Comme le titre l'indique sans trop d'ambiguïté, ce livre a l'ambition d'offrir un panorama complet et détaillé de la Gestalt-thérapie francophone. Les sujets traités sont effectivement vastes, des fondamentaux techniques de cette approche à son existence institutionnelle en France, en passant par ses applications multiples (thérapie individuelle, de couple, intervention en entreprise -que certains livres évoquent plus en détail comme C'est le bazar et c'est tant mieux au titre très parlant-) ou son histoire ("la naissance de la Gestalt-thérapie est complexe, et porte en elle-même la genèse de conflits futurs").
Les principes les plus incontournables qui font la spécificité de l'approche sont détaillés, comme la notion de frontière-contact entre individu et environnement, l'importance de l'ici et maintenant ("[Perls] reproche à Freud de présenter nos souvenirs comme étant figés, telles des "sardines dans une boîte", alors que nous les reconstruisons en permanence"), la place des émotions et de l'expérientiel, le fait que le·a thérapeute soit partie intégrante de la thérapie en tant que personne s'inscrivant dans l'environnement (le champ) et ayant sa propre perception du ou de la patient·e comme faisant partie dudit champ, ou encore la complexité de la notion de normal et de pathologique ("la pathologie apparaît lors de la perturbation de la capacité d'ajustement créateur"), sachant que Fritz Perls et Paul Goodman, deux des principaux créateurs de l'approche, ont eu par la force des choses un rapport particulier à la norme puisqu'ils ont été persécutés, l'un en tant que Juif et l'autre en tant qu'homosexuel (Perls, par ailleurs en opposition aux injonctions sociales depuis son enfance, a fui le nazisme a plusieurs reprises, dont une fois en passant des Pays-Bas à l'Afrique du Sud où il a été choqué par l'Apartheid).
Que ce soit dans son histoire (l'auteur rappelle à quel point les travaux de Laura Perls ont été invisibilisés, alors que selon elle "sans mon appui et sans une collaboration continue, Fritz n'aurait jamais écrit une seule ligne, ni fondé quoi que ce soit"... cette approche a questionné beaucoup de normes, mais pas tellement l'effet Matilda, semble-t-il) ou pour les considérations plus théoriques, cette approche a beaucoup été marquée par l'instabilité, les échanges, le conflit, jusque dans l'écriture de cet ouvrage ("comme l'équipe représente la majorité des courants gestaltistes français, les différentes écoles ou associations professionnelles peuvent se l'approprier"). C'est la marque d'une cohérence certaine pour une approche qui met au centre le mouvement et l'ajustement créateur, les interactions et l'impact sur l'environnement, la subjectivité, et même l'agressivité (dans le sens d'aller vers, par opposition à la violence qui porte une intention destructrice). C'est peut-être pour ça aussi que les développements théoriques, nécessairement plus figés, peuvent être laborieux à saisir (plus qu'ils ne l'auraient été avec de très nombreuses vignettes cliniques comme dans le Gestalt Therapy Verbatim), mais ce n'est pas vraiment un problème puisque, si le livre est plutôt accessible, ce n'est a priori pas un livre de vulgarisation.