lundi 30 novembre 2020

La différence des sexes, dirigé par Nicolas Mathevon et Eliane Viennot




 Projet initié avant la panique morale organisée politiquement autour de la soi-disant théorie du genre, ce livre met en avant le poids des stéréotypes qui ont alors subi un effet grossissant, en se concentrant sur l'univers de la recherche, qui n'est malheureusement pas épargné ("cette corporation est du reste tout autant que les autres victime des discriminations qui gangrènent la société", "comment se fait-il que le monde de la recherche français soit pour partie si frileux face à un concept aussi opérant que le genre?"). Dans des domaines aussi divers que le droit du travail, la danse, la littérature, la biologie, l'éthologie, l'histoire du sport, ou encore (ouf!) la psychologie sociale, les auteur.ice.s illustrent les différents obstacles à la production d'un savoir qui s'affranchirait de la norme de la domination masculine.

 C'est en effet une norme, qui donc ne dit pas toujours son nom, qui pèse sur les choix de sujets de recherche, voire sur les présupposés scientifiques : la charge de la preuve elle-même peut être génératrice d'une certaine inertie dans les croyances. Clémentine Vignal montre par exemple que, dans l'étude du comportement animal, des modèles théoriques non seulement anthropomorphisés mais aussi conformes aux stéréotypes conservateurs de la répartition des rôles hommes/femmes n'ont pas été mis à l'épreuve autant qu'ils auraient dû l'être dans le cadre de la recherche scientifique (et, de fait, une prise en compte plus sérieuse de la variabilité des comportements dans le monde animal, une distance critique plus importance avec une grille de lecture trop hâtive de certaines observations, a affaibli certaines idées). Dans le domaine pourtant très différent de la littérature, Eliane Viennot rapporte la panique condescendante qui a accompagné l'inscription de textes de Louise Labé au programme de l'agrégation de lettres (" "Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir raconter pour tenir jusqu'en mars?", se désolaient bien des collègues présent.e.s à la "journée de l'agreg" parisienne de novembre") avant, devant le constat que finalement la richesse des textes justifiait largement leur présence au programme, de déclencher un retour de bâton ("la femme appelée Louise Labé (dont l'existence est attestée) n'avait jamais écrit les œuvres connues comme les siennes. La raison? Trop savant! Une femme ne pouvait pas écrire cela!"), là encore sans arguments scientifiques solides. Les présupposés n'éclairent toutefois pas tout : dans le cas de la musicologie, de la littérature, les œuvres féminines sont parfaitement recensées, accessibles, tout autant que celles de leurs homologues masculins. Leur invisibilisation est donc difficile à expliquer autrement que par un manque d'intérêt préalable. Enfin, certains domaines sont dévalorisés d'office, ou jugés moins prestigieux, se prêtent moins à une carrière ambitieuse, car considérés comme féminins ("les résistances rencontrées en France et le peu de crédit (dans tous les sens du terme) accordé à la danse découlent en grande partie de sa catégorisation féminine, dévalorisante", "la primatologie était alors considéré comme une sorte de loisir de femmes farfelues et misanthropes", "il y avait de toutes façons peu de candidats masculins car les carrières se faisaient dans les universités ou aux Muséums : s'éloigner durablement de ces centres influents n'était pas (n'est probablement toujours pas) une bonne stratégie pour une personne ambitieuse", ...).

 Ironiquement, la recherche qui fournit des éléments pour s'affranchir de ces biais risque d'être taxée de militante plutôt que scientifique, d'être attaquée sur son existence même plutôt que sur le fond. Pascal Charroin prend d'ailleurs soin de préciser qu'il n'est absolument pas féministe, et que ses recherches sur l'histoire du sport ont été purement guidés par le désir de défricher un territoire nouveau (sans parler de ma grande perplexité devant sa capacité à isoler, dans ses motivations, une curiosité chimiquement pure, je suis intrigué par l'idée qu'il ait accueilli ses découvertes sur le sexisme et l'homophobie dans le foot depuis la fin des années 60 avec l'intérêt le plus neutre). En dehors de l'argument difficile à prendre au sérieux que le militantisme féministe, qu'il soit de fait par le sujet de recherche choisi ou actif et revendiqué, efface par magie la rigueur scientifique alors que l'androcentrisme par défaut (dans un milieu, à l'instar de beaucoup d'autres, où le pouvoir est majoritairement masculin) se trouve tout aussi magiquement dénué d'idéologie, le changement de point de vue a parfois en soi enrichi la recherche. Joëlle Wiels, sur le sujet (pour le moins technique!) de la biologie du développement de l'appareil génital, affirme sans problème avoir progressé grâce à des associations militant pour les droits des personnes transgenres et intersexes ("les rencontres auxquelles j'ai participé et les contacts que j'y ai établis ont été une grande source d'enrichissement intellectuel"). L'existence de biais n'est toutefois pas niée par les auteur.ice.s, comme par exemple la tentation éventuelle de genrer plus que de raison les travaux féminins (Florence Launay, musicologue, marque une perplexité certaine devant les recherches de Susan McClary qui associent la montée paroxystique à une écriture masculine parce qu'elle évoque l'orgasme masculin, vision pour le moins essentialiste de la composition musicale comme de la sexualité, Nathalie Grande met en garde contre la tentation de chercher du féminisme dans les textes des autrices du XVIIème siècle là où il n'y en a pas forcément) ou encore, derrière un bel habillage théorique, de finalement peu remettre en question le poids systémique des stéréotypes et discriminations de genre ("la prolifération des discours sur le genre, la sexualité, les identités... produit comme une illusion rhétorique, qui n'implique aucune remise en question des rapports sociaux de sexe, des rôles, du genre en tant que système, et surtout laisse non résolue, parce que non posée, la question des corps, de la façon dont ils intègrent le genre et sont susceptibles de s'en défaire", pour le domaine de la danse).

 Dans ce livre qui explore la thématique à la fois des discriminations de genre et des biais pesant sur la recherche donc la production de savoir, la structure à plusieurs voix est particulièrement enrichissante : d'une part le luxe offert aux lecteur.ice.s de bénéficier du regard de spécialistes d'autant de domaines différents dans un même espace est pour le moins appréciable, et d'autre part il permet de constater à la fois l'universalité du problème et, indirectement, d'observer la diversité des rapports au militantisme, sujet malheureusement incontournable quand le simple choix d'un sujet de recherche, le simple questionnement d'un modèle théorique, est en soi une résistance, quelles que soient les motivations préalables.

samedi 14 novembre 2020

A la rencontre de son bébé intérieur, de Joanna Smith


 Formatrice et superviseure en ICV (Intégration au Cycle de la Vie), l'autrice propose dans ce livre à destination du grand public de remonter encore plus loin dans le temps, dans son passé de bébé, voire dans la vie intra-utérine. En effet, si les souvenirs autobiographiques de cette période ne sont pas tout à fait légion, énormément d'étapes cruciales du développement s'y jouent (développement des cinq sens, de la parole, de l'attachement, comportements d'exploration, intégration des interdits, ...), et il serait saugrenu d'estimer que les étapes en question n'ont aucun impact sur la vie d'adulte. Joanna Smith parle de mémoire implicite : certes, on est pas en mesure de raconter les événements, mais ils sont bel et bien stockés, et peuvent se manifester encore et encore dans l'attitude et le ressenti face à la difficulté ("Tout comme une assiette fissurée peut être employée durant des années sans se briser, le moindre choc va l'amener à se briser le long de la fissure").

 Précisés de façon théorique mais aussi à travers de nombreuses vignettes cliniques où des améliorations spectaculaires ont eu lieu, après des années d'avancées bien plus timides, suite à une séance de contact du moi présent avec le bébé du passé, les enjeux sont particulièrement saillants au niveau de l'estime de soi (oser se mettre en avant, accepter ou non certains comportements des supérieur.e.s hiérarchiques au travail ou demander une augmentation), de la relation à l'autre, mais surtout au niveau de la parentalité : la confrontation à son propre bébé (pas intérieur, celui-là) peut réveiller des affects douloureux, éventuellement des sentiments d'hostilité, qui constituent potentiellement des blessures non cicatrisées du passé. Pour éclairer plus précisément ce qui se joue, l'autrice détaille le développement moteur et cognitif du bébé, de la grossesse à l'âge de trois ans, en le mettant en parallèle avec les enjeux affectifs. En plus de donner des pistes sur les origines de certains conflits intérieurs (est-ce que ma difficulté est comparable au vécu d'un bébé qu'on laisse pleurer ou qu'on réduit au silence? à un comportement d'exploration découragé voire sanctionné?), ça permet de mieux préparer, en séance, un éventuel travail d'exploration des ressentis du passé, à une plus grande empathie avec cette partie de soi dans le cas où on voudrait la rencontrer. 

 L'ICV est la principale influence de ce livre, et bien que souvent évoquée, elle est malheureusement présentée assez succinctement. Il est pourtant bien question d'intégration : la rencontre du bébé intérieur est une mise en relation entre le bébé du passé et l'adulte d'aujourd'hui, qui peut par exemple lui dire ce qu'il aurait aimé entendre dans le passé, ou lui dire ce qui a eu lieu après. En séance, la rencontre est rendue visuelle lorsque l'autrice tient dans ses bras un poupon réaliste. Elle invite alors le.la patient.e à explorer ses ressentis, comme elle invite les lecteur.ice.s à le faire lors de la lecture. Des exercices concrets sont aussi proposés, comme l'évaluation de son état actuel (des conseils pratiques sont donnés pour éventuellement décider de consulter) ou encore la constitution d'une autobiographie émotionnelle, pour trouver plus directement ce qui est à réparer (mais aussi trouver et célébrer les ressources qui ont aidé à tenir, à avancer).

 Quelques inégalités sont malheureusement à déplorer dans l'écriture : certes le propos est novateur et ambitieux et l'ensemble est convaincant, mais les recherches scientifiques évoquées sont rarement sourcées, le niveau de consensus est très rarement indiqué même quand il est question de découvertes récentes, et certaines affirmations sont assez péremptoires (la maltraitance parentale est "toujours" la conséquence d'un trop grand stress... ah bon?). Un sommet est atteint lorsque l'idée pseudoscientifique de l'hémisphère droit créatif et de l'hémisphère gauche rationnel est présentée sans aucune réserve (certes cette idée reçue est plutôt inoffensive tant que son chemin ne croise pas malencontreusement celui d'une copie de partiel, mais si l'autrice écrit ça, que penser de tout ce qu'elle a écrit d'autre, dans le même livre, sur le développement cérébral?) ou encore quand il est question d' "Hitler qui a reproduit sur le peuple juif, comme un papier calque, les violences, la persécution et la discrimination qu'il avait lui-même subies, enfant, de la part de son père", phrase qui commet l'exploit, en une trentaine de mots, de faire des avions en papier à la fois avec la psychologie, l'histoire et la sociologie, le tout sur les sujets graves que constituent le génocide juif et la violence parentale. C'est pourtant le même livre qui vulgarise brillamment par exemple les enjeux de l'attachement ou encore, en quelques pages, les impacts pourtant complexes du traumatisme sur le psychisme. Ces drôles de passages donnent l'impression d'une tâche de Nutella faite délibérément sur une belle peinture, et hélas ne mettent pas en confiance pour les moments plus litigieux (est-ce que les connaissances actuelles sur les neurones miroirs permettent vraiment de tirer ces conclusions là? est-ce que telle ou telle réflexion sur l'éducation repose sur un consensus scientifique ou sur les valeurs et opinions de l'autrice?). 

En dehors de ces limites qui font d'autant plus grincer des dents qu'elles semblent évitables (90% du livre semble solidement documenté, pourquoi sacrifier les 10% restants?), le livre, qui se lit assez rapidement, vulgarise des aspects de la psychologie clinique importants et pourtant pas nécessairement évidents (traumatisme, attachement, développement cognitif de l'enfant, ..) tout en proposant aux lecteur.ice.s une application clinique à la fois ambitieuse et novatrice.

dimanche 8 novembre 2020

Psychologie du bien et du mal, de Laurent Bègue



 Les publications de Laurent Bègue sur sa page Facebook ne font généralement pas beaucoup réagir (c'est lui qui le dit, je ne me le permettrais pas!). Pourtant, quand il a relayé la question de sa fille "quelles sont les preuves que la nature humaine est fondamentalement bonne?", les réponses (humoristiques pour certaines, mais pas seulement), les questionnements sur la question, ont fusé, de personnes venant de milieux académiques très divers. L'auteur, chercheur en psychologie sociale (et même détenteur d'un prix IgNobel), va détailler, dans un texte peut-être un peu trop long pour être diffusé en réponse à un post sur Facebook, les réponses que sa propre discipline peut apporter à la question. 

 Sociale, la question l'est en effet énormément ("notre moi moral n'existe que parce qu'il est un moi social", "être sportif, intelligent ou bricoleur est une indiscutable source de bénéfices sociaux, mais les aspects de la personnalité que les autres valorisent le plus concernent la sphère morale"). Même lorsqu'on est seul.e, on l'apprend dès le premier chapitre, un simple dessin d'yeux peut influencer le comportement. Et, si l'on est souvent le premier public de ce qu'on se raconte pour justifier nos actes répréhensibles ("l'auteur, quand à lui, n'est le plus souvent pas tourmenté par le mal qu'il commet : minimisation, autojustification et rationalisation l'en préservent"), la préoccupation de notre image... et de celle des autres occupe une part conséquente de notre espace psychique. La notion de bien et de mal dépassent toutefois le cadre des recommandations et interdits, fussent-ils implicites : une recherche auprès d'amish a permis de constater que même dans une société resserrée et isolée, aux règles de vie particulièrement strictes, une distinction était faite entre ce qui est effectivement néfaste, fait du mal à l'autre, et les interdits spécifiquement communautaires (en demandant, par exemple, si telle action serait immorale de la part d'une personne ne partageant pas les mêmes croyances).

 Le groupe pousse donc a priori à bien se conduire, mais peut aussi avoir l'effet inverse, en diminuant par exemple le sens des responsabilités ("l'alcool est utile au brouillage de soi, mais si vous n'avez pas de bouteilles à proximité, vous pouvez toujours trouver un groupe de congénères pour y parvenir, car la participation collective peut produire des effets analogues")... et ce n'est pas le seul facteur qui peut avoir des effets contradictoires : l'Enfer est pavé de faux amis. Estimer qu'on est quelqu'un de très moral (représentation activée, par exemple, par un questionnaire) peut diminuer notre générosité. L'empathie, même, peut se retourner contre nous, ou plutôt, pour le coup, contre notre prochain : l'empathie envers une personne qui souffre, passé un certain seuil, peut augmenter l'hostilité ressentie envers la personne souffrante ("ce sont les personnes les plus enclines à l'empathie qui dans le milieu médical deviennent le plus fréquemment épuisées et en viennent à éviter les patients en phase terminale"). La même chose se produit avec le sentiment d'impuissance, voire avec l'intensité de la souffrance ("un conducteur accidenté sera jugé d'autant plus responsable par des observateurs que les conséquences de l'accident sont sévères"). "Les grandes douleurs sont muettes", est-ce que ce ne serait pas plus une injonction qu'une réalité? Moins surprenant, les comportements moraux demandent aussi des ressources : le fait d'avoir réfléchi à l'instant à un problème compliqué, de s'être efforcé d'inhiber une pensée ou l'envie d'avaler un beignet plein de promesses, ou bien sûr l'alcoolisation (avec un effet placebo bien costaud pour ce dernier exemple), augmente l'agressivité, l'attraction pour la triche. Un manque de ressources peut toutefois aussi avoir un effet vertueux : selon des recherches faites auprès de militaires, certains soldats, sur le champ de bataille, n'ont pas tué... parce qu'ils ne s'en sentaient pas capables!

 Le livre s'appelle toutefois bien Psychologie du bien et du mal, ce qui implique de se préoccuper du bien. Si les commentaires attendus de l'expérience de Zimbardo à Stanford, de celle de Milgram, de la personnalité autoritaire et de la théorie du monde juste sont bien au rendez-vous, et en abondance, des éléments seront aussi donnés sur ce qui pousse à des comportements vertueux. Le mimétisme est un élément important : grandir dans un milieu bienveillant ("des enfants dont les parents consacrent du temps ou de l'argent à une cause ou pratiquent le don du sang sont plus enclins à s'en inspirer et à faire de même"), tendre à ressentir de la culpabilité (qui pousse à avoir envie de réparer les conséquences de ses actes) plutôt que de la honte (qui provoque des sentiments centrés sur soi, de l'hostilité) donc prêter à l'autre une certaine perception de nous-mêmes... supposer la bonté chez les autres est même un indice de notre propre prédisposition ("si vous souhaitez augmenter vos chances de savoir si votre voisin manipule les autres, trompe sa femme ou les services fiscaux, interrogez-le sur le pourcentage de gens qui s'y adonnent!").

 Les exemples donnés, les thèmes évoqués dans ce résumé ne recouvrent qu'une infime partie du livre, qui contient énormément, énormément d'exemples sourcés. Si la lecture est facile et agréable, ça ne dessert en rien la complexité des sujets traités : la plupart des affirmations sont nuancées par des éléments contradictoires qui contraignent à affiner la réflexion (c'est peut-être le seul défaut du livre : on apprend un peu trop vite pour digérer tout ce qui devrait l'être), et même un.e spécialiste apprendra probablement quelque chose, serait-ce un détail mais qui peut avoir son importance, sur les sujets concernés. 

jeudi 5 novembre 2020

Integrative Behavioral Couple Therapy, de Andrew Christensen, Brian D. Doss, et Neil S. Jacobson


 Dans une seconde édition flambant neuve... 25 ans après la première, les auteurs nous disent tout sur l'Integrative Behavioral Couple Therapy (thérapie de couple comportementale intégrative), IBCT pour les plus romantiques. Ce recul d'un quart de siècle a permis d'accumuler une quantité considérable d'expérience clinique et empirique, et ainsi de mieux trier ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, pour élaborer un modèle thérapeutique optimal. Des comparaisons détaillées seront d'ailleurs faites avec les modèles précédents (qui ont des noms poétiques tels que TBCT, CBCT ou encore EFCT), qui seront infiniment plus claires pour les lecteur.ice.s qui auront déjà entendu parler desdits modèles précédents, mais, bien que l'IBCT soit par plusieurs aspects assez technique, les propositions thérapeutiques seront claires et concrètes, et on suivra bien plus l'évolution de vies de couple (en particulier celle d'Hank et Maria, dont le mariage va très mal depuis la naissance de leur enfant James) que celle de considérations techniques.

 Les auteurs précisent à la fin que tout ce qui est proposé n'a pas vocation à être une méthode clefs en main, que le.la thérapeute devra prendre ses propres décisions et qu'ils estiment d'ailleurs qu'il.elle est là pour ça, la flexibilité, l'adaptation étant garantes d'une bonne thérapie... mais heureusement qu'ils le disent! Un des éléments qui rend le contenu particulièrement dense est que les étapes thérapeutiques sont extrêmement structurées, avec un nombre optimal de séances (huit) qui inclut, dans un ordre donné, des séances avec le couple ensemble et séparément avec chaque membre, des instructions précises sur ce qui est à évaluer et comment l'évaluer, les propositions successives pour aboutir d'une part à une meilleure écoute et d'autre part à des actions concrètes, avec même des indications pour les cas spécifiques (situation d'adultère, violences dans le couple, éviter les discriminations involontaires, ...) ... Certes, rien ne permet de douter de la vitalité du processus thérapeutique (des exemples sont régulièrement donnés, dont des retranscriptions d'extraits de séances, et même des vidéos que je n'ai pas encore pris le temps de regarder), mais le protocole de départ est plutôt strict. 

 L'évaluation initiale des difficultés du couple se fait selon le modèle DEEP. Le D de départ correspond aux Différences entre partenaires : non, l'âme sœur absolue n'existe pas, et des différences de tempérament, de désirs sexuels, de valeurs (dans l'éducation des enfants, par exemple, ou même le désir d'enfants), ... pourront être source de conflits, potentiellement récurrents. Le premier E désigne la vulnérabilité émotionnelle ("Emotional Sensitivities") : ce qui est blessant pour l'un.e peut être anodin pour l'autre, avec le risque d'un manque d'attention d'un côté, et d'une réaction perçue comme exagérée de l'autre. Avec le second E, on passe de l'interne à... l'Externe, avec les circonstances extérieures qui parfois pèsent lourd sur la relation : maladie (dans le cas d'Hank et Maria, un soupçon de retard de développement pour James), précarité, relations compliquées avec les parents de l'un ou de l'autre, ... Enfin, le P de DEEP est l'identification des modèles ("Patterns") de communication et d'interaction, la façon qu'a chacun de tenter de résoudre les difficultés. Oui, en français ça fait DVEM et ça ne veut absolument rien dire. Ce modèle permet d'aller plus loin ("deeper") dans l'analyse des difficultés, tout en restant conforme au principe de départ selon lequel la relation se détériore avec l'augmentation des moments désagréables et la diminution des moments agréables. Pour mieux comprendre ce qui se passe, pour chacun.e, derrière chaque élément, il est indispensable de prendre le temps de faire des entretiens individuels avec chaque membre du couple, ce qui est proposé par les auteurs après une première séance commune. Ces entretiens permettront aussi de savoir dans quel mesure chaque personne a l'intention de s'investir dans la thérapie et croit que le couple peut effectivement aller mieux, et de présenter un questionnaire hebdomadaire (degré de satisfaction dans le couple, interactions positives et déplaisantes de la semaine, ...) qui servira d'appui aux séances suivantes.

 En plus de l'élaboration de changement concrets et précis qui conviendront à chaque membre du couple (tout en gardant des attentes réalistes : par exemple, quelqu'un qui rentre souvent tard peut s'engager à rentrer moins tard en général, à l'heure prévue une ou deux fois par semaine, et prévenir quand il est en retard, plutôt que d'annoncer que du jour au lendemain il va soudain être à l'heure tous les jours) avec, j'en ai parlé plus haut, une méthodologie détaillée, un fort accent sera mis sur la communication et, TCC 3ème vague obligent, en particulier sur l'aspect émotionnel de la communication. Les axes principaux seront l'acceptation des sentiments de l'autre (accepter ne signifiant pas nécessairement être d'accord), donc de prendre le temps de les écouter dans un premier temps sans jugement, avant de répondre en explicitant ses propres sentiments. La diminution de l'intensité des émotions négatives sera aussi un élément important ("Dans presque tous les conflits conjugaux quelle qu'en soit la durée, il y a à la fois un problème bien réel et une certaine tendance a surréagir, ou une sensibilité acquise, suite aux nombreux échecs à régler ce problème")  : c'est plus facile d'écouter l'autre, de prendre soin de l'émotion derrière la demande, quand on est pas soi-même dans un état de détresse (colère, découragement, ...) envahissant. Un exercice particulièrement contre-intuitif sera par exemple proposé : déclencher le conflit avant d'être vraiment en colère, et observer ce que ça change dans les échanges qui vont suivre. 

 Le livre se marque vraiment par son aspect détaillé, inutile de préciser que je n'ai fait qu'en évoquer rapidement les grandes lignes. Il n'est malheureusement pas disponible (pour l'instant?) en français... mais un site propose documents et formations , ce qui m'a permis de voir que le livre des mêmes auteurs destinés aux couples (Reconciliable Differences, résumé a venir sur ce blog mais pas tout de suite du tout) a, lui, été traduit, si lesdites grandes lignes vous ont donné envie d'en savoir plus.