vendredi 10 mai 2013

En retard, en retard!

 Lundi débutera pour moi la période charnière de la grosse accélération dans les révisions, à savoir la fin de toute activité professionnelle (ça, c'est bien :D ) jusqu'aux examens (ça, c'est... euh...). C'est maintenant la quatrième année consécutive (1ère année de licence, 2ème année de licence épisode 1, 2ème année de licence épisode 2, 3ème année de licence épisode 1) que je passe à être en retard sur un planning que je n'ai même pas, c'est vous dire l'étendue des dégâts. Cette période me sert donc plus à limiter la casse dans la mesure du possible qu'à arriver, le jour des partiels, incollable sur les savoirs fondamentaux et armé jusqu'aux dents de visions aussi originales que pertinentes sur la psychologie (ce qui est indispensable pour être admis un jour en Master 2... bref, étendue des dégâts et tout et tout).

 Cette année reste particulière car, chose que je pensais complètement impossible, je suis non pas un petit peu, mais très largement plus en retard que les années précédentes. Certes, en plus de mon talent naturel pour la procrastination dont je n'ai pas eu la faiblesse de me contenter mais que j'ai consciencieusement affûté au fur et à mesure des années (on est perfectionniste ou on ne l'est pas), j'ai quelques vraies raisons (enfin, quelques raisons)... l'année scolaire qui a commencé plus tard que d'habitude (j'en avais fait part à l'époque), la naissance de mon 2ème enfant, le projet tutoré qui était à rendre, même pour la 2ème session, avant le début des exams de première session... mais là quand même j'ai abusé. Je n'ai même pas fini de lire les cours que je suis supposé viser et je n'ai, ce qui est peut-être une bonne initiative pour mon moral, pas regardé ce qui allait nous être demandé en stats. Ma résolution de faire les devoirs d'entraînement plutôt que de me concentrer uniquement sur la préparation des cours devra attendre l'année prochaine (ça veut dire que l'année prochaine vous aurez l'excuse n°2).

 Bon, je passe pas mal de temps à râler, mais il y a de fortes chances que ce retard soit une bonne chose vu que je suis nettement plus productif quand je suis dos au mur... avec un sentiment de retard aussi palpable dès le début, je devrais paradoxalement être mieux préparé le jour des partiels. Par contre, comme d'habitude à cette période de l'année, il n'y aura pas de nouveau post avant un temps certain (ce qui vous laisse tout loisir de réaliser votre rêve de toujours d'apprendre par cœur les 26 résumés de livre qui sont déjà à votre disposition O:), ou bien sûr d'égayer le blog de vos commentaires).

jeudi 2 mai 2013

Les étapes majeures de l'enfance, de Françoise Dolto


 Comme le titre ne l'indique vraiment pas, l'ouvrage consiste en la réédition de divers textes brefs (de 1 à 60 pages) de Françoise Dolto, et non en une division synthétique de l'enfance en moments décisifs (tels les stades de Freud ou de Piaget). Articles de presse, interviews, conférences, la provenance de ces textes (le plus ancien date de 1946, le plus récent de 1988) est variable et, c'est bien dommage, reste mystérieuse pour une bonne partie d'entre eux : il est simplement mentionné qu'ils sont publiés "avec l'aimable autorisation de Francis Martens et Rachel Kramerman" mais Dolto, comme une majorité non négligeable des individus, étant en mesure de s'exprimer sans l'autorisation, fusse-t-elle aimable, de ces deux personnes, cette mention n'éclaire pas beaucoup. Bien qu'Internet permette des merveilles, une recherche rapide m'a uniquement permis de savoir qu'il s'agissait de psychanalystes belges, ce qui ne m'a pas tant avancé que ça.

 L'essentiel des textes consiste en des conseils pratiques sur l'éducation des enfants. Par de nombreux aspects, ses recommandations rappellent L'Emile de Rousseau, dans le sens où l'idée est de permettre à la nature de l'enfant de s'épanouir plutôt que de le mouler de force ("plâtres moraux") dans des valeurs qui n'ont pas vraiment de sens à tel ou tel stade de leur développement ("la première chose qu'il faut apprendre à un enfant, c'est l'autonomie", "il ne faut pas inculquer de force la civilisation pour des choses qui sont totalement inutiles", "laissons-lui seulement le cadre de règles indispensables à sa sécurité et il s'apercevra, à l'expérience, lorsqu'il tentera de les transgresser, qu'elles sont indispensables et qu'on ne fait rien "pour l'embêter"", "quand on élève un enfant pour qu'il nous plaise à nous, on ne l'éduque pas", "les instincts sont là, on ne peut aller contre", ...). Une différence majeure toutefois, Rousseau n'ayant, n'en déplaise à ses admirateur·ice·s, qu'une maîtrise très limitée des théories freudiennes, il ne prédit pas psychoses ni troubles psychosomatiques pour les enfants donc l'éducation a été trop rigide (ce qui ne l'empêche pas de souligner que les parents bons dresseurs s'extasient pour de mauvaises raisons, mais je vais peut-être m'arrêter de parler de L'Emile un jour...). Je ne suis pas expert en histoire, je ne sais donc pas si on a accusé Rousseau en son temps d'être responsable d'une vague d'enfants-rois -en même temps, vu que Socrate déplorait déjà que "les jeunes d'aujourd'hui aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l'autorité, n'ont aucun respect pour leurs aînés et bavardent au lieu de travailler" (2400 ans avant mai 68!), on imagine que ni Rousseau ni Dolto n'ont pu aggraver la situation tant que ça-. Dolto, contrairement à ce qu'on peut entendre, estimait d'ailleurs indispensable que des limites soient posées ("beaucoup de choses viennent aussi de ce piège dans lequel sont les adultes, le piège de l'adoration de l'enfant, et ils oublient leurs propres désirs pour les gens de leur génération", "On pense de l'enfant, il ne faut pas qu'il soit mécontent. Mais si!"). Après, il n'est pas question de trancher ici. Décider si autoriser un jeune enfant à mettre son pantalon à l'envers ou à commencer le repas par le dessert, relève d'un laxisme insupportable, ou si le fait que Dolto soit au moins partiellement responsable de Carlos affecte sa crédibilité, relève de la sensibilité de chacun·e.

 Divers thèmes sont récurrents dans l'ouvrage (on peut d'ailleurs constater, chose impressionnante, que, à moins peut-être de chercher la petite bête, Dolto ne se contredit pas malgré la grande amplitude temporelle des textes), parmi lesquels celui de l'acquisition de la propreté chez l'enfant (thème cher à l'autrice, puisqu'elle intitule "Repenser l'éducation des enfants : à propos du dressage à la propreté sphinctérienne" un long texte qui va proposer une refondation du système scolaire, une approche différente du placement judiciaire des enfants et de la relation médecins-infirmières-mères à la maternité). Son approche est plus neurologique que morale : rien ne sert d'être impatient et surtout d'insister lourdement sur le fait que les excréments sont dégoûtants, tant que la maîtrise motrice de l'enfant sera insuffisante la propreté ne viendra pas (ou alors à force de dressage, mais au risque d'un grand mal-être et d'une régression brusque -et heureuse, selon l'autrice- vers l'âge de 3 ans). Pour permettre à l'enfant d'être propre, c'est sur son agilité qu'il convient de travailler (course, escalade, activités manuelles, tentatives d'allumer des allumettes, ...). L'enfant est capable d'être propre lorsqu'il peut monter et descendre seul un escabeau de 5 marches. 

 Est également évoqué le rapport de l'enfant avec les autres enfants, en particulier la conduite à tenir en cas de conflit. Entre frères et sœurs (les expressions "petit" ou "grand" devant frère ou sœur sont à proscrire car ils suggèrent une hiérarchie), éviter de prendre parti lorsqu'on n'a pas assisté à ce qui a déclenché le conflit : réconforter la victime peut parfaitement se faire sans blâmer le·a coupable, l'un·e comme l'autre pouvant chercher à instrumentaliser le parent. Lorsqu'une inégalité de traitement est déplorée, ne pas hésiter à répondre "oui, je suis injuste" (d'autant qu'il n'existe pas de parent parfait, "à un moment où à un autre,  même les parents les plus aimants sont responsables d'une souffrance chez l'enfant")  plutôt que de discuter interminablement des différences qui justifient telle règle ou telle attention pour l'un·e et pas pour l'autre. La violence d'un enfant envers l'autre, quant à elle, à fortiori avant la maîtrise du langage verbal, relève selon Dolto d'une manifestation d'intérêt ("chaque fois que nous voyons un enfant en agresser un autre, c'est qu'il est intéressé, rendu curieux ou bien a envie de prendre un objet possédé par l'autre"). Cela peut être verbalisé auprès de l'enfant, et expliquerait aussi pourquoi, au grand désespoir des parents, l'enfant frappé retourne parfois vers son agresseur à la seconde où il a fini de pleurer.

 Un autre thème récurrent est celui du lien avec la famille d'origine. Lorsqu'une séparation d'avec l'enfant est imposée (garde pour pouvoir reprendre une activité professionnelle, divorce, ...), il importe que tout soit expliqué à l'enfant, même s'il donne l'impression de ne pas comprendre. La mère explique qu'elle transfère provisoirement ses responsabilités à la nounou/la puéricultrice/la maîtresse et qu'elle reviendra chercher l'enfant le soir. De même en cas de séparation des parents, le parent qui garde l'enfant doit reconnaître auprès de lui explicitement que même si le couple parental ne peut plus se piffrer, ils restent chacun·e l'un des parents légitimes de l'enfant et que la fin de la vie de couple ne signifie pas la fin de la vie parentale ("même si le père est physiquement absent, la mère doit faire sans cesse référence au père pour assurer une relation triangulaire").

 L'un des points forts de Dolto est effectivement d'avoir estimé important de parler aux enfants, même extrêmement jeunes. Si elle-même rapporte avoir été critiquée pour ça, ses arguments de départ semblent plutôt cohérents : d'une part puisqu'on ne sait pas à partir de quel âge l'enfant comprend ce qu'on lui dit, il ne paraît pas aberrant de lui parler depuis le début, et d'autre part quand on s'adresse à quelqu'un (enfant ou non) on fait passer autre chose que le langage strictement verbal. Les besoins affectifs sont en effet selon elle primordiaux (avec entre autres des contacts auditifs, tactiles et olfactifs avec la mère), et pas assez pris en compte dans le milieu médical, peut-être à cause d'une perception dérivée du besoin d'hygiène ("ce non-savoir date de la science du début du siècle et a influé terriblement et d'une façon néfaste sur les conditions de la structure psychique des enfants des pays civilisés"). La parole ne doit en revanche pas servir à mentir, d'autant que, si douloureuse que soit la situation que l'on souhaite dissimuler, elle sera tout de même perçue par l'enfant ("de toutes façons, ce qu'il vit lui fait mal tous les jours, et, en plus, on l'entretient dans le mensonge", "il n'est pas nécessaire d'être tout miel, tout sucre, il faut lui parler vrai").

 Un résumé n'est par définition pas exhaustif, et vous imaginez bien que c'est encore plus le cas ici, quand le texte à résumer consiste en une compilation de textes divers. Je pense m'être contenté d'évoquer les thèmes les plus récurrents, mais bien entendu un·e autre lecteur·ice trouvera peut-être que j'ai inventé des récurrences et que j'en ai oublié d'autres. Je m'attarde tout de même à la fin sur quelques lignes discrètes mais qui relèvent d'un type de propos pour lequel Dolto n'est pas forcément connue. Au cours d'un long article rédigé pour le mensuel de L'Ecole des Parents en 1979, Dolto parle de l'inceste, seul interdit définitif selon elle. Elle explique ensuite que, pour protéger l'enfant de toute agression pédophile, incestueuse ou non, il SUFFIT de lui expliquer que son corps lui appartient -"l'adulte sait que c'est interdit, tu n'as qu'à le lui dire"- (on peut regretter qu'elle ne dise pas jusqu'à quel âge ce bouclier magique fonctionne, dans la mesure où il arrive que des adultes soient victimes de viol). Mais le raisonnement ne s'arrête pas en si bon chemin. Une fois l'enfant équipé de cette protection verbale mais, paraît-il, infaillible, "si un enfant calomnie un adulte -ce qui hélas arrive souvent-, c'est qu'il était consentant lui même". Oui, c'est bien le terme "calomnier" qui est employé. Dans l'univers de Dolto, l'agresseur·se pédocriminel·le est en fait la victime d'un enfant capricieux, et passe pour le·a méchant·e alors qu'il ne faisait que rendre service. Il y avait bien d'elle une citation dans ce sens relevée dans le Livre Noir de la Psychanalyse (interview pour la revue Choisir : "Question : Quand une fille vient vous voir et qu'elle vous raconte que, dans son enfance, son père a coïté avec elle et qu'elle a ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous? Réponse : Elle ne l'a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement compris que son père l'aimait et qu'il se consolait avec elle, parce que sa femme ne voulait pas faire l'amour avec lui."), mais cette nouvelle occurrence montre qu'il s'agit pour elle d'un raisonnement logique, et pas d'une réponse improvisée lors d'une interview. Je pourrais enchaîner en m'attardant sur certaines des perles (il y a de quoi faire quelques colliers)  qu'elle émet sur l'égalité homme-femme dans une interview sur l'élaboration de l'identité sexuelle chez l'enfant (telles que "le désir de l'enfant est entièrement masculin ou féminin, depuis la vie intra-utérine", "le garçon a des pulsions actives, la fille a des pulsions passives" ou encore "la fille a une prédilection pour l'agencement d'appartements, d'intérieurs de bateau") ou encore une ou deux autres disséminées dans le reste de l'ouvrage, mais Dolto n'était heureusement ni thérapeute de couple ni DRH.