mardi 3 juillet 2012

Le Moi-peau, de Didier Anzieu



 Ouvrage riche, parfois complexe, important et souvent cité, mais aussi j'imagine souvent commenté, re-re-commenté, contesté, approfondi, comme pour tous les classiques qui seront résumés ici les commentaires sont encore plus bienvenus que d'habitude pour exprimer un désaccord, apporter une précision, mentionner quelque chose d'important que j'aurais oublié (bon, j'oublie toujours quelque chose d'important, et à la limite c'est tant mieux, un résumé n'est pas un livre, alors disons si j'oublie quelque chose de beaucoup trop important pour être oublié) ou, plus vital encore, rectifier un éventuel contresens.

 Outil de perception s'étendant sur l'ensemble du corps, à la fois frontière et point de rencontre avec l'extérieur, élément constituant l'identité (l'incarnation d'un autre, par jeu par exemple, ne passe-t-elle pas par le déguisement, façon de revêtir sa peau?) mais aussi contenant, enveloppe qui permet de demeurer un tout, la peau a permis à Didier Anzieu d'enrichir sa (donc notre) compréhension du psychisme, de la conscience et de la thérapie. Neuf fonctions (liste non exhaustive que l'auteur invite à compléter) sont attribuées au Moi-peau.

 Le Moi-peau sert d'appui, de soutien au psychisme, de même que la peau soutient le squelette et les muscles. Il est également contenant, enveloppe. Ces deux éléments se construisent lors des échanges précoces avec la mère, plus ou moins solidement selon la qualité des interactions. On peut y ajouter une fonction de protection, écho au pare-excitation freudien mais aussi protection, par exemple, contre l'angoisse d'intrusion psychique. Il permet aussi le sens de l'individualité, de la singularité. C'est également un outil pour se ressentir soi-même, ressentir l'intérieur de son corps, protection contre l'angoisse de morcellement, mais aussi une enveloppe d'excitation érogène. Une autre de ses fonctions consiste à équilibrer la tension énergétique, interne comme externe. Enfin (ou pas enfin, Didier Anzieu précise que l'ordre des fonctions n'a pas d'importance), le Moi-peau est un moyen de perception de l'extérieur et de communication avec celui-ci, et il éclaire sur les attaques contre les contenants psychiques, comparables dans leur fonctionnement aux maladies auto-immunes.

 Comme son nom ne l'indique pas, le Moi-peau ne concerne pas seulement la peau elle-même, ni même le sens du toucher : en continuité avec la notion d'enveloppe, la notion de bain métaphorique (ou pas métaphorique du tout, comme cette patiente à qui il a été infligé des bains trop chauds -jusqu'à provoquer un malaise- dans son enfance, puis des douches froides pour l'endurcir dans son adolescence) recouvre, c'est le cas de le dire, ce concept. Est ainsi évoqué le bain sonore, le bain de paroles, mais aussi un malheureux bain olfactif : le transfert agressif d'un patient se manifestait par une transpiration parfois difficile à endurer pour l'odorat du thérapeute, mais cette transpiration a finalement été au centre de l'analyse, contribuant aux réussites successives de la thérapie. L'auteur ne doute pas d'interprétations possibles d'un Moi-peau visuel, mais invite le·a lecteur·ice à approfondir le sujet.

 Certains passages sont sujets à controverse. D'une part, sans surprise, il est question du packing (ici appelé pack), sujet encore aujourd'hui de violentes oppositions entre professionnel·le·s. Si l'auteur précise que l'administrer aux jeunes patient·e·s (psychotiques ou sourd·e·s-aveugles), c'est leur faire violence ("il y a d'abord une résistance à l'enveloppement : vouloir les immobiliser complètement suscite chez ces enfants une panique et une violence rares"), il paraît en être plutôt partisan ("le pack leur offre des "enveloppes de secours" structurantes, qui prennent la place, pour un temps, de leurs enveloppes pathologiques et grâce auxquelles ils peuvent abandonner une partie de leurs défenses par l'agitation motrice et sonore et se sentir uns et immobiles"), y compris, pour les adultes ("cela reconstitue passagèrement son Moi comme séparé des autres tout en étant en continuité avec eux"), à haute dose ("la cure complète, sur le modèle de la psychanalyse, peut prendre des années au rythme de trois enveloppements hebdomadaires"). Sur un autre sujet, à propos des enveloppes sonores, un autre passage peut faire drôle: "souvent, on le sait, une mère de schizophrène se reconnaît au malaise où sa voix plonge le praticien qu'elle est venue consulter : voix monocorde (mal rythmée), métallique (sans mélodie), rauque", "une telle voix perturbe la constitution du Soi : le bain sonore n'est plus enveloppant"... mères de schizophrène, vous voilà prévenues, si vous aviez parlé de façon plus dynamique à vos enfants, les choses se seraient passé autrement, c'est Didier Anzieu qui a décidé.

 Les explications théoriques sont complétées par des explications de texte de Freud et Federn qui constituent une sorte de genèse du concept, et richement illustrées par des cas cliniques mais aussi des références mythologiques (Marsyas, Peau d'Âne, ...) parfois très détaillées. Si ce qui m'avait orienté vers ce livre était au départ les troubles du comportement alimentaire (boulimiques qui mangent compulsivement jusqu'à être "pleines à craquer", parfois, tragiquement, au sens propre, anorexiques toujours insatisfaites de l'aspect visuel de leur corps, ...), la notion originale de Moi-peau enrichit considérablement (pas significativement, ça rappelle les devoirs de stats) la compréhension de l'inconscient en général.

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