vendredi 15 septembre 2023

Et c'est parti! Pour de bon!

 

 Longtemps imaginé (licence en 6 ans, 5 ans de formation ACP, années de battement pour retenter l'inscription en Master pour la fac puis pour rendre et soutenir le mémoire en formation, donc oui, looooongtemps), résultat d'étapes laborieuses (dont vous avez eu l'essentiel sur ce blog), le moment tant souhaité est arrivé, je tiens le Graal entre mes mains et évidemment c'est dur à réaliser.

 J'ai dépointé à 7h, puis solennellement rendu mon badge et mon casque (en vrai je les ai balancés à l'arrache dans mon casier parce que j'avais un métro à prendre et en plus c'était la fin de 4 nuits de travail donc j'avais franchement la tête dans le c... mais laissez moi créer ma mythologie!), la vie de salarié est terminée, et avec elle les horaires (très!) décalés. Je rentre donc concrètement dans cet univers que j'ai passé tellement de temps à imaginer. Bon, comme le monde est mal fait, ça va commencer par un plongeon dans les aspects administratifs (c'est moins sexy que l'écoute empathique! enfin disons que ce n'est pas ça qui m'a motivé à m'inscrire en fac de psycho), moi qui suis capable de trouver insurmontable de me réabonner à un magazine, et l'aspect marketing qui n'est pas tout à fait ma fibre (je pense aussi que la création du site internet va impliquer pas mal de gros mots), mais le plus importants c'est que je vais enfin exercer, recevoir des client·e·s, faire ce pour quoi j'ai traversé tout ça et je vais traverser le reste, avoir la sensation d'être à ma place.

 Et en plus, comme j'écris ce post dans un état de fatigue très avancé, je ne flippe presque pas (ce n'est absolument pas du déni) (heeeeeeelp c'est tout nouveau et si ça se passe mal?)

 Du coup, au moment du prochain post de blog (en plus ce sera sur un livre de Yalom <3 ), j'aurais déjà créé mon entreprise, peut-être même reçu des client·e·s!

mercredi 13 septembre 2023

La pratique de la thérapie et de la relation d'aide, de Dave Mearns et Brian Thorne

 


 Il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie, disait Kurt Lewin cité par Anne Ancelin Schützenberger. Les réflexions riches, exigeantes et novatrices de Carl Rogers, appuyées sur des vérifications empiriques, constituent (en toute objectivité!) une excellente théorie. Et en plus, elle est, sur le papier, particulièrement facile à mettre en pratique, au point qu'elle est parfois caricaturée en disant qu'elle consiste à répéter les trois derniers mots prononcés par le ou la client·e. Et pourtant...

 Rogers est le premier à le dire, une approche dont les fondamentaux sont la rencontre et l'horizontalité ne peut s'enfermer dans des pages imprimées. Les surprises (bonnes ou mauvaises), la remise en question, font partie intégrante du parcours du ou de la thérapeute ACP. Mearns et Thorne (et John McLeod pour le dernier chapitre, sur la recherche), dans ce livre qui en est à sa quatrième édition (la dernière pour Dave Mearns qui va maintenant écrire des romans), se consacre aux questionnements que le·a thérapeute a l'opportunité de découvrir en passant, comme le titre original l'indique, à l'action. L'empathie, la congruence, l'approche positive inconditionnelle, sont des concepts relativement simples à saisir de loin, mais dont la richesse se révèle parfois un peu brusquement quand il faut se positionner en direct face à un·e client·e.

  Certains développements seront pratico-pratiques, comme comment démarrer une thérapie, quelle attitude tenir quand ça tourne en rond (ce qui fait partie intégrante du processus -"ce qui est  probablement le plus difficile à prédire dans le processus thérapeutique est sa rapidité. Parfois le client démarre lentement et va ensuite très vite, alors que d'autres fois le début est rapide, pour s'enchaîner sur une accalmie"-), quand le·a client·e cherche le conflit ou comment finir la thérapie, ou encore sur les différents niveaux de profondeur avec lesquels le·a thérapeute peut répéter les trois derniers mots restituer le propos du ou de la client·e (du niveau 0, qui ne donne pas d'indication que le propos a été compris -conseil, jugement, ...- au niveau 3, qui révèle un niveau de compréhension qui va au-delà de ce que le·a client·e a exprimé), sachant que même une réaction de niveau 1 (compréhension partielle) a une valeur thérapeutique (parce que c'est faire preuve d'une volonté de comprendre qui n'est pas si répandue qu'on ne pourrait le penser au quotidien, parce que se tromper c'est aussi donner à l'autre la possibilité de rectifier donc d'aller, pour chacun·e, vers une compréhension plus précise, ...). D'autres iront explorer des interstices plus complexes, comme les injonctions sociales pas forcément visibles qui rendent difficile de saisir en quoi l'approche positive inconditionnelle consiste vraiment (distinction entre aimer une personne et lui accorder de la valeur, risque de vouloir "être sympa" parce que c'est ce qui est généralement associé à une attitude positive par défaut -" "être sympa" est un masque porté en société - c'est un visage à projeter au monde pour recouvrir ce qu'on ressent vraiment pour se prémunir de tout jugement négatif. Être sympa n'aide pas le client à voir et faire confiance à l'aspect inconditionnel de la relation thérapeutique"-), ce qui est l'occasion de donner une magnifique définition de ladite approche positive inconditionnelle ("l'approche positive inconditionnelle implique de ne pas être illusionné par les diversions de tels boucliers d'autoprotection mais d'attendre, de continuer d'accorder de l'importance à la valeur de la personne et ainsi gagner le droit d'être autorisé à aller au delà du bouclier"), ou encore la difficulté d'offrir une écoute sans préconceptions et sans attentes alors que, qu'on le veuille ou non, des préconceptions et des attentes, on en a forcément.

 Le livre est riche, les difficultés évoquées sont parlantes (on sent bien qu'elles sont nourries de nombreuses années de pratique et de supervision), et la promesse d'un ouvrage axé sur la pratique est vraiment tenu, au point qu'à mon avis c'est préférable de le lire quand on a commencé à pratiquer et qu'on s'est déjà heurté·e à quelques unes des difficultés évoquées (et j'ai peu de doutes sur le fait que le·a thérapeute expérimenté·e trouvera aussi de quoi affiner sa pratique, peut-être avec des passages différents de ceux qui lui auraient parlé quelques années avant ou qui lui parleront quelques années après). Comme les auteurs ont l'air de trouver que le sommeil c'est pour les faibles, ils ont écrit d'autres livres qu'ils présentent comme complémentaires à celui-ci, comme ce livre là par exemple.

lundi 4 septembre 2023

Brise le silence. Histoire de vie régénérante, de Melkior Capitolin

 

 Dans ce récit autobiographique fort, l'auteur, que j'ai connu comme formateur ACP sur le thème de l'addiction, recoud son identité en assemblant les pièces de puzzle de son histoire, qu'il n'a eues que très progressivement, et qu'il fait remonter à Zizi Capitolin, esclave affranchi ("l'officier civil du registre des nouveaux libres m'a affublé d'un prénom dégradant qui se réfère à une partie de mon anatomie, qui n'est pas exposée normalement") dont le mariage en 1851 est le "premier acte libre", et à Petry dit de Grangia Contat, paysan savoyard ("le soin que j'apporte à cette terre conforte le sentiment collectif d'être savoyard et aussi je me relie à cette communauté  à laquelle je suis uni") né en 1413. Comme le rappelle avec éloquence la postface de Martine Lani-Bayle, l'histoire familiale est nécessairement complexe : "sur 10 générations avec une amplitude temporelle d'environ 2 siècles 1/2 à peine, voilà un total de 1022 personnes : que d'évènements se cachent derrière tout ce monde, qu'est-il possible d'en savoir et selon quels critères de choix". Pour l'auteur, cette complexité est démultipliée par un secret pesant dont il n'obtiendra les éléments que par bribes, souvent dévoilées involontairement.

Il subit, enfant, "un cauchemar, toujours le même : tu tombes, tu te vois tomber du ciel, tu as peur, tu es terrifié, tu te réveilles avant de toucher le sol". L'atterrissage, violent ("tu touches le sol, tu t'écrases brutalement"), aura lieu à l'adolescence, quand la famille, sans bienveillance, confirme ce qu'une voisine a révélé par mégarde : celle qu'il appelait "maman" est sa grand-mère, et sa mère est celle qu'il pensait être une de ses sœurs. Une place particulièrement dure à trouver, à comprendre, sur fond de transferts d'un internat à l'autre, et de la conscience de son métissage ("j'ai entendu : -Café au lait, -Noir -Black -Métis -Negro (une fois)"). D'autres secrets continueront d'être révélés, encore à l'âge adulte : son père, dont l'identité lui aura longtemps été cachée malgré ses demandes répétées, est l'oncle de sa mère, et reste connu pour avoir tué son psychiatre. Il a été arraché, à l'âge de 8 mois, à la marraine à qui il avait été confié, qui voulait le garder ("il y a en moi un malaise qui s'installe quand je suis dans une relation amoureuse autour des huit mois"). Il a une sœur, qu'il rencontrera très tard, avec la sensation apaisante de trouver une nouvelle famille ("Quelqu'un a vécu la même folie et traversé les mêmes manques. Vous parlez du passé et construisez le présent. Tu te retrouves "oncle" et tu as un beau-frère.").

Une écriture puissante est au service de ce récit marquant, et ce qui est annoncé dans le poème qui ouvre le livre ("je me décris vulnérable et fort") et gagne à être relu à la fin décrit bien l'ensemble.

dimanche 3 septembre 2023

The Unseen Dance : Subtle interactions and their implications for the therapeutic relationship, de Rose Cameron (thèse de doctorat)

 L'autrice, thérapeute en Approche Centrée sur la Personne, a eu l'idée de ce sujet de recherche suite à un constat déstabilisant. Elle a observé que les sans-abris avaient tendance à lui adresser spontanément la parole dans la rue, sans qu'elle ne réussisse à expliquer pourquoi. Certes, elle était bénévole auprès de ce public, mais ce n'était pas écrit sur son front en dehors de son temps de bénévolat. Son apparence (la tenue vestimentaire, divers éléments non-verbaux, peuvent être autant de micro-indices -fiables ou non- sur la classe sociale, les opinions politiques, ...) ne constituait pas non plus une explication suffisante : alors qu'elle discutait avec une amie avec laquelle on la confondait souvent, une personne s'est adressée à elle, et non à son amie, alors même qu'elle lui tournait le dos et que son amie était de face. Une attitude corporelle qui suggère la bienveillance? Pour faire l'expérience, elle s'est forcée à continuer de regarder devant elle avec un regard froid en marchant dans la rue, et elle a tout de même été abordée pour une demande d'aide par une personne qui est revenue à la charge plusieurs fois (envers elle, et pas envers quelqu'un d'autre). Identifier les personnes disposées à aider est pour les sans-abris une question de survie : une erreur est au mieux une coûteuse perte d'opportunité, au pire un risque d'agression verbale ou physique. Sur quels indices, qui échappaient à l'autrice même malgré ses efforts actifs pour les identifier, reposaient cette confiance. A l'inverse, son compagnon s'est fait agonir d'injures en tentant d'adresser la parole à quelqu'un à un arrêt de bus. Quand il en a parlé avec elle, elle a répondu qu'elle savait qu'il ne fallait pas parler à cette personne (et qu'intervenir pendant qu'elle était déjà en colère allait aggraver les choses), mais même après réflexion demeure incapable d'expliquer pourquoi.

 En Approche Centrée sur la Personne, le lien à l'autre est particulièrement important. On peut même argumenter que la connexion entre thérapeute et client·e constitue le cœur de la thérapie. L'autrice a donc voulu étudier cette danse invisible/implicite mais nécessairement présente. Elle a donc demandé à des étudiant·e·s, dans des expérimentations en binôme, de se mettre, intérieurement, en disposition d'aller vers l'autre puis en position de retrait vers soi, puis a recueilli leurs réactions. Je ne vais bien entendu pas rentrer dans le détail parce que c'est une thèse, mais le dispositif a permis d'observer que cette attitude intérieure générait bien un ressenti, potentiellement fort, chez l'autre. Plus surprenant (et intéressant à interroger dans le cadre d'une réflexion sur la thérapie!), aller vers peut être menaçant, et le retrait apaisant. Une personne participant à l'étude a par exemple pu bien mieux comprendre son besoin, mystérieux jusqu'ici, d'interrompre la thérapie en présentiel pour passer à une thérapie par e-mails.

 Je suis frustré de ne pas développer pour la même raison que je ne développe pas : Rose Cameron explore un domaine à la fois incontournable et nouveau, extrêmement difficile à délimiter (elle a par exemple le souvenir d'une discussion avec une personne maîtrisant bien le concept de chi qui a surtout abouti à ce que les questionnements de départs soient encore plus obscurs à la fin de la conversation), et complexe malgré son enjeu important. Je ne peux qu'encourager les thérapeutes à lire la thèse en ayant une meilleure compréhension et une meilleure mémoire que moi à prendre conscience de l'existence de cette danse invisible/implicite, au delà du non-verbal et de l'attitude empathique bien plus familiers, et à l'inviter dans leur observation de leur propre pratique (ou, encore mieux, poursuivre les recherches initiées par Rose Cameron!).

samedi 2 septembre 2023

Le club des anxieux qui se soignent, de Frédéric Fanget, Catherine Meyer et Pauline Aubry

 

 


 Ce volume de la série BD Psy, qui me donne plutôt confiance envers les autres, traite des nombreuses réalités que peuvent recouvrir l'anxiété, en donnant des pistes à la fois pour mieux les comprendre et pour s'en sortir.

 Parfois particulièrement paralysante (phobie sociale intense, agoraphobie, crises d'angoisse fréquentes, ...), parfois généralisatrice d'angoisses qui rendent le quotidien extrêmement pénible (hypocondrie, trouble anxieux généralisé, ...), d'autres fois encore extrêmement spécifique (phobies, ...), l'anxiété est présentée comme un signal d'alarme qui serait déréglé ("exactement comme si l'alarme d'une maison se mettait en marche dès qu'une mouche vole. Alors qu'elle doit se mobiliser seulement en cas d'effraction d'un cambrioleur. Une mouche, ce n'est pas un danger. Sans compter qu'elle risque de déclencher l'alarme toutes les deux secondes.") : anticiper les dangers au quotidien, c'est nécessaire dans l'absolu, mais quand ça prend certaines proportions, ça ne sert plus à rien voire l'anxiété devient un danger à anticiper en soi, générant un cercle vicieux.

 Selon l'état de la science d'aujourd'hui, les causes sont à rechercher du côté de prédispositions génétiques, de l'éducation (pression subie au quotidien, monde extérieur présenté comme hostile et dangereux, ...) et de l'histoire personnelle (moments de vie particulièrement douloureux, ...). La thérapie présentée, d'orientation TCC (selon les auteur·ice·s la seule qui a des preuves d'efficacité scientifique contre l'anxiété), repose sur trois axes : la partie cognitive (identifier les idées angoissantes et les comparer avec des idées alternatives, par exemple ce qui s'est passé les fois précédentes dans des situations semblables ou, à travers un dialogue imaginaire ou réel avec un·e ami·e, se demander comment quelqu'un de plus apaisé percevrait la situation), la partie comportementale (exercices de relaxation à pratiquer régulièrement -la vraie efficacité sera sur le long terme- en mesurant les résultats, exposition très progressive aux situations les plus difficiles, ...) et la partie émotionnelle (issue des TCC 3ème vague comme la thérapie d'acceptation et d'engagement, qui consistera par exemple à identifier son état et différencier pensée, ressenti et réalité objective).

 Le livre fournit clefs en main des outils très clairs pour comprendre les mécanismes et aller mieux, et le cas échéant chercher un·e thérapeute ou gérer des questions délicates et complexes comme l'impact des traitements médicamenteux (qui peuvent être pris pour traiter directement l'anxiété, ou répondre à d'autres besoins mais avoir un impact sur l'anxiété qui est à surveiller). En revanche, si la lecture est très rapide, les auteur·ice·s sont clairs sur le fait que des résultats solides (qui consisteront généralement à atténuer l'anxiété et la rendre vivable, la faire disparaître ne sera pas nécessairement possible) demanderont un travail assidu et plutôt de long terme (au moins plusieurs mois).