lundi 24 septembre 2018

Être humain : la nature humaine et sa plénitude, d'Abraham Maslow




 Maslow prolonge dans ce dernier livre les pistes de ses précédents ouvrages pour optimiser le développement humain. L'enjeu est selon lui urgent : à l'heure où la civilisation humaine dispose de la bombe atomique, le pouvoir de nuisance d'une éventuelle génération de personnes mal intentionnées n'est que trop démesuré, et l'une des solutions est d'identifier, pour le développer dans la mesure du possible à grande échelle, ce qui oriente l'humain vers le meilleur de lui-même, plutôt que vers le pire.

 Aux concepts déjà existants (comme la distinction entre B-cognition et D-cognition) ou aux thèmes déjà longuement développés dans les ouvrages précédents (Maslow continue par exemple de réfléchir sur la créativité) s'ajoutent des thèmes plus immédiatement sociaux comme l'éducation ou ce que les psychologues pourraient apporter à la création d'une utopie (en particulier avec un chapitre sous forme de questions), ou encore de nouvelles notions comme la méta-motivation ou la transcendance (qu'il distingue de la réalisation de soi). L'objectif de perception d'un tout plutôt que de parties, déjà présent tôt dans son œuvre, sera particulièrement central dans la dimension sociale de son humain·e idéal·e : la méta-motivation consiste entre autres, en plus de suffisamment s'épanouir professionnellement pour ne pas distinguer travail et loisir, à ne pas hiérarchiser ses besoins et ceux de la collectivité, de pouvoir ressentir du bonheur en rendant quelqu'un d'autre heureux... Maslow présente avec enthousiasme le concept de synergie, de l'anthropologue Ruth Benedict, qui désigne l'importance de l'entraide dans une culture donnée. Il donne l'exemple d'une communauté qui désignait comme riche un individu qui en fait ne possédait pas grand chose car il partageait tout ce qu'il avait, alors qu'il n'était pas venu à l'esprit des personnes interrogées de désigner une autre personne qui était effectivement riche, mais gardait tout pour lui. Par son statut social, la personne qui partageait ses possessions retirait tout de même un intérêt bien concret de sa richesse, le fait de  la désigner comme riche n'était donc pas nécessairement si incongru.

 Ni les thématiques, ni le style d'écriture (exemples insolites inclus, comme le fait de désigner l'initiative d'une étudiante d'effacer les résultats d'une recherche en cours car elle estimait avoir eu une meilleure idée comme un inconvénient de la créativité -j'ai peut-être mal compris, mais là l'inconvénient semble vaguement plus venir de ce que l'étudiante a fait de son idée originale plutôt que le fait qu'elle l'ait eue- ou quand Maslow perçoit le fait que les gens ne veulent pas systématiquement être les meilleurs dans leur domaine comme un manque de confiance en soi -parce qu'avoir une vie en plus de son activité principale c'est surcôté, et puis une compétition où seule la première place est acceptable, comment ça pourrait bien ne pas être sain?-) ne dénotent des ouvrages précédents, donc si ils vous ont plu, foncez, et si ils ne vous ont pas passionné, vous ne raterez a priori pas grand chose si vous passez votre tour sur cette lecture.

jeudi 6 septembre 2018

Vivre le deuil au jour le jour, de Christophe Fauré




 Bien que ressemblant à une formulation générique pour indiquer que le livre va parler de deuil, le titre annonce en fait assez bien la spécificité du propos qui va être développé : le deuil est un processus auquel il faut faire face, qu'il faut vivre pour pouvoir finalement intégrer l'insupportable, et c'est un travail qui suit son propre rythme, qu'on ne peut pas brusquer ni accélérer. 

 Je suis bien contraint d'admettre que mes propres références sur le deuil, sans contester leur immense valeur (Kübler-Ross et Bowlby quand même!), sont un peu poussiéreuses pionnières, et beaucoup de chemin a été fait depuis dans ce livre qui date seulement d'il y a quelques années (2012). La difficulté pour l'entourage de comprendre et d'agir de façon adaptée, de distinguer processus normal et pathologique, reste un problème central. Le processus de deuil (comparé à une cicatrisation : un processus indispensable, qui permettra d'aller mieux mais laissera une trace) est en effet plus long qu'on ne pourrait le penser (il n'est pas particulièrement inquiétant que, même quelques mois après, la personne en deuil passe beaucoup de temps à visiter la tombe de la personne décédée, ou encore dans son ancienne chambre ou à visionner des photos), ce qui est d'autant plus déstabilisant que la première étape est souvent une anesthésie émotionnelle, devant une nouvelle trop incroyable pour être intégrée immédiatement.

 Il est ainsi normal que la temporalité soit très longue et passe par des états dépressifs, ou encore de ressentir de la colère, d'avoir l'impression parfois d'entendre la personne décédée dans l'appartement, ou encore, peut-être plus inattendu et culpabilisant, de voir sa libido augmenter. En plus de la description détaillée des étapes successives, et des spécificités des différents deuils (perte du conjoint, d'un enfant, d'un adolescent, ...) l'auteur donne des conseils concrets, sur comment aider la personne en deuil, le fait de devoir ou non prendre des médicaments en cas d'état dépressif (qu'il distingue de la dépression) trop intense (il insiste sur le fait que les médicaments seuls ne constituent absolument pas un traitement adapté), ou encore comment choisir un·e psychothérapeute en cas de besoin (selon lui, plus qu'un·e spécialiste du deuil, il est important de choisir un·e thérapeute dont les qualités premières sont l’écoute et l’empathie... étant moi-même en formation à l'Approche Centrée sur la Personne, je ne vais, en toute objectivité, pas le contredire).

 Le livre est récent, extrêmement riche en informations. Toutefois, sauf peut-être lorsqu'il indique qu'il n'y a pas de consensus scientifique sur un point particulier, les informations ne sont ni justifiées ni sourcées : l'auteur affirme. Si le·a lecteur·ice est ainsi contraint·e de lui faire pleinement confiance, cette écriture est aussi au service d'une lecture particulièrement aisée. Les explications sont en effet toujours parfaitement claires, et la douceur de l'auteur transparaît à travers le texte, qui se lit extrêmement rapidement (pour vous donner une idée du plaisir qu'il y a à le lire, vous pouvez par exemple écouter l'auteur quelques minutes ou plus ici : https://www.youtube.com/watch?v=aIuL7GTSnXM ). Je le recommande en tout cas sans réserves bien sûr à un·e thérapeute qui voudrait solidifier ses connaissances, mais aussi à une personne qui fait face à un deuil difficile, ou à quelqu'un qui serait pris au dépourvu par l'intensité du deuil d'un·e proche.