mardi 2 mai 2023

Recovery from cults, dirigé par Michael Langone

 



 Fort d'une longue expérience pratique, théorique (un doctorat et des publications scientifiques) et directeur du Cultic Studies Journal, Michael Langone semble bien placé pour diriger ce travail conséquent, écrit à de nombreuses mains et qui couvre de beaucoup de sujets, montrant à quel point le thème des sectes est plus vaste qu'on ne pourrait le croire.

 Si l'accent est mis, la promesse du titre est tenue, sur l'après (dans de bonnes conditions, il faut attendre 1 an et demie à 3 ans pour une intégration des personnalités d'avant la secte, de la vie dans la secte et de l'après selon Arnold Markovitz), ce qui inclut le juste après (en d'autres termes, aider, sur demande et avec l'aide de la famille, la personne à sortir), d'autres sections, qui semblent indispensables, sont proposées : difficile de saisir de façon satisfaisante le sens de l'accompagnement sans comprendre vraiment en quoi consiste la vie dans une secte, et sans se débarrasser de quelques idées reçues. L'idée reçue la plus combattue est la pathologisation des personnes qui entrent dans une secte : certes avoir des choses à régler (addiction, questionnements sur sa foi, phase de transition) peut rendre plus vulnérable (et ces vulnérabilités seront encore présentes et exigeront un travail thérapeutique après), mais personne ne veut entrer dans une secte et c'est bien pour ça qu'aucune secte ne se présente comme une secte ce qui ne les empêche pas d'avoir des adeptes... c'est d'ailleurs un point commun fort avec les relations abusives, et ma propre idée reçue que les sectes ont de nombreux points communs avec les relations abusives s'est pour le moins confortée tout au long de la lecture. Geri-Ann Galanti, anthropologue, s'amusera d'ailleurs de ses propres idées reçues, à la fois sur la secte Moon et sur le lavage de cerveau (elle utilise volontairement un terme très connoté), malgré un travail préparatoire important puisque c'est dans le cadre d'une recherche qu'elle a participé à un week-end d'initiation (la première surprise était déjà plutôt désobligeante, puisqu'alors que selon ses connaissances la secte était marquée par la dissimulation et le secret... on lui a demandé à plusieurs reprises si elle était bien au courant qu'elle s'inscrivait à une manifestation de l'Eglise de l'Unification! Oui, les procédures peuvent changer...). Elle attendait dogmatisme, privation de sommeil et de nourriture, elle a trouvé sourires, gentillesse et ambiance festive (et elle mangeait bien et personne ne l'a empêché de faire la grasse matinée). Elle a bien pu identifier des mécanismes de manipulation (double discours en particulier en réponse à ses questions sur le contenu des cours de théologie -qu'elle n'aurait probablement pas posées si elle n'était pas là pour ça-, surveillance constante des membres avec une demande de rendre compte quotidiennement de leur état d'esprit, compliments nombreux et surjoués qui créent une forme de dépendance à l'opinion positive du groupe, ...) mais, toute anthropologue compétente sur les méthodes de manipulation et en observation de terrain qu'elle soit, elle a mis plus de temps qu'elle ne l'aurait voulu à comprendre que sa remarque à une amie comme quoi iels n'étaient pas si méchant·e·s que ça était précisément le cœur du problème (d'ailleurs, dans les relations abusives non plus, l'agresseur n'est souvent pas si méchant que ça alors qu'il a commencé à créer une emprise). Des fois, la cause fait que les exigences d'ascétisme, de dons financiers, de secret, l'interdiction de la négativité, peuvent être plus explicites plus rapidement sans que la personne ne perçoive qu'elle est dans une secte, comme dans le récit détaillé que fait Janja Lalich de son parcours dans un mouvement communiste féministe. En effet, les sectes ne s'appuient pas nécessairement sur des thématiques mystiques ou religieuses mais peuvent être politiques, commerciales, concerner le domaine de la santé physique ou... de la psychothérapie!

 Les méthodes présentées dans le détail pour aider les personnes à sortir relèvent de la psychoéducation, en opposition explicite aux méthodes bien plus frontales proposées dans Combatting cult mind control, de Steven Hassan (sauf que ce livre est aussi mis en avant pour sa qualité et le fait qu'il a convaincu de nombreux·ses ancien·ne·s adeptes à chercher de l'aide, donc il y a de bonnes chances pour qu'il trouve un chemin vers les pages de ce blog). Pour plusieurs des auteur·ice·s, les ancien·ne·s adeptes qui ont bénéficié de psychoéducation se portent mieux que ceux et celles qui n'en ont pas bénéficié, en partie parce qu'avoir des clefs pour comprendre les mécanismes de manipulation est déculpabilisant. D'autres spécificités sont que le consentement de la victime est non-négociable (la démarche lui est présentée comme un entretien avec sa famille qui s'inquiète, ce qui est par ailleurs vrai puisque les thérapeutes interviennent sur demande de la famille), et que l'intervention implique une connaissance fine du discours et de la mythologie de la secte (ce qui permet d'en montrer de façon précise et surtout entendable les failles et les limites) et ses inspirations. Un chapitre où l'auteur détaille toutes les procédures pour aider une jeune adulte à sortir d'une secte New Age (elle devait accoucher d'un frère et d'une sœur divin·e·s pour accomplir une prophétie et devenir l'être sacré qu'elle était vraiment, autant dire que c'était ambitieux d'obtenir d'elle une oreille attentive) montre à quel point la procédure est exigeante : chaque bribe d'information (pour localiser la secte, préalable difficilement dispensable d'un point de vue pratique, comprendre le fonctionnement de son réseau, avoir les détails précis de son discours et une connaissance détaillée des mythes dont il se nourrit) et laborieuse et éprouvante à obtenir, sans compter les risques bien réels face à une organisation qui pratique aussi proxénétisme et trafic d'armes.

 Si la sortie effective de la secte est une première victoire (des éléments sont donnés pour évaluer le risque de représailles et comment s'en protéger le cas échéant), c'est aussi le début de nouvelles souffrances. La personne a quitté son entourage pour rejoindre une communauté, et coupe du jour au lendemain tout contact (la plupart du temps) avec cette communauté pour rejoindre ce qui reste de son entourage, ce qui constitue potentiellement deux sources de culpabilité, avec la sensation d'avoir trahi (les auteur·ice·s ne s'étendent pas sur l'éventualité d'avoir éventuellement participé aux violences de la secte, en particulier aux violences entre fidèles). De plus, les ancien·ne·s adeptes sont souvent précaires (les sectes ont plus pour habitude d'exiger des dons importants que de rémunérer généreusement le travail effectué -le droit du travail peut d'ailleurs être l'un des fondements d'une action en justice-), se sont vu·e·s dire quoi penser vingt-quatre heures sur vingt-quatre (une forme de dissociation appelée flottement est une séquelle fréquente des conditionnements et traumatismes), vont réaliser progressivement à quel point iels ont été manipulé·e·s, et ont le plus souvent subi des violences (psychologiques, physiques, sexuelles, ...). Les rapports à la religiosité (quand c'était l'objet de la secte) et à la sexualité (souvent la chasteté, ou à l'inverse des relations sexuelles fréquentes selon des modalités dictées, sont imposées, voire les deux à la fois quand le gourou prône la pureté mais s'arrange d'un double discours pour violer ses adeptes) sont souvent particulièrement complexes à reconstruire.

 Le livre est à la fois accessible et dense (il est destiné au grand public mais la plupart des auteur·ice·s voire tout·e·s ont un titre universitaire), il va de soi que je ne fais qu'effleurer le sujet, et il n'est à ma connaissance disponible qu'en anglais. J'ai par contre été un peu frustré de voir qu'il n'avait jamais été réédité, bien qu'il ait été publié en 1993 (ça commence à dater!) et alors même qu'il fait état de changements dans les décennies précédentes (je doute un peu que rien n'ait bougé trois décennies après!).

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