Être aidant·e, c'est généralement une vocation, c'est extrêmement riche humainement, mais ça demande aussi beaucoup, d'autant que ce métier est rarement accompagné d'un bouton "pause" à disposition. L'exposition à des récits de situations terribles, au sentiment d'impuissance, aux scènes de violence les plus explicites, parfois à la prise à partie par les personnes mêmes qu'on accompagne, que ce soit de façon indirecte (absences ou arrêt du suivi sans informer, manipulations, ...) ou directe (agressivité verbale voire physique), peuvent user, fissurer le pilier que l'aidant·e se doit d'être, au point de pousser à des remises en questions brutales voire menacer la santé mentale. Les deux manifestations principales sont la fatigue de compassion (qui va se manifester pendant les séances par un manque de patience, des jugements, en dehors des séances par un besoin de calme exacerbé parfois au point de ne supporter personne) ou le traumatisme vicariant ("Je suis incapable d'aller dans ce centre commercial depuis que cette cliente m'a raconté son agression", "des images de charnier africain se sont imposées dans ma tête. J'ai même eu une odeur de brûlé dans le nez, c'est ridicule! Or je n'ai jamais vu de cadavres de toute ma vie. Je n'ai même jamais été en Afrique...").
L'autrice recommande de repérer les signes (irritabilité, évitement plus ou moins actif de certains sujets en thérapie, envie de boire qui se fait plus fréquente, ...) le plus précocement possible, car ils constituent un signal d'alarme indiquant qu'une limite a été atteinte. La grande richesse du livre, et on n'en attendait pas moins d'une experte du traumatisme qui a aussi une grande expérience de la formation et de la supervision auprès de thérapeutes spécialistes du sujet, est que les pistes sont nombreuses, ce qui permet vraiment d'individualiser les solutions. Bien entendu, faire une pause (ou, plus exactement, oser faire une pause, parce qu'acter que même si on est aidant·e on est pas invulnérable, ne pas être à la disposition des personnes qu'on accompagne, partager le fardeau avec les collègues, souvent ça ne va vraiment pas, mais alors vraiment pas, de soi), prendre soin de soi de toutes les façons que ça peut impliquer (musique, sport, vacances, méditation et exercices de respirations, humour, bons repas, ...), font partie de l'éventail des propositions et sont des éléments importants, mais ce ne sont pas les seuls.
Moins intuitif, mais tout aussi important, l'autrice invite par exemple à revenir aux racines de sa vocation pour mieux comprendre ce qui, potentiellement, a été brisé (l'attachement à une posture de sauveur·se, la croyance dans une bienveillance humaine générale, le besoin de gratitude, la certitude d'être capable d'encaisser n'importe quoi, ...), à mieux identifier qui peut nous soutenir et comment (soutien émotionnel et écoute, proposition de solutions, hédonisme, ...) ce qui peut éviter agacement et frustration, réapprendre à accompagner sans se laisser envahir, ou encore se souvenir et se connecter à ce qui nourrit tant dans ce métier (qui peut parfaitement cohabiter avec la fatigue de compassion!).
Ce guide est extrêmement riche en informations tout en étant parfaitement accessible, et d'une part permet de mieux prendre soin de soi en comprenant plus finement pourquoi ça peut être difficile de se l'autoriser, et d'autre part donne une visibilité sur un ensemble de mécanismes pour mieux comprendre d'où vient la détresse et quels leviers activer pour aller mieux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire