mercredi 21 décembre 2022

La thérapie des schémas, de Jeffrey Young, Janet Klosko et Marjorie Weishaar

 



 Si les TCC ont rapidement fait leurs preuves pour de nombreuses pathologies de la santé mentale (axe I du DSM), ce modèle a été confronté à certaines limites, qui pourraient sembler extra-thérapeutiques (abandon de la thérapie, conflit avec le·a thérapeute, travail demandé entre les séances non fait, ...), dans le traitement des troubles de la personnalité (axe II du DSM). La thérapie des schémas propose des solutions passant par une identification très détaillée des fonctionnements sous-jacents : avec la construction de la personnalité (contexte social, familial, attentes et injonctions explicites et implicites, ...) se développent entre autres des conceptions des relations (amicales, amoureuses, professionnelles, ...), un rapport à la réussite ou à l'échec, une façon d'exprimer ou non ses besoins, qui auront nécessairement un impact sur la relation thérapeutique ("plus le schéma est lourd, plus les situations qui vont l'activer seront nombreuses").

 L'auteur et les autrices entreprennent dans ce livre de recenser et d'expliquer les nombreux outils de la thérapie des schémas pour cibler ces fonctionnements spécifiques, ce qui peut constituer une thérapie en soi ou permettre de mieux comprendre et surmonter des obstacles dans la thérapie. Lesdits schémas sont au nombre de dix-huit, classés dans quatre sphères : déconnexion et rejet (abandon, privation émotionnelle, défiance, ...), atteinte à l'autonomie et rapport à la performance (dépendance/sentiment d'incompétence, crainte du danger ou de la maladie, ...), atteinte du rapport aux limites (grandeur, manque de self-contrôle ou de discipline, ...),  focalisation sur l'autre (subjugation, sacrifice de soi, recherche d'approbation et de reconnaissance) et hypervigilance et inhibition (négativité et pessimisme, attitude hypercritique, attitude punitive, ...). Une même personne peut être concernée par plusieurs schémas, et les manifestations peuvent être diverses voire contradictoires (se comporter conformément au schéma, éviter par anticipation de s'exposer aux déclencheurs ou surcompenser, c'est à dire se comporter autant que possible à l'exact opposé du schéma). Inutile de préciser que le diagnostic sauvage, dans la relation thérapeutique et a fortiori en dehors du cabinet, n'a aucun début de pertinence : de mêmes éléments autobiographiques peuvent générer des schémas différents, un même schéma peut avoir plusieurs origines différentes (une attitude narcissique peut découler d'un dénigrement par les parents ou au contraire d'une éducation où peu de limites sont posées) et un comportement spécifique n'est en aucun cas une indication suffisante (certains comportements peuvent correspondre à plusieurs schémas différents, et dans le cas d'une surcompensation il sera même contradictoire avec le schéma du ou de la patient·e). Pour ne rien simplifier, ce point n'est pas sans évoquer l'analyse transactionnelle, une même personne peut passer par plusieurs modes (enfant vulnérable, abandon, adulte sain, protecteur distancié, ...) qui activeront des schémas différents. Et... les outils proposés sont eux-mêmes nombreux, et exigeants au niveau de la maîtrise par le·a thérapeute qu'ils demandent, concernant à la fois la sphère cognitive (la partie la plus normative, des éléments sont donnés au ou à la patiente pour réévaluer la pertinence de ses craintes et de ses attentes), la sphère comportementale (principalement des objectifs et des exercices proposés entre les séances) et la sphère expérientielle (avec des exercices très proches voire directement tirés de la Gestalt-thérapie). Autant dire que, malgré son épaisseur, le livre ne se substitue pas à une formation (mais, pour appliquer sur soi les principes de la thérapie des schémas, la même équipe propose un livre plus adapté au grand public, qui va probablement être résumé sur ce blog dans pas trop longtemps).

 Toutefois, même sans avoir l'intention de l'appliquer, la thérapie des schémas est extrêmement riche dans la compréhension du psychisme proposée, et offre entre autres une approche particulièrement intéressante du contre-transfert (des exemples spécifiques de schémas de thérapeute qui peuvent être activés par certains schémas du ou de la patient·e sont d'ailleurs donnés). Les enjeux sont particulièrement clairs dans les derniers chapitres, qui sont un guide pour accompagner respectivement un·e patient·e borderline et un·e patient·e narcissique : au delà de la marche à suivre étape par étape qui sera surtout utile au cas très spécifique qui concerne le chapitre, des indications précieuses sont données sur les changements parfois brusques à attendre dans la relation thérapeutique, les éléments de vigilance à surveiller dans le contre-transfert, ou encore, ce qui peut être particulièrement complexe a fortiori dans une situation éprouvante émotionnellement, les éléments importants pour poser un cadre qui protège à la fois le·a thérapeute et le·a patient·e.