vendredi 27 juillet 2012

Au coeur des émotions de l'enfant, d'Isabelle Filliozat




  Psychothérapeute (et même psychologue-psychothérapeute, d'après son site web) mais aussi, ça aura de l'importance, mère de famille, l'autrice propose des moyens d'élever son enfant en respectant ses émotions plutôt qu'en les réprimant, cette seconde option étant pourtant parfois conseillée plus ou moins explicitement par des ami·e·s, de la famille, des passant·e·s, des professionnel·le·s qui trouvent vital d'établir une autorité ferme, le moindre signe d'obéissance à l'enfant risquant d'en faire un enfant-roi, un·e délinquant·e, ... Isabelle Filliozat, voyant plus les enfants comme des fleurs que comme des bonzaïs, démontre pas à pas que l'écoute des enfants et la prise en compte de leurs désirs est souhaitable pour tou·te·s, et ne mène pas aux catastrophes annoncées à travers des conseils "bienveillants" (ou un hochement de tête d'un air entendu et des propos nostalgiques d'un -il paraît- âge d'or quand l'enfant a l'excellente idée, pour le plus grand bonheur de ses parents, de faire une crise spectaculaire dans un lieu public).

 L'autrice insiste pour qu'on accepte le fait que les émotions des enfants ont un sens, qu'elles sont saines, même si des fois on est fatigué et on a pas envie ("nous aimerions que nos enfants ne soient pas des enfants!"). Il importe donc de laisser s'exprimer la colère, les larmes, même lorsqu'elles sont en réaction à une demande ou une interdiction justifiée, ou que l'argument facile que ce sont les petit·e·s qui pleurent nous tend la main. Une émotion exprimée n'est par ailleurs pas nécessairement une demande, par exemple si un enfant n'a pas l'autorisation de rester debout après l'heure du coucher, l'autoriser à dire qu'il n'est pas d'accord ne remet pas pour autant la règle en question, on peut même lui dire qu'on comprend qu'il·elle ne soit pas d'accord (une anecdote est rapportée où, alors que la fille de l'autrice dit qu'elle a envie d'un gadget, elle lui répond qu'elle ne peut pas l'acheter - réponse réprobatrice: "Je sais que tu ne vas pas me l'acheter, mais j'ai quand même le droit d'en avoir envie!"). S'il est possible d'enseigner à ses enfants à ne pas exprimer leurs émotions, en particulier négatives, les émotions elles-mêmes ne disparaissent pas pour autant par un étrange tour de magie, et cette réprobation a un coût qu'il·elle·s payeront, ou feront payer à leur futur conjoint·e, leurs futurs enfants, ... Le sens de telle ou telle effusion est par ailleurs parfois plus facilement accessible à l'adulte attentif, qui prend le temps de questionner et d'écouter les réponses, qu'à l'enfant lui-même. Quand une réaction est disproportionnée, l'événement qui en est à l'origine n'est est probablement que le déclencheur, et une angoisse, une rancœur, une tristesse plus profondes ne peuvent que gagner à être identifiées à cette occasion. Il est donc conseillé de ne pas céder à la tentation de minimiser l'incident, mais de demander à l'enfant, une fois calmé (si vous avez déjà essayé vous savez qu'avant c'est pas la peine), ce qu'il a ressenti, comment l'incident a été vécu, ... en évitant la question "pourquoi", bien pratique mais trop vague et parfois porteuse de jugement car rhétorique.

 Les recommandations faites pour les enfants pourraient en fait en grande partie s'appliquer aux adultes... ce qui est précisément l'occasion de faire comprendre à l'adulte en question que, dans la mesure où il a les clefs pour tourner les émotions négatives des enfants à leur avantage, il doit s'en donner les moyens rationnels (ça en théorie c'est fait quand on a lu le livre, ou alors le but de l'autrice m'a un peu échappé) mais aussi émotionnels. Quand vient le moment de poser un interdit, quand l'exaspération monte, il peut être intéressant de respirer à fond et de se demander la raison de la règle énoncée, de l'impatience. Une règle dont les tenants et les aboutissants sont maîtrisés par celui ou celle qui l'impose (non, "parce que c'est comme ça", ce n'est pas maîtriser les tenants et les aboutissants) peut être comprise et négociée, donc mieux acceptée, par l'enfant (l'autrice a par exemple accepté de laisser manger une glace en entrée par sa fille après s'être renseignée et avoir constaté que ça n'avait pas nécessairement moins de sens que de la manger en dessert... l'intéressée, après un certain temps d'expériences de repas dans le désordre, a fini prendre l'habitude de manger ses desserts en fin de repas par conformisme, et n'en a à aucun moment déduit qu'elle avait le contrôle de ce qui se passait à table... à un autre moment, l'autrice, agacée que ses enfants ramassent des marrons plutôt que de monter dans la voiture pour rentrer, a réfléchi une seconde et réalisé que son projet de la journée était de passer un bon moment avec eux, que ramasser des marrons était donc plutôt une bonne initiative, et les a rejoints). Mais la raison peut également être plus profonde, le mal-être a un prix qu'on peut tendre à faire payer, volontairement ou non, aux autres. Il faut donc savoir reconnaître ses propres besoins, les écouter, et éventuellement les dire et les revendiquer... le bien-être, c'est aussi savoir apprécier les moments de bonheur, et s'en souvenir pour relativiser quand l'exaspération se fait sentir un peu trop vite. Plus délicats sont les conflits d'enfance avec les parents non résolus, les rancœurs gardées pour soi. Le premier pas pour s'en libérer est de les identifier et de les accepter, même s'il peut être difficile d'accepter d'en vouloir à ses parents, en particulier quand on a passé une grande part de sa vie à le refuser.

 Si l'ensemble de l'argumentation se tient, sans être révolutionnaire (en même temps on peut vouloir être guidé dans l'art impossible d'être un parent parfait sans vouloir apprendre par cœur Freud, Dolto, Bowlby, Salomé ou le Traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens) mais abondamment illustrée de situations concrètes, certaines affirmations peuvent parfois faire sauter au plafond! Je ne me suis personnellement pas remis de l'odieux et absurde "tout se joue avant 6 ans" (à se demander l'intérêt d'écrire le livre, puisqu'il y a de fortes chances que le·a lecteur·ice moyen·ce ait dépassé cet âge), situé en intro pour donner envie de lire le reste, ni, pire encore, de quand l'autrice évoque (au moment où elle confond joyeusement pensée prélogique et inconscient) un enfant qui aurait développé une leucémie pour remettre ses parents ensemble (j'espère, j'espère, s'il s'agit d'une situation réelle, qu'elle n'a pas sorti sa connerie aux parents... elle n'y va d'ailleurs pas de main morte sur le psychosomatique, l'épouse insatisfaite qui ne prend pas l'initiative de divorcer risque de "faire (sic) un cancer", et elle affirme plus tard "Vous n'êtes pas heureux dans votre vie? Cancer, infarctus ou dépression ne vont pas soulager vos enfants"... vous allez être gravement malade ET être responsable des souffrances de vos enfants, vous voilà prévenu·e!). On peut également sourire quand elle dévoile en deux phrases le secret pour gagner les JO, rien que ça (l'éthique me force à partager un savoir si précieux - "qu'est-ce qui fait la différence entre celui qui deviendra un champion olympique et un autre? La fierté, la joie ressentie du succès"- les personnes intéressées n'ont plus qu'à préparer Rio 2016). Je me demande également s'il est si sain que ça de laisser exploser à fond sa colère devant ses enfants (ou d'aller ostensiblement -discrètement, c'est un peu compliqué- le faire dans une autre pièce), même en s'assurant après qu'ils aient bien compris qu'ils n'étaient pas responsables de cette colère, ou de dire à un enfant "j'ai envie de te frapper", même si c'est vrai et qu'on explique après que, pour de très bonnes raisons, on évite de le faire (le tout après avoir évoqué, constat d'origine inconnue, "les difficultés assez généralisées des adultes d'aujourd'hui à gérer leur colère de manière efficace et non-violente"... il y a de quoi être rassuré qu'elle ne donne pas de solution pour gérer la cupidité ou l'excès de libido). Elle développe également un point de vue (défavorable) sur les contes de fées qui devrait être passible d'une peine de mort lente et douloureuse que je désapprouve (on ne touche pas aux contes de fées, non mais!).

 C'est donc quelque peu frustrant de voir ce plaidoyer contre une tendance à voir l'éducation comme l'apprentissage de la soumission (pour le bien des enfants, cela va de soi), alors qu'apprendre la liberté c'est précisément apprendre à être responsable, fourni avec manuel pédagogique d'application (bilans des chapitres sous formes de listes, situations concrètes très, très nombreuses), parsemé d'étrangetés plus ou moins absurdes et plus ou moins graves. A moins qu'il ne s'agisse d'une invitation à appliquer ce conseil donné en début d'ouvrage : "faites-vous confiance", "quand on fait quelque chose par obéissance aux idées d'un autre, on peut se tromper". Oui, on va dire que c'est ça...

vendredi 13 juillet 2012

Le corps absent, de Maurice Corcos



 L'ouvrage a l'avantage de fournir un point de vue (extrêmement détaillé) purement psychanalytique sur les troubles du comportement alimentaire... l'auteur est particulièrement clair sur le sujet à travers une charge anti-TCC ("offre clé en main", "brèves, systématisables, peu chères, gérant le manifeste et ne s'empêtrant pas dans le témoignage d'une histoire de vie") un peu caricaturale quand même qui ouvre l'avant-propos à la seconde édition. La littérature et la peinture (si, comme moi, vous ne connaissez pas Magritte par coeur et si, contrairement à moi, vous n'êtes pas paresseux, il est souhaitable d'avoir Google Images à portée de main  en lisant) sont aussi utilisées pour enrichir et éclairer les propos avancés, ainsi que, bien entendu, des propos de patient·e·s (qui sont des moments cliniques, il paraît que ça n'a rien à voir avec des vignettes cliniques, et dont les lapsus sont conservés même quand ils ne sont pas l'objet de la citation, ce qui est appréciable).

 Le livre est par moments très complexe, et des connaissances avancées ou du moins solides en psychanalyse et en psychopathologie sont indispensables pour en profiter pleinement (ce qui n'était pas mon cas, pour donner un exemple au hasard). Ainsi, le long développement qui explique comment addiction, dépression et alexithymie s'articulent dans les troubles du comportement alimentaire nécessite pour être compris la maîtrise parfaite des concepts de base, mais aussi les développements de Jean Bergeret (dont les ouvrages sont très enrichissants, d'ailleurs je suis impatient de les lire) sur ces concepts. Le trouble du comportement alimentaire est présenté comme une addiction, qui serait une solution à la fois pour combler un vide (à la fois sensation d'être vide soi-même, ce qui rappelle le Moi-Peau de Didier Anzieu ou l'hyperempathie de Gerard Apfeldorfer, et vide ressenti d'affection parentale, en particulier maternelle) -"ce vide est recherché pour faire taire la psyché, à éviter des représentations"- et pour exprimer une violente agressivité (conséquence du manque d'affection ressenti) sans déclencher de conflit ouvert ("l'anorexique figure l'absent à son propre interlocuteur (la mère) et ce faisant ("je me tue en te tuant") sollicite sa mère sans crainte de la tuer"). Parfois, cette sensation de vide se manifeste par une confusion par la patiente de son corps avec celui de sa mère ("être grosse c'est faire corps avec ma mère; ce n'est pas mon corps; j'ai osé vomir ma mère, avorter de ma mère, la recracher en bouillie..."), ce qui donne parfois lieu à des moments cliniques troublants ("Mes règles sont revenues et j'ai pleuré... Je me sens enfin entière... la voie est ouverte mais... ma mère est en ménopause"), voire avec celui de sa grand-mère maternelle (témoignage de la mère d'une patiente : "après le décès de ma mère, elle a porté longtemps ses vêtements et elle est devenue menue comme elle").

  Si l'auteur refuse très explicitement de montrer du doigt les parents ("il est difficile et contestable de se représenter la défaillance maternelle à partir d'éléments biographiques et anamnestiques fournis pour l'essentiel par le patient"), l'accent est mis sur le danger des relations mère-enfant insatisfaisantes dans les premiers moments de la vie ("pour l'enfant l'intégration dans le corps dépendra étroitement de la pensée d'une division effective d'avec le corps maternel, qui s'exercera ou pas au cours d'une libidinalisation "suffisamment bonne" de ce corps", "on sait les nombreuses observations cliniques rapportant des "phobies du toucher" chez les mères et les patientes", "nous ne souscrirons pas forcément à l'hypothèse d'un facteur traumatique central abrasant les capacités de satisfaction hallucinatoire, mais nous partageons l'option peut-être plus fréquente d'une continuité de micro-traumatismes ou de la permanence d'une discontinuité des soins qui imprègnent la psyché de l'enfant d'un vécu de carence ou d'emprise"). Sont particulièrement vulnérables à ce manque de possibilités de se construire par la relation avec la mère les personnes alexithymiques, c'est à dire qui ont des difficultés à verbaliser, élaborer leur psychisme, dont les rêves sont pauvres en contenu latent (mon objectif maintenant que j'ai découvert le terme : caser alexithymique dans une conversation). Dans la mesure où, dans les ouvrages plus pluridisciplinaires, il est conseillé de commencer par soigner le symptôme (ce qui, seul, ne suffit absolument pas pour éviter les rechutes) justement parce que cette difficulté à l'abstraction est un obstacle de taille à  une thérapie de type analytique, on peut toutefois se demander si l'alexithymie n'est pas un symptôme plutôt qu'un facteur de vulnérabilité. Certains aspects sociaux sont également évoqués (ce qui paraît logique étant donnée l'augmentation du nombre de cas dans les dernières décennies), non pas sur l'alimentation (fast-foods,  micro-ondes, repas debout ou devant la télé, ...) mais sur l'évolution des figures d'autorité (l'enseignant·e, le·a juge, le médecin, ...) qui précisément sont de moins en moins des figures d'autorités, au même titre que les parents, ce qui empêcherait l'enfant de construire son individualité par la confrontation à une opposition solide ("les désirs d'indépendance, les attitudes d'opposition et de négativisme ne se manifestent pas") et contribuerait à créer ce vide qui risque de se combler par l'addiction des troubles du comportement alimentaire. Cela semble plutôt paradoxal dans la mesure où anorexie et boulimie impliquent un ascétisme extrême (tentative de triomphe sur les désirs... et les besoins, d'où les graves conséquences somatiques, intolérance violente de l'écart à l'objectif fixé qui est à la fois échec et faute morale, Corcos parle d'ailleurs à ce sujet précis -"la moindre minute d'inactivité est ainsi vécue sur un mode aussi culpabilisant qu'un aliment avalé ou qu'une note scolaire qui baisse d'un demi-point"- de "l'échelle de l'ambition parentale vécue comme l'échelle de l'affection que lui portent les parents"), qui laisse plutôt imaginer des parents très exigeants, écrasants et autoritaires.

  Si l'aspect monodisciplinaire de l'ouvrage est marqué et doit encourager à d'autres lectures (au préalable de préférence : l'auteur ne définit ni la boulimie ni l'anorexie, alors que ces définitions ne vont pas nécessairement de soi), il constitue également une qualité tant les troubles alimentaires offrent de nombreuses interprétations analytiques, qui sont difficiles à confronter au réel du fait de la fréquente violence des transferts et de la difficultés de ces patient·e·s à prendre de la distance avec leur psychisme (fait surprenant, en particulier pour des patient·e·s qui parallèlement à leur pathologie poursuivent souvent avec succès les études les plus difficiles, donc par la force des choses manient des concepts, mais ça fait plusieurs auteur·ice·s qui le disent alors ça ne tient probablement pas du préjugé ni de la fiction...)... un ouvrage relativement long (350 pages environ), complexe et de plus récent (2ème édition en 2010) est par conséquent plutôt bienvenu.

mardi 3 juillet 2012

Le Moi-peau, de Didier Anzieu



 Ouvrage riche, parfois complexe, important et souvent cité, mais aussi j'imagine souvent commenté, re-re-commenté, contesté, approfondi, comme pour tous les classiques qui seront résumés ici les commentaires sont encore plus bienvenus que d'habitude pour exprimer un désaccord, apporter une précision, mentionner quelque chose d'important que j'aurais oublié (bon, j'oublie toujours quelque chose d'important, et à la limite c'est tant mieux, un résumé n'est pas un livre, alors disons si j'oublie quelque chose de beaucoup trop important pour être oublié) ou, plus vital encore, rectifier un éventuel contresens.

 Outil de perception s'étendant sur l'ensemble du corps, à la fois frontière et point de rencontre avec l'extérieur, élément constituant l'identité (l'incarnation d'un autre, par jeu par exemple, ne passe-t-elle pas par le déguisement, façon de revêtir sa peau?) mais aussi contenant, enveloppe qui permet de demeurer un tout, la peau a permis à Didier Anzieu d'enrichir sa (donc notre) compréhension du psychisme, de la conscience et de la thérapie. Neuf fonctions (liste non exhaustive que l'auteur invite à compléter) sont attribuées au Moi-peau.

 Le Moi-peau sert d'appui, de soutien au psychisme, de même que la peau soutient le squelette et les muscles. Il est également contenant, enveloppe. Ces deux éléments se construisent lors des échanges précoces avec la mère, plus ou moins solidement selon la qualité des interactions. On peut y ajouter une fonction de protection, écho au pare-excitation freudien mais aussi protection, par exemple, contre l'angoisse d'intrusion psychique. Il permet aussi le sens de l'individualité, de la singularité. C'est également un outil pour se ressentir soi-même, ressentir l'intérieur de son corps, protection contre l'angoisse de morcellement, mais aussi une enveloppe d'excitation érogène. Une autre de ses fonctions consiste à équilibrer la tension énergétique, interne comme externe. Enfin (ou pas enfin, Didier Anzieu précise que l'ordre des fonctions n'a pas d'importance), le Moi-peau est un moyen de perception de l'extérieur et de communication avec celui-ci, et il éclaire sur les attaques contre les contenants psychiques, comparables dans leur fonctionnement aux maladies auto-immunes.

 Comme son nom ne l'indique pas, le Moi-peau ne concerne pas seulement la peau elle-même, ni même le sens du toucher : en continuité avec la notion d'enveloppe, la notion de bain métaphorique (ou pas métaphorique du tout, comme cette patiente à qui il a été infligé des bains trop chauds -jusqu'à provoquer un malaise- dans son enfance, puis des douches froides pour l'endurcir dans son adolescence) recouvre, c'est le cas de le dire, ce concept. Est ainsi évoqué le bain sonore, le bain de paroles, mais aussi un malheureux bain olfactif : le transfert agressif d'un patient se manifestait par une transpiration parfois difficile à endurer pour l'odorat du thérapeute, mais cette transpiration a finalement été au centre de l'analyse, contribuant aux réussites successives de la thérapie. L'auteur ne doute pas d'interprétations possibles d'un Moi-peau visuel, mais invite le·a lecteur·ice à approfondir le sujet.

 Certains passages sont sujets à controverse. D'une part, sans surprise, il est question du packing (ici appelé pack), sujet encore aujourd'hui de violentes oppositions entre professionnel·le·s. Si l'auteur précise que l'administrer aux jeunes patient·e·s (psychotiques ou sourd·e·s-aveugles), c'est leur faire violence ("il y a d'abord une résistance à l'enveloppement : vouloir les immobiliser complètement suscite chez ces enfants une panique et une violence rares"), il paraît en être plutôt partisan ("le pack leur offre des "enveloppes de secours" structurantes, qui prennent la place, pour un temps, de leurs enveloppes pathologiques et grâce auxquelles ils peuvent abandonner une partie de leurs défenses par l'agitation motrice et sonore et se sentir uns et immobiles"), y compris, pour les adultes ("cela reconstitue passagèrement son Moi comme séparé des autres tout en étant en continuité avec eux"), à haute dose ("la cure complète, sur le modèle de la psychanalyse, peut prendre des années au rythme de trois enveloppements hebdomadaires"). Sur un autre sujet, à propos des enveloppes sonores, un autre passage peut faire drôle: "souvent, on le sait, une mère de schizophrène se reconnaît au malaise où sa voix plonge le praticien qu'elle est venue consulter : voix monocorde (mal rythmée), métallique (sans mélodie), rauque", "une telle voix perturbe la constitution du Soi : le bain sonore n'est plus enveloppant"... mères de schizophrène, vous voilà prévenues, si vous aviez parlé de façon plus dynamique à vos enfants, les choses se seraient passé autrement, c'est Didier Anzieu qui a décidé.

 Les explications théoriques sont complétées par des explications de texte de Freud et Federn qui constituent une sorte de genèse du concept, et richement illustrées par des cas cliniques mais aussi des références mythologiques (Marsyas, Peau d'Âne, ...) parfois très détaillées. Si ce qui m'avait orienté vers ce livre était au départ les troubles du comportement alimentaire (boulimiques qui mangent compulsivement jusqu'à être "pleines à craquer", parfois, tragiquement, au sens propre, anorexiques toujours insatisfaites de l'aspect visuel de leur corps, ...), la notion originale de Moi-peau enrichit considérablement (pas significativement, ça rappelle les devoirs de stats) la compréhension de l'inconscient en général.