dimanche 14 avril 2013

La psychanalyse est-elle une pseudoscience?




 Note : ceci est une seconde version de l'article, écrite le 30/05/2017

 Alors que j'avais l'ambition naïve de faire le tour du sujet en lisant, en 1ère année, Le livre noir de la psychanalyse puis L'anti-livre noir de la psychanalyse (le second étant, par ailleurs, beaucoup plus dévastateur que le premier pour la psychanalyse!), force est de constater que, sur ce sujet a priori simple qui par ailleurs indiffère pas mal de professionnel·le·s, on tombe souvent, au détour d'un livre, d'une interview, d'un article, sur des arguments plutôt surprenants : à en croire certain·e·s, la psychanalyse serait réservée à des gens sans esprit critique, mais on a parfois l'impression qu'elle perturbe aussi l'esprit critique de ses détracteur·ice·s.

 Passons sur les critiques les plus flashy (l'omniprésence de la sexualité dans les interprétations, tel ou tel aspect de la personnalité de Freud, ...) qui n'ont pas grand chose à voir avec le fond, et commençons par nous attarder sur ce qui distingue le plus nettement la psychanalyse par exemple de la psychologie du développement, de la psychologie cognitive, des neurosciences ou des thérapies comportementales et cognitives : elle se base sur des informations irréfutables. Le concept, ancien, est de Karl Popper : si on ne peut pas prouver qu'une affirmation est fausse, on ne peut pas non plus prouver qu'elle est vraie. La recherche scientifique applique ce concept, ce qui n'est pas sans inconvénients puisque c'est à cause de ça qu'on a des cours de stats en psycho. En voilà un résumé très schématique : 1°) le·a chercheur·se émet une hypothèse (chaque fois que vous remplacez ce terme d'hypothèse par le terme de théorie, un chaton meurt dans d'atroces souffrances quelque part dans le monde, pensez-y), iel explique, en s'appuyant sur l'état de la science et ses propres raisonnements, pourquoi iel a d'excellentes raisons de penser telle ou telle chose. 2°) iel propose un dispositif expérimental pour le vérifier (d'où le fait que l'hypothèse doit être réfutable) : expérimentation (on compare un groupe contrôle à un groupe expérimental), observation, analyse d'entretiens, ... 3°) iel adapte l'hypothèse aux résultats obtenus, et propose éventuellement d'autres recherches pour l'affiner. La réfutation par l'expérimentation, si ça vous intéresse, est expliquée longuement de façon concrète et ludique ici ou ici (ça me paraît important que de préciser que, dans le deuxième lien, l'existence ou non d'une Dame Blanche est vérifiée!). L'avantage de la méthode expérimentale est aussi qu'elle permet de se prononcer quand la première étape fait défaut, quand on ne sait pas comment marche tel ou tel phénomène. On peut se féliciter de ne pas avoir attendu l'imagerie cérébrale pour profiter des bienfaits des états modifiés de conscience comme l'hypnose, la méditation ou... le sommeil! La psychanalyse est irréfutable dans le sens où elle s'arrête à l'étape 1°) : le·a psychanalyste qui propose une avancée théorique élabore un raisonnement, mais ne le vérifie pas.

 Est-ce que cette notion d'irréfutabilité permet de déterminer que la psychanalyse est moins fiable que les disciplines expérimentales de la psychologie? C'est difficilement contestable. Certes, on peut objecter avec raison que la méthode expérimentale a de nombreuses failles : les résultats peuvent être mal interprétés, être le résultat du hasard (par convention, on estime généralement qu'il y a une différence significative -donc qui n'est pas due au hasard- quand des équations biscornues ont permis de déterminer qu'il y avait moins d'une chance sur vingt que la différence entre condition contrôle et condition expérimentale soit le résultat du hasard), voire être truqués. Le problème, c'est que dans le cas de la psychanalyse, les mêmes objections peuvent être faites, en pire : le·a psychanalyste va mettre ses hypothèses à l'épreuve de ses propres entretiens cliniques avec des patient·e·s, mais rien ne l'empêche, probablement de bonne foi, de ne relever que ce qui va dans son sens, de trouver une raison qui l'arrange et de s'en tenir là quand les faits le·a contredisent, voire même d'inventer, de créer de toutes pièces, des éléments qui l'arrangent, dans la mesure où les entretiens sont confidentiels. Relever (avec raison) les failles de la démarche expérimentale, minimiser celles de la psychanalyse, ne suffit pas à occulter le fait qu'il y a une nette différence de fiabilité. Est-ce qu'il faut pour autant tout jeter à la poubelle? C'est aller vite en besogne : le raisonnement du·de la psychanalyste est à la disposition de tou·te·s, et, même s'il faut s'en contenter, chacun a la possibilité d'évaluer la cohérence de chaque étape de ce raisonnement. On est loin par exemple du supposé don, des sensations venues d'on ne sait où, qui en effet ne laisseraient comme alternative que la croyance ou la vérification.

 La psychanalyse est à la fois facile et impossible à attaquer du fait de sa diversité : tous les psychanalystes ne pensent pas la même chose, n'ont pas la même façon de pratiquer (pour un aperçu de la situation, je ne saurais trop recommander le coffret DVD Être Psy, volume 1, où des psychanalystes sont interviewé·e·s longuement en 1983 puis, quand c'est possible, en 2008). On reproche à la psychanalyse de ne pas être une thérapie efficace? Certains objecteront que ce n'est pas ce qui est important, que la guérison vient "de surcroît", d'autres (Georges Devereux, François Roustang) que bien sûr que si c'est une thérapie efficace, et que s'ils n'avaient pas pu le constater de près ils auraient rangé leurs affaires depuis longtemps. Certains accordent une importance primordiale à des éléments comme le divan, le silence de l'analyste pendant les séances, la durée de 45 minutes, le paiement selon telle ou telle modalité, d'autres s'en affranchissent en trouvant la flexibilité bien plus précieuse. On peut encore en rajouter une couche en rappelant qu'il existe de nombreux modèles théoriques (freudien, Anna Freudien, kleinien, lacanien, jungien, winicottien, pour n'en citer qu'une fraction). Pire encore : l'essentiel du travail des psychanalystes consiste à faire des in-ter-pré-ta-tions, qui par définition sont subjectives! Pourtant, si comme on vient de le rappeler, on peut largement justifier en quoi la psychanalyse en tant que telle est subjective, rien n'empêche d'en soumettre certaines affirmations à la vérification. C'est par exemple ce que fait John Bowlby à plusieurs reprises dans sa trilogie sur l'attachement ... et plusieurs affirmations sont en effet réfutées!

 La fraction vérifiable, si elle est négligeable quantitativement, est précisément selon moi centrale qualitativement. En dehors des affirmations vérifiables expérimentalement qu'il serait laborieux de relever, sans parler de toutes les tester une à une, des consensus scientifiques sont apparus depuis la création de la psychanalyse sur l'inhibition, sur le fonctionnement des émotions, sur les biais de raisonnement inconscients, sur l'influence du·de la thérapeute dans l'entretien clinique (désirabilité sociale, effet des relances, ...). L'attitude par rapport au savoir scientifique me paraît être un bon élément pour distinguer le·a psychanalyste à prendre au sérieux de celui ou celle qui ne l'est pas. L'inconscient ne peut pas s'explorer comme le comportement, chercher à le comprendre impose donc de se contenter de suppositions, d'interprétations, dont on ne peut qu'espérer qu'elles reposent sur des présupposés rigoureux. Le fait qu'une partie de ces présupposés soient vérifiables permet de faire le tri de façon assez limpide entre ceux·elles qui perçoivent l'aspect irréfutable de la psychanalyse comme un inconvénient, une contrainte nécessaire, et ceux·elles, qui hélas existent, qui y voient un avantage, l'opportunité d'affirmer n'importe quoi sans pouvoir être contredit·e·s, de se complaire dans l'obscurantisme. On pourrait citer l'anecdote du rédacteur en chef du Cercle Psy qui s'est fait virer du jour au lendemain d'un stage sur l'autisme pour avoir osé prononcer le mot "neurosciences" (non pas pour l'opposer à la psychanalyse -qu'est-ce que ça aurait été!- mais pour demander un avis sur tel élément qui avait l'air intéressant), d'un psychanalyste qui, dans une émission sur le sommeil, avait été contredit, sur une affirmation précise sur les rêves, avec des éléments tirés de recherches scientifiques, et n'a rien trouvé d'autre à répondre que le fait que son interlocutrice manquait de culture, ...

 Impossible donc, et je suis le premier à le déplorer, de répondre précisément à la question de départ. Savoir si la psychanalyse est ou non une pseudoscience, va dépendre du·de la psychanalyste! S'iel confronte ses connaissances aux avancées scientifiques plus fiables, c'est bon signe, s'iel répond à ses contradicteur·ice·s qu'ils font du scientisme, qu'ils sont du côté de l'ennemi, c'est une indication plutôt limpide qu'il est préférable de ne pas trop écouter ce qu'il raconte. Je trouve simplement un peu dommage, qu'à cette situation complexe, soient souvent opposés des points de vue binaires.

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