vendredi 16 octobre 2020

Ados LGBTI, de Thierry Goguel d’Allondans

 


 A travers des sources très diverses (récits autobiographiques, travaux de philosophes et de sociologues -Judith Butler et Michel Foucault sont beaucoup cité.e.s-, entretiens avec 18 personnes âgées de 18 à 25 ans), l’auteur, sociologue, donne des éléments pour mieux saisir, tout en tenant compte de sa diversité, le vécu des ados (et des adultes aussi, d’ailleurs) LGBTI.

 Sans surprise, il sera énormément question de… normes. L’auteur constate d’ailleurs que, généralement, plus une société est patriarcale, plus elle tend à être homophobe (tout en favorisant, paradoxalement, l’homosocialité, en réduisant les espaces de mixité). Être, ou même paraître, une personne LGBTI, c’est implicitement remettre en question le cadre normatif de la binarité des sexes, de la conjugalité à visée reproductive, des injonctions sociales à la virilité ou à la féminité. Les rappels à l’ordre peuvent être d’une extrême violence, de la part des parents même (Krystal, femme trans, sera chassée du domicile à l’âge de 8 ans, "Crève, vite!", dira un autre père à son fils lors de son coming-out) ou des institutions (les enfants intersexes subissent souvent de nombreuses interventions chirurgicales sans intérêt médical, traumatisantes physiquement et psychiquement, généralement sans leur consentement éclairé ni celui de leurs parents… bien que ces violences soient recensées comme telles par des organisations internationales, la France a refusé à 72 voix contre 9, le 1er août, de légiférer contre).

 Sans nécessairement aller jusqu’à ces extrêmes, les discriminations (au logement, à l’emploi), les insultes, font partie du quotidien, le harcèlement scolaire étant particulièrement grave au collège. Autre forme de discrimination : les figures d’identification sont rares. En milieu scolaire en particulier, les programmes scolaires sont parfois muets sur l’homosexualité de telle ou telle personnalité étudiée, et l’auteur estime que le simple fait que des membres du personnel éducatif (enseignant.e.s, infirmier.ère.s, …) puissent afficher une identité de genre ou une orientation sexuelle non normée aurait des effets conséquents en terme de santé publique.

 Les voies proposées, qui ne sont pas forcément utilisées de façon binaire, sont donc soit de s’intégrer (par exemple en se dissimulant, allant parfois jusqu’au mariage hétérosexuel), soit de résister, en refusant la discrétion ou en cherchant une communauté plus tolérante ou simplement moins homophobe, ou encore en militant ou en épousant et co-créant une culture LGBTI qui, comme son nom ne l’indique pas, est multiple (certain.e.s jeunes interviewé.e.s ressentent par exemple une certaine amertume envers la Gay Pride, ne se reconnaissant pas dans cette représentation ostensible et estimant qu’elle nourrit l’homophobie).

 Si la qualité du livre est inégale (le fait que les personnes LGBTI trouvent un meilleur accueil dans les milieux militants qui concernent les droits des animaux, c’est une impression de l’auteur, ou c’est documenté? Et que dire de ce passage plus gênant que sourcé où l’auteur explique que la sexualité lesbienne tient plus de la sensualité que de la sexualité, avec de citer La Vie d’Adèle comme un exemple de représentation sérieux, alors que les concernées ne sont pour la plupart vraiment pas de cet avis - un exemple ici -), il a le mérite de couvrir de très nombreux sujets et de nommer clairement les discriminations sans que la lecture, loin de là, ne laisse une sensation misérabiliste. Le livre est accessible et se lit relativement vite, ce qui en fait une bonne base pour une première approche du sujet, par exemple par des professionnel.le.s régulièrement au contact de jeunes (enseignant.e.s, travailleur.se.s sociaux.ales, professionnel.le.s de santé, …).


jeudi 8 octobre 2020

Psychothérapie du trouble borderline, de Déborah Ducasse et Véronique Brand-Arpon


 Le trouble borderline se caractérise, entre autres, par une insécurité dans les relations sociales ("92 à 96 % des patients souffrant de ce trouble présentent un attachement insécure"), de la violence dans les émotions ressenties et de l’impulsivité (pouvant pousser à des colères intenses, à l’automutilation ou à des tentatives de suicide) et parfois, pour éviter une sensation de vide qui serait insupportable, à la multiplication d’activités ou à la consommation d’alcool et de cannabis pour émousser l’émotivité. Les autrices proposent une thérapie intégrative, reprenant les principes de la thérapie comportementale dialectique et de la thérapie d’acceptation et d’engagement, permettant de lutter contre ces symptômes et, au-delà, de donner des clefs pour un meilleur épanouissement personnel.

Les principes théoriques seront à chaque fois immédiatement illustrés par un extrait de séances avec Clémence, Isabelle, Martine et Julie, que nous suivrons tout au long du livre, ce qui est extrêmement pratique pour comprendre à quoi servent exactement les principes qui viennent d’être expliqués, et comment les présenter aux patient.e.s. Les lecteur.ice.s familier.ère.s avec l’ACT seront en terrain connu : des métaphores, des méditations, et du tri, beaucoup de tri (et aussi, comme il se doit -ceux.celles qui savent, savent-, des matrices à remplir, mais l’ensemble du contenu est clair même si on ne comprend pas le fonctionnement de la matrice ACT). L’objectif principal est en effet d’atténuer l’intensité des émotions, surtout quand elle est douloureuse, et de réfléchir à ce qu’on veut vraiment avant d’agir. Pour donner les moyens d’y arriver, les thérapeutes, à travers des exercices et des réflexions guidées sur des moments difficiles récents, invitent à différencier les perceptions, les émotions et les pensées, et surtout à les distinguer de la réalité (une impulsion suicidaire ne va pas dire qu’on va effectivement se suicider, l’interprétation de ce qu’on perçoit dépend beaucoup de notre état présent et du contexte, de la même façon que le contenu d’un rêve s’avère imaginaire au réveil le contenu des pensées ne reflète pas nécessairement la réalité, …). Progressivement, la thérapie amène à décider d’agir, puis à agir, en fonction de ce qui nous convient intimement, par opposition à l’action pour changer la réalité, action qui n’apportera de la satisfaction que si la réalité change effectivement, mais qui si ce n’est pas le cas va intensifier les souffrances à moyen et long terme : l’action, quelle qu’elle soit (la forme n’est pas vraiment importante), doit pouvoir nous satisfaire indépendamment du résultat. Le cœur de la méthode est en effet d’amener à se diriger vers une satisfaction interne, plutôt que d’aller la chercher dans des objets externes. 

La démonstration est claire et les points ciblés semblent pertinents. Oui, mais... En plus du gros problème de forme causé par l’utilisation du même terme (attachement) pour deux choses différentes, sans prendre le temps de préciser qu’il s’agit du même terme pour deux choses différentes, qui en plus s’avèrent être très importantes pour le thème traité (d’un côté le concept clinique développé par John Bowlby, de l’autre le contraire du détachement), les autrices mettent parfois beaucoup de poids sur l’énonciation de principes de philosophie bouddhiste, avec certaines formulations franchement binaires (sans la renonciation à tout, point de salut, semble-t-il). Ces principes sont riches, et ont largement influencé la thérapie d’acceptation et d’engagement, mais pour un livre qui parle beaucoup de distinguer les différents éléments qui constituent l’espace psychique, l’aspect philosophique (sans compter que le bouddhisme, c’est aussi une religion, ce qui si je ne me trompe pas n’est mentionné à aucun moment) est bien peu distingué de l’aspect clinique : j’ai ressenti à pas mal de reprises un malaise que je n’avais pourtant ressenti à aucun moment, par exemple, en lisant L’autocompassion, qui s’appuie sur la même base théorique et qui, comme le titre ne le cache pas, insiste beaucoup sur la dimension compassionnelle. Et le malaise, c’est le moins qu’on puisse dire, n’a pas diminué en lisant les méditations guidées (aussi disponibles en audio), dont certains extraits consistent à dire "avant je me fourvoyais, mais maintenant que j’ai trouvé la voie je vais enfin être épanoui.e" dans des termes à peine moins nuancés ("J'ai agi sous le contrôle d'une perturbation mentale. Une caractéristique temporaire de mon esprit qui n'est pas moi. Une perturbation mentale qui ne correspond pas à la nature claire de mon esprit" -et les perturbations mentales sont comme des "cellules cancéreuses" et "conduisent inévitablement à de grandes souffrances", ce n'est pas du tout anxiogène). En plus de presque donner la sensation que les autrices cherchent à recruter pour un séminaire (coup de grâce quand dans la conclusion on apprend avec émotion que les enseignements bouddhistes n’ont pas été créés par des "personnes ordinaires" -sic!-), cet aspect binaire est directement contradictoire avec ce que j’ai compris de l’ACT (c'est une injonction à viser une perfection qui n’est par définition pas atteignable, donc qui peut pousser à culpabiliser parce qu’on y arrive pas, puis à culpabiliser de culpabiliser parce que la culpabilité c’est une émotion négative et les émotions négatives c'est la perdition).

Je suis donc vraiment partagé après ma lecture… à la fois très convaincu par le modèle clinique (en particulier par la partie sur la thérapie des impulsions suicidaires) et la façon extrêmement pédagogique de le présenter, et à la fois très gêné par ce malaise diffus qui a été renouvelé à plusieurs moments distincts. Je ne peux qu’espérer que le livre des mêmes autrices à destination des patient.e.s, Borderline, cahier pratique de thérapie à domicile, donne plus de poids aux conseils et exercices thérapeutiques et moins à l’injonction à des choix de vie radicaux (si par malheur vous aimez bien remplir des grilles de sudoku ou regarder des séries, c'est un emprisonnement, sachez le) et quasi manichéens.