vendredi 29 décembre 2023

La méthode Schopenhauer, d'Irvin Yalom

 


 La nouvelle tombe. Julius, psychiatre, a de nombreux médecins de différentes spécialisations dans sa patientèle, et a donc pu demander à son interlocuteur, de confiance, d'être direct : les examens complémentaires faits suite à ces premiers symptômes un peu inquiétants confirment les pires craintes. Tous ses efforts pour préserver sa santé ne l'ont pas empêché d'être atteint d'un cancer grave. Il ne lui reste plus qu'environ un an à vivre.

 Poussé brutalement à s'interroger sur le sens de sa vie, ce thérapeute passionné pense à ses patient·e·s, et le fil de ses pensées le pousse à s'interroger sur ceux et celles qu'il n'a pas pu aider. Un nom se démarque nettement, celui de Phillip, chercheur en chimie séduisant qui cherchait à ne plus être à la merci de sa sexualité compulsive, d'autant qu'il avait bien identifié l'insatisfaction permanente dans laquelle il était maintenu : le moment de plaisir à peine passé, un sentiment de vide revenait, qui l'amenait à partir à la recherche d'une nouvelle conquête qui ne pouvait que renouveler le cycle, et ce parfois trois fois dans la même journée. Julius a investi toute son énergie et sa créativité, avec acharnement, pendant trois ans, et ce sans résultat. Comment va Phillip aujourd'hui?

 Phillip accepte de le rencontrer. Il va mieux, et a décidé de... devenir thérapeute! Non, ce n'est pas Julius qui l'a aidé, même de façon différée, il le dit de façon extrêmement directe et sans montrer le moindre signe de sympathie pour la situation. Il a pourtant trouvé le clinicien qui pouvait le comprendre vraiment, celui qui a su trouver toutes les réponses, son sauveur. C'est... Arthur Schopenhauer. Mais il reconnaît que Julius est objectivement un excellent thérapeute, et aimerait l'avoir comme superviseur. Julius pose une condition : qu'il intègre le groupe thérapeutique qu'il suit en ce moment. C'est un choc culturel : nouveau dans ce groupe de personnes qui se connaissent, dans cet espace dédié à l'expression des ressentis alors qu'il ne lui arrive jamais d'être surpris à ne serait-ce que lever un sourcil, il ne montre pourtant aucun signe du stress que chaque nouveau·elle a nécessairement. Ce groupe où il n'avait pas demandé à être s'avère pourtant vite riche en opportunités de partager la sagesse indépassable de Schopenhauer, en interrompant les échanges pour citer doctement des extraits de son œuvre magistrale. A la grande surprise (un peu teintée d'agacement) de Julius, c'est très apprécié, et il trouve vite sa place. C'est tout de même ce sage qui l'a libéré, qui lui a enfin fait comprendre que la vie était faite de souffrance et qu'il fallait se tenir à distance de tous espoirs et tentations, et surtout des créatures méprisables que sont les autres bipèdes. La moindre des choses, c'est de diffuser une parole si précieuse (de la façon la plus inexpressive possible, semble-t-il).

 Une absente du groupe refait alors surface, comme prévu, et elle s'y connaît aussi en mise à distance de tous espoirs et tentations puisqu'elle rentre d'un séminaire de méditation intensif en Inde, envers lequel elle a des sentiments partagés. Il s'avère qu'elle connaît Phillip, et elle fait savoir de façon pour le moins directe que ses sentiments envers lui sont infiniment moins nuancés : elle et sa meilleure amie ont fait partie de ses élèves quand il enseignait la philosophie, il y a 15 ans. Il a eu une liaison avec sa meilleure amie, d'environ deux semaines. Il l'a séduite en même temps, et s'est débarrassé, comme à son habitude, de ces personnes bien encombrantes dont il n'avait plus l'utilité. Sa meilleure amie, qui pensait débuter une relation sérieuse, l'a très mal pris, et elle a encore plus mal pris quand elle a vu une liste de ses conquêtes pendant cette période, avec le nom de Pam tout en haut (Phillip juge important de faire savoir que la liste n'avait pas vocation à être publique, et que ce n'était pas un tableau de chasse mais un outil mnémotechnique parce qu'au bout d'un moment il avait du mal à suivre et c'est quand même mieux de se souvenir des prénoms de ses différentes partenaires et de qui aime quoi).

 Entre invectives et soutiens, les différentes personnalités du groupe vont évoluer et se faire évoluer au fil des rencontres, les espaces les plus rigides devenir très progressivement plus malléables, comme en thérapie individuelle mais dans un espace qu'on pourrait plutôt penser défavorable à ces processus (confrontations parfois virulentes, multiples regards extérieurs qui ne se sont en rien engagé à avoir la bienveillance du thérapeute, ...), le tout en accompagnant Julius vers ses derniers jours, lui-même continuant à s'observer comme thérapeute, s'interroger sur ses points aveugles, perturbé par ses difficultés, se réjouissant de ses réussites. La vie et l’œuvre de Schopenhauer, misanthrope boursouflé d'orgueil mais aussi inspirateur de figures majeures comme Nietzsche et Freud, sont commentées de façon intercalée avec la vie du groupe. Le philosophe allemand ne changera pas, même dans ses dernières heures, d'attitude ni de vision, mais il n'a jamais, c'est le moins qu'on puisse dire, participé à un groupe thérapeutique. Est-ce que Phillip, après un an de rencontres intenses, va être conforté dans sa vision, ou est-ce que quelques fissures vont apparaître dans son imposante armure de dogmatisme?

 En général je finis les résumés en disant si j'ai apprécié le livre et pourquoi, mais, bon... c'est Yalom! L'éloge est aussi évident que superflu.

jeudi 28 décembre 2023

Déraillée, de Jo Mouke et Julien Rodriguez

 

 

  Le·a lecteur·ice suivra le parcours de Pénélope Renard (qui est Jo Mouke, sauf quand ce n'est pas elle : "s'agissant d'un récit purement autobiographique, tout est vrai sauf ce qui a été inventé") dans l'univers perturbant et labyrinthique de l'HP-Kistan.

 Le jour de la Saint-Valentin, Pénélope prend son courage à deux mains ("Y a pas de review Google des meilleurs HP du monde", "Peur qu'on me dise qu'il n'y a pas de problème. Qu'on ne m'accepte pas") et se présente aux urgences psychiatriques de l'hôpital Saint-Anne, prononce pour la première fois le mot de "toxicomanie", parle de ses pensées suicidaires et de ses tentatives, et est hospitalisée avec son accord ("Le fait d'habiter au quatrième étage semble un élément favorable à ma candidature"). Transférée au service Maison Blanche, elle restera longtemps au service psychiatrie, jusqu'à ce que son combat pour être admise au service addictologie... un étage plus bas, ne finisse par aboutir. Quelques pages seulement seront consacrées au séjour dans le nouveau service, où le travail thérapeutique (groupes de parole avec des personnes concernées, interventions adaptées aux besoins, ...) semble commencer vraiment.

 La bande-dessinée rend extrêmement bien la sensation de confusion régnant à l' "HP-Kistan" : interlocuteur·ice·s, traitements, projets, changent, de même que l'état mental, les procédures recommandées (sinon qu'un séjour onéreux en clinique privée est très très souvent suggéré pour une meilleure prise en charge), l'espoir de Pénélope, celui de ses proches (qui ont par ailleurs un avis chacun·e sur ce qu'il convient de faire), ... Un immobilisme pesant s'articule avec le mouvement constant des rencontres, de la façon d'envisager l'étape suivante... Les rapports avec l'extérieur sont complexes aussi. Comment passer du temps avec ses parents en continuant de leur cacher ce qui a mené à l'hospitalisation? Est-ce qu'il faut dire oui ou non à ce projet pro séduisant qui va se matérialiser dans un avenir proche? Est-ce que c'est possible de faire face à la tentation violente du message d'un dealer ("Mes symptômes portent un nom : LE CRAVING. C'est le désir ultraviolent de consommer quoi qu'il en coûte, de chercher comment se procurer le produit sans capacité d'autorégulation, en totale perte de contrôle") alors qu'on commence enfin à aller mieux, et combien de fois ce sera possible?

 Un parcours intense qui se termine par une dédicace "à la vie", mais qui contient aussi le rappel que la guérison, même partielle ("Dix ans!!! Et il se définit toujours comme dépendant!"), n'est pas l'issue pour tout le monde.

mardi 26 décembre 2023

Mal de mère, de Rodéric Valambois

 

  Dans ce récit autobiographique, l'auteur parle de l'alcoolisme de sa mère, de la prise de conscience ("la révélation"), quand il minimise ce que lui dit sa (petite!) sœur ("alcoolique, c'est quand t'es bourré! Enfin, je sais même pas si tu sais ce que ça veut dire, être bourré. Je t'expliquerai quand tu seras plus grande") avant de se sentir bête quand elle brandit, comme preuve, une bouteille cachée sous le matelas du lit parental, à sa mort, "à l'hôpital, dans son sommeil. Elle n'a pas du souffrir", apprise par téléphone, et à l'ambiance étrange du jour de l'enterrement ("Tu n'y es pour rien mais ça ressemble tellement à ta vie. C'est moche, nul, pathétique, sans dignité").

 Le parti pris est extrêmement clair : il s'agit de parler de la vie d'une personne alcoolique, et non de tenir un propos sur l'alcoolisme en général. Cette distance est renforcée par le fait que le récit n'est pas fait par la personne alcoolique elle-même. C'est précisément un objet de frustration intense pour l'auteur : les tentatives de comprendre, de dialoguer, sont réduites à néant (même si la piste d'une sensation d'enfermement dans la vie de famille, de frustration, se détache régulièrement). Le père qui sort au milieu d'un entretien avec un psychiatre qui plutôt qu'apporter le regard extérieur professionnel qu'il attendait répète les propos de la mère, bien trop familiers, y compris des détails intimes, devant les enfants, la tentative d'échanger vraiment ("Dis. On est là pour ça. On peut comprendre. On peut t'aider") lors d'une soirée qui avait particulièrement mal commencé ("Tu ne nous a pas parlé de la semaine! Tu viens nous voir uniquement pour nous faire chier!"), utilisée pour tenir des propos plus blessants et choquants que constructifs (insatisfaction sexuelle, tentative d'avortement pour la plus jeune des enfants qui est là au moment de la conversation, ...) ou encore la fois où, alors que l'espoir revient quand elle revient d'une cure de désintoxication ("c'était sûr, ma mère avait changé. Elle était plus belle et plus gentille"), elle descend continuellement du linge à la cave alors même que l'auteur l'encourage à ne plus rechuter ("on va faire des efforts. On va tous faire des efforts"), attitude qui s'éclaire bien trop rapidement quand il s'avère qu'elle y a caché une bouteille ("On a rempli trois coffres de voiture de bouteilles vide. Celle-là, tu l'as achetée cet après-midi"). 

 Cette situation s'inscrit bien entendu dans un environnement. Le conflit entre les parents est très explicitement instrumentalisé (la mère accuse régulièrement les enfants d'être contre elle à cause d'une alliance montée par le père), mais les interactions peuvent être plus complexes, comme avec les grands-parents. Ceux-ci vont d'abord, à l'occasion d'une annonce faite par surprise dans une ambiance plutôt orageuse, héberger la mère en estimant que la libérer de la mauvaise influence de son mari réglera le problème ("Si ma fille boit, c'est que vous la rendez malheureuse! Ici, elle ne boit pas!"). Ils vont renoncer en l'espace de deux jours en trouvant une bouteille cachée dans le garage, mais resteront dans une alliance avec leur fille, y compris contre leurs petits-enfants ("-Ça fait plusieurs mois qu'on a de nouvelles de personne et pendant ce temps-là, ils passent te voir en cachette! -J'ai tout de même le droit de voir ma mère"). A ces jeux d'union et de désunion s'ajoutent les colères non-dites : pourquoi le père n'est pas plus ferme en arrêtant de lui donner de l'argent? pourquoi le boucher continue d'accepter de lui vendre de l'alcool alors qu'il est nécessairement au courant de la situation? pourquoi l'auteur lui-même n'a pas toujours le courage de vider les bouteilles qu'il trouve?

Un texte de présentation de la BD montre une prise de distance avec la colère du passé ("Elle n'était pas seulement ma mère, elle était aussi une femme, une épouse, une institutrice. Je ne l'avais d'abord jugée que comme mère, alors que c'est d'abord à elle-même qu'elle avait infligé tout cela", "certains événements me sont apparus sous un autre angle") et en effet, même dans les passages qui pourraient sembler les plus cyniques, le regret, l'amertume, semblent dominer.

jeudi 21 décembre 2023

La montagne escarpée, de Léanne et Pioc

 

 Cette bande dessinée raconte le parcours d'une personne (un canard, semble-t-il) schizophrène, les premiers symptômes (enfin, les premiers symptômes ostensibles, le personnage principal en identifie d'autre a posteriori qui datent de la sixième), l'hospitalisation après une tentative de suicide, le diagnostic que le psychiatre accepte finalement de donner du bout des lèvres, puis le traitement et la rémission, enfin, les rémissions...

 Ce dernier passage donne tout son sens au titre : l'euphorie d'aller mieux alterne avec la douleur des rechutes, le tout coloré par l'état de confusion qui peut être propre à la schizophrénie. Il y a un vrai mieux être, un vrai élan, surtout quand le personnage principal publie et dédicace sa BD dans laquelle d'autres se reconnaîtront ("La plume a compris mon urgence. Elle a convoqué le ciel, les anges. Le soleil était enterré, la plume l'a exhumé"), mais tout ce qui précède rappelle à quel point les moments compliqués peuvent ressurgir.

 Si j'ai bien compris, le récit n'est pas autobiographique, mais j'en ai laborieusement pris conscience tant il ressemble aux autres récits autobiographiques de personnes schizophrènes que j'ai lus (et que j'ai résumés sur ce blog). La confusion croissante des premiers symptômes est particulièrement bien rendue, au point que le glissement d'une écriture, d'une pensées floues, aux premiers délires et mises en danger est presque imperceptible en temps réel. La BD se lit très rapidement, mais le travail qu'il y a eu derrière est probablement conséquent.

mardi 19 décembre 2023

Ça n'a pas l'air d'aller du tout! de Olivia Hagimont et Christophe André


 Olivia Hagimont a des crises de panique, de plus en plus fortes, dont l'appréhension croissante l'empêche souvent de sortir ("-nous sommes très intéressés par des illustrations, on vous paierait 12000 Euros les 3 illustrations, nous sommes à Balard, vous êtes libre quand? -Hum! J'aimerais, mais un poney m'a écrasé le pied et je ne peux pas marcher... On peut faire ça par mail?"), et parfois de rentrer (au point une fois de rester plusieurs heures sur le parking d'un magasin de peinture, pour le plus grand bonheur de sa mère qui l'accompagnait). La crise de panique de trop (avec envies de mort, à 3 heures du matin, et surtout au domicile qui n'est même plus une protection) la décide à aller en hôpital psychiatrique, puis à entamer une psychothérapie (l'herboriste et le magnétiseur avaient été des réussites plutôt mitigées).

 L'autrice est aussi dessinatrice, c'est donc par la BD qu'elle décrira son parcours avant, pendant et après l'hôpital psychiatrique (elle partagera aussi des peintures réalisées pendant son parcours de guérison), et ses dessins donnent une bonne idée de l'état mental dans lequel on peut se trouver dans les périodes difficiles! Quelques pages de la BD dispensent des explications sur le trouble, mais c'est surtout dans la partie qui suit, rédigée par Christophe André, que des informations complètes seront données : définitions, comment fonctionne la thérapie (en faisant semblant qu'il n'y a que les thérapie comportementales et cognitives qui existent), comment faire face au quotidien, est-ce qu'on peut guérir définitivement, ... L'idée est d'apprendre à accepter les réactions physiologiques qui indiquent une montée de l'angoisse (il est même recommandé de faire du sport -trois fois une demi-heure de marche rapide par semaine- pour s'habituer par exemple à l'accélération du rythme cardiaque, à l'essoufflement, ...), et de s'entraîner en parallèle à la maîtrise d'exercices de relaxation. Il faut aussi s'attendre à des rechutes, qu'on imagine particulièrement difficiles à accepter quand en plus il ne faut pas paniquer en observant qu'on re-panique!

 Le livre est extrêmement pédagogique, la boîte à outils tient en quelques pages (et est illustrée aussi!) et me semble plutôt complète, c'est parfait pour les personnes concernées et leurs proches.

jeudi 14 décembre 2023

Gaslighting, de Stephanie Sarkis


 

 Manipulation bien spécifique caractéristique des relations abusives, le gaslighting tire son nom d'un film de 1944 (Gaslight, Hantise en français, et je viens de voir qu'il était sur Dailymotion je vais enfin pouvoir le voir) lui même tiré d'une pièce de théâtre racontant l'histoire d'une femme manipulée par son époux qui veut lui faire croire qu'elle est folle. Le gaslighting consiste à faire douter de la réalité en niant des faits, en changeant de version, ... Un phénomène relativement facile à comprendre de loin, mais plutôt complexe à saisir dans sa spécificité. Par exemple, qu'est-ce qui fait la différence entre du gaslighting et un mensonge, voire de la mauvaise foi? Pourquoi est-ce que ça peut être aussi dévastateur, spécifique au point d'avoir immortalisé un film que probablement personne ne connaît sinon parce qu'il a donné un nom à cette pratique? Comment s'en défendre?

 Stephanie Sarkis est spécialiste des troubles de l'attention, elle a donc les compétences rêvées pour aider à comprendre finement ces manipulations qui exploitent les failles des compétences cognitives. Dans l'intro, elle rappelle que le gaslighting ne concerne pas que les relations abusives, mais peut concerner l'espace intrafamilial (qui n'a jamais entendu parler de parents qui dénigrent leur enfant tout en lui répétant à quel point iels sont bienveillant·e·s et aimant·e·s?), l'espace professionnel (harcèlement moral, entretien de rumeurs, appropriation du travail des autres, ...), voire les relations amicales (enfin, du coup, "amicales") et de voisinage. Autant dire qu'après la lecture de l'intro, j'étais extrêmement enthousiaste! Et... ça n'a pas duré. Vraiment pas.

 La première déception est que le livre ne va pas particulièrement parler de gaslighting (hop, envolées les promesses d'analyses précises de mécanismes) mais de relations abusives en général (en utilisant "gaslighteur·euse" plutôt qu'un autre terme pour parler des personnes qui ont ledit comportement abusif, ce qui ne change absolument rien sur le fond à part une perte de précision qui va, et c'est là que la lecture est pénible, être au service d'un manque de rigueur sur l'ensemble du texte). C'est ballot, parce que j'avais acheté le livre exactement pour ça. Allez savoir pourquoi, le fait que le titre soit Gaslighting m'a induit en erreur. L'autrice tire son autorité sur le sujet de son expérience de clinicienne auprès de personnes souffrant de troubles de l'attention ou de maladie chronique, qui lui a permis de constater que les personnes vulnérables étaient particulièrement ciblées par les gaslighteur·euse·s (ou pas, ça dépend des passages), et aussi d'une chronique qui a été virale. Elle aurait du en rester là (je dis ça parce que je n'ai pas lu la chronique, donc je peux encore supposer qu'elle est bien).

 Sur ce sujet pour lequel il existe énormément de vulgarisation de qualité, le manque de rigueur est criant. Comme il se doit, presque aucune information n'est sourcée, c'est embêtant quand on ne sait pas d'où elle sort ses connaissances (ce n'est pas son sujet d'étude, elle n'a pas d'expérience professionnelle directe, ...). Pire, l'autrice balance le plus tranquillement du monde une chose et son contraire (ce qui est au passage un comble dans un livre sur... le gaslighting!) selon l'humeur du moment (les gaslighteur·euse·s selon les passages ne s'aperçoivent pas de ce qu'iels font -elle dit donc le plus sérieusement du monde que des personnes enlèvent des collègues de mailing lists puis le nient, marmonnent des insultes en passant devant puis font comme si de rien n'était, sans s'en apercevoir-, sont au contraire froides et manipulatrices, puis à un autre moment sont la proie d'émotions incontrôlables...). Ça pourrait être drôle (mention spéciale dans le chapitre sur la séduction sur "les gaslighteur·euse·s habitent dans de grandes villes", un conseil qui va énormément aider à savoir si on s'engage dans une relation dangereuse ou non), si ce n'était pas un sujet grave, où des informations imprécises pouvaient mettre en danger les personnes concernées. Et là où l'agacement devient stratosphérique et où ça devient vraiment difficile de trouver l'ensemble drôle, malgré les efforts et, disons le, la performance de l'autrice, c'est qu'elle est titulaire d'un doctorat, donc parfaitement capable d'être précise sur les concepts et de sourcer ses informations (et comme elle est née avant la honte, elle prend bien soin de le rappeler sur la couverture).

 Elle demande par exemple aux personnes dans une relation abusive de fuir pour sauver leurs enfants d'éventuelles tentatives de meurtre en oubliant de préciser que le risque de passage à l'acte violent augmente au moment de la séparation. Elle invite aussi, après la séparation (toujours s'il y a des enfants en commun), à entamer une thérapie à deux avec le·a gaslighteur·se (la thérapie de couple est fortement contre-indiquée pendant une relation abusive, inutile de préciser qu'après une séparation, où l'agresseur·se est souvent obsédé·e par les opportunités de représailles, c'est la dernière chose à faire). L'autrice va encore plus loin avec certains passages qui sont clairement au service de la cause masculiniste (donc des personnes qui estiment que la source des malheurs contemporains c'est qu'il n'y a pas assez d'inégalités de genre, en particulier que les femmes ne sont pas assez exposées aux violences) comme quand elle parle sérieusement du syndrome d'aliénation parentale (une mythologie relayée comme propagande masculiniste et qui a empêché des enfants d'échapper à des violences intrafamiliales et à des incestes) ou quand elle explique, sans la moindre source évidemment, que dans les couples hétérosexuels, les hommes sont tout autant victimes que les femmes de relations abusives mais on ne le sait pas parce qu'ils n'osent pas en parler (ce qui sous-entend que les femmes qui en parlent sont généralement écoutées et soutenues, encore un propos dangereux). Cette dernière affirmation est appuyée par le rappel que les hommes victimes de violences sont tout aussi légitimes dans leur recherche de soutien (sauf que vu que personne ne dit le contraire, c'est un homme de paille, c'est redoutable en rhétorique, ça l'est beaucoup moins si on veut parler sérieusement), et qu'il y a des violences dans les couples LGBT donc c'est bien la preuve que des femmes peuvent être violentes (sauf que l'affirmation de départ était qu'il y avait autant d'hommes victimes de violence par des femmes que de femmes victimes de violence par les hommes, donc là on est carrément dans le... gaslighting!).

 Certes il y a de bons passages, mais on peut trouver l'équivalent ailleurs, sans propos dangereux voire nauséabonds autour. En anglais je recommande fortement celui-ci ou celui-ci par exemple (le second est inégal, mais être pseudoscientifique en parlant de cerveau gauche-cerveau droit ça n'a pas le même enjeu que conseiller une thérapie de couple post-séparation avec une personne manipulatrice et violente!), et en français celui-ci (traduit depuis peu!) ou celui-ci. Et si jamais vous avez un livre sur le gaslighting qui parle effectivement du gaslighting à me recommander, je suis preneur parce que, vous l'aurez compris, je n'ai pas tout à fait trouvé les infos que j'étais allé chercher dans ce livre là.

jeudi 7 décembre 2023

Nouvelles aventures

 

 Comme je l'ai annoncé sur ce blog une fois ou deux (ou douze), cette fin d'année a été un moment de changements monumentaux pour moi puisque j'ai quitté après 13 ans le travail de nuit pour rejoindre l'univers des gens normaux (si vous vous posiez la question, oui, la vie sans fatigue chronique c'est plus sympa), quitté le salariat que j'avais toujours connu depuis que je travaille pour me mettre à mon compte (j'ai un logo que j'aime de façon disproportionnée, un cabinet, une carte de visite et j'ai même édité des factures) (moment d'excitation hier en remplissant ma première déclaration à l'URSSAF... bon, je pense que ça ça va vite passer!), et j'exerce enfin le métier pour lequel je me forme depuis... longtemps, comme l'ancienneté des premiers posts de ce blog peut en témoigner (envoyez-moi des client·e·s).

 On dirait que je n'aime pas l'immobilité (ou alors c'est une façon adroite pour me dissimuler à moi-même que je flippe parce qu'un cabinet c'est compliqué à remplir), puisque pour fêter la fin de ma formation je me suis inscrit à deux formations. Deux formations qui vont être à peu près au pôle opposé de ma zone de confort (oui, encore plus que quand je me suis retrouvé au milieu d'un groupe de rencontres de bon matin, avec mon tempérament introverti renforcé avec la vie sociale qu'on peut imaginer avec un travail de nuit et 6 ans de fac par correspondance), puisque je vais me former à la thérapie de groupe (avec le même organisme que ma formation initiale) et à la partie commerciale du métier de thérapeute (ce blog oscille en général entre 15 et 20 pages vues par jour, pour situer à quel point la visibilité est un sujet qui me fait vibrer).

 La thérapie de groupe parce que ce qui m'a de loin le plus apporté dans la formation ce sont les groupes de rencontre, donc évidemment je suis tout excité par cette opportunité déjà de prolonger ma vie d'étudiant dans cet univers, mais aussi de le voir depuis une autre perspective, d'explorer de nouvelles applications de la non-directivité, pilier de l'ACP, bien plus compliqué qu'il n'y paraît même en thérapie individuelle (et puis Yalom est très attaché à la thérapie de groupe, et c'est Yalom donc il a forcément raison).

 La formation commerciale parce que, en démarrant mon installation comme indépendant d'un coup (non, travail de nuit à temps partiel et thérapeute à temps partiel, ça n'allait pas le faire!), je me suis pris dans la figure le déni que j'avais pas mal entretenu sur le faire que trouver des client·e·s, c'est galère. Et après la sortie du déni, il m'a encore fallu un moment pour prendre conscience du fait que ce sont des compétences distinctes des compétences de thérapeute (si personne ne trouve nos coordonnées, par définition, ça ne veut pas dire qu'on est nul comme thérapeute, même si on peut vite avoir ce ressenti), et que ce sont des compétences qui s'apprennent (la partie paresseuse de mon tempérament est très sensible à la notion d'éviter de partir dans des trucs énergivores/stressants/chers qui ne servent à rien). Je vais donc me sortir les doigts du nez plutôt que de stresser (sans compter que stresser, ça consomme du temps et de l'énergie aussi), et me former activement. Et je sais où je vais me former, puisque les vidéos de Jean-Pierre Chaudot, en plus d'amortir considérablement la sensation d'être perdu au moment de l'installation, m'ont montré que le marketing ça pouvait se faire sans anglicismes bizarres et obsession pour les performances chiffrées, sans (trop) aller saouler des gens (particulier·ère·s ou professionnel·le·s) qui n'ont rien demandé, et sans prendre les gens pour des numéros de carte bancaire qui ont l'inconvénient d'avoir une personne autour (et, accessoirement, c'est spécialisé pour les thérapeutes).

 Que ce soit l'une ou l'autre des formations, je signe pour un an, mais je ne peux pas non plus trop appuyer la référence à Bilbo le Hobbit parce que j'ai déjà fait l'analogie pour la formation précédente.

vendredi 1 décembre 2023

Carl Roger's Helping System : Journey and Substance, de Godfrey Barrett-Lennard

 

 

 A la fois bilan (10 ans environ après le décès de Carl Rogers) et support pour une éventuelle ouverture (vu que ce sont les derniers mots de la conclusion, je pense qu'on peut dire que cette intention est explicite de la part de l'auteur), Godfrey Barret-Lennard nous propose une histoire théorique de l'Approche Centrée sur la Personne.

 Le voyage annoncé dans le titre commence aux premiers questionnements professionnels de Rogers (y compris en mentionnant son vrai premier livre, publié en 39 et portant sur la clinique des enfants "à problèmes", dont j'avais absolument occulté l'existence alors que j'ai relu quasi toute sa bibliographie et même sa biographie il y a peu pour rédiger mon mémoire, c'est la honte absolue) et s'achève en questionnant l'impact de l'ACP aujourd'hui dans le monde (en rappelant que Rogers a été le premier surpris quand Le développement de la personne a eu un écho monumental bien au delà des psychologues auxquel·le·s il était a priori destiné). Seront traités les aspects les plus attendus bien sûr comme la non-directivité (avec un détour original qui montre comment la présidence de Roosevelt a probablement contribué à faire émerger certains principes importants), le modèle de développement personnel, les groupes de rencontre, l'enseignement (que ce soit l'enseignement tout court ou celui de l'ACP), la thérapie de couple (où l'auteur révèle, échanges privés à l'appui, que Réinventer le couple est loin d'être le livre qui a le plus inspiré Rogers... c'est assez surprenant a posteriori, mais cette méthode centrée sur l'écoute empathique ne s'est pas penchée tant que ça sur un sujet dans lequel la communication tend à être placée au centre) ou les interventions de Rogers dans la diplomatie, avec d'autres allant moins de soi comme la parentalité ou encore le développement personnel... des facilitateur·ice·s et thérapeutes ACP!

 Le voyage est donc conséquent mais c'est surtout pour la partie substance qu'on est servi·e·s! La plupart des chapitres ont la densité d'un parpaing, avec la richesse qui va avec mais il faudra aller la chercher à coup de lectures multiples, de froncements de sourcils et de Dolipranes (autant vous dire que, l'ayant lu sur téléphone parce qu'il n'était pas compatible avec ma liseuse, j'ai souffert et je n'ai retiré qu'une infime partie du contenu). L'auteur rentre dans le détail des débats passés et présents, et fournit de nombreuses, nombreuses, références scientifiques des époques évoquées qu'il commente de façon détaillée. Pour un premier regard global sur le parcours de Rogers, la biographie par Howard Kirschenbaum est peut-être à préférer (par contre, l'un et l'autre ne sont dispo qu'en anglais à ma connaissance). Mais pour un mémoire, ou même pour écrire un article pour ACP Pratique et Recherche voire un chapitre de Psychologie centrée sur la personne et expérientielle ou d'un équivalent, je pense que ça va être difficile de trouver mieux (mais pas en le lisant sur téléphone par contre! après c'est votre droit le plus strict...).

samedi 18 novembre 2023

Mensonges sur le divan, d'Irvin Yalom

 

 Une avocate très agressive, quittée par son mari, qui décide de consulter son thérapeute, forcément complice, sous une fausse identité, pour détruire à la fois son mari en les montant l'un contre l'autre, brisant la relation thérapeutique qui est son seul pilier solide, et le thérapeute en le poussant à coucher avec elle, comme deux de ses psy précédents l'ont fait (le titre original veut à la fois dire "mentir sur le divan" et "allongé·e sur le divan", pensées aux traducteur·ice·s qui ont du faire un choix douloureux), et mettre fin à sa carrière. Un psychanalyste imposant, athlétique et ambitieux, haut placé institutionnellement, plein de certitudes, qui tient à faire savoir à autant de monde possible à quel point il sait mener comme personne des thérapies et une carrière. Un addict au jeu qui va en thérapie pour sauver son mariage mais qui n'a aucune intention d'arrêter de jouer. Un psychiatre initialement spécialisé dans la pharmacologie qui décide de mettre son authenticité de thérapeute et le dévoilement de ses ressentis au centre de l'espace thérapeutique, et qui doit régulièrement réévaluer les limites de l'exercice.

 Tous ces personnages vont être mis au service d'une intrigue prenante (oui parce que, sur le quatrième de couverture de mon édition une autrice compare Et Nietzsche a pleuré à un roman policier et, autant je recommande sans réserves Et Nietzsche a pleuré, autant ça ne me viendrait vraiment pas à l'esprit de le conseiller pour l'intrigue), qui va offrir un regard direct et potentiellement déstabilisant sur l'univers des thérapeutes (qui ressemble à un exercice de dévoilement intime de l'auteur, c'est méta!) : l'éventail des motivations qui peuvent par ailleurs s'entrechoquer chez une même personne (la posture de sauveur, l'enthousiasme pour la créativité et la rencontre, le prestige, l'argent, voire dans le cas des agresseurs, dont Yalom ne cache pas, c'est le moins qu'on puisse dire, l'existence, le pouvoir sur les patientes et la certitude de l'impunité) et éventuellement leurs conséquences dans la thérapie, le contraste entre la capacité à guider les autres dans leurs difficultés et celle à faire face aux siennes, les points aveugles conscients ou non (il arrive que le·a patient·e en sache plus sur le thérapeute que l'inverse... et ce n'est pas la première fois chez Yalom!), ... Et, évidemment, plein de sujets existentiels, parce que c'est Irvin Yalom.

 Un livre qui peut se lire comme un roman (le fait que ce soit un roman doit pas mal y contribuer!) tout en restant très riche, peut-être plus pour les personnes qui ont envie de lire entre les lignes (le premier chapitre a généré un nombre exponentiel de questionnements chez moi, qui n'auraient peut-être pas été les mêmes si je n'avais rien lu du même auteur). Le ton est léger, les chapitres s'enchaînent (ça ne m'est pas arrivé souvent, dans les livres présentés ici, d'être impatient de connaître la fin!), mais l'intrigue est prétexte, sur un ton dont la légèreté peut être trompeuse, à explorer des thèmes potentiellement complexes voire dérangeants.

mercredi 1 novembre 2023

Autopsie des échos dans ma tête, de Freaks


 

  Ce livre porte l'ambition de Freaks de parler de ce qu'est sa vie avec la maladie mentale, mais surtout de porter sa voix, un projet où il est plus simple de savoir ce qu'on ne veut pas ("la glamorisation niaise de la folie a tendance à me gonfler. Mais je n'aime pas non plus quand on en exagère la noirceur à outrance... sans parler des discours médicaux aseptisés") que ce qu'on veut : la maladie mentale, est-ce que c'est d'abord des symptômes, le regard des autres, les relations complexes avec l'institution psychiatrique, une recherche d'épanouissement qui passe par l'adaptation à ses besoins et limites?

 L'autrice arrive à articuler tous ces aspects, peut-être en parlant plus d'elle qu'elle ne l'aurait voulu ("je voulais écrire ma folie sans faire un livre intime") mais surtout en faisant parfaitement percevoir l'aspect social du sujet. Certes, si elle ne livrera pas son diagnostic ("ma folie a un sens politique qui n'est pas déterminé par son diagnostic"), le travail de vulgarisation est bien là et de qualité, de la description extrêmement claire de différents symptômes (mythomanie, paranoïa, dépression, dissociation... et je peux attester que l'hypersensibilité aux sons est remarquablement bien décrite!) aux directives anticipées pour se protéger juridiquement dans les moments de crise ou encore le parcours de combattant·e pour obtenir l'Allocation Adulte Handicapé, incluant beaucoup d'attente, de l'incertitude ("vous recevrez une réponse de la MDPH. Souvent ça se passe comme ça... vous n'avez pas bien rempli le formulaire/on a tiré aux dés, vous avez perdu/ le certificat médical doit être rempli par un autre médecin/ votre tronche ne nous revient pas/ votre projet de vie n'est pas assez convaincant") et qui commence par un dossier laborieux à remplir, incluant un projet professionnel ("mais je ne peux pas travailler. C'est pour ça que je demande l'AAH") et un projet de vie à remplir sur papier libre ("bonjour mon projet de vie est de ne pas mourir il faut manger pour ne pas mourir il faut de l'argent pour manger bisous, Freaks").

 Mais surtout, le livre permet de saisir la difficulté de définir la maladie mentale, et a fortiori la folie ("j'en ai passé, des nuits blanches sur Internet, à plonger de trou de lapin en trou de lapin à la recherche d'une définition de la folie qui serait un tant soit peu universelle... Sans grande surprise, je n'en ai pas trouvé", "Déviant. Antisocial. Marginal. C'est supposé être péjoratif, tout ça?"). Certaines souffrances décrites sont lourdes et indéniables, certaines tentatives d'automédication s'avèrent dangereuses sur le long terme ("Ça fait un bien fou. Mais mon histoire avec la drogue ne s'arrête pas là. En altérant mon esprit altéré de nature, j'avais soudain la sensation de contrôler mes hallucinations, ma peur des autres, mon angoisse, mes émotions... évidemment, c'était juste une illusion. Quand mes amis de défonce ont commencé à faire des overdoses, la descente fut brutale"). Pour autant, on tique avec l'autrice quand un médecin moralisateur impose un isolement total ("vous n'avez pas des livres? Non. Des crayons, du papier? Non. La télé? Non."), après une tentative de suicide, à une adolescente qui ne supporte physiquement pas l'ennui, ou quand une protestation est rebaptisée "réticence aux soins", la joie de retrouver son téléphone confisqué "addiction", ou encore de nombreux dessins, bouée de sauvetage pour la patiente, "névrose obsessionnelle". On tique encore plus quand le manque d'écoute bascule dans la violence ("-J'ai mal. -On passe à la prise de sang. -Vous me faites mal, arrêtez! Arrêtez de faire comme si je n'existais pas! Arrêtez! -La patiente semble agitée, faudrait sédater. -Non pitié faites pas ça, arrêtez!"). L'enjeu des relations avec l'institution psychiatrique, par ailleurs relais d'injonctions sociales qui peuvent entraver le bien-être et l'atténuation des symptômes ("aimer la solitude est l'exemple parfait d'un comportement inoffensif que l'on tente de guérir car il dévie de la norme"), est donc complexe : à la fois rester en lien pour avoir accès à des médicaments ou à l'AAH évoqué plus haut, et danger car potentiellement vecteur de violences qui ne vont en rien aider à la guérison ("quand la noirceur refaisait surface, je camouflais les dégâts plutôt que de demander de l'aide").

 La stigmatisation de la folie, en plus de rendre moins audibles les critiques de la psychiatrie, constitue en soi une épreuve supplémentaire à travers le regard des autres ("essayer de retrouver une vie normale avoir été internée, c'était encore plus dur que l'internement en soi") : moqueries, trahisons, isolement social, exposition à des relations abusives en sont des conséquences directes. L'autrice a pu retrouver acceptation et sentiment d'appartenance dans les marges, au sein de la communauté punk où elle s'est aussi énormément documentée sur l'antipsychiatrie ("l'objectif de l'antipsychiatrie n'est ni d'empêcher l'accès au soin, ni de culpabiliser les personnes qui ont recours à la psychiatrie, mais de dénoncer l'hégémonie de cette dernière, et le contrôle social qu'elle opère sur la vie des malades."). Elle invite d'ailleurs les lecteur·ice·s à faire de même, en fournissant des ressources (en ligne : www.zinzinzine.net , https://commedesfous.com , https://icarus.poivron.org , http://lesdevalideuses.org et https://cle-autistes.fr ).

 Dans la continuité de ces revendications (ce n'est pas particulièrement surprenant que les couleurs utilisées dans cette BD soient le rouge et le noir!), l'autrice finit par brandir son identité de folle ("je suis folle, enfin, parce que c'est un mot qu'on a utilisé pour me faire beaucoup de mal et si je le transforme en arme, alors on ne pourra plus s'en servir contre moi plus tard"), sans bien sûr minimiser les souffrances ("il y a tellement de choses qui ont été dures dans la folie, traumatisantes, brutales, qui ont laissé à vie des cicatrices sur mon cœur"), et porte un message d'espoir ("des gens se battront pour toi et tes droits, même si tu n'as pas la force de te joindre à eux. Des gens seront là pour te soutenir et t'écouter, même si tu n'as pas la force de leur parler.", "plus que tout, j'ai des projets. Des projets que ni ma folie, ni la psychatrie, ni la société, ni personne ne pourront m'empêcher de concrétiser"). Un livre précieux, direct, plein d'énergie, accessible, pour se documenter sur la maladie mentale ou sur le rapport militant à la psychiatrie... à supposer qu'une distinction soit possible entre les deux.

mardi 17 octobre 2023

Et hop! C'est signé pour le cabinet

 


 Je n'ai pas toujours avancé aussi vite que j'aurais voulu (c'est un univers tout niveau, et bizarrement les joies des n° de Siret, des raisons sociales et de l'assurance professionnelle ne sont pas la partie qui m'a le plus passionné dans le monde de la psychologie et de ma formation de thérapeute), mais ça y est! J'ai un fantastique site Internet (mais si, il est fantastique!) (bon les photos mises d'office sont un peu dégueu, mais je vais les changer après), je suis prêt à recevoir des client·e·s dès aujourd'hui en visio (envoyez-moi des client·e·s), et surtout, à partir du 20 novembre, en cabinet!

 Je passe pro, c'est de plus en plus concret, et je l'ai dit une fois ou deux ici (pensées aux personnes qui ont suivi mon parcours tout en oscillations depuis les débuts du blog ou presque), après autant d'attente, c'est une consécration! Du coup, je dis ça comme ça et de façon extrêmement subtile, si jamais vous êtes intéressé·e·s ou que vous connaissez des personnes qui pourraient être intéressé·e·s, je pense que le blog donne une assez bonne idée du thérapeute que je suis, donc n'hésitez pas à partager mes coordonnées en insistant lourdement sur mes qualités exceptionnelles de thérapeute, dans le monde entier pour la visio et sur Lyon pour le cabinet. Ou sinon, partagez l'adresse de mon blog, il est bien!

 Bref je n'ai pas fini à 100% avec les formalités (je vais avoir un logo! Yay!) mais j'espère vous retrouver rapidement pour des aventures plus habituelles, même si vous l'imaginez bien cette parenthèse était aussi un grand moment pour moi. Et je vais garder un lien du blog vers mon site (sur le côté, tout en haut normalement), même si je ne pense pas en faire un du site vers mon blog parce que je n'ai pas envie de chercher à être consensuel sur le blog alors que sur le site, qui est de fait un espace publicitaire, il faut forcément que je me pose plus de questions.

 Du coup, je prends aussi bien sûr les critiques (et les louanges) sur le site (et les partages du site pour le référencement O:) )

Mon site tout neuf : https://www.gt-therapeuteacp-lyon.fr/

vendredi 15 septembre 2023

Et c'est parti! Pour de bon!

 

 Longtemps imaginé (licence en 6 ans, 5 ans de formation ACP, années de battement pour retenter l'inscription en Master pour la fac puis pour rendre et soutenir le mémoire en formation, donc oui, looooongtemps), résultat d'étapes laborieuses (dont vous avez eu l'essentiel sur ce blog), le moment tant souhaité est arrivé, je tiens le Graal entre mes mains et évidemment c'est dur à réaliser.

 J'ai dépointé à 7h, puis solennellement rendu mon badge et mon casque (en vrai je les ai balancés à l'arrache dans mon casier parce que j'avais un métro à prendre et en plus c'était la fin de 4 nuits de travail donc j'avais franchement la tête dans le c... mais laissez moi créer ma mythologie!), la vie de salarié est terminée, et avec elle les horaires (très!) décalés. Je rentre donc concrètement dans cet univers que j'ai passé tellement de temps à imaginer. Bon, comme le monde est mal fait, ça va commencer par un plongeon dans les aspects administratifs (c'est moins sexy que l'écoute empathique! enfin disons que ce n'est pas ça qui m'a motivé à m'inscrire en fac de psycho), moi qui suis capable de trouver insurmontable de me réabonner à un magazine, et l'aspect marketing qui n'est pas tout à fait ma fibre (je pense aussi que la création du site internet va impliquer pas mal de gros mots), mais le plus importants c'est que je vais enfin exercer, recevoir des client·e·s, faire ce pour quoi j'ai traversé tout ça et je vais traverser le reste, avoir la sensation d'être à ma place.

 Et en plus, comme j'écris ce post dans un état de fatigue très avancé, je ne flippe presque pas (ce n'est absolument pas du déni) (heeeeeeelp c'est tout nouveau et si ça se passe mal?)

 Du coup, au moment du prochain post de blog (en plus ce sera sur un livre de Yalom <3 ), j'aurais déjà créé mon entreprise, peut-être même reçu des client·e·s!

mercredi 13 septembre 2023

La pratique de la thérapie et de la relation d'aide, de Dave Mearns et Brian Thorne

 


 Il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie, disait Kurt Lewin cité par Anne Ancelin Schützenberger. Les réflexions riches, exigeantes et novatrices de Carl Rogers, appuyées sur des vérifications empiriques, constituent (en toute objectivité!) une excellente théorie. Et en plus, elle est, sur le papier, particulièrement facile à mettre en pratique, au point qu'elle est parfois caricaturée en disant qu'elle consiste à répéter les trois derniers mots prononcés par le ou la client·e. Et pourtant...

 Rogers est le premier à le dire, une approche dont les fondamentaux sont la rencontre et l'horizontalité ne peut s'enfermer dans des pages imprimées. Les surprises (bonnes ou mauvaises), la remise en question, font partie intégrante du parcours du ou de la thérapeute ACP. Mearns et Thorne (et John McLeod pour le dernier chapitre, sur la recherche), dans ce livre qui en est à sa quatrième édition (la dernière pour Dave Mearns qui va maintenant écrire des romans), se consacre aux questionnements que le·a thérapeute a l'opportunité de découvrir en passant, comme le titre original l'indique, à l'action. L'empathie, la congruence, l'approche positive inconditionnelle, sont des concepts relativement simples à saisir de loin, mais dont la richesse se révèle parfois un peu brusquement quand il faut se positionner en direct face à un·e client·e.

  Certains développements seront pratico-pratiques, comme comment démarrer une thérapie, quelle attitude tenir quand ça tourne en rond (ce qui fait partie intégrante du processus -"ce qui est  probablement le plus difficile à prédire dans le processus thérapeutique est sa rapidité. Parfois le client démarre lentement et va ensuite très vite, alors que d'autres fois le début est rapide, pour s'enchaîner sur une accalmie"-), quand le·a client·e cherche le conflit ou comment finir la thérapie, ou encore sur les différents niveaux de profondeur avec lesquels le·a thérapeute peut répéter les trois derniers mots restituer le propos du ou de la client·e (du niveau 0, qui ne donne pas d'indication que le propos a été compris -conseil, jugement, ...- au niveau 3, qui révèle un niveau de compréhension qui va au-delà de ce que le·a client·e a exprimé), sachant que même une réaction de niveau 1 (compréhension partielle) a une valeur thérapeutique (parce que c'est faire preuve d'une volonté de comprendre qui n'est pas si répandue qu'on ne pourrait le penser au quotidien, parce que se tromper c'est aussi donner à l'autre la possibilité de rectifier donc d'aller, pour chacun·e, vers une compréhension plus précise, ...). D'autres iront explorer des interstices plus complexes, comme les injonctions sociales pas forcément visibles qui rendent difficile de saisir en quoi l'approche positive inconditionnelle consiste vraiment (distinction entre aimer une personne et lui accorder de la valeur, risque de vouloir "être sympa" parce que c'est ce qui est généralement associé à une attitude positive par défaut -" "être sympa" est un masque porté en société - c'est un visage à projeter au monde pour recouvrir ce qu'on ressent vraiment pour se prémunir de tout jugement négatif. Être sympa n'aide pas le client à voir et faire confiance à l'aspect inconditionnel de la relation thérapeutique"-), ce qui est l'occasion de donner une magnifique définition de ladite approche positive inconditionnelle ("l'approche positive inconditionnelle implique de ne pas être illusionné par les diversions de tels boucliers d'autoprotection mais d'attendre, de continuer d'accorder de l'importance à la valeur de la personne et ainsi gagner le droit d'être autorisé à aller au delà du bouclier"), ou encore la difficulté d'offrir une écoute sans préconceptions et sans attentes alors que, qu'on le veuille ou non, des préconceptions et des attentes, on en a forcément.

 Le livre est riche, les difficultés évoquées sont parlantes (on sent bien qu'elles sont nourries de nombreuses années de pratique et de supervision), et la promesse d'un ouvrage axé sur la pratique est vraiment tenu, au point qu'à mon avis c'est préférable de le lire quand on a commencé à pratiquer et qu'on s'est déjà heurté·e à quelques unes des difficultés évoquées (et j'ai peu de doutes sur le fait que le·a thérapeute expérimenté·e trouvera aussi de quoi affiner sa pratique, peut-être avec des passages différents de ceux qui lui auraient parlé quelques années avant ou qui lui parleront quelques années après). Comme les auteurs ont l'air de trouver que le sommeil c'est pour les faibles, ils ont écrit d'autres livres qu'ils présentent comme complémentaires à celui-ci, comme ce livre là par exemple.

lundi 4 septembre 2023

Brise le silence. Histoire de vie régénérante, de Melkior Capitolin

 

 Dans ce récit autobiographique fort, l'auteur, que j'ai connu comme formateur ACP sur le thème de l'addiction, recoud son identité en assemblant les pièces de puzzle de son histoire, qu'il n'a eues que très progressivement, et qu'il fait remonter à Zizi Capitolin, esclave affranchi ("l'officier civil du registre des nouveaux libres m'a affublé d'un prénom dégradant qui se réfère à une partie de mon anatomie, qui n'est pas exposée normalement") dont le mariage en 1851 est le "premier acte libre", et à Petry dit de Grangia Contat, paysan savoyard ("le soin que j'apporte à cette terre conforte le sentiment collectif d'être savoyard et aussi je me relie à cette communauté  à laquelle je suis uni") né en 1413. Comme le rappelle avec éloquence la postface de Martine Lani-Bayle, l'histoire familiale est nécessairement complexe : "sur 10 générations avec une amplitude temporelle d'environ 2 siècles 1/2 à peine, voilà un total de 1022 personnes : que d'évènements se cachent derrière tout ce monde, qu'est-il possible d'en savoir et selon quels critères de choix". Pour l'auteur, cette complexité est démultipliée par un secret pesant dont il n'obtiendra les éléments que par bribes, souvent dévoilées involontairement.

Il subit, enfant, "un cauchemar, toujours le même : tu tombes, tu te vois tomber du ciel, tu as peur, tu es terrifié, tu te réveilles avant de toucher le sol". L'atterrissage, violent ("tu touches le sol, tu t'écrases brutalement"), aura lieu à l'adolescence, quand la famille, sans bienveillance, confirme ce qu'une voisine a révélé par mégarde : celle qu'il appelait "maman" est sa grand-mère, et sa mère est celle qu'il pensait être une de ses sœurs. Une place particulièrement dure à trouver, à comprendre, sur fond de transferts d'un internat à l'autre, et de la conscience de son métissage ("j'ai entendu : -Café au lait, -Noir -Black -Métis -Negro (une fois)"). D'autres secrets continueront d'être révélés, encore à l'âge adulte : son père, dont l'identité lui aura longtemps été cachée malgré ses demandes répétées, est l'oncle de sa mère, et reste connu pour avoir tué son psychiatre. Il a été arraché, à l'âge de 8 mois, à la marraine à qui il avait été confié, qui voulait le garder ("il y a en moi un malaise qui s'installe quand je suis dans une relation amoureuse autour des huit mois"). Il a une sœur, qu'il rencontrera très tard, avec la sensation apaisante de trouver une nouvelle famille ("Quelqu'un a vécu la même folie et traversé les mêmes manques. Vous parlez du passé et construisez le présent. Tu te retrouves "oncle" et tu as un beau-frère.").

Une écriture puissante est au service de ce récit marquant, et ce qui est annoncé dans le poème qui ouvre le livre ("je me décris vulnérable et fort") et gagne à être relu à la fin décrit bien l'ensemble.

dimanche 3 septembre 2023

The Unseen Dance : Subtle interactions and their implications for the therapeutic relationship, de Rose Cameron (thèse de doctorat)

 L'autrice, thérapeute en Approche Centrée sur la Personne, a eu l'idée de ce sujet de recherche suite à un constat déstabilisant. Elle a observé que les sans-abris avaient tendance à lui adresser spontanément la parole dans la rue, sans qu'elle ne réussisse à expliquer pourquoi. Certes, elle était bénévole auprès de ce public, mais ce n'était pas écrit sur son front en dehors de son temps de bénévolat. Son apparence (la tenue vestimentaire, divers éléments non-verbaux, peuvent être autant de micro-indices -fiables ou non- sur la classe sociale, les opinions politiques, ...) ne constituait pas non plus une explication suffisante : alors qu'elle discutait avec une amie avec laquelle on la confondait souvent, une personne s'est adressée à elle, et non à son amie, alors même qu'elle lui tournait le dos et que son amie était de face. Une attitude corporelle qui suggère la bienveillance? Pour faire l'expérience, elle s'est forcée à continuer de regarder devant elle avec un regard froid en marchant dans la rue, et elle a tout de même été abordée pour une demande d'aide par une personne qui est revenue à la charge plusieurs fois (envers elle, et pas envers quelqu'un d'autre). Identifier les personnes disposées à aider est pour les sans-abris une question de survie : une erreur est au mieux une coûteuse perte d'opportunité, au pire un risque d'agression verbale ou physique. Sur quels indices, qui échappaient à l'autrice même malgré ses efforts actifs pour les identifier, reposaient cette confiance. A l'inverse, son compagnon s'est fait agonir d'injures en tentant d'adresser la parole à quelqu'un à un arrêt de bus. Quand il en a parlé avec elle, elle a répondu qu'elle savait qu'il ne fallait pas parler à cette personne (et qu'intervenir pendant qu'elle était déjà en colère allait aggraver les choses), mais même après réflexion demeure incapable d'expliquer pourquoi.

 En Approche Centrée sur la Personne, le lien à l'autre est particulièrement important. On peut même argumenter que la connexion entre thérapeute et client·e constitue le cœur de la thérapie. L'autrice a donc voulu étudier cette danse invisible/implicite mais nécessairement présente. Elle a donc demandé à des étudiant·e·s, dans des expérimentations en binôme, de se mettre, intérieurement, en disposition d'aller vers l'autre puis en position de retrait vers soi, puis a recueilli leurs réactions. Je ne vais bien entendu pas rentrer dans le détail parce que c'est une thèse, mais le dispositif a permis d'observer que cette attitude intérieure générait bien un ressenti, potentiellement fort, chez l'autre. Plus surprenant (et intéressant à interroger dans le cadre d'une réflexion sur la thérapie!), aller vers peut être menaçant, et le retrait apaisant. Une personne participant à l'étude a par exemple pu bien mieux comprendre son besoin, mystérieux jusqu'ici, d'interrompre la thérapie en présentiel pour passer à une thérapie par e-mails.

 Je suis frustré de ne pas développer pour la même raison que je ne développe pas : Rose Cameron explore un domaine à la fois incontournable et nouveau, extrêmement difficile à délimiter (elle a par exemple le souvenir d'une discussion avec une personne maîtrisant bien le concept de chi qui a surtout abouti à ce que les questionnements de départs soient encore plus obscurs à la fin de la conversation), et complexe malgré son enjeu important. Je ne peux qu'encourager les thérapeutes à lire la thèse en ayant une meilleure compréhension et une meilleure mémoire que moi à prendre conscience de l'existence de cette danse invisible/implicite, au delà du non-verbal et de l'attitude empathique bien plus familiers, et à l'inviter dans leur observation de leur propre pratique (ou, encore mieux, poursuivre les recherches initiées par Rose Cameron!).

samedi 2 septembre 2023

Le club des anxieux qui se soignent, de Frédéric Fanget, Catherine Meyer et Pauline Aubry

 

 


 Ce volume de la série BD Psy, qui me donne plutôt confiance envers les autres, traite des nombreuses réalités que peuvent recouvrir l'anxiété, en donnant des pistes à la fois pour mieux les comprendre et pour s'en sortir.

 Parfois particulièrement paralysante (phobie sociale intense, agoraphobie, crises d'angoisse fréquentes, ...), parfois généralisatrice d'angoisses qui rendent le quotidien extrêmement pénible (hypocondrie, trouble anxieux généralisé, ...), d'autres fois encore extrêmement spécifique (phobies, ...), l'anxiété est présentée comme un signal d'alarme qui serait déréglé ("exactement comme si l'alarme d'une maison se mettait en marche dès qu'une mouche vole. Alors qu'elle doit se mobiliser seulement en cas d'effraction d'un cambrioleur. Une mouche, ce n'est pas un danger. Sans compter qu'elle risque de déclencher l'alarme toutes les deux secondes.") : anticiper les dangers au quotidien, c'est nécessaire dans l'absolu, mais quand ça prend certaines proportions, ça ne sert plus à rien voire l'anxiété devient un danger à anticiper en soi, générant un cercle vicieux.

 Selon l'état de la science d'aujourd'hui, les causes sont à rechercher du côté de prédispositions génétiques, de l'éducation (pression subie au quotidien, monde extérieur présenté comme hostile et dangereux, ...) et de l'histoire personnelle (moments de vie particulièrement douloureux, ...). La thérapie présentée, d'orientation TCC (selon les auteur·ice·s la seule qui a des preuves d'efficacité scientifique contre l'anxiété), repose sur trois axes : la partie cognitive (identifier les idées angoissantes et les comparer avec des idées alternatives, par exemple ce qui s'est passé les fois précédentes dans des situations semblables ou, à travers un dialogue imaginaire ou réel avec un·e ami·e, se demander comment quelqu'un de plus apaisé percevrait la situation), la partie comportementale (exercices de relaxation à pratiquer régulièrement -la vraie efficacité sera sur le long terme- en mesurant les résultats, exposition très progressive aux situations les plus difficiles, ...) et la partie émotionnelle (issue des TCC 3ème vague comme la thérapie d'acceptation et d'engagement, qui consistera par exemple à identifier son état et différencier pensée, ressenti et réalité objective).

 Le livre fournit clefs en main des outils très clairs pour comprendre les mécanismes et aller mieux, et le cas échéant chercher un·e thérapeute ou gérer des questions délicates et complexes comme l'impact des traitements médicamenteux (qui peuvent être pris pour traiter directement l'anxiété, ou répondre à d'autres besoins mais avoir un impact sur l'anxiété qui est à surveiller). En revanche, si la lecture est très rapide, les auteur·ice·s sont clairs sur le fait que des résultats solides (qui consisteront généralement à atténuer l'anxiété et la rendre vivable, la faire disparaître ne sera pas nécessairement possible) demanderont un travail assidu et plutôt de long terme (au moins plusieurs mois).

dimanche 27 août 2023

Les vilains petits canards, de Boris Cyrulnik

 


 La référence du titre a le mérite d'être limpide : le traumatisme, en plus de la souffrance causée directement, peut générer l'exclusion, exclusion par les autres peu indulgent·e·s avec des comportements non compris ou tenant à s'éloigner, dans divers sens du terme, de la personne qui souffre, qui a subi l'indicible, ou exclusion des autres par un vécu qui altère la vision du monde.

 Dans ce livre qui si je ne me trompe pas est le plus célèbre de son auteur, Cyrulnik va lister les conditions qui peuvent permettre, peut-être pas de devenir un cygne comme le promet le titre, mais de réintégrer dans les meilleures conditions possibles le monde des canards. La cellule familiale est un élément essentiel : c'est là que se construisent dans les premières années la confiance en soi et en l'autre, et les façons de réagir à l'adversité (avec humour, angoisse, résignation, ...). La théorie de l'attachement est énormément citée, les éléments théoriques sont accompagnés d'exemples biographiques qui illustrent comment l'histoire familiale s'articule autour d'un récit qui a un pouvoir important de prophétie autoréalisatrice (un enfant jugé à l'avance pénible ou joyeux, par exemple du fait de son genre ou du contexte de sa naissance, verra ses comportements interprétés en fonction, et s'adaptera à son tour aux réactions que ça génère, ...). Autre élément important, le récit fait a posteriori du traumatisme (qui a l'avantage de pouvoir évoluer avec le temps), qu'il soit intérieur ou qu'il trouve un public (l'auteur souligne que des réactions de minimisation, d'incrédulité, voire de pitié trop forte peuvent aggraver le traumatisme) est un pilier de la résilience. Et ce récit peut être fortement impacté par l'univers social : le contexte influe considérablement les chances d'être entendu ou au contraire silencié, voire d'avoir les éléments pour comprendre ce qui s'est passé ("Pour parler, encore faut-il comprendre ce que l'on a subi. Et c'est beaucoup moins fréquent qu'on ne le pense", pour reprendre les termes de Florence Porcel ) (sur ce thème, ou d'ailleurs n'importe quel autre, lisez Florence Porcel, plutôt que Cyrulnik!). Quand le récit ne peut être reçu, quand sa verbalisation est bloquée, que ce soit pour des raisons internes ou externes, le médium artistique, moins direct, est une solution alternative. Pour faire un résumé extrêmement rapide, un accompagnement bienveillant, que ce soit avant ou après le traumatisme, modifiera très significativement son impact.

 Ces éléments sont très pertinents, c'est une excellente nouvelle qu'ils soient vulgarisés dans un best-seller, sauf que... Cyrulnik! Le propos est noyé dans une structure extrêmement chaotique, et surnage au milieu d'affirmations parfois vraiment fantaisistes, en particulier quand l'auteur s'improvise historien ("la notion de père biologique est née en même temps que la possession d'un bien", "les soldats étaient encore civilisés"... pendant la seconde guerre mondiale!, "c'est le chemin de fer, en 1890, qui a préparé la naissance du concept de traumatisme", ...) ou anthropologue ("un orphelin de père africain a beaucoup plus de chances de devenir résilient qu'un enfant de père bangladais" car comme chacun sait les structures familiales sont toutes les mêmes en Afrique), sachant que même sur les sujets qu'il est censé maîtriser il est capable de partir franchement en vrille ("les petites molécules du stress passent facilement le filtre du placenta"... on ne connaîtra pas la composition chimique des fameuses molécules du stress mais peu importe on a appris que les mères faisaient du mal à leur bébé si elles osaient être stressées, "notre système nerveux fabrique vingt-mille neurones à chaque seconde" à une époque de la vie qui ne sera pas précisée parce que pourquoi faire, ce qui est censé expliquer la personnalité plus flexible chez l'enfant que chez l'adulte, sauf que les neurones n'ont pas nécessairement quoi que ce soit à voir avec la personnalité, ...). La grande variété dans la qualité des sources contribue à embrouiller et potentiellement, en particulier quand la préface rappelle qu'on a quand même affaire à quelqu'un qui dirige des thèses, donner la sensation que l'ensemble est très savant (des articles scientifiques sont souvent cités, mais beaucoup d'affirmations qui ne vont vraiment pas de soi n'ont aucune source, et pour l'une d'entre elles on devra se contenter de -hélas je n'invente pas- "il paraît que"), les redites innombrables peuvent donner la sensation d'un propos dense alors que c'est juste une idée qui est répétée encore et encore avec des illustrations différentes, ... S'il n'y avait que ça, ça pourrait faire sourire (pour peu qu'on ait beaucoup d'indulgence pour la cohabitation avec une confusion qui semble un peu entretenue quand même entre des affirmations sorties du chapeau et des commentaires appuyés par la littérature scientifique) si ce n'était pas aussi au service d'idées douteuses, comme le fait de suggérer très fortement que les pères incestueux sont après tout sympathiques si on oublie le passage à l'acte (mais bon qui n'a jamais fait d'erreurs dans sa vie), ce qui ne colle pas à la réalité et a priori il le sait parfaitement parce qu'il a travaillé sur l'inceste, ou encore que le violeur ne se rend pas compte qu'il fait du mal, c'est la faute de la société ou alors de son développement psycho-affectif, on sait pas trop, et on ne sait pas non plus trop d'où il sort ça parce qu'il n'y a pas de source.

 Ce livre pose de sérieuses questions sur la vulgarisation : des notions importantes sont présentées, de toute évidence de façon attrayante si on en croit les ventes et la réputation du livre lui-même et de l'auteur. Ce qui apparaît comme du baratin dégoulinant quand on voit les manipulations derrière est aussi au service d'une accessibilité d'un niveau difficilement imaginable pour des livres qui sont pourtant accessibles et de qualité sur les même thèmes de l'attachement ou du traumatisme. Je ne peux que rêver très fort à l'arrivée d'un Cyrulnik honnête.

lundi 21 août 2023

Why people obey the law, de Tom Tyler


 

  La loi a la spécificité d'être importante, mais décorative si elle n'est pas appliquée. Les premiers outils qui viennent à l'esprit pour s'assurer de ladite application sont la police et les tribunaux, soit des outils de contrainte. Pourtant, l'auteur le rappelle plusieurs fois, si la peur du gendarme (pour le coup au sens propre) était la seule raison, voire la raison principale, pour que les lois soient respectées, le budget de maintien de l'ordre serait astronomique. Par ailleurs, de nombreuses règles sont respectées au quotidien alors qu'il n'y a aucun risque de sanction, comme le tri des déchets, qui est probablement bien mieux observé que l'interdiction du téléchargement illégal.

 Une deuxième conception que l'auteur, dans ce livre extrêmement technique (le public visé est probablement les étudiant·e·s en psychologie social de niveau au moins Master, en tout cas je suis assez convaincu que je ne suis pas dedans) constitué de commentaires détaillés de recherches scientifiques (en particulier une majeure sur des habitant·e·s de Chicago), relativise énormément, est celle de l'humain absolument rationnel qui réfléchit en termes de pertes et gains. Certains résultats questionnent sérieusement la rationalité (dans une enquête auprès de personnes interpellées par la police dans la rue, la plupart estimaient par exemple que les policier·ère·s avaient été impoli·e·s, ne les avaient pas écouté·e·s, et autres résultats semblables, mais estimaient que les agents avaient fait leur travail de façon satisfaisante... une étude semblable rapporte des résultats eux aussi a priori contradictoires entre une estimation basse de l'impartialité des tribunaux et une certitude élevée d'être traité·e de façon impartiale), mais surtout, un élément marquant des résultats obtenus est que la confiance dans les autorités supérieures (législation, procédure judiciaire, ...) dépend plus de la perception des processus que de celle des résultats! En d'autres termes, les personnes interrogées (dans divers contextes et avec des méthodologies différentes) ont plus confiance dans des institutions qui seront à l'origine d'un résultat défavorable mais juste que celles qui les fera bénéficier d'un résultat favorable mais injuste.

 La question des minorités particulièrement exposées aux discriminations policières et judiciaires a été explorée intensément entre deux éditions du livre (des chercheur·se·s ont tenu à vérifier de près la faible influence de ce critère sur les résultats qui se dégageaient dans la première édition), et les résultats ont été confirmés : ces critères sont les mêmes, pour autant que ça a pu être vérifié, que les personnes soient effectivement traitées de façon juste ou non.

 Je simplifie bien sûr énormément (en grande partie parce que j'aurais bien du mal à faire autrement!), mais ces résultats sont assez stables et répétés pour que l'auteur les rappelle à plusieurs reprises. Par contre, si un commentaire plutôt riche (tout en me paraissant particulièrement à l'Ouest sur le sujet du terrorisme, mais c'est une petite partie) a été ajouté dans la deuxième édition, je ne peux que regretter qu'un troisième n'ait pas été ajouté pour commenter le vécu des mesures de protection contre le Covid, qui ont propulsé la question du consentement à la loi de façon très explosive dans le débat public et sur lesquelles l'auteur a probablement énormément de choses à observer et à dire.

dimanche 13 août 2023

Humanity's dark side, dirigé par Arthur Bohart, Barbara Held, Edward Mendelowitz et Kirk Schneider


 

 Réuni·e·s par des spécialistes se situant plutôt dans le champ des thérapies existentielles, treize auteur·ice·s d'horizons très divers commentent divers aspects de ce sujet extrêmement vaste. Des discussions très techniques sur les idées de certaines grandes figures (comme l'échange entre Carl Rogers et Rollo May sur l'aspect intrinsèque ou non de la bonté, ou une analyse de la nature humaine selon Freud et les conséquences que cette analyse doit avoir concrètement pour le·a psychanalyste dans sa pratique), des réflexions sur la notion de morale et l'impact que cette notion a sur le rôle du ou de la thérapeute, des considérations plus directes sur la pratique (l'aspect contreproductif de l'injonction au pardon chez les victimes de violences, une vignette clinique qui concerne un conflit intérieur dans un cadre de fondamentalisme religieux avec un thérapeute plutôt anticlérical, ...).

 Je pense et j'espère avoir montré avec ce blog que pour moi la pluridisciplinarité est précieuse, mais j'ai souvent eu la sensation que ce livre, dont pour autant j'ai apprécié la lecture, poussait la diversité des regards trop loin. Le thème lui-même ouvre sur un certain nombre de sujets qui peuvent en soi donner l'occasion de réflexions, du spécifique et technique au très théorique, amenant potentiellement assez loin (c'est même plutôt préférable si on veut éviter les généralités) : qu'est-ce qu'on considère effectivement comme le mal -on assimile le mal à la violence en général? on se réfère à la loi? le mal c'est ce qui provoque le malheur-? Comme la nature humaine? A partir de quel moment on considère qu'il y a un choix? Dans quelle mesure on estime que le rôle de la société ou des thérapeutes (deux questions très différentes en soi) est d'arrêter ou d'aider les personnes qui commettent des horreurs? Ici, chaque chapitre doit se repositionner, au moins implicitement, sur ces questions et bien d'autres que j'ai oubliées dans ce recensement rapide, avant de proposer un développement qui a son intérêt propre. Et la multiplicité de regards implique aussi une multiplicité de réflexes, de langages, avec lesquels le·a lecteur·ice doit recommencer le travail de se familiariser à chaque fois (oui, c'est peut-être une façon détournée de dire que le fait que j'ai lu ce livre a une période où j'étais super fatigué a probablement été pour quelque chose dans mon point de vue sur l'ensemble). Selon moi, le livre aurait énormément gagné à être mieux articulé, à faire plus communiquer les différentes contributions entre elles.

 Reste qu'au moins une partie des réflexions proposées (probablement pas les mêmes selon les lecteur·ice·s) vont forcément interpeller ou questionner, ou même nourrir l'espace thérapeutique, comme la vignette clinique où une mère, elle-même ancienne victime de violences intrafamiliales, change radicalement d'attitude quand elle prend conscience que son épisode de violence sur son fils relevait d'un choix, le chapitre de Maureen O'Hara sur les organisations portées par une cause nécessairement supérieure et bienveillante qui utilisent cette vertu affichée pour avoir un fonctionnement interne violent (silenciation des critiques, boucs émissaires, ...) en donnant entre autres l'exemple d'une structure consacrée à l'Approche Centrée sur la Personne qui harcèle moralement une étudiante par des injonctions répétées à être plus authentique, ou encore une analyse des interprétations de la psychologie positive qui peuvent constituer une injonction à être heureux·se.

lundi 10 juillet 2023

Tales of Un-knowing, d'Ernesto Spinelli

 


 L'humilité du ou de la thérapeute en thérapie existentielle est un outil thérapeutique en soi, largement documenté dans la théorie, bien moins confortable dans la réalité de la pratique : ne pas comprendre pleinement les tenants et les aboutissants, ne pas avoir de solution magique à proposer, si convaincu·e qu'on soit que ça fait partie intégrante du processus, ça peut être difficile à vivre quand on a développé une expertise et qu'on est face à une personne en détresse. Le livre d'Ernesto Spinelli documente à travers huit situations cliniques cet espace compliqué, désigné par le terme du titre ("dé-savoir?") et rend hommage à son importance : "ça désigne la tentative de traiter ce qui semble familier, ou ce qu'on a perçu ou compris, comme quelque chose de nouveau, dont la signification est flexible, accessible à des possibilités pas encore explorées". 

 L'auteur raconte donc des situations où sa propre déstabilisation l'a amené à une relation plus profonde avec ses client·e·s, que ça concerne un écho à sa propre situation (de la part d'un client dont il avait anticipé qu'il allait être ennuyeux!), des questions de psychopathologie (une cliente dévoilant un trouble dissociatif de l'identité -à moins que ce ne soit pas vraiment ça?- et un autre souffrant de délires paranoïdes -"ces tentatives dépassent le présupposé répandu que les réactions d'un individu sont d'une façon ou d'une autre "anormales", et cherchent à la place à dévoiler et explorer le sens exprimé à travers ces réactions"-), une thérapie de couple dans laquelle il s'efforcera de décoder l'angoisse individuelle de chaque personne derrière le conflit (il déplore que les thérapeutes existentialistes évoquent peu la thérapie de couple alors qu'iels la pratiquent et qu'il y aurait beaucoup de choses à en dire), ou encore une cliente qui vient d'apprendre qu'elle n'avait plus que quelques mois à vivre et qui pour ne rien faciliter vient en thérapie plutôt à reculons.

 La démarche rappelle énormément celle de Yalom (d'autant plus que le courant thérapeutique est le même!), ce qui a l'inconvénient de placer la barre plutôt haut en terme de comparaison! Le livre rappelle des fondamentaux tout en les rendant plus vivants, comme la puissance que peut avoir une simple reformulation, le fait que la thérapie est une rencontre où le·a thérapeute sera aussi impacté·e ou déstabilisé·e (Spinelli parvient à un moment à appliquer l'un de ses propres principes... en se rappelant qu'il l'a répété pas mal de fois à ses étudiant·e·s) ou la richesse et les chemins inattendus que peuvent prendre le psychisme, ou encore, paradoxalement si on se souvient du titre, donne des outils de la psychothérapie existentielle pour enrichir l'espace thérapeutique, comme l'interprétation des rêves de la Daseinanalyse ou le concept de rendre in-incompréhensibles les états délirants.

mardi 4 juillet 2023

L'intelligence érotique, d'Esther Perel

 


 Appuyée en grande partie par son expérience de thérapeute de couple (les explications sont toujours ou presque articulées autour d'exemples issus de sa pratique), l'autrice explore les articulations plutôt complexes entre sexualité et vie de couple ("l'idée sous-jacente est que si on peut améliorer la relation, la sexualité va suivre. Mais mon expérience m'a montré que souvent, ce n'est pas ce qui se passe", "c'est peut-être contre-intuitif, mais ce que j'ai observé en tant que thérapeute c'est qu'une augmentation de l'intimité émotionnelle s'accompagne souvent d'une diminution du désir sexuel").

 L'axe le plus souvent exploré est celui du poids, conscient ou non, d'injonctions sociales souvent contradictoires (cet axe est plus qu'explicite dans le titre original, Mating in captivity). Le discours sur la sexualité est rarement direct dans l'espace public, mais est quasi omniprésent de façon implicite ("la religion, le gouvernement, la médecine, l'éducation, les médias et la culture pop s'échinent continuellement à définir et réguler les paramètres de notre bien-être sexuel"). Satisfais ton ou ta conjoint·e, mais ne désacralise pas trop l'institution du mariage quand même. Ecoute tes désirs et ce que dit ton corps, mais sois performant·e selon les normes qui sont doucement distillées au quotidien ("avant on moralisait, maintenant on normalise"). La sexualité t'a peut-être été présentée comme quelque chose de sale ou de pas très [insérez ici la religion qui correspond] au cours de ton éducation, mais maintenant que tu es en couple c'est une preuve d'amour de l'investir (et donc ne pas trouver cet espace épanouissant c'est ne pas être à la hauteur).  

  A ces injonctions contradictoires dont la perception ne va pas nécessairement de soi s'ajoutent des épreuves plus classiques : usure de la relation avec le temps, différence de tempérament, et bien sûr la parentalité, avec les ajustements que ça implique sur le couple et accessoirement sur le quotidien (c'est un petit peu plus compliqué par exemple de décider spontanément de partir en week-end), et l'énorme accroissement de la fatigue qui va avec (surtout pour les femmes dans le couple hétéro, comme l'autrice le rappelle). L'autrice présente l'érotisme comme un équilibre délicat entre être avec l'autre et être avec soi, entre la force du lien et la perception de sa fragilité (plusieurs personnes présentées dans le livre perdent leur désir... parce que la relation est trop stable! -"Vous savez ce que je lui ai dit? Je lui ai dit "si tu me quittais aujourd'hui tu m'intéresserais sexuellement"-). Les derniers chapitres du livre sont d'ailleurs consacrées à la présence d'un tiers, l'un plus métaphorique sous la forme des fantasmes, l'autre sous la forme de l'adultère. Pour l'autrice, si les fantasmes peuvent déstabiliser, en étant frontalement contradictoires avec les valeurs de la personne concernée (par exemple une féministe qui rêverait de soumission, ou un homme très attaché à la fidélité qui a une collection de cassettes -oui, cette vignette clinique là date probablement un peu- intitulées Gang Bang) ou en donnant la sensation d'être infidèle, ils sont à écouter dans la mesure où ils représentent potentiellement, précisément, le passage à l'acte qu'on s'interdit. L'adultère, au contraire, est clairement un passage à l'acte, et dans ce cas le préalable pour préserver le couple (ou décider plus sereinement de ne pas le préserver) est de comprendre ce qu'il y a derrière, ce qui comme l'asymétrie du désir peut avoir des racines complexes. L'autrice constate toutefois que la frustration dans le couple est rarement la vraie origine (plusieurs de ses client·e·s ont trompé en étant par ailleurs épanoui·e·s sexuellement), ni même l'attirance pour la personne concernée (dans la mesure où elle a vu de nombreuses liaisons prendre fin avec la disparition du couple, elle suspecte que c'est le statut de liaison qui faisait vraiment tenir cette relation là). 

 Si le livre est accessible, en particulier du fait qu'il se structure autour d'exemples, il donne la sensation, tout en donnant des éléments concrets pour mieux comprendre un sujet sur lequel il n'est pas évident de se documenter, de ne faire qu'esquisser sa complexité. L'autrice ne cache d'ailleurs pas que, même en ayant de l'expérience, elle a franchement ramé dans certains cas. C'est aussi un livre qui est probablement assez riche pour que chaque lecture apporte quelque chose de nouveau.