Vous avez
peut-être déjà entendu parler de l’histoire de départ :
deux neurologues, occupés à faire des recherches sur des singes,
prennent une pause et un sandwich, en laissant le dispositif
d’imagerie cérébrale branché sur leurs sujets. Quelle n’est
pas leur stupeur de constater que chez lesdits singes, s’activent
les mêmes neurones que si eux-mêmes mangeaient un sandwich! Entre
le storytelling que permet l’aspect complètement fortuit de la
découverte (oubliez la pénicilline et la tarte tatin!) et les
nombreux enjeux associés à l’idée que le cerveau nous fasse
imiter, involontairement et intérieurement, notre prochain·e, la
tentation peut vite venir de faire dire tout et n’importe quoi à
cette belle avancée, et d’utiliser le terme de neurones miroirs
comme un mot magique. Ce livre, écrit par un professeur de
philosophie des sciences et l’un des chercheurs qui a eu à peu
près le meilleur timing du monde pour manger un sandwich, permet
d’en savoir plus sur ce que la science permet précisément de dire
sur les neurones miroirs.
Celles et ceux qui
rêvent d’envolées, philosophiques ou non, sur l’empathie,
l’apprentissage par la visualisation ou la nature viscéralement
sociale de l’humain ou même des autres primates seront dans un
premier temps refroidi·e·s : les quatre premier chapitres sont
presque intégralement consacrés aux mécanismes neurologiques
impliqués dans la saisie d’une tasse de café (ce qui est certes
un enjeu important, ce n’est pas moi qui vais dire le contraire!).
Cette description n’est pas motivée par l’aspect ô combien
essentiel de ce précieux breuvage, mais parce qu’elle permet
d’expliquer les nombreuses implications de ce simple mouvement, en
particulier les liens intimes entre les mécanismes visuels et
moteurs. Le geste est en effet précédé par de nombreuses
représentations de la tasse en question : la distance, le
diamètre, éventuellement la température (eh oui, c’est quand
même compliqué, pas étonnant qu’il m’arrive si souvent de tout
renverser), … Et, dans le cas des neurones miroirs, il est
précisément question de liens entre les mécanismes neurologiques
visuels et moteurs, puisque des neurones moteurs seront activés sans
qu’il n’y ait mouvement. Des expérimentations ont permis d’aller
plus loin : les neurones miroirs s’activent quand les
mouvements ont un sens. En voyant quelqu’un manger donc, ou par
exemple taper dans un ballon… mais, chez le singe en tout cas, pas
quand quelqu’un fait le geste, dans le vide, de manger ou taper
dans un ballon (mais chez l’humain oui, peut-être parce que le
sens du geste mimé est quand même identifié). L’une des
conditions est aussi que l’observateur·ice soit capable d’effectuer
le geste : une chorégraphie de capoeira n’a déclenché
l’activation des neurones miroirs que chez des pratiquant·e·s de
capoeira, mais pas chez des non pratiquant·e·s, même quand iels étaient
par ailleurs danseur·se·s.
Les
auteurs ont identifié des enjeux des neurones miroirs hors de la
stricte imitation du mouvement, par exemple dans l’apprentissage du
langage ou les émotions. Je suis loin d’avoir tout saisi du
chapitre sur le langage, d’autant plus complexe que beaucoup
d’hypothèses sont présentées en plus des observations plus
solides, mais l’idée est d’une part que notre langage est un
dérivé lointain d’une représentation du monde par les signes,
qui aurait été favorisé par les neurones miroirs, et d’autre
part que cette spécificité optimise la communication ("ce qui
compte dans la communication linguistique, ce ne sont pas tellement
les sons en soi, mais les gestes articulés qui les engendrent,
puisque c’est d’eux qu’ils tirent leur consistance phonique").
L’enjeu des émotions est plus évident : l’empathie est
souvent associée en soi à l’émotion, et comment ne pas y penser
à l’évocation de neurones qui permettent de se mettre
littéralement à la place de l’autre, mais surtout les émotions
ont presque depuis leur étude été intimement liées aux mouvements
qui les expriment (expression du visage, posture corporelle, …), au
point que dès le XVIIIème siècle la question se posait de savoir
si les émotions provoquaient les mouvements associés ou si c’était
l’inverse. Citant Darwin et William James, les auteurs permettent
d’ailleurs de constater à quel point les observations et
réflexions de ces pionniers allaient se révéler justes. La
citation de Darwin sur la nourriture et le dégoût (le fait de voir
de la soupe vaillamment accrochée à des poils de barbe provoque le
dégoût alors que ce n’est le cas ni pour la barbe ni pour la
soupe séparément, probablement parce qu’à la vision de
nourriture l’humain se représente spontanément en train de la
manger) rappelle d’ailleurs de façon troublante les considérations
des auteurs sur la saisie de tasse de café, qui implique avant tout
un certain nombre de représentations préalables. Les expériences
décrites, si intéressantes soient elles, vont à mon grand regret
se limiter au dégoût et à la douleur (que je n’aurais pas
identifiée comme une émotion, mais bon c’est incontestablement
quelque chose qu’on ressent et, généralement, qu’on exprime).
J’aurais par exemple été très curieux de savoir si les neurones
miroirs fonctionnaient de façon identique pour le sourire de
Duchenne (authentique, réflexe, involontaire) et le sourire social
(délibéré, volontaire).
S’il
s’agit bien d’un livre de vulgarisation, le contenu est plutôt
technique, et des connaissances en neurologie rendront la lecture bien plus confortable. L’avantage est que
le livre reste intéressant pour, par exemple, un objectif plus
avancé comme un mémoire de recherche, puisque chaque étape de la
réflexion est clairement expliquée et que toutes les recherches
impliquées sont référencées.
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