Reprenant les principes de l'ACT et surtout les prolongeant avec les
principes de la méditation de bienveillance, ce livre est fait pour
être utilisé par ses lecteur·ice·s directement plutôt que par un·e
thérapeute. Il sera donc très, très, très axé sur la pratique :
vous n'y rencontrerez pas de drôles de termes comme matrice, défusion
ou évitement expérientiel, mais beaucoup, beaucoup d'exercices (au
point que l'auteur recommande à plusieurs reprises de faire une
pause de quelques jours dans la lecture pour s'entraîner
suffisamment aux exercices proposés et en saisir l'essence, c'est à dire exactement ce que je n'ai pas fait).
Trop se débattre contre ses souffrances a en effet le plus souvent
pour conséquence de les augmenter (sentiment d'impuissance,
culpabilité, rancœur, …). L'auteur donne quatre exemple
particulièrement illustratifs (accompagnés d'une illustration
clinique) : le mal de dos (une cliente, par ailleurs professeure
de yoga, a considérablement aggravé des douleurs lombaires à force
de faire attention pour s'en débarrasser très vite, ce qui avait
consisté à arrêter le sport -donc se privant d'une façon
d'évacuer le stress donc se rendant plus tendue y compris
physiquement- et à adapter ses postures pour épargner la zone
douloureuse, postures qui forcément étaient moins naturelles donc
plus contraignantes pour l'organisme), la timidité (l'auteur sait de
quoi il parle, vu qu'il s'est déjà retrouvé face à un spectateur
qui lui disait "respire!" une fois où son trac était un peu trop
visible lors d'une conférence), l'insomnie (je peux confirmer très
personnellement que voir les heures de sommeil disponible restantes
diminuer à vue d'œil n'aide vraiment pas, mais alors vraiment pas,
à s'endormir) et les conflits dans une relation. Il aurait pu en
choisir bien d'autres, les enjeux du livre sont d'ailleurs bien plus
vastes, mais ces exemples sont éloquents. La professeure de yoga a
pu rapprocher sa reprise du yoga... en reprenant le yoga (tout en
prenant soin de sa blessure, mais différemment), l'auteur accepte le
stress avant une intervention publique plutôt que de se stresser en
constatant à quel point il est stressé, l'insomnie est moins
insurmontable quand on prend le temps de réaliser qu'on peut être
fonctionnel même avec un manque de sommeil (et qu'en tant
qu'insomniaque on a par ailleurs eu l'occasion de le constater) et
que l'épuisement qui suivra sera l'occasion d'enfin dormir (ça
alors, j'ai donc déjà fait de l'ACT sans le savoir!). Pour les conflits
relationnels, l'auteur raconte une fois où il avait pris la
résolution d'aider sa femme qui rentrait d'hospitalisation, et ce
malgré le fait qu'elle ait besoin d'aide le matin, ce qui lui
rendait la situation particulièrement difficile : ce n'est
qu'après avoir pris conscience que son agacement montait de façon
exponentielle (ce qui a pris du temps précisément parce qu'il ne
voulait surtout pas être agacé : ce n'est pas lui qui rentrait
d'hospitalisation, et en plus sa femme ne lui avait rien demandé)
alors qu'il bataillait avec un plâtre qu'il s'est excusé de sa
fatigue, a pris le temps de boire un verre de jus d'orange, et a pu
continuer d'aider plus efficacement et plus volontiers (ne pas
admettre la sensation d'agacement parce qu'elle était absurde aurait
en fait eu pour conséquence de conduire à une dispute encore plus
absurde).
L'acceptation (à ne surtout pas confondre avec la résignation),
l'observation de l'univers interne, sont des éléments clef de la
méditation, le lien se fait donc assez vite. L'auteur va plus loin
en proposant de pratiquer (parce qu'il s'agit bien d'une pratique,
pas seulement d'un état d'esprit) l'autocompassion, en constatant
que compatir pour soi peut être perçu comme un signe d'égoïsme ou
de faiblesse alors même que compatir pour les autres est
généralement bien vu. Plusieurs recherches scientifiques sur le
sujet, présentées par l'auteur, ont pourtant montré que les
exercices d'autocompassion d'une part augmentent parallèlement
l'altruisme, et d'autre part incitent à se dépasser plutôt que de
s'apitoyer sur son sort. L'auteur, sauf erreur de ma part, ne
s'attarde pas sur les causes mais on peut probablement l'expliquer de
façon plausible par le fait que, par exemple, la culpabilité est un
gaspillage d'énergie (ce constat implique aussi qu'il ne faut pas
culpabiliser de culpabiliser!) ou encore que l'autodépréciation
essentialise les défauts donc bloque la recherche de solutions.
De
très nombreux exercices de metta (terme originaire pour désigner la
méditation de bienveillance, l'auteur utilise les deux termes) sont
proposés, que ce soit en méditation formelle ou au quotidien. La
spécificité de la méditation de bienveillance est que les
exercices sont centrés sur le mantra "Que je sois en sécurité.
Que je sois heureux. Que je sois en bonne santé. Que ma vie soit
facile", qui peut être intégré à une séance de méditation de
pleine conscience classique. Il consacre une part importante à préciser l'intérêt des exercices, illustrés par des situations cliniques,
mais aussi leurs limites (quel que soit le temps passé on ne
pourra jamais être capable de tout accepter ou d'être tout le temps
bienveillant, si des problèmes sont résolus rapidement il y a des
risques de rechute qu'il faudra alors surmonter, s'éveiller à ses
émotions peut être très douloureux dans un premier temps si on a
résisté à des souffrances intenses en se fermant, …) et aux
obstacles communs à la pratique (difficultés à s'y investir selon
le tempérament, réticence à l'autocompassion ou à la
bienveillance envers certaines personnes, …).
Le
livre est très accessible, peut aider autant des lecteur·ice·s en
recherche de développement personnel que des personnes plus en
souffrance, et donne une assise pragmatique à des valeurs qu'on
aurait pu spontanément qualifier de naïves. En revanche, c'est
surtout un livre d'exercices : le lire sans pratiquer, c'est se
contenter d'une méthode Coué joliment illustrée.
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