jeudi 21 décembre 2017

Voyage au bord du vide, de Caroline Valentiny



 L'autrice, aujourd'hui psychologue, raconte par ellipses ses longues années de grave dépression (plus de 10 ans), pendant lesquelles sa vie a plusieurs fois été en danger (tentatives de suicide, perte de poids jusqu'à 35 kilos, …).

 Le livre commence avec la prise de conscience de la maladie et les premiers rendez-vous médicaux, puis raconte l'hospitalisation, puis une nouvelle hospitalisation dans un service avec des soins plus lourds (surveillance plus stricte, électrochocs réguliers en plus des médicaments, …), jusqu'à la rencontre, au travers son livre (Guérir l'anorexie et la boulimie par la méthode Montreux) puis en personne, de Peggy Claude-Pierre, rencontre qui constituera un premier pas vers la guérison, qui se consolidera lentement, très progressivement ("toutes ces peaux mortes en deçà desquelles il me faut aller pour retrouver la vie vivante"), pendant plusieurs années.

 L'autrice parvient à rendre évocatrices les descriptions de l'état de dépression, pourtant difficile à décrire parce qu'il s'agit précisément d'une absence, d'un vide ("Parfois, elle se contente de manger la couleur. Elle laisse la forme, le squelette. Les apparences sont sauves. On ne voit rien. Je n'ai rien", "Aucun corps auquel s'accrocher. Réalité sans consistance", "Comment ça se fait que j'aimais ça, avant ? Je croyais que c'était à cause des blagues, et de tout le monde réuni, et de la forte odeur de chocolat. Mais ça, ça n'a pas changé. Ce doit être moi qui n'y suis plus", "Le jaune du soleil ne va plus avec la chaleur du soleil", …). La douleur, qu'on suppose pourtant ne pouvoir qu'être présente et intense, est au contraire surtout décrite de façon implicite : la peur de vieillir sans avoir vécu est évoquée au détour d'une angoisse ("fossilisée avant l'âge, avant que les années ne viennent m'arracher les dents dans un éclat de rire moqueur"), il n'est pas question si souvent de l'affaiblissement intense causé par la sous-nutrition et les médicaments, une automutilation qui ressemble à une tentative de suicide (bien que le souhait de mourir ne soit pas explicité) est décrite comme une tentative de retrouver des sensations ("Mon corps brûle, je vais exploser. Du sang. Il me faut du sang. Pour être sûre que je vis toujours", "Fascinée, je contemple les gouttes qui s'échappent le long de ma paume. Ce mince filet rouge, en s'échappant de moi, emporte avec lui toute la crasse qui m'asphyxiait quelques secondes auparavant. Un soulagement soudain, inespéré, me fait éclater de rire. L'entaille silencieuse dans ma chair apaise un peu l'angoisse et la rage contre moi-même, étouffante, abandonne sa pression de fer. Je respire"), …

 La thérapie qui permet à l'autrice de s'en sortir progressivement est marquée par l'implication, le respect, la patience du personnel thérapeutique : Peggy accepte un appel au milieu de la nuit ("Je m'excuse brièvement de l'éveiller ; elle a la voix endormie et une vague de culpabilité me traverse. Elle me dit de ne pas m'en faire, qu'elle a l'habitude d'être réveillée au beau milieu de la nuit, que j'ai bien fait d'appeler"), sa thérapeute (Mona) ne se formalise pas quand l'autrice dit qu'elle ne veut plus qu'on lui demande si ça va, quand elle reste une heure sans parler ou qu'elle refuse d'enlever ses gants (qui dissimulent des traces d'automutilation) et surtout d'expliquer pourquoi. Le contraste avec l'hospitalisation précédente, surtout décrite par la mère (que l'autrice fait parler à la première personne), est frappant : certains aspects donnent la sensation que l'institution avait pour but de contrôler, parfois de façon infantilisante, faute de pouvoir soigner (traitement médicamenteux très lourd - "je prends tellement de choses différentes qu'on ne peut pas y voir clair. Même si une molécule m'aidait vraiment, ce serait enfoui sous la brume et la lourdeur des vingt autres pilules de la journée"- alors que les entretiens avec la psychologue, trois fois par semaine, sont limités à un quart d'heure, contacts téléphoniques avec l'extérieur limités à un par jour – au point que l'autrice se fait arracher le téléphone des mains en plein appel quand elle avait oublié -effet secondaire des électrochocs- qu'elle avait appelé plus tôt dans la journée, on conseille à la mère de prendre de la distance - "je devais me distraire et me changer les idées, aller au théâtre par exemple, faire du sport, me détendre, et surtout les laisser faire leur travail, au lieu d'interférer sans cesse"- quand elle s'inquiète un peu trop avec des remarques précises, ...). Peggy Claude-Pierre sait toutefois aussi être directive sur certains points, ne se contentant pas d'observation et de disponibilité ("Peggy a été claire : sous les 45 kilos, je dois arrêter", "On détermine des lignes de conduite un peu plus structurées. Je fais de l'anglais une demi-heure par jour. J'écris à Peggy une heure par jour, maximum, pour désencombrer les pensées tapageuses […] Tant pis si les pensées continuent de sourdre à mes oreilles, supplient d'être transcrites").

 Malgré la brièveté du livre, la précision de l'autrice pour décrire ses souffrances, le fait que les chapitres soient datés chronologiquement, donnent une idée de la longueur du supplice, du désespoir qui a dû souvent s'emparer de Caroline Valentiny et de sa famille, qui est restée très présente, comme l'équipe de Peggy Claude-Pierre. Si sombre que soit l'essentiel du contenu, c'est donc surtout un message d'espoir, une invitation à, quand il n'y a pas d'autre solution, rester capable d' "entendre l'herbe pousser", pour reprendre l'expression d'Arnhild Lauveng. C'est aussi une description des souffrances de la dépression bien plus parlante que "TOCS, automutilations, anorexie, boulimie, attaques de panique, impressions angoissantes d'irréalité, pensées galopantes, perception morcelée du monde et de soi".

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