jeudi 12 décembre 2013

Le jour où je me suis pris pour Stendhal, de Philippe Cado



 Ce livre n'a pas à voir directement avec le projet tutoré que j'aurai à rendre sur les stéréotypes (je l'ai lu en attendant de recevoir les derniers livres de psy sociale commandés), mais il a à voir directement avec la lutte contre les stéréotypes (il s'agit ici d'expliquer que l'écrasante majorité des schizophrènes ne sont pas, contrairement à l'extrême majorité des schizophrènes évoqués à l'occasion de faits-divers, des sortes de tueur·se·s fous·lles-furieux·ses). L'auteur, schizophrène ("schizophrénie dysthymique, tel est le nom de ma maladie. On peut aussi dire de moi que je suis schizo-affectif"), est aussi diplômé en lettres et en philosophie, a une formation en pédagogie (il fait partie de la génération qui a étrenné feu les IUFM), a participé à des ateliers d'écriture en tant qu'intervenant et en tant que... euh... qu'intervenu, et fait partie d'une association visant à mieux faire connaître cette pathologie ( www.schizo-oui.com ). On a donc le grand luxe d'être invité à l'intérieur de l'esprit d'un schizophrène par quelqu'un qui a des compétences sérieuses en écriture, en pédagogie, et qui a des contacts réguliers avec d'autres personnes souffrant de cette pathologie ("en partageant mon expérience avec d'autres personnes concernées par la maladie, j'apprends aussi beaucoup moi-même sur la schizophrénie"). Le livre est divisé assez nettement en deux parties : dans la première, l'auteur raconte de façon détaillée son basculement progressif (entre le 11 et le 20 mai 1992) vers la schizophrénie (il avait eu une bouffée délirante, avec hospitalisation, quelques années plus tôt) alors qu'il était professeur de français en formation, et dans la seconde partie des informations plus générales sont données sur l'évolution et le traitement de la maladie.

Vers la fin de l'année scolaire, avec un mémoire à présenter et devant faire ce qu'il peut entre les instructions de l'IUFM et l'attitude qu'on pourrait qualifier d'anti-pédagogiste de sa tutrice de stage (on a un bel exemple d'injonction contradictoire, même si rien n'indique si ça a joué ou non un rôle pour la suite), l'auteur est pris de délires de grandeur avec lesquels il prend de moins en moins de distance, avec des passages à l'acte de plus en plus spectaculaires, dont une part non négligeable dans la salle de classe de ses élèves de seconde (il se réjouit à  posteriori à ce sujet d'avoir "le délire ludique comme d'autres ont le vin gai"). Il se sent principalement investi de deux missions : révolutionner la pédagogie en exécutant le cours ultime, sous le regard admiratif non seulement de ses élèves mais aussi du monde entier ("je pensais qu'il me faudrait interdire la porte aux journalistes désireux d'assister à ce cours que je prévoyais exceptionnel") et guérir Angélique (une élève qui lui avait confié souffrir de dépression nerveuse au moment même où de son côté la phase maniaque -euphorie et sentiment de toute-puissance- qui précédait tout le reste démarrait, il en a donc conclu que leurs destins étaient liés et qu'il lui revenait de faire comme une moyenne entre leurs humeurs respectives pour rétablir l'ordre) et la conquérir (autant dire que ce dernier aspect l'a fait bien plus culpabiliser après coup que les ambitions qui se limitaient à la didactique du français). La rapidité du basculement a empêché toute intervention de ses proches ou de ses collègues avant son arrestation par les gendarmes après qu'il ait passé une nuit de passages à l'acte délirants dans la ville de Noyon où il résidait : ses délires de grandeur à son club de théâtre se sont surtout manifestés de façon interne, son état de fatigue avancé (après avoir passé une nuit blanche à élaborer les cours les plus révolutionnaires) inquiète plus ses collègues stagiaires que ses propos étranges, ses cours dérangent de plus en plus les collègues des salles voisines mais ni eux ni les élèves (l'un d'eux lui demandera timidement s'il est alcoolisé) ne convainquent la hiérarchie d'agir en urgence, et même son ami psychologue appelé dans un moment de délire, bien que pas rassuré ("Comment te sens-tu toi?","Mais qu'est-ce que tu me demandes?"), ne perçoit rien de suffisamment net pour s'en préoccuper formellement. L'auteur s'invente, en plus de ses missions générales, des rituels à accomplir de plus en plus contraignants, dans des conditions précises ("Il y avait des choses à faire et à ne pas faire, des circuits à emprunter où à ne pas emprunter", "une seule erreur et la Troisième Guerre Mondiale serait déclenchée"), imagine être observé constamment par des alliés ("dans toute la ville, derrière les volets de leur maison, les habitants de Noyon priaient pour que je réussisse") comme par des adversaires, adapte ses délires à la réalité (persuadé que ses amis l'attendent dans une cathédrale, il s'y rend, ne les voit pas donc en déduit qu'ils l'attendent dans un autre lieu sacré, ou encore il interprète le fait qu'Angélique débranche brusquement le magnétophone, pièce centrale d'un cours qui mêlait Stendhal, le surréalisme, Lacan et Bobby Lapointe, comme une victoire) tout en sachant éviter de trop s'y confronter (" J'ai agi comme si j'avais voulu préserver la fiction que je me créais de tout contact avec une réalité qui la détruirait"), et voit des signes d'une importance capitale dans tout ce qu'il perçoit (son, regard, …). Le texte qu'il a rédigé "sur un très vieux cahier de brouillon à peine entamé en établissant de très savants parallèles et analogies entre les situations de la classe et des instants de ma vie" ressemble probablement par certains aspects au livre autobiographique du Président Schreber (objet de l'une des Cinq psychanalyses de Freud), avec lequel il partage aussi, mais sur un mode moins érotique, des délires sur le thème de l'androgynie ("j'étais capable de me déplacer entre le monde des hommes et celui des femmes. J'en avais pour au moins vingt années de travail à explorer cette découverte"). Cette partie autobiographique du livre s'achève lorsque, à l'occasion de la troisième intervention des gendarmes de la soirée, il est cette fois-ci emmené au poste puis, après examen par un psychiatre, transféré à l'hôpital. Si le psychiatre vu à la gendarmerie a un geste peut-être pas éthique mais heureux ("il m'a dit qu'une ambulance allait venir me chercher dans une demi-heure et qu'il fallait que je signe un papier si je voulais éviter beaucoup d'ennuis"... faire signer un papier sous la menace à quelqu'un qui délire est discutable en théorie, mais ce papier faisait la différence, apparemment considérable, entre une hospitalisation d'office ou volontaire!), l'auteur reproche aux intervenants rencontrés ensuite leur attitude ("personne n'a songé à m'expliquer où je me trouvais ni ce qui allait se passer pour moi", "on n'expliquera jamais assez au personnel soignant qu'il ne faut pas considérer le malade, présentât-il tous les aspects du délire, comme un objet"). Non qu'ils lui aient fait subir des mauvais traitements (dont il a pu avoir l'expérience lors de sa première bouffée délirante! -emmené à l'hôpital endormi par les sédatifs, réveillé par un infirmier avec un plateau-repas qui lui ordonne d'avaler le médicament posé sur le plateau en question, retransféré du pavillon à l'encadrement plus léger où on avait fini par l'admettre au service initial pour une crise de larmes, infirmier qui le trouble en imitant le mouvement de ses pieds "de façon que je ne sache pas si c'était lui ou moi qui guidait le geste" pour s'amuser, douche froide, phlébite prise pour une douleur simulée, …-), mais le fait qu'on ne lui explique rien d'une part n'était pas rassurant et d'autre part laissait libre cours à de nouveaux délires interprétatifs, puisqu'il devait lui-même deviner ce qu'on ne lui expliquait pas (le passage d'une ambulance à un taxi-ambulance a par exemple été interprété comme une libération future : on le sortait selon lui de l'ambulance parce qu'une erreur le concernant avait été admise).

La seconde partie concerne sa première expérience de bouffée délirante, dont j'ai parlé plus haut ("Les médecins pariaient sur le fait que cette bouffée délirante serait la première et la dernière de ma vie. Je fis donc comme si rien ne s'était passé") mais surtout la suite, sa vie de malade : les hospitalisations, le traitement médicamenteux, les symptômes au quotidien, les rechutes, ses activités et projets... Une rechute après avoir obtenu le CAPES de documentaliste l'a dissuadé de reprendre une activité professionnelle (même s'il est maintenant bénévole dans une association, et qu'il n'a jamais pris de décision définitive à ce sujet). Bien qu'il ait à priori tous les éléments pour être un bon enseignant (compétences académiques considérables, nombreuses expériences de contact avec des adolescents - "j'avais été animateur auprès d'enfants, puis formateur auprès de futurs animateurs, j'exerçais le métier de surveillant depuis plusieurs années et avais connu différents types d'établissements"-), il a la particularité d'avoir d'énormes difficultés pour passer du projet (confortable) à son aboutissement, entre autres parce que l'aboutissement constitue la fin du projet, provoquant un vide. De cette angoisse constante du vide ("l'unique sentiment d'un grand vide intérieur sur lequel je ne peux avoir aucune prise"), malgré la pratique de la méditation de pleine conscience, découlent d'autres symptômes ("repli sur soi, retrait social, difficulté à agir, tels sont les trois grands maux contre lesquels j'ai à lutter"). Il a du mal à définir sa propre identité, tend à être d'accord par automatisme avec l'interlocuteur, ne parvient parfois à se concentrer que sur une chose à la fois ("lors d'un pot récent entre amis, je ne me suis aperçu que mon chocolat était délicieux qu'à partir du moment où l'une de mes camarades a fait remarquer à tous combien il était onctueux"). L'un des moyens de lutter contre cette angoisse du vide est de s'occuper constamment, et de s'investir et de s'enthousiasmer pour chacune de ses activités, dont une grande partir consiste à lire ("j'ai réussi l'exploit de m'empêcher de penser en lisant des livres de philosophie"), en particulier dans son lit qui fait office de bulle protectrice. Il souffre également de difficultés à mémoriser, si surprenant que ça puisse paraître au vu de son parcours universitaire.

Le traitement médicamenteux, vital, s'est amélioré au fur et à mesure de tâtonnements, avec des psychiatres plus ou moins disposé·e·s à écouter les demandes et ressentis de leur patient. Son traitement actuel, celui qui a le plus d'avantages ou plutôt le moins d'inconvénients, est le résultat d'environ 20 ans de différentes expériences ("c'est moi qui, grâce à la rencontre d'une amie ancienne interne en psychiatrie et schizophrène elle-même, ai proposé à ma nouvelle psychiatre d'essayer une nouvelle molécule : l'aripiprazole"). L'équilibre à trouver entre la limitation des délires, le contrôle des phases maniaques sans pour autant tomber dans la dépression, les effets secondaires à éviter, est délicat. Un·e psychologue n'est certes pas habilité·e à prescrire, mais ce n'est pas plus mal de préciser qu' "un médicament contre la schizophrénie", ou même "un médicament contre la schizophrénie dysthymique", ça n'existe pas.

Le livre, et je pense que c'est le but, est très accessible. Il est court, se lit aussi facilement qu'un roman (et encore, un roman qui se lit facilement), le propos est toujours clair même pendant la partie narrative, … Il est donc à recommander que l'on soit confronté·e professionnellement à des schizophrènes, que l'on fasse des études pour être amené·e à l'être, que l'on ait un·e proche qui souffre de schizophrénie ou, probablement, que l'on soit soi-même schizophrène. C'est un cliché de dire ça, mais ça permet vraiment de voir la maladie, et surtout ceux et celles qui en souffrent, autrement, ce qui n'est pas forcément évident, j'imagine, quand on les rencontre pendant qu'iels sont pris·es dans un délire intense. Quatre références sont proposées à la fin pour approfondir, trois livres (dont un Que sais-je?) et le site Internet de l'association Schizo? Oui!

dimanche 8 décembre 2013

Les nouveaux visages de la discrimination, d'André Ndobo





 Si la xénophobie, le sexisme, l'homophobie sont à l'évidence présents dans la société contemporaine, ses manifestations, comme le film Case Départ, par exemple, le souligne, ont radicalement changé. L'un des changements les plus évidents est législatif : alors que les discriminations étaient dans un passé pas aussi lointain qu'on pourrait le souhaiter inscrites dans la loi (interdiction du droit de vote aux femmes, séparation des Noirs et des Blancs dans l'espace public -transports en commun, restaurants... et même toilettes- aux Etats-Unis, …), la législation d'aujourd'hui sanctionne au contraire les différences de traitement avérées dans l'accès, entre autres, au travail et au logement. L'auteur, chercheur en psychologie sociale, se demande de quelle manière les préjugés persistent dans la société contemporaine (très contemporaine, le livre a été publié en 2010), comment ils sont exprimés et comment lutter contre leurs nouvelles manifestations.

Le livre commence sur des rappels généraux (spécificités des relations intergroupes -instinct de protection de l'endogroupe contre l'exogroupe, par l'agression ou la fuite selon le rapport de force ressenti, apport et limites de la notion de personnalité autoritaire, conditions du sentiment d'endogroupe et d'exogroupe, ...-, concepts de préjugé, de stéréotype et de discrimination) qui seront poussés assez loin, et qui apprendront donc quelque chose même aux lecteur·ice·s qui connaissent déjà ces bases. Il rentrera ensuite dans le vif du sujet, à savoir les différences entre le "racisme classique" (explicite, assumé, qui n'est pas précédé par "je ne suis pas raciste"), qui existe toujours ("malgré les apparences, ce racisme est tenace dans nos sociétés et il semble survivre aux différentes politiques et législations progressistes visant à combattre les préjugés et les discriminations") et ses formes contemporaines, telles qu'elles peuvent couramment s'exprimer.

Pour donner une idée de la différence avant/après, le terme de "racisme" lui-même n'existe que depuis 1932 (ce qui ne veut pas dire que des tensions sur le sujet n'aient pas existé avant, Clémenceau s'était par exemple opposé en 1885 à Jules Ferry qui évoquait, à propos de la colonisation, les droits et les devoirs des races supérieures envers les races inférieures). Les scientifiques reconnus ne cherchent plus dans leurs travaux à justifier une hiérarchie entre les races (André Ndobo balance à ce sujet quelques noms, comme Galton, Spearman ou Le Bon, que tout·e étudiant·e en psycho aura croisé dans ses manuels, probablement en 1ère année, sans que cet aspect douteux de leur œuvre ne soit nécessairement mentionné). Les outils de mesures des stéréotypes utilisés par les chercheur·se·s en psychologie sociale ont eux-mêmes dû évoluer tout au long du XXème siècle : collecter les préjugés ou stéréotypes déclarés n'a plus beaucoup de sens (sauf si on veut démontrer artificiellement la fin du racisme!), il convient de trouver des moyens de pousser le sujet à les exprimer à son insu (comparer une condition A avec un personnage endogroupe à une condition B avec un personnage exogroupe, relever la proportion de vocabulaire mélioratif et péjoratif dans le discours, mesurer des temps de réaction pour voir si le sujet associe telle caractéristique, ou son absence, à telle minorité, proposer des items dont la réponse pourra être interprétée comme motivée par autre chose que du racisme, …). Les chercheur·se·s, surtout des chercheur·se·s américain·e·s donc les recherches concerneront principalement les relations entre Blancs et Noirs, ont identifié plusieurs formes de racisme (ambivalent, symbolique, moderne, subtil, néoracisme, …) qui s'avèrent finalement plutôt voisines (certain·e·s chercheur·se·s ont aussi constaté une corrélation entre le racisme classique et ses autres formes). Le constat général est que la plupart des gens se déclarent prêts à réduire les inégalités, mais s'avèrent soudain réticents quand des mesures concrètes les concernent directement (discrimination positive à l'emploi ou pour l'établissement scolaire, présence des individus des minorités dans le voisinage, …). Les justifications données, toutefois, seront expurgées de l'argument raciste (la corrélation avec les préjugés n'est donc qu'une terrible coïncidence) : tel·le candidat·e n'est pas idéal·e pour le poste, la discrimination positive est incompatible avec la méritocratie, cet exogroupe ne partage pas les valeurs de l'endogroupe donc ça ne va pas le faire, … La clef est que les discours soient compatibles, non pas avec la responsabilité citoyenne, mais avec la désirabilité sociale (la crainte de se ressentir comme raciste est telle que, dans une expérience où le sujet devait insulter quelqu'un pour les besoins de l'expérience -la personne insultée, complice de l'expérimentateur·ice, s'en allait avant qu'on lui explique le vrai motif des insultes-, il en faisait plus, en ayant l'occasion de se rattraper -en recopiant de nombreuses fois une phrase pour les besoins d'une recherche de la personne insultée- si sa "victime" était noire que si elle était blanche). Les responsables politiques, qui ont moins à se soucier de la désirabilité sociale puisqu'ils en sont, dans une certaine mesure, les arbitres (hauts placés, personnages publics, porteurs de responsabilité, leur comportement contribue directement à influer sur ce qui se fait et ce qui ne se fait pas), ont eux-mêmes des reproches à se faire dans le maintien de l'idéologie raciste : Pierre Tevanian et Sylvie Tissot ont par exemple recensé en 2002 (dans Le dictionnaire de la lepénisation des esprits) des citations qui "attestent de la réappropriation du discours de l'extrême-droite par la classe politique française dans son expression publique"... depuis 1982. Dans la mesure où le FN était très loin, en 1982, de faire 20% au premier tour, c'est l'occasion de constater que cette attitude responsable a une grande rentabilité électorale. Une autre façon de tenir un discours raciste sans le dire est d'évoquer la culture plutôt que l'origine, ou de prêter implicitement des comportements incivils au groupe ciblé en laissant à l'interlocuteur·ice le soin de faire le lien ("après le discours sur l'immigration clandestine (lorsqu'elle est invisible), succède celui sur les jeunes de banlieue (ennemis intérieurs), violents et incivils et, plus tard, le discours sur la menace islamiste, qui jette le soupçon sur tout ce qui est islamique").

Une fois les mécanismes insidieux identifiés, l'auteur évoque les moyens connus de lutter contre les discriminations, sans trop croire à leur efficacité définitive ("l'unité de contenu entre les formes classiques et modernes des préjugés incline au pessimisme sur la fin des préjugés") bien qu'il considère ce combat indispensable ("le projet de création et de pérennisation des conditions d'un mieux vivre ensemble est un défi majeur"). Les solutions proposées sont entre autres intégrer la diversité culturelle dans l'éducation (préférer la connaissance au mythe, limiter l'ethnocentrisme, …), communiquer à grande échelle selon certains conditions ("certaines campagnes de masse produisent souvent des effets contraires aux attentes"), par exemple produire un message positif et explicite et insister sur les points communs entre endogroupe et exogroupe (de préférence exogroupeS), créer une situation de coopération (un exemple concret de coopération pour un travail scolaire est proposé), reproduire dans un jeu de rôles la situation Blue eyes/Brown eyes où les sujets se retrouvent tour à tour en situation d'oppresseur et d'opprimé, proposer des façons diverses d'appréhender sa propre identité (si on estime avoir plusieurs identités, plus d'individus vont partager au moins une identité avec nous), … Le livre s'achève sur trois expériences de l'auteur (il nous fournit même les résultats chiffrés), deux où l'on constate peu de différence sur un refus d'embauche mais une différence sur le discours justifiant le refus si le candidat est noir (VS un candidat blanc) ou une femme (VS un candidat homme) et une troisième où le fait d'inviter à la bienveillance pour une candidature au nom de la discrimination positive nuit en fait à la candidature (l'auteur pense que l'effet nuisible de l'injonction est probablement vrai aussi pour les lois mémorielles : le sujet préfère être exemplaire de lui-même, c'est juste dommage qu'il le soit rarement si l'on en croit l'état actuel des choses).

Le livre est très dense et parfois technique et complexe : malgré ses ambitions citoyennes, il s'adresse clairement aux étudiant·e·s (de la 2ème année de licence au Master 1, selon la maison d'édition). Les chapitres sont suivis d'un rappel des mots-clef (sans leur définition, si on oublie on a gagné un tour gratuit dans le chapitre qu'on avait fini à l'instant) et de redoutables "Questions pour mieux retenir" et "Questions pour mieux réfléchir", histoire de constater qu'on a zappé une ou des parties qu'on vient pourtant de lire.

On peut regretter aussi que le chapitre sur le sexisme soit extrêmement court, principalement parce qu'il traite presque uniquement du sexisme dans le travail (le thème est en revanche très bien traité, l'auteur explique par exemple que non seulement les stéréotypes homme/femme tendent -mais c'est probablement une coïncidence- à maintenir les femmes dans les postes moins qualifiés -"les profils professionnels, notamment ceux des dirigeants, tendent plutôt à recouper les stéréotypes masculins (puissance, initiative, ambition, …) que les stéréotypes féminins (sensibilité, chaleur, empathie, ...)"-, mais que le fait même de ne pas coller aux stéréotypes est mal vu -"les profils des candidats qui transgressent les prescriptions stéréotypiques (une femme agentique ou un homme communial, par exemple) seront pénalisés"-, ce qui constitue une inégalité des chances doublement difficile à surmonter et, de plus, insidieuse), alors qu'il se manifeste aussi dans les loisirs (la gameuse Mar_Lard explique, dans ce texte emblématique mais pas que, que le·a consommateur·ice de jeu vidéo, contre toute logique factuelle, est considéré comme presque forcément un homme -par ailleurs obsédé sexuel et pas très malin-, ou que certains voient comme une offense insoutenable à leur virilité qu'une fille ait des connaissances en informatique, mais on pourrait aussi parler des pages bleues et roses des catalogues de jouets) ou des violences trop tolérées que peuvent subir les femmes (manque de liberté dans l'espace public à cause du risque de drague lourde, sifflements etc... -un parallélisme peut être fait avec le contrôle au faciès, sortir en paix est un privilège-, violence conjugale -la violence conjugale c'est un crime mais là c'était une crise de jalousie c'est pas pareil/une gifle de temps en temps ça compte pas/c'est elle qui invente pour lui soutirer plus de sous avec le divorce/si elle reste avec lui et qu'elle laisse faire en même temps elle est un peu responsable-, minimisation ou présomption de consentement en cas de viol -surtout si par malheur elle avait une jupe ou un décolleté quand c'est arrivé, ou qu'elle sortait seule et tard, ou que le coupable est son conjoint ou un ex-, …). Le sexisme est aussi particulièrement cohérent avec le thème des nouveaux visages de la discrimination : les stratégies pour ne pas s'admettre sexiste ou pour ne pas admettre que l'inégalité est un fait sont nombreuses et les arguments sont en général maintenus avec virulence, un contournement sémantique peut être opéré ("complémentarité" homme/femme) ou la violence changée de côté ("théorie du genre", volontairement vague, agitée comme un épouvantail par les plus extrémistes, terme de féminisme considéré comme péjoratif au point que la formulation "je ne suis pas féministe, mais..." est fréquente, …). La question de la désirabilité sociale et les préjugés exprimés de façon indirecte, caractéristiques des nouvelles manifestations des préjugés, s'appliquent donc tout particulièrement au sexisme, ce qui apparaît très peu dans le livre. J'imagine (mais je n'en sais rien, sinon j'aurais écrit le livre au lieu de le résumer!) qu'il aurait pu être pertinent de consacrer une partie spécifique au lien entre humour et préjugés. L'humour est évoqué, le thème de la désirabilité sociale largement traité, mais le thème paraît suffisamment riche pour être plus développé (d'ailleurs, il y a un exemple de développement ici même si c'est un sociologue qui écrit et pas un chercheur en psy sociale). Dernière critique : le livre parle énormément de la discrimination positive, de ses avantages et de ses inconvénients, mais un avantage n'est pas mentionné. Si "les stéréotypes ont deux propriétés : ils sont collectifs et résultent d'un accord interpersonnel", l'aboutissement de la discrimination positive est, on peut rêver, une représentation, et donc une visibilité importante des minorités dans des contextes où elles n'avaient, selon les stéréotypes, rien à faire. Par exemple, dans une société où une femme ou un maghrébin ministre ou PDG est l'exception, les stéréotypes sont renforcés : le fait de ne pas avoir d'exemple visible de ces minorités à ce niveau de responsabilité peut donner l'impression qu'iels n'y seraient pas adaptés, voire que les rares contre-exemples sont des usurpations. Si de tels exemples sont fréquents, les individus concernés auront plus de chances d'être perçus par leur fonction avant de l'être par leur appartenance à une minorité, et ces contre-exemples plus normalisés auront toutes les chances de diminuer la puissance des stéréotypes. Cela reste toutefois une conséquence à long terme de la discrimination positive, donc quelque chose de difficilement mesurable.

Bon, c'est tout pour les critiques, et puis elles sont un peu plus la faute du thème que la faute de l'auteur. Le livre est à recommander, mais surtout si on maîtrise les bases de la psychologie sociale, comme l'indique la couverture.

jeudi 5 décembre 2013

Tous racistes? de Pascal Morchain



  Tiré d'une conférence de l'auteur, dont le contenu a été développé en fonction des interventions du public, le livre a, même s'il est admis que c'est impossible, l'ambition d'être exhaustif et concis. D'un côté, personne ne niera qu'il est concis : ses 55 pages se lisent très vite.

L'ambition d'exhaustivité sera surtout servie par la précision du message : le titre n'est pas uniquement une accroche provocatrice ou un truc facile à retenir pour inciter à l'achat, mais le thème du livre. Si les bases de la psychologie sociales sont rappelées, l'objet est d'expliquer que nous sommes tou·te·s concerné·e·s par les stéréotypes, et que ça peut parfaitement être involontaire et inconscient ("que je le veuille ou non, je possède une série de stéréotypes concernant les femmes, les maghrébins, les juifs, les travailleurs sociaux, les artistes, etc."), même quand ça aboutit à des discriminations.

Le livre commence par un rappel du vocabulaire de base, ce qui est plutôt une bonne idée, ça permet par exemple de comprendre la phrase "les stéréotypes sont moins prédicteurs de la discrimination que ne le sont les préjugés". En fait, les préjugés désignent l'aspect affectif de l'attitude (bien/mal, j'aime/j'aime pas). Par exemple, j'adore les personnes qui sont nées un mardi. Les stéréotypes concernent la partie cognitive de l'attitude, je prête telle ou telle caractéristique au sujet (les gens qui sont nés un mardi sont doués en informatique et fans de Maria Carey). Enfin, la discrimination désigne ce qu'on fait, les actions qui sont la conséquence de l'attitude. Pour reprendre l'exemple précédent, quand je rencontre quelqu'un qui est né un mardi, je lui propose une partie d'échecs en parlant en javanais (sauf, bien sûr, s'il mesure 1m74). Bon, c'est génial, maintenant vous pouvez comprendre la phrase au début du paragraphe! On peut regretter, quand l'auteur précise que les stéréotypes peuvent être positifs, qu'il ne rappelle pas qu'en général quand les stéréotypes sont positifs il y a quand même anguille sous roche. Dire que les Noirs sont naturellement sportifs ou bons danseurs est une manière bien commode de sous-entendre qu'ils ne sont pas très malins (on ne peut pas tout avoir), de la même façon que dire que les femmes ont des compétences relationnelles fantastiques peut les dissuader implicitement par exemple de faire des études scientifiques (les chiffres ce n'est pas très relationnel, on ne va tout de même pas leur faire ça), ce qui, mais c'est forcément une coïncidence, éloigne de débouchés plus lucratifs.

C'est bien de savoir qu'on a tous des stéréotypes, mais on peut se demander d'où ils viennent (et en plus c'est utile, "l'application automatique des stéréotypes, qui peut entraîner la discrimination, est proche de la conduite automobile ou de nombre de nos routines quotidiennes : elle résulte d'un apprentissage"). Seront listés, en précisant qu'ils n'expliquent pas tout, le contexte socio-économique (quand c'est la crise, on est prompt à désigner un coupable), le conflit entre groupes (sans blague!), le milieu social (telle la télégénique candidate FN aux municipales qui, habituée qu'elle est à être entourée de militants FN, enchaîne une série des clichés les moins subtils sur les Noirs tout en répétant le plus sincèrement du monde qu'elle n'est pas raciste), la répétitions des stéréotypes des parents ou de ceux induits par la société discriminante dans laquelle on vit, que ce soit en observant ce qui se passe réellement ou ce que les médias nous expliquent, … En ce qui concerne les cause individuelles, la personnalité autoritaire est évoquée et un peu trop vite éjectée. D'une part on peut regretter que, dans un livre ultra récent (2012!), la personnalité autoritaire soit présentée telle qu'Adorno la définissait comme si rien n'avait été fait depuis ([mode branleur on] Pascal Morchain devrait lire mon blog [mode branleur off]), et d'autre part, si on peut effectivement dire des stéréotypes qu' "au sein d'une société particulière, ils sont partagés par tout un chacun" et que, si on a un livre de psychologie sociale entre les mains, c'est qu'on ne niera pas que les contextes situationnels "apparaissent pourtant déterminants dans la compréhension du phénomène", il y a quand même des gens qui prennent beaucoup moins de distance que d'autres avec les stéréotypes. Ce n'est certes pas le sujet du livre, pour l'excellente raison que y a pas la place et donc il y a des choix frustrants à faire, mais si au sens strict les stéréotypes ne sont pas générés spontanément par le tempérament des gens, rejeter du revers de la main cet aspect peut induire en erreur. Dernier aspect, les stéréotypes existent aussi pour la simple raison qu'ils sont bien pratiques : le classement en catégories permet d'avoir plus de données (ou d'avoir l'impression d'en avoir plus) avec moins d'infos au départ, et on aime bien avoir plus de données. Et la catégorisation reine, c'est la différence qu'on fait entre Eux et Nous ("le simple fait d'être catégorisé dans un groupe ou une catégorie entraîne la perception que NOUS valons (un peu) mieux qu'EUX, et entraîne facilement la discrimination"). J'ai dit plus tôt que l'auteur ne précisait pas, quand il disait qu'un stéréotype pouvait être positif, qu'en général les stéréotypes positifs ne l'étaient pas tant que ça : en fait là il le fait un peu quand il explique que les stéréotypes qui concernent les autres sont spontanément négatifs. Il va sans dire que les stéréotypes positifs qu'on s'applique à soi sont, eux, sincèrement positifs. Cette explication sur la catégorisation s'achève sur un tableau bien pratique qui rappelle en un coup d'œil comment cette tendance évolue selon le contexte : en situation standard, les autres sont bien, on est juste meilleurs, en situation de compétition, on est bien meilleurs, et en cas de conflit on passe à gentils VS méchants. Un élément particulièrement insidieux, et qui peut paraître contradictoire avec la fonction d'économie cognitive du stéréotype, est qu'on aura moins de scrupules à céder au dit stéréotype si on a plus d'infos sur la situation ("des experts peuvent être amenés à produire des jugements plus stéréotypés que les non-experts"). L'auteur relate ainsi une expérience où il était demandé aux sujets de se prononcer sur une petite fille (des informations, différentes selon les sujets, étaient fournies sur son niveau socio-économique et sur la profession des parents). Les sujets se prononçaient alors plutôt mollement. Dans une autre situation, il était suggéré que la petite fille avait passé un test d'intelligence : dans cette deuxième condition, les sujets se sont prononcés sur son intelligence de façon parfaitement conforme aux stéréotypes induits.

 Les stéréotypes n'ont pas seulement des causes, ils ont aussi des conséquences, au delà de l'éventuelle discrimination. Ils peuvent par exemple, et c'est là qu'ils sont très dangereux, s'autojustifier. La prophétie autoréalisatrice peut être autoréalisée par le stéréotypeur (qui adapte son comportement aux attentes qu'il a envers la personne concernée, une attitude méprisante aura par exemple un impact sur l'estime de soi de l'interlocuteur) et même par le stéréotypé (ça s'appelle alors la menace du stéréotype) : dans une expérience particulièrement éloquente, où on faisait passer un test de mathématique à des femmes asiatiques, le groupe auquel on disait tester les compétences en maths des femmes avait de mauvais résultats, et le groupe auquel on disait tester les compétences en maths des asiatiques avait de bons résultats. Certaines recherches ont aussi montré que, si le sujet sait à l'avance que l'expérimentateur veut vérifier un stéréotype, l'effet de la menace du stéréotype est atténué.

  Le livre se termine sur des propositions pour lutter, en cohérence avec le titre du livre, non pas contre l'ardente propagande anti-roms ou anti-musulmans qui nous entoure ou contre l'homophobie dans sa forme la plus décomplexée, mais contre nos propres stéréotypes (et en fait, c'est déjà pas mal). Prendre conscience de nos propres croyances (et éventuellement les noter sur papier) est une première étape (plus le droit de dire "je suis pas raciste"... et encore moins "je suis pas raciste, mais"). Le contact entre groupes discriminants et groupes discriminés est une autre solution, mais seulement sous certaines conditions (pas de hiérarchie préalable, contexte de coopération si possible, …). Une autre solution est d'utiliser le moins possible les termes qui suggèrent des endogroupes et exogroupes (les anglophones ont par exemple la bonne idée de parler de Human Rights -droits de l'être humain- au lieu de Droits de l'Homme, qui mettent 50% de l'humanité de côté à chaque fois qu'on a la flemme de faire une périphrase pour dire que l'Homme en fait c'est tout le monde) ou encore la catégorisation croisée, mais ça pour vous en parler il faudrait que je comprenne ce que l'auteur a bien pu vouloir dire par "on parle de catégorisation "croisée" quand il y a pour chaque sujet une dichotomie entre sa catégorie d'appartenance et l'autre catégorie selon une première catégorisation qui ne se recouvre pas mais qui se croise avec sa catégorie d'appartenance et l'autre catégorie selon une seconde catégorisation". Et aussi, bonne nouvelle, légiférer, ça marche ("le contexte sociétal est important dans la génération ou le contrôle de ces phénomènes"... ce qui veut dire à l'inverse que des responsables politiques qui font la course aux propos xénophobes ont un effet néfaste sur les comportements individuels). L'auteur fait une autre proposition intéressante et non consensuelle : "dans le domaine éducatif, nier les différences ethniques n'apparaît pas comme une bonne stratégie d'intégration", "affirmer et exploiter les différences apparaît plus intéressant. Et si l'on en croit Saint-Exupéry, combien plus enrichissant?". Sur un sujet si complexe et explosif, c'est regrettable que le propos ne soit pas plus développé, avec des propositions plus concrètes. Si les hurlements de rage ou de panique des éditorialistes qui s'alarment de la fin approchante de la culture française me font surtout, selon leur niveau d'influence, rire ou pleurer, la lutte contre la xénophobie m'apparaît plus compliquée que se prendre tous par la main et faire une ronde dans les champs en chantant "all you need is love" sous le soleil couchant, même si le Petit Prince intègre la ronde (et même si l'image d'Eric Zemmour et Dieudonné dansant avec le Petit Prince sous le soleil couchant n'a pas de prix). "Affirmer et exploiter les différences", est-ce que ce n'est pas justement faire un mode d'emploi des stéréotypes? Pascal Morchain connaît son sujet et sa proposition est probablement censée, mais elle reste trop vague (on peut lui faire dire tout et n'importe quoi, d'ailleurs je viens de le faire) et il faudrait à mon humble avis plus de 55 pages pour la développer.

 En plus de cette proposition, ce livre qui consiste principalement à reprendre les bases de la psy sociale, serait-ce pour faire prendre conscience d'une vérité peu agréable à entendre, contient quelques éléments qui sont eux aussi non consensuels, qui font du livre quelque chose de plus personnel. Je pense par exemple à une critique de l'hétérosexualité comme norme (dire  que l'hétérosexualité n'est pas plus normale que l'homosexualité, c'est aller beaucoup plus loin que de seulement dire que l'homophobie c'est mal) qui apparaît discrètement au détour d'une critique de publicité ("l'image et le texte activent non seulement un stéréotype féminin, mais aussi une représentation des relations de couple, dans lequel l'un des membres est obligatoirement une femme"), ou encore une comparaison, où il cite un livre publié en 2009 qu'il a lui-même écrit (Psychologie sociale des valeurs), entre la notion de race créée de toutes pièces sur des critères absurdes pour justifier une oppression institutionnelle et le sexisme (une critique aussi virulente et directe du sexisme est loin d'être admise comme une évidence... y compris en psychologie sociale, j'ai le mauvais souvenir d'avoir lu des choses douteuses écrites par Joule et Beauvois).

  Le livre est court (il se lit à peu près aussi vite qu'un manga), et traite un sujet qui concerne tout le monde, il peut donc être judicieux de le faire tourner à un éventuel entourage un peu coopératif. Si on veut chipoter on peut éventuellement reprocher à l'auteur d'utiliser du vocabulaire technique certaines fois où ce n'est pas nécessaire (il arrive quand même à caser "résultante évaluative" dès le 3ème paragraphe!), ce qui demandera un peu d'efforts aux lecteur·ice·s profanes sans pour autant rendre le texte inaccessible. Et s'il vient à l'auteur l'idée de publier quelque chose de plus long, je pense qu'on peut y aller en toute confiance.

mardi 3 décembre 2013

Les meilleurs trilogies sont en trois épisodes: projet tutoré de psychologie sociale



 Après celui de psychologie clinique il y a 2 ans et celui de psychologie du développement l'année dernière, c'est en psychologie sociale que je vais devoir faire un projet tutoré cette année. Grand luxe pour mes camarades étudiant·e·s et moi, nous avons le choix entre deux formats, soit un projet tutoré classique (donc comme les deux précédents, on explique que telle recherche révolutionnerait son champ d'étude et on explique comment il faudrait la faire, puis on ne la fait pas, on garde ce plaisir pour le Master), soit un projet tutoré allégé (c'était le terme l'année dernière, il a peut-être changé cette année) qui consiste au contraire a faire passer un questionnaire élaboré par les enseignant·e·s, et à traiter les données recueillies (calculs, conclusion, …). Vu que le projet tutoré nouvelle formule a été agité l'année dernières par de nombreuses péripéties qui feraient passer Indiana Jones pour une partie de Uno dans une maison de retraite, le choix a été vite fait en ce qui me concerne. Restait à choisir le thème, stéréotypes ou attribution (je choisis le premier mais cool, la vague idée de sujet que j'ai concerne les deux!).

Vu que je suis encore en train de mendier rechercher un stage, et que l'urgence avant de me mettre sérieusement aux cours c'est le projet tutoré et le stage, les prochains posts du blog vont concerner les stéréotypes. Comme la bibliographie proposée consiste en des fichiers pdf, en anglais pour une bonne partie d'entre eux, je ne savais pas trop quoi prendre comme livres pour compléter, donc ma rigoureuse sélection a consisté en des livres au hasard écrits par des profs de psy sociale sur les stéréotypes. J'imagine que la lecture des livres au hasard en question me donnera des idées de références plus précises pour approfondir, si j'ai le temps (sont longs les pdf déjà fournis!).

dimanche 1 décembre 2013

Introduction aux théories des tests en psychologie et sciences de l'éducation, de Dany Laveault et Jacques Grégoire



 Ce n'est ni ce qui vient à l'esprit en premier quand on pense au métier de psy ("tu vas m'analyser!"), ni le plus sexy, mais une part non négligeable de la valeur ajoutée d'un diplôme de psychologue est la compétence à faire passer des tests. Ça sert en psychologie clinique (le fameux Rorschach par exemple), en neurologie bien sûr, pour faire de la recherche quel que soit le domaine, en psychologie du travail (une sélection à l'embauche, c'est un test : on vérifie par les moyens les plus fiables possibles -ou qui vont le plus faire bonne impression à l'employeur·se, comme la couleur de la peau du·de la candidat·e ou l'analyse graphologique- si un·e candidat·e va être un·e bon·ne employé·e), en psychologie de l'enfant (pour dépister un trouble du développement, ou faire passer un test de QI à la demande de parents qui estiment urgent de raconter savoir si leur enfant de 4 ans sera plus tard chirurgien·ne ou juste ingénieur·e), dans le cadre d'une expertise judiciaire (ce qui consiste, si on en croit la commission qui a suivi l'affaire d'Outreau -il est question des expertises psychologiques et psychiatriques le 23 février et le 7 mars-, à donner à des questions non pertinentes du·de la juge d'instruction des réponses qu'iel comprendra de travers), … En attendant d'être effectivement psychologue, ça permet de critiquer d'un air supérieur les tests dans les magazines, soit en se contentant de la crédibilité fournie par le statut d'étudiant·e en psycho, soit en utilisant plein de mots compliqués si on maîtrise effectivement le sujet. Bref, pour comprendre correctement l'ensemble des cours, il importe de comprendre comment on fait passer un test, comment on peut l'évaluer, comment il est construit, … Et, vu la bûche que j'ai ramassé au partiel dans cette matière (en 2ème année), il m'a paru judicieux, pour affiner ma maîtrise du sujet (qui, semble-t-il, était quelque peu incomplète), de profiter d'au moins une des références bibliographiques proposées dans le livre de cours.

Dans un développement écrit, il paraît qu'on est censé aller du plus évident au plus important, mais là ma critique concerne les deux : le terme d' "introduction" dans le titre est plutôt injustifié. C'est bien parce que certains points sont très approfondis, mais c'est aussi pas très bien parce que, pour en profiter pleinement, il faut déjà avoir un certain niveau de compétences sur le sujet. Il est d'ailleurs précisé sur le 4ème de couverture que l'ouvrage "intéressera tout particulièrement" les élèves des 1er et 2ème cycles... et leurs enseignant·e·s! L'étudiant·e en première année qui veut prendre de l'avance risque d'être vite perdu·e, et même pour les autres, à moins d'une maîtrise très avancée des stats, certains passages sont pour le moins acrobatiques à comprendre. Le premier chapitre (construction d'un test), toutefois, est à la fois simple, clair et intéressant et est à mon avis à conseiller à tou·te·s les enseignant·e·s, en tout cas celles et ceux qui seront amené·e·s à infliger des contrôles de connaissances à leurs élèves, c'est à dire leur écrasante majorité. Les différences de fonction des QCM, questions fermées et questions ouvertes sont détaillées, les dangers de fausser l'évaluation (réponse qu'on peut déduire de la question -ou des autres réponses proposées dans un QCM-, manque de clarté de la consigne, niveau d'exigence de la réponse non explicite, question qui facilite ou complique la tâche pour des raisons collatérales, …), qui rappelleront probablement des souvenirs d'élève aux lecteur·ice·s, sont listés, ... L'enseignant·e d'histoire-géo qui a l'habitude de rédiger ses contrôles de connaissance en mandarin apprendra par exemple avec émotion que, si ses élèves ne parlent pas le mandarin, leurs mauvais résultats ne s'expliquent pas nécessairement par un niveau insuffisant en histoire-géo. Si cet enseignant·e a lui·elle-même un niveau de mandarin catastrophique, ce sera l'occasion de réaliser que la compétence qu'iel évalue chez ses élèves n'est ni le mandarin, ni l'histoire-géo, mais la divination. Il est intéressant aussi de lire qu'un contrôle de connaissances (l'élève a-t-il appris ce que l'enseignant était là pour lui apprendre?) ne doit pas être élaboré de la même façon qu'un test qui doit aboutir à une sélection (par exemple pour accorder ou non un souhait d'orientation, comme dans Battle Royale mais en moins drôle), tant le système scolaire (en tout cas français) est une sorte de compromis entre les deux.

 Même s'il y a des passages très complexes et envahis d'équations au sens mystérieux, ça vaut le coup de s'accrocher et, parfois (souvent), d'accepter de ne rien comprendre du tout pas saisir toutes les nuances de ce qui est expliqué, parce que si le livre n'est certes pas organisé par niveau de difficulté, certaines notions sont importantes et claires. Des problématiques sur la validité des tests (est-ce que le test mesure ce qu'il est supposé mesurer?), sur leur fidélité (quel est le poids des circonstances -juge, contexte de passation, …-?) ou autres notions essentielles sont parfaitement accessibles, il faut juste les chercher patiemment au milieu des équations, des tableaux et des graphiques. On pourra par exemple avoir le plaisir d'apprendre qu'une distribution de scores peut être platykurtique ou leptokurtique (en fait ça veut juste dire soit qu'à peu près tous les scores sont représentés après le passage du test, soit que tout le monde ou presque a eu un score proche de la moyenne), ou que pour évaluer un nouveau test, on cherche à vérifier ce qu'il mesure mais aussi ce qu'il ne mesure pas (par exemple, lorsque que le Rod and frame test -mais si, le fameux Rod and frame test, celui que tout le monde connaît!- a été converti en test papier-crayon -Test collectif des figures cachées-, il a été constaté qu'il y avait corrélation entre les résultats aux deux tests, donc qu'ils mesuraient comme prévu quelque chose de comparable, mais que les résultats à la version papier-crayon avaient moins rien à voir avec certains tests d'intelligence non-verbale que la version originale, la nouvelle version s'est donc avérée moins spécialisée).

 Malgré mon grand amour pour la mauvaise foi, je ne peux pas accuser les auteurs de mal expliquer. Le livre est difficile d'accès parce que l'univers des tests est loin d'être simple et nécessite beaucoup de connaissances en soi, pas parce qu'il est rédigé dans un langage fantaisiste accessible uniquement à ceux qui l'ont rédigé (non, je ne fais pas référence à un enseignant de l'IED, d'ailleurs je ne vois pas ce qui vous fait dire ça!). Et être pris au sérieux, en tant que lecteur·ice, est plutôt une bonne chose ("Votre adversaire, vous le respectez alors vous le frappez!", disait le respectueux karatéka Fabrice Fourment à ce sujet lors des entraînements), même si ça a quelques inconvénients (comme l'absorption massive d'aspirine ou la sensation d'être idiot·e). Le terme d'"introduction" reste quand même mal choisi...

 Un reproche objectif toutefois : si le livre comporte en annexe une traduction des hiéroglyphes symboles mathématiques utilisés, et aussi des termes techniques du français vers l'anglais et inversement, ce qui peut justifier en soi de le garder à portée de main, l'absence d'un lexique avec une définition des termes importants se fait cruellement sentir. Le·a lecteur·ice qui veut éclaircir une notion en particulier sera réduit·e à une navigation plus ou moins périlleuse, en devant se contenter de l'aide relative de la table des matières.