Après un premier volume sur l'attachement, Bolwby s'attarde sur ce
qui permet de constater l'importance de l'attachement, à savoir la
séparation et ses conséquences.
Un
attachement sécure, on l'a vu dans le premier volume, constitue
pour l'enfant une base qui permet, paradoxalement, de s'éloigner
plus sereinement de la figure d'attachement, d'explorer l'environnement. Le réflexe,
en situation de danger, est non seulement de fuir le danger mais
aussi de rechercher une situation de sécurité, qui se trouve
souvent, pour l'enfant, être la figure d'attachement (Bowlby avait
donné dans le premier volume l'exemple délicat, pour un jeune
singe, où la situation faisait que la figure à fuir et la figure
auprès de laquelle se réfugier étaient la même -le mâle dominant
qui se trouvait être de mauvaise humeur-). Appuyant son
argumentation sur des recherches scientifiques commentées et détaillées, Bowlby constate que, chez l'humain comme chez le singe,
plus longues, nombreuses et difficiles sont les séparations, moins
bien elles sont supportées.
Une
partie conséquente du livre est consacrée à une approche
pragmatique de la peur, en particulier de la peur chez l'enfant. Si
les psychanalystes tendent à estimer que la peur de la solitude ou
du noir, n'étant pas des peurs réalistes (quelqu'un qui rapporte
avoir été violemment agressé par la solitude ou l'obscurité
risque d'être suspecté de mauvaise foi), sont en fait des peurs
d'autre chose, Bowlby rappelle qu'avant que l'humain ne maîtrise la
lumière artificielle ou ne puisse construire des logements qui
ferment (c'est à dire, du point de vue de l'évolution, à peu près
avant-hier), il était plutôt délicat de ne pas pouvoir voir un·e
prédateur·ice approcher, et que, surtout pour des enfants mais pour des
adultes aussi (statistiques à l'appui), on est bien plus en sécurité
à plusieurs que seul. Par ailleurs, en cas de séparation, "moins
les lieux et les gens sont familiers, ou plus le geste médical est
douloureux, plus l'enfant a des chances d'être effrayé, plus il va
être perturbé, à la fois pendant et après la séparation". Les
comportements a priori paradoxaux pendant les retrouvailles de
l'enfant qui a mal supporté la séparation ont, selon l'auteur, eux
aussi une explication pragmatique : "l'attachement anxieux sert
à conserver une accessibilité maximale pour la figure
d'attachement, et la colère est à la fois un reproche pour ce qui
est arrivé et un moyen de prévenir par la dissuasion une nouvelle
occurrence".
Bowlby estime que les conséquences de la peur de la séparation, en
particulier lorsqu'elles sont amplifiées par des menaces d'abandon
ou de suicide par les parents, sont largement sous estimées par les
clinicien·ne·s, d'une part parce que les informations sont difficiles à obtenir (un
parent sera probablement réticent à rapporter, au calme et à un·e
professionnel·le, des propos qu'il tient dans des accès de colère, en
particulier s'ils ne sont pas destinés à l'enfant et tenus dans un
contexte conjugal tendu, d'autant qu'il ne fera pas forcément le
lien lui-même avec les troubles de l'enfant, et l'enfant risque de les taire par culpabilité - "ça ne fait plaisir à
aucun enfant d'admettre que l'un de ses parents a beaucoup à se
reprocher"- ou peur que les menaces soient mises à exécution, sans
compter que même s'il en parle, la parole de l'enfant, a fortiori
de l'enfant qui souffre d'une psychopathologie, tend à être moins
prise au sérieux que celle de l'adulte), d'autre part parce qu'elles ne sont pas forcément jugées importantes. L'auteur s'attarde sur la phobie
scolaire (en se limitant aux cas, toutefois majoritaires semble-t-il,
où l'école elle-même et ce qui s'y passe ne sont pas craints, ce
qui laisse penser que la cause principale de la phobie est la peur de
s'absenter) et l'agoraphobie, avant de comparer des données
disponibles d'études cliniques avec son hypothèse que ces phobies ont
quatre causes principales : le fait que l'un des parents ait
lui-même un attachement très insécure et fasse tout pour que
l'enfant reste auprès de lui, que l'enfant craigne qu'il arrive
quelque chose à ses parents pendant son absence, que l'enfant
craigne qu'il lui arrive quelque chose à lui, ou que l'un des
parents ne fasse tout pour garder l'enfant auprès de lui de peur
qu'il ne lui arrive quelque chose ("une fois que les faits sont
connus et que la dynamique familiale est identifiée, le comportement
de l'enfant trouve une explication simple en fonction de la situation
dans laquelle il se trouve"). Les cas cliniques sont en effet assez
clairs, et montrent qu'une anamnèse vigilante par un·e clinicien·ne formé·e
peut être nécessaire pour percevoir les dynamiques à l'œuvre (de
la même façon qu'un enfant qui a un attachement anxieux-ambivalent
va ignorer le parent ou être agressif au moment des retrouvailles,
le parent à l'attachement insécure tendra à offrir au ou à la clinicien·ne un
portrait de lui-même particulièrement flatteur, qui contrastera
d'autant plus avec le comportement présenté comme ingrat de
l'enfant). Bowlby insiste toutefois fermement sur le fait que les
parents ayant des comportements insécurisants pour l'enfant sont
avant tout des personnes en souffrance, et que la découverte de ces
comportements doit servir à les aider et non à les accuser :
une présomption de culpabilité envers les parents (attitude que
Bowlby associe par exemple au mouvement de l'anti-psychiatrie) est à
la fois problématique éthiquement et contreproductive ("ces
remarques ont été si stridentes et si implacables envers les
parents que la perspective familiale en a été discréditée et que
des éléments pertinents ont été rendus inaudibles").
Après avoir sensibilisé le·a lecteur·ice aux aspects négatifs de
l'attachement insécure, Bowlby, à travers un certain nombre
d'études, sur des sujets allant de la petite enfance à l'âge
adulte (l'une des études concerne par exemple des astronautes!),
recense ce que l'état de la science permet de dire sur les intérêts
d'un attachement sécure sur le développement personnel (tout en
admettant qu'un consensus sur une définition du développement
personnel est impossible). Une étude d'Ainsworth permet ainsi
d'observer que des enfants dont l'attachement a été identifié
comme sécure à l'âge de 1 an étaient à 21 mois capables de se
concentrer mieux et plus longtemps, étaient plus souriants et
acceptaient mieux de jouer avec un·e adulte inconnu·e. Plus généralement,
un attachement précoce sécure permet d'être plus sûr de soi et de
faire plus confiance aux autres au quotidien ("une confiance en soi
solide, cela est clair, est non seulement compatible avec la capacité
de compter sur les autres, mais est même complémentaire avec cette
capacité").
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