mardi 6 avril 2021

Pandorini, de Florence Porcel


 Ses vies sociale et professionnelle en suspens jusqu'à ses 19 ans à cause de graves problèmes de santé, la narratrice compte bien prendre sa revanche, entrer dans la vie par la grande porte. L'opportunité arrive bientôt : figurante sur un tournage avec le légendaire et charismatique Pandorini, acteur dont ceux.elles qui l'ont vu en vrai évoquent le magnétisme, fondateur et soutien très actif des Colettines, centres d'accueils pour victimes de violences conjugales, elle dépose une vidéo de démo dans sa loge, avec ses coordonnées. Après une attente interminable, c'est... l'acteur lui-même qui la rappelle! Il laisse un message vocal, tente de la joindre deux soirs à la même heure. Le troisième soir, la narratrice s'assure d'être disponible pour décrocher et... il lui propose un rendez-vous! Elle va rencontrer, elle, le légendaire Pandorini! Le rejoindre sur un tournage, puis être à son bureau. Pourtant, alors qu'elle avait tant envie de partager son incroyable aventure avec ses amies après le message vocal qu'elle a écouté et fait écouter tellement de fois, elle n'aura plus du tout envie d'échanger, au point d'être virulente, après le premier appel. Ce moment où l'échange a pris très subitement une connotation étrange ("-Est-ce que vous êtes heureuse? -Euh... oui... Oui, mon école me plaît beaucoup... -Et dans votre vie amoureuse? -Euh... oui, là euh je sais pas..." suivi de questions de plus en plus intrusives, obscènes "Vous n'avez jamais embrassé un garçon alors?" "Vous n'avez jamais fait l'amour?" "Vous vous caressez?" "Vous vous caressez comment?"), elle n'a vraiment pas envie de l'évoquer. Et il lui faudra un moment pour parler de ce qui s'est passé pendant le rendez-vous en question ("il a été trop cool parce qu'il a mis la capote sans faire d'histoire, hein Soline c'est pas si fréquent, il a été doux j'ai rien senti - enfin je veux dire j'ai pas eu mal - enfin si un peu à la fin mais c'est normal, il a pas insisté quand j'ai refusé de faire ce qu'il m'a proposé oh la la c'était tellement adorable de sa part"), avant de rentrer dans une fureur terrible parce que son enthousiasme n'est pas partagé.

 Structuré narrativement par les réactions médiatiques aux dénonciations des violences sexuelles commises par Pandorini (multiplicité croissante des témoignages d'un côté, défense plus ou moins agressive de la personne de l'autre), cette histoire peut en rappeler d'autres, en particulier après le mouvement #MeToo, après les réactions provoquées par l'obtention d'un César par Polanski. Et pour cause : ce récit est de très forte inspiration autobiographique. Florence Porcel a d'ailleurs, depuis la parution, porté plainte contre Patrick Poivre d'Arvor. Mais, si c'est bien la multiplicité des regards qui est au cœur du récit, c'est avant tout à travers l'évolution du regard de la narratrice, qui progressivement cessera de voir ce 22 mars comme "le plus beau jour de (s)a vie" suivi d'une histoire d'amour, et accédera finalement, quatorze ans plus tard, à une perception lucide ("de quel DROIT, Jean-Yves, DE QUEL PUTAIN DE DROIT?", "Cette situation n'est pas normale : IL T'A FAIT DU MAL") mais apaisée ("la déflagration avait fusionné les deux moi").

 Si ce temps était aussi long, aussi douloureux (vaginisme, tentative de suicide, médication nécessaire, ...), c'était toutefois nécessaire, car il s'agissait bien d'un viol, d'un traumatisme, avec le temps que ça implique pour s'en remettre alors que tant de vulnérabilités, parfaitement identifiées par l'agresseur, étaient présentes ("mon cerveau, sachant que la vérité m'aurait été insupportable, m'en a protégé comme il a pu"). Le rappel, simplement, des faits, est une première étape : le double-jeu de Pandorini, jouant la complicité voire la timidité avant de donner des ordres avec froideur, la confusion des genres dans un rendez-vous qui était supposé être professionnel (si elle a bien fait carrière, la narratrice n'a bénéficié d'aucun coup de pouce de l'acteur et producteur si influent), le fait qu'elle ait eu mal pendant le rapport et l'ait exprimé très clairement, sans aucune prise en compte en face, ... Et même dans la poursuite de la relation : il continue d'abord à être en contact avec la narratrice, par appels et SMS, puis disparaît du jour au lendemain, réapparaît avec un comportement ambigu... rien pour définir sainement la relation, la clarifier, l'aider à l'oublier ou à comprendre ce qu'elle représente effectivement pour lui. Et pourtant, même si l'attirance physique n'était pas vraiment là (la narratrice préfère Di Caprio), c'était le légendaire Pandorini : si son objectif était vraiment de coucher avec cette actrice de 19 ans à l'entrée de sa carrière, il avait bien des façons plus saines, et tout aussi fiables, d'arriver à ses fins.

 Un choix fort du récit est de se concentrer, plus que sur la destruction du criminel, de celui qui a provoqué tous ces traumatismes, semble-t-il à de nombreuses personnes (le récit commence d'ailleurs à la mort de Pandorini, alors que Patrick Poivre d'Arvor est bien vivant), sur le récit personnel de reconstruction. Accepter que ça prend du temps, accepter qu'il y ait de l'ambivalence ("je t'aimais"), montrer qu'il y a une fin possible à ces souffrances, sans rendre, en rien, les faits plus acceptables. Florence Porcel a déjà montré qu'elle savait exprimer sa colère de façon exceptionnelle, ce récit en est une preuve, considérable, supplémentaire, avec des enjeux à la fois individuels (la souffrance a une fin, les vécus paradoxaux sont pleinement légitimes et font même partie intégrante des mécanismes de ce type de violences, d'autres sont passé.e.s par là) et collectifs (les associations, les médias, ont leur rôle à jouer et le pouvoir de faire bouger les choses).

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