jeudi 24 juillet 2025

Votre peau a des choses à vous dire, de Laurent Misery

 


 La peau, de toute évidence, a d'abord un caractère physiologique. Certes un psychanalyste s'y est intéressé de près, mais en fac de psychologie, j'en ai entendu parler très brièvement, et c'était une infime partie d'un cours de neurologie. Pour autant, cette partie du corps est intimement liée à la santé mentale : "il faut admettre que la peau n'est pas qu'un morceau de cuir inerte. Au contraire, il faut prendre conscience qu'elle possède tous les outils physiologiques pour exprimer physiquement nos émotions."

  On peut, dans le domaine de la psychothérapie, faire l'impasse de tout ce qui concerne la peau (même si ce serait, comme le démontre le livre, un point aveugle) mais l'auteur, dermatologue, va rapidement convaincre le·a lecteur·ice qu'on peut difficilement se préoccuper de la santé de la peau sans se préoccuper de santé mentale, tant les liens peuvent être intimes. En effet, la peau, c'est l'image de soi : des rougeurs, de l'acné, des cheveux qui tombent, peuvent être dévastateurs à vivre. Les démangeaisons, les problèmes chroniques, peuvent générer des souffrances extrêmes ("un patient atteint de dermatite atopique passe en moyenne 2 heures sur 24 à se gratter"), et je pense qu'une argumentation détaillée est superflue pour expliquer que le manque de sommeil, l'inconfort qui ne laisse jamais tranquille, le désespoir, tendent à être moyennement épanouissants. Certaines pathologies poussent à s'automutiler de diverses façons, ce qui implique de reconnaître les lésions et peut être très délicat à amener en consultation, certains délires relevant d'un suivi psychiatrique convainquent la personne de problèmes qui s'avéreront non observables, la dysmorphophobie pousse certain·e·s patient·e·s à demander des soins qui n'atténueront pas la souffrance (la partie du corps jugée difforme en sera une autre), ... Les maladies psychosomatiques sont également une réalité, que l'auteur invite à prendre au sérieux de façon critique ("le stress n'a pas d'effet sur la peau par magie ou par des ondes mais bien parce qu'il y a des substances chimiques qui transmettent l'information aux cellules").

 Tous ces sujets peuvent s'articuler. Autant dire que la complexité est grande, et la détresse des personnes accompagnées rend d'autant plus indispensable d'avoir la bonne attitude. Les situations cliniques permet d'apprécier la difficulté non seulement de faire le bon diagnostic, mais aussi d'être entendu·e pour que les recommandations soient appliquées. Certaines situations sont particulièrement contre-intuitives : un jeune patient souffre de prurit tout en étant dans le déni d'une souffrance psychique visible. Il finit par en prendre conscience et entame une psychothérapie qui était plus qu'indispensable. Pour autant, le prurit ne disparaît pas, et d'ailleurs son apparition et son intensité n'étaient pas corrélées à son bien-être, il s'agissait bien de deux sujets distincts (qu'il traitera de deux façons distinctes avec deux soignant·e·s distinct·e·s). Si l'auteur reconnaît la complexité du sujet, parfois amplifiée par l'attitude de certain·e·s proches (même si les proches sont très aidant·e·s dans la plupart des situations évoquées) ou par des convictions complotistes, il dénonce sans complaisance le manque d'humilité, le manque d'écoute, qui peuvent pousser à des erreurs (avec des situations qui tiennent de l'aberration, par exemple le fait que les livres de médecine aient affirmé pendant deux siècles qu'il n'y avait pas de prurit au cours du psoriasis -avec le manque d'écoute auprès des personnes concernées, et les erreurs de diagnostic, qu'on peut imaginer- alors que quand un chercheur a pris la peine de vérifier il s'est avéré que c'était le cas dans 80% des situations, ce qui fait un peu plus que 0%).

 Les informations techniques sont précieuses et étonnamment accessibles (même si je ne vais pas faire semblant d'avoir tout retenu!), mais sont surtout l'opportunité de rappeler comment écouter les personnes accompagnées, comment prendre en compte toutes les dimensions de leur souffrance même si certaines, niées ou trop douloureuses, peuvent être difficilement accessibles, comment s'exprimer en prenant en compte ce qui sera entendable. 

mercredi 9 juillet 2025

Légère comme un papillon, de Michela Marzano

 


  Michela s'est battue toute sa vie pour obtenir l'approbation impossible de son père ("si je le déçois, continuera-t-il à m'aimer? N'a t-il pas toujours répété que quand j'étais "malade", je n'était plus "moi"? Ne me répète-t-il pas aujourd'hui encore qu'il est fier de mes succès?"). Quand elle avait dix-huit mois, sa mère a été hospitalisée de longues semaines. On ne lui a pas expliqué ce qu'il se passait, ni dit quand elle allait revenir. Elle n'a bien entendu pas de souvenirs de l'évènement, mais il a laissé en elle des traces profondes, en particulier dans son rapport à la séparation.

 Le titre du livre suggère qu'elle va parler de son anorexie. De fait, ça va être le cas, mais indirectement. Elle va parler de ce qui a construit l'anorexie, de quoi cette anorexie la protégeait. "Arrêter de manger pour me convaincre que je n'avais besoin de rien." "Quand je mange et qu'ensuite je vomis, tout s'arrête là, il n'y a ni avant ni après. Aucune obligation." "Vomir efface ma culpabilité, c'est la seule chose qui me calme." "Le piège de la perfection humaine est terrible. L'anorexie en est un des symptômes. Car une anorexique est prête à tout pour être irréprochable." Un bouclier contre les émotions, les besoins, la vulnérabilité. Un conformisme, fut-il paradoxal parce que sa santé, loin de la rendre invisible, inquiète. Une armure qui protège, mais surtout qui emprisonne.

 Aujourd'hui, elle est décidée à sortir de cette prison. Non seulement à ne pas se conformer, jusqu'à l'impossible, aux attentes des autres ("je haïssais l'enfant qui était en moi et qui pleurait. Je l'insultais parce qu'elle n'était pas assez forte", "tant que l'on se conforme aux attentes des autres, on se trahit profondément"), mais aussi à leur restituer leur responsabilité : "en fait, c'est moi qui avais été trahie. Toutes les fois où je n'avais pas pu dire mon angoisse et ma peur. Toutes les fois où je m'étais adaptée pour ne pas déranger". Car ce dont elle se protégeait, c'est précisément ce à quoi elle avait besoin de se confronter. "Le véritable problème est en réalité de comprendre ce qu'on accepte pas, et pourquoi." "Quand on se met à creuser et à chercher en soi, la guerre éclate." C'est par cette lutte contre elle-même et contre le culte du silence, à différents niveaux, dans sa famille, qu'elle a appris à se donner le droit, peut-être l'obligation, de ne pas être parfaite, qu'elle a appris à chercher l'amour d'elle-même avant de chercher, désespérément, l'amour des autres.

 Ce résumé est énormément constitué de citations parce que... l'autrice sait vraiment aller au cœur des choses, choisir les mots pour exprimer l'important. Et en plus, c'est la version française : l'autrice, qui a dans sa vie navigué entre les deux langues, autre sujet important du livre, l'a écrit en italien. Ce livre parle de troubles du comportement alimentaire, mais il parle surtout de relation avec les autres, de relations avec soi, de se protéger des fausses armures. Il est plutôt court, mais je pense que peu de lecteur·ice·s n'auront pas été secoué·e·s : le battement d'aile de ce papillon là est incontestablement assez puissant pour déclencher des tornades.