attendre à une réponse fin septembre-début octobre.

 En cas d'acceptation, c'est parti pour au moins 2 ans d'apnée qui vont impliquer un stage, et un mémoire de recherche donc une grande partie des fiches de lecture qui vont être monothématiques (mais j'ai déjà fait 3 projets tutorés et un stage, donc vous avez l'habitude ^^). En cas de refus, il y a de fortes chances que mes aventures IEDiennes s'arrêtent là au moins pour un moment, mais il ne sera pas question d'arrêter brusquement la psychologie après 7 ans, je vais probablement m'orienter vers une formation plus spécialisée pour m'installer en tant que psychothérapeute... même si ce sera avec beaucoup de regrets dans la mesure où je préfère travailler en équipe donc en institution, et surtout je serais moins compétent que si j'avais un Master au lieu d'une licence, et c'est un peu embêtant quand même.

 Du coup c'est un gros tournant qui s'annonce, mais pour l'instant je n'ai pas grand chose d'autre à faire que d'attendre.

 Bien sûr, les fiches de lecture vont continuer d'arriver ici en attendant la réponse. Parce que.

dimanche 21 août 2016

L'attachement, de la théorie à la clinique, dirigé par Blaise Pierrehumbert



 De nombreux·ses contributeur·ice·s (aussi divers que Bernard Golse, Serge Lebovici, Raphaële Miljkovitch ou Sylvain Missonier) commentent de diverses façons dans de courts textes la théorie de l'attachement. Seulement, contrairement à ce que promet le titre, de clinique il est peu, voire pas, question, ce qui règle tristement le problème posé par ledit titre (on peut en effet être intrigué par l'opposition entre théorie et clinique puisque, comme Anne Ancelin-Schützenberger disait que Kurt Lewin disait, il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie et que celle de Bowlby est précisément très orientée vers la clinique).  


 Les approches sont diverses, et j'aurais du mal à dissimuler que l'intérêt des différents chapitres m'a semblé très divers aussi. Si le prolongement de certaines questions esquissées mais non centrales de la théorie de l'attachement, comme une présentation de l'état de la science sur l'attachement au père ou les conditions pour que le mode de garde soit bien accepté par l'enfant, ou encore la question de savoir dans quelle mesure l'attachement mesuré dans l'enfance a un impact à l'âge adulte (question posée par Raphaële Miljkovitch qui a depuis grandement contribué à y répondre) sont à la fois intéressants en soi et donnent envie d'en savoir plus, les nombreux chapitres consacrés à la mesure minutieuse de la compatibilité entre théorie de l'attachement et psychanalyse (le titre de l'un d'eux,  La théorie de l'attachement constitue-t-elle une trahison de la psychanalyse, nous apprend d'ailleurs que la psychanalyse n'est ni un outil thérapeutique ni un outil de compréhension du psychisme qui aurait vocation à être efficace mais une cause, les patient·e·s seront ravi·e·s de l'apprendre) m'ont parfois semblé aussi palpitants qu'un épisode de Derrick diffusé au ralenti, et ce n'était pas seulement dû à mes connaissances très basiques en psychanalyse qui m'ont, je dois l'admettre, empêché de comprendre certaines subtilités. Le problème est surtout que Bowlby est déjà très clair dans ses écrits sur les liens entre chaque aspect de sa théorie et la psychanalyse. Mieux, pour celles et ceux que le sujet passionnerait, il consacre près de la moitié du première ouvrage de sa trilogie aux intérêts et limites qu'il attache à de nombreux domaines scientifiques, principalement l'éthologie mais aussi la psychologie behavioriste ou même la cybernétique (ce qui me fait redouter a posteriori une seconde édition du livre avec l'addition plusieurs chapitres de comparaison entre chacune de ces sciences et la théorie de l'attachement). Théorie de l'attachement et psychanalyse sont certes liées, et intéressantes individuellement, mais lire que Bowlby se considérait comme psychanalyste jusqu'à la fin de sa vie ou que de toutes façon la psychanalyse s'intéresse au non-observable du psychisme et que ça Bowlby est même pas cap de le faire, c'est quand même moins intéressant la cinquième fois qu'on le lit (en 30 pages) que la première. Si le·e lecteur·ice supposé·e est un·e psychanalyste intrigué·e par la théorie de l'attachement qui voudrait savoir de quoi il retourne, cette partie est en effet pertinente, mais je crains que ce public ne soit restreint, surtout que c'est loin d'être ce que suggère le titre.

 L'intérêt très variable des chapitres n'est techniquement pas très problématique puisque l'ensemble se lit très vite, mais on peut regretter la fausse promesse du titre. La lecture est bien plus confortable si on connaît déjà au moins un peu la théorie de l'attachement, il s'agit plus d'approfondissement que d'initiation.

vendredi 19 août 2016

L'analogie, cœur de la pensée, de Douglas Hofstader et Emmanuel Sander



 Ce livre, copieux mais très digeste (si si!), détaille la richesse de l'analogie, incontournable outil de la pensée (au point que même celles et ceux qui la fustigent ne peuvent éviter de l'utiliser dans les termes mêmes qui servent à expliquer en quoi elle est néfaste, comme Hobbes -"s'en servir pour raisonner, c'est errer parmi d'innombrables absurdités"- ou Albéric du Mont-Cassin -"cette distinction de l'attention fait ressembler l'objet à quelque chose de différent ; elle l'habille, si l'on peut s'exprimer ainsi, d'une nouvelle robe de mariée") qui distingue, selon l'argumentation convaincante des auteurs, l'humain de l'ordinateur (qui, s'il a une puissance de calcul qui rend le plus grand expert humain ridicule, reste incapable de traduire un texte simple... ceux qui ont déjà cherché à comprendre une phrase commise avec l'outil Google Translate frémiront à l'évocation de ce souvenir).

 Si les étudiant·e·s en psycho ont rarement à se préoccuper directement du fonctionnement de l'analogie, iels retrouveront un terrain plus familier quand les auteurs rappelleront qu'il s'agit en fait d'une forme de catégorisation (le livre s'achève d'ailleurs sur une très pédagogique démonstration, sous forme de dialogue, que les différences spontanément supposées entre analogies et catégorisation -processus actif VS processus passif, différence de complexité, ...- sont en fait inexistantes). La catégorisation, ça sonne abstrait et technique, mais en fait c'est bien pratique. C'est par exemple ça qui me permet, si je demande à mon voisin ou ma voisine de me passer un stylo, d'être assez serein sur le fait qu'iel ne va pas me passer par erreur un ornithorynque, mais aussi qu'iel ne va pas se demander si son stylo, parce que c'est un stylo bleu ou un stylo de telle ou telle marque, me conviendra quand même. Vous m'objecterez qu'avec ce raisonnement, iel pourra tout aussi bien me passer un stylo qui ne marche pas, ce qui a moins d'inconvénients mais pas beaucoup plus d'avantages que de me retrouver avec un ornithorynque dans les mains. Seulement, si on vous demande la définition d'un stylo, vous allez sans doute préciser que cette bête là sert à écrire : un stylo qui n'écrit pas est donc un exemplaire particulièrement peu ordinaire... d'ailleurs, est-ce encore tout à fait un stylo? En effet, si la plupart des catégories qu'on utilise au quotidien semblent solides, consensuelles et incontestables, plus on s'éloigne de ses éléments les plus typiques, plus on se rend compte que leur frontière est floue ("les catégories sont tout aussi évanescentes et insaisissables, tout aussi floues et vagues, que les nuages", "le flou catégoriel n'est pas lié à un quelconque manque d'expertise, mais fait partie de l'essence même de la catégorisation").

 La catégorisation est donc intrinsèque au fonctionnement psychique, permet la constitution de repères, fait partie intégrante du traitement de l'information ("nous percevons donc à l'aide de nos organes, mais aussi avec nos concepts", "y a-t-il toujours abstraction lors de l'encodage des souvenirs? Oui, toujours"). L'analogie permet, une fois qu'on sait conduire, de ne pas devoir tout réapprendre à chaque fois qu'on a le volant d'une nouvelle voiture entre les mains, de savoir se comporter dans la plupart des situations sociales habituelles, de pouvoir répondre à quelqu'un qui raconte une anecdote qu'il nous est arrivé "exactement la même chose" et de raconter une nouvelle anecdote alors que concrètement il ne nous est pas arrivé "exactement la même chose", ce qui poserait de sérieux problèmes métaphysiques, ... L'analogie, loin de limiter les catégories à des scripts très spécifiques (utiliser un ascenseur, participer à un entretien d'embauche, ...) ou des classifications scolaires (chat/mammifère/animal/être vivant), peut aussi être constituée de catégories qui semblent insolites au premier abord telles que des personnes (on peut ainsi avancer qu'Einstein est le Mohammed Ali de la physique, à moins que Mohammed Ali ne soit l'Einstein de la boxe), des événements (la crise financière de 2008 peut être désignée comme le 11 septembre de la finance), ou même des proverbes qui, comprenant des affirmations parfois contradictoires (les contraires s'attirent/qui se ressemble s'assemble, tout ce qui brille n'est pas d'or/il n'y a pas de fumée sans feu, ...), ont peut-être plus de valeur comme moyen d'exprimer quelque chose de spécifique que comme parole de sagesse (ça marche aussi avec les fables).

 Cependant, loin de se limiter (si on peut dire) à la constitution de repères personnels et communs, l'analogie est aussi le moteur de l'envol créatif des génies (celles et ceux qui font avancer leur domaine de façon radicale, pas qui sortent des lampes, même si chacun sait que j'aime les génies qui sortent des lampes), au point que les auteurs considèrent la capacité à faire les bonnes analogies comme la définition même de l'intelligence ("L'intelligence est, selon nous, l'art d'aller droit au but, au cœur des choses, à l'essentiel, rapidement et de manière fiable. C'est, face à une situation nouvelle, l'art de mettre le doigt, avec souplesse et assurance, sur un précédent (ou une famille de précédents) stockés en mémoire. Cela veut dire ni plus ni moins que la capacité d'isoler le noyau d'une situation nouvelle. Et cela, à son tour, n'est rien d'autre que la capacité de trouver des analogies fortes et utiles"). Si la transmission et l'acquisition de connaissances se font à l'aide d'analogies ("c'est par le biais d'analogies que les concepts scolaires sont formés"), la règle vaut aussi pour la création de connaissances nouvelles. Le dernier chapitre est ainsi consacré aux "analogies qui ont fait trembler la Terre" : le cheminement nécessaire à certaines révolutions mathématiques ou encore, grand luxe, l'évolution théorique d'Einstein racontée par un spécialiste de la physique (l'un des auteurs a, oh, juste un doctorat dans cette discipline), montrent que même dans des domaines emblématiques des sciences dures les évolutions marquantes se font par d'audacieux  (et, ça peut servir, pertinents) sauts théoriques plus que par le griffonnage inlassable d'équations sur un tableau en attendant que les règles existantes aient l'amabilité de révéler un prolongement.

 Les thèmes abordés sont précis et techniques et pourtant on ne s'en rend pas particulièrement compte pendant la lecture : osant ne pas respecter la règle qui fait qu'un cours de psychologie cognitive se doit d'être incompréhensible et assommant, les auteurs font l'exploit de livrer un texte toujours d'une grande clarté (le livre ayant été rédigé simultanément en anglais, ils ont même réussi à le faire en deux langues!), agréable à livre, illustré de nombreux exemples et avec pas mal d'humour. On peut le lire aussi bien pour son intérêt scientifique que par curiosité. 

mardi 12 juillet 2016

L'écorce et le noyau, de Nicolas Abraham et Maria Torok



 Ce classique de la psychanalyse est chaudement recommandé, en particulier par Anne Ancelin Schützenberger, qui oublie quand même de préciser que l'ensemble ne se lit pas tout à fait comme un roman. En effet, entre les réflexions avancées sur des concepts précis de psychanalyse et le fait que de nombreux développements théoriques sont dans la continuité de la phénoménologie, branche de la philosophie réputée particulièrement incompréhensible, j'ai plusieurs fois pensé qu'à la place de ce résumé j'allais vous proposer des vidéos avec des chats (parce que c'est bien aussi). Inutile de préciser que, malgré ma bonne volonté (d'ailleurs pour ceux qui auraient la drôle d'idée de chercher à comprendre quelque chose à la phénoménologie je ne saurais trop recommander cette vidéo, dont je ne prétends pas non plus maîtriser le contenu mais qui est de très loin ce que j'ai trouvé de plus intelligible comme présentation de la bête), une part importante du livre (qui consiste en fait en divers articles -l'un d'eux intitulé, vous ne devinerez jamais, L'écorce et le noyau-, présentations de livres et conférences mis bout à bout) m'est restée parfaitement obscure.

 L'auteur et l'autrice s'attardent longuement sur la notion, en effet importante en psychanalyse, de symbole, le symbole étant distinct, par exemple, du signe ("la symbolisation ne consiste pas à substituer une "chose" à une autre, mais à résoudre un conflit particulier en le transposant"). Cette redéfinition du symbole permet non seulement d'appuyer une réflexion sur la psychanalyse mais aussi d'établir des conclusions cliniques : l'accès au symbole est un pas décisif vers la guérison ("c'est le refoulement de son origine métaphorique qui fait le symbole", "l'écoute analytique commence au moment où à la place de ce que dit le patient on entend des symboles"). Le symbole se manifeste aussi (souvent d'ailleurs : les sonorités et homophonies prennent beaucoup de place dans les analyses des vignettes cliniques) sous forme auditive : le travail analytique a alors pour objet de désamorcer un emboîtement qui fait qu'un mot, s'il évoque indirectement un traumatisme (par exemple lié à un autre mot à la sonorité proche), déclenchera la pulsion ("ces représentations acoustiques elles-mêmes étaient reliées vers l'intérieur à des représentations de "choses" (comprenant sans doute aussi des représentations acoustiques de "choses" et de mots-choses) greffées sur les pulsions"). En considérant que l'accès au symbole par le patient permet la guérison, iels sont plus optimistes que Freud lui-même sur le sujet : lorsque l'Homme aux rats (l'une des Cinq psychanalyses) lui demande en quoi identifier la cause du symptôme permet de le résoudre, le créateur de la psychanalyse est assez embêté pour lui répondre et parle vaguement de catharsis (et ce alors que l'Homme aux rats est la seule thérapie réussie que Le livre noir de la psychanalyse accorde à Freud, même si les auteur·ice·s déplorent qu'il soit mort peu après, trop tôt pour observer une éventuelle rechute).

 L'écorce et le noyau qui ont donné son titre au recueil de textes sont aussi une question de signifiant et de signifié. Le texte qui a lui-même ce titre est d'ailleurs un commentaire du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis (dictionnaire ambitieux qui a impliqué une relecture et une confrontation des textes fondamentaux, parfois en plusieurs langues, pour définir avec précision tous les concepts). L'auteur et l'autrice s'attardent dans ce texte sur la spécificité de la psychanalyse dans le langage, en particulier le fait de mettre une majuscule aux mots (Plaisir, Décharge, ...) pour différencier leur sens analytique de leur sens courant, ce qui revient selon elle et lui à les priver de leur sens courant ("voilà justement le rôle des majuscules : au lieu de les re-signifier, elles dépouillent les mots de leur signification, les dé-signifient pour ainsi dire") et permet de développer le concept d'anasémie de la psychanalyse. Les concepts qui ont donné son titre à cet article comme au livre désignent, pour le Noyau, l'Inconscient freudien, et pour l'Enveloppe, le corps : l'objet de ces concepts est d'enrichir et de nuancer la notion de Somato-Psychique (pour une raison qui m'échappe, les majuscules, pourtant au centre du texte, disparaissent dans le titre, et l'Enveloppe y est rebaptisée écorce). Comme il est question de précision des concepts et de nuances complexes, je vais m'arrêter à ces données assez vagues car comme je n'ai pas tout compris, on court à la catastrophe si j'essaye d'expliquer le texte : j'invite les motivé·e·s à lire cet article de 20 pages en prenant leur temps, des notes et éventuellement de l'aspirine.

 Pour celles et ceux qui comme moi sont entré·e·s là parce qu'iels ont suivi les indications d'Anne Ancelin Schützenberger, ne partez pas tout de suite : il est bel et bien question, et en abondance (le livre se termine d'ailleurs sur un long extrait d'Hamlet où un spectre se manifeste bruyamment pour éviter qu'un secret honteux ne soit dévoilé), de traumatisme inter-générationnel. Tant à travers des cas cliniques qu'à travers des développements théoriques, il est question du poids de secrets de familles honteux, de deuil non faits ("Tous les morts peuvent revenir, certes, mais il en est qui sont prédestinés à la hantise. Tels sont les défunts qui, de leur vivant, ont été frappés de quelque infamie ou qui auraient emporté dans la tombe d'inavouables secrets", "ce ne sont pas les trépassés qui viennent hanter, mais les lacunes laissées en nous par les secrets des autres") qui rendent l'analyse insoluble tant que l'analyste ne cherche la solution que dans la biographie de son ou sa patient·e ("il arrive que des révélations providentielles fournies à point nommé par l'entourage, viennent à la rescousse pour apporter les pièces manquantes"). En revanche, à l'instar de Schützenberger qui admet régulièrement son échec sur ce point, ils ne savent pas trop comment le traumatisme se débrouille pour passer d'une génération à une autre (iels parlent d'un passage "dont le mode reste à déterminer").

 Je l'ai précisé plus haut, ce livre est un recueil de textes : le contenu (et, à mon grand soulagement, la complexité) est très varié (et, si un plus grand honneur est fait aux développement théoriques, il y a aussi une place conséquente accordée aux vignettes cliniques, dont une part concerne l'Homme aux loups auquel l'auteur et l'autrice ont déjà consacré un livre). Je ne me suis par exemple pas attardé sur le concept d'introjection (modalité analytique du deuil qui consiste à avaler métaphoriquement l'objet perdu), sur le bilan des apports de Mélanie Klein à la psychanalyse au cours de sa carrière, ni sur le dictionnaire des concepts qu'Imre Hermann (qui aurait influencé Balint, Spitz, Bowlby, Winnicott ou encore Lacan) développe dans L'instinct filial. Le livre est plutôt destiné aux spécialistes et la plupart des textes sont bien plus profitables si on les lit en prenant son temps, mais d'autres sont bien plus accessibles et sont intéressants aussi.

samedi 11 juin 2016

Les fondations du lien amoureux, de Raphaële Miljkovitch


 Dans ce livre, qui résume un travail de recherche, Raphaële Miljkovitch prolonge les travaux de John Bowlby (et les suivants) sur l'attachement en s'interrogeant sur l'influence des relations affectives avec les parents pendant l'enfance sur les relations de couple. Si les deux types de relation sont, bien entendu, différents (il arrive qu'on change un peu quand même entre l'enfance et l'âge adulte et, si l'attachement est un besoin fondamental au tout début de la vie car un jeune enfant ne peut pas survivre seul, le célibat à l'âge adulte, malgré ses éventuels inconvénients, met rarement la vie en danger), on peut difficilement imaginer que la façon de donner et recevoir de l'affection qu'on a connu en grandissant soit sans influence sur les échanges ultérieurs. Le principal outil utilisé est l'analyse d'entretiens, complété dans certains cas par des tests pour vérifier statistiquement les hypothèses plus spécifiques.

 Les données permettent effectivement de confirmer diverses influences. C'est le cas par exemple de la nature des attentes envers l'autre, de la façon de l'exprimer ("bien que le conjoint se comporte différemment de ce qu'on a connu auprès de ses parents, on n'est pas nécessairement en mesure de le voir et de l'intégrer"). Le père de Germaine était violent avec elle et l'ensemble de sa famille, et ne laissait sa mère prendre soin d'elle que quand elle était malade (elle a par ailleurs eu de nombreux problèmes de santé) : elle rapporte durant l'entretien que deux de ses divorces ont été motivés, au-delà des autres problèmes de couple, par un manque d'attention du conjoint lorsqu'elle était malade ("je me traînais avec 40°C de fièvre et il fallait que je lave le linge!"). Marie, cinquième de six enfants non désirés, dit avoir été une enfant collante, et se faisait donc souvent envoyer promener par sa mère. Ce sentiment d'abandon a été renforcé au moment du divorce de ses parents. Adulte, dans le métro avec son conjoint, frustrée qu'ils ne se parlent pas, elle pose sa main sur la sienne : il sursaute et retire brusquement sa main, non pas par rejet mais par surprise. Elle souffre beaucoup de l'incident, choquée qu'il puisse être à ce point perdu dans ses pensées alors qu'il est juste à côté d'elle. Séverine, à l'enfance plus sereine, a au contraire assez de ressources pour supporter des périodes difficiles, comme quand son conjoint, en service militaire, ne rentrait que le week-end et commençait seulement à la fin du week-end à récupérer de sa semaine. Gérald rapporte un manque d'attentions matérielles et affectives de sa mère, mais les faits dans son récit le contredisent : c'est probablement dû au fait que se plaindre était une stratégie pertinente pour attirer l'attention de sa mère, stratégie qui risque de beaucoup moins bien marcher dans le cadre de la vie de couple. Ces influences peuvent s'observer dans les interprétations des réactions du conjoint (comme Marie qui est profondément blessée par un manque passager d'attention) ou encore, dans une certaine mesure, dans le choix du conjoint. Les deux situations peuvent même se présenter pour la même personne, comme c'est le cas par exemple pour Benjamin : violemment maltraité par ses parents, convaincu qu'ils ne l'aimaient pas car il était moche ("C'est vrai, j'étais pas beau ; j'avais les oreilles décollées. Bon, plus tard, on m'a opéré ; ça se voit plus aujourd'hui mais... vraiment j'étais pas beau"), il a du mal à concevoir qu'on puisse l'aimer et se met en échec dans ses relations successives pour ne pas trop s'attacher, au risque d'une rupture qui deviendrait trop difficile à endurer. Il a mis fin à sa dernière relation en date suite à une suspicion d'adultère : leur voiture immobilisée par une crevaison, il a laissé sa compagne quelques instants, le temps d'aller récupérer de quoi changer le pneu, seule avec un passant qui s'était arrêté pour les aider (non sans appréhension : "j'ai dit au type : "Je te confie ma future femme, t'as pas intérêt à déconner. De toutes façons, j'ai relevé le numéro de ta voiture" et je suis parti"). De retour, c'est... le regard de sa compagne qui suffit à le convaincre de façon solide qu'adultère il y a eu, ainsi que le fait qu'elle n'en reparle pas le lendemain. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son manque de confiance en ce qui concerne la fidélité conjugale, il s'était précédemment remarié (après un premier divorce pour adultère) avec une femme qui lui avait été présentée comme "pas sérieuse", donc s'engageant en connaissance de cause dans une relation qui avait d'office de fortes chances de terminer par une rupture. Cette tendance au retrait affectif est mesurable chez les personnes qui ont élaboré ce type de stratégie en grandissant : on observe des réactions physiologiques moindres (en comparant à un groupe contrôle), par exemple, devant des extraits du film L'Ours où un ourson est "en situation de danger, de perte, de rejet, de sécurité et de recherche de proximité avec un adulte".

 Les stratégies d'attachement commencent à s'élaborer dès les premiers échanges entre le nourrisson et l'adulte. Plus l'adulte répond adéquatement à l'enfant de façon habituelle, plus l'enfant prend confiance dans l'efficacité de ses propres modes d'expression (sourire, pleurer, tendre les bras, voire se mettre en colère, ignorer l'adulte, …). L'attachement étant, dans les premières années de la vie, un besoin fondamental, l'enfant cherchera à s'adapter à l'adulte même dans la difficulté, ce qui pourra être dans le cas d'un comportement trop imprévisible de la figure d'attachement source de fortes angoisses et de conduites contradictoires (par exemple, au moment des retrouvailles dans l'expérience de la situation étrange, "mettre les mains devant la bouche, garder les avants-bras en l'air, rester les yeux hagards", en proie à "une représentation de lui-même comme étant à la fois une victime, un sauveur et un persécuteur"). Suzanne a grandi en testant régulièrement la résistance de sa mère à travers de violents caprices, auxquels celle-ci finissait toujours par céder sauf lorsqu'elle faisait appel à un tiers, ce qui aggravait en fait doublement la situation (car confirmant la fragilité qui angoissait Suzanne tout en introduisant un indésirable dans la relation mère-fille). La scolarité se passe très mal car la séparation n'est pas supportée, y compris à l'entrée en CP, trois ans d'école maternelle n'ayant pas suffi à l'habituer à cette séparation (la phobie scolaire, sujet sur lequel Bowlby s'est beaucoup étendu , sera d'ailleurs assez forte et durable pour qu'elle abandonne le lycée au bout de trois mois). Suzanne est par ailleurs incapable de faire face seule à l'angoisse. Elle grandit donc en étant persécutrice (à travers ses caprices) tout en étant sauveur (elle s'apitoie sur sa mère et sa fragilité), mais aussi victime puisque ses besoins affectifs sont ignorés. Ce comportement d'hyperadaptation aura des conséquences lorsqu'elle sera en couple avec un conjoint violent : après avoir été frappée (et dans un cas étranglée au point d'avoir la certitude qu'elle allait mourir), c'est elle qui prend soin de son conjoint, s'inquiétant devant son air "perdu" et cherchant sa propre part de responsabilité ("quand la crise s'est arrêtée, je suis restée avec lui en essayant d'être la plus tendre et rassurante que possible"). Elle a également été en difficulté dans sa relation suivante, ayant du mal à accepter la proximité ("pour moi il tenait du magique et pas du réel. Je voulais pas que ça bouge, qu'il casse cette image") puis avortant malgré son désir de parentalité car ne se sentant pas capable d'être mère ou encore faisant régulièrement subir à son conjoint de fortes colères en fait déclenchées par de violentes angoisses. La mère de Magali était maniaco-dépressive ("elle faisait rien dans la maison, donc fallait bien que je prenne le relais, que j'aide mon père et, surtout, j'avais peur qu'elle se suicide") et son père alcoolique ("c'est vrai que très tôt, vers 8-9 ans, je me souviens avoir ramassé mon père quand il tombait dans l'escalier pour rentrer à la maison parce qu'il avait bu") : la plupart du temps, elle devait donc prendre soin de ses parents, subissant une inversion des rôles parents-enfants. Jeune adulte, elle s'est mise en couple avec des hommes bien plus âgés qu'elle, pour s'assurer qu'ils seraient prêts à beaucoup pour la garder donc qu'elle aurait le contrôle dans la relation et pourrait exiger beaucoup, en contraste avec son vécu d'enfant et d'adolescente. 

 Bien entendu, le livre n'est en aucun cas une sorte de boule de cristal qui prédirait la vie de couple en fonction de l'enfance, ni un prétexte pour accuser nos parents de tous nos problèmes de couples (ce serait d'ailleurs bien dommage de faire ça alors qu'il est si simple d'accuser le·a conjoint·e!). D'une part, le fait qu'une hypothèse soit vérifiée statistiquement veut dire que telle cause a plus de chance de produire tel effet plutôt qu'un autre, et non que telle cause produira automatiquement tel effet. D'autre part, le·a conjoint·e n'est pas les parents, et chaque relation est différente, d'autant qu'il arrive souvent d'avoir plusieurs conjoint·e·s successif·ve·s, donc de changer au fur et à mesure des relations. Et, mieux encore, des pistes sont proposées pour évoluer! Communiquer, prendre conscience de son propre fonctionnement et de celui de son ou sa partenaire, sont des moyens de surmonter des habitudes ou des conceptions néfastes ("les quelques personnes qui, en dépit d'une enfance difficile, parviennent à trouver un équilibre dans leurs liaisons amoureuses se démarquent aussi de celles qui n'ont pas évolué par une bonne conscience réflexive (capacité à concevoir les états mentaux de soi et d'autrui)", "la relation de couple permet ainsi de mettre le doigt sur des points sensibles"). Cela peut être facilité par un·e partenaire particulièrement à l'écoute, même si c'est une très mauvaise idée de tout mettre sur le dos du ou de la partenaire ("à l'âge adulte on est davantage préoccupé que dans l'enfance par des frustrations, qui sont imputées au partenaire" -sur le thème de ne pas faire reposer toute la relation sur l'autre je recommande avec force enthousiasme le film Elle s'appelle Ruby-), ou si nécessaire par un·e thérapeute : "le thérapeute accompagne et soutient dans l'évocation des aspects douloureux de l'existence, jusqu'à ce qu'on parvienne par soi-même à y faire front" (c'est beau, c'est magnifique, c'est formidable! Enfin, forcément que je trouve ça formidable, on dirait du Carl Rogers).

 Un livre qui reprend Bowlby ET Rogers, c'est doublement inutile de dire que j'en pense énormément de bien. Et, bien que ce soit la présentation d'un travail de recherche universitaire, le tout est extrêmement clair et accompagné en abondance d'extraits d'entretiens qui sont cliniquement riches par ailleurs (et je ne dis pas ça juste parce que l'autrice, que sa connexion Internet soit de 1000 Gigas/secondes même quand elle est en vacances à la campagne, que son équipe de foot favorite gagne les cent mille matches à venir, qu'un million de rayons de soleil et de ronronnements de chatons illuminent chaque instant de son existence, est prof en Master développement à l'IED Paris VIII et que je vais sous peu avoir besoin de l'indulgence de l'IED Paris VIII pour être admis en Master développement). Un autre point qui rend le livre particulièrement intéressant : le questionnaire utilisé pour la recherche (répondant au doux nom de Attachment security and secondary strategy interview) est fourni en annexe (et en français). Le recueil de nombreuses données concernant l'attachement peut bien sûr servir pour la recherche, mais on peut probablement aussi lui trouver de salutaires usages dans un cadre thérapeutique (anamnèse, ...), ne serait-ce que parce que répondre au questionnaire est un premier pas pour mieux identifier son propre fonctionnement et que, comme ça a été dit un paragraphe plus haut, c'est une étape importante pour rectifier si besoin les habitudes inadéquates.