J'ai un peu hésité à parler de cette série ici parce que, si elle
est tirée d'un livre autobiographique, je ne sais pas dans quelle
mesure la série est fidèle au livre, ni même d'ailleurs dans
quelle mesure le livre est romancé ou colle strictement à la
réalité. Mais bon, je n'avais pas parlé de Compliance pour des
raisons similaires, et après coup j'ai réalisé que c'était quand
même con, donc je parle de My Mad Fat Diary malgré mes réserves. La série elle-même a l'ambition d'aller au delà du
divertissement, puisque le site web de la chaîne de télévision qui
la diffusait proposait un complément "pour celles et ceux qui se sont sentis concerné·e·s par les problèmes de Rae" (par contre je n'ai aucune
idée de la forme ni de la qualité). Et puis, j'en ai entendu parler
par une personne sur Twitter qui n'osait pas la regarder entièrement
parce que ça lui rappelait trop des moments douloureux par lesquels
elle était passée, donc on peut imaginer que ce n'est pas non plus
fantaisiste.
La série nous narre les tribulations de Rachel Earl, en l'an de
grâce 1996. Rae est en surpoids, s'automutile, n'a pas vu son père
depuis sa petite enfance, est sujette à des crises de panique, est
adolescente (16 ans), ne peut pas manger devant des gens (à part sa
mère, avec laquelle elle a des relations qui pourraient parfois
bénéficier de l'assistance d'un·e diplomate de l'ONU), a une estime
de soi qui tend à tirer vers le bas voire le très très bas, et au
moment où l'histoire débute sort d'un hôpital psychiatrique où
elle a été admise après une tentative de suicide. Mais l'intérêt,
justement, c'est que la série nous parle de Rae Earl, et pas de ses
symptômes. Sa thérapie, et les souffrances liées à sa pathologie
sont présentes, parfois très présentes, mais c'est du personnage
principal dans son ensemble qu'il est question. Ça fait un peu
penser à une des choses que disent Pedinielli et Fernandez sur le sujet
et l'objet : l'apprenti·e psy ne sera pas tant tenté que ça de
faire un puzzle avec les différents symptômes et des calculs
savants sur le thème de la comorbidité pour établir un diagnostic, ni de
chercher frénétiquement si la thérapie la plus adaptée serait
analytique, cognitivo-comportementale ou magnéto-systémique. On
s'intéresse à la vie de Rae Earl, à sa passion pour la musique, à
sa meilleure amie moins bizarre, plus intégrée, plus belle, plus
riche (arrêtez de m'insulter, je parle du point de vue de Rae!), qui
peut sans préavis se montrer très prévenante ou d'une grande
cruauté, aux unions et tensions de son groupe d'ami·e·s, aux hommes
auxquels elle aimerait faire des choses qu'elle décrit en des termes
bien trop colorés pour que mes traductions maladroites puissent leur
rendre justice, à sa mère qui enchaîne les régimes exotiques et
qui vient de tomber folle amoureuse d'un immigré clandestin qu'elle
dissimule donc chez elle, ... Et on part de là pour percevoir ses
souffrances, sa peur d'être cataloguée malade mentale (à
l'appréhension des crises de panique, s'ajoute la peur d'avoir une
crise de panique en public), ses complexes, la différence entre ses
relations avec les autres patient·e·s de l'hôpital psychiatrique et avec ses
ami·e·s de l'extérieur... C'est un peu une étude de cas filmée de 10
heures, sauf que le psy (je ne sais pas s'il est -chiatre ou
-chologue) n'est pas le narrateur mais un personnage parmi d'autres.
D'ailleurs, un des points forts de la série est que la grande
majorité des personnages n'est pas stéréotypée, même si certains
peuvent en donner l'impression (la série aurait probablement pu être
tout aussi intéressante si elle était centrée sur la mère, ou la
meilleure amie, de Rae). Le psy ne fait pas exception : si dès
le premier épisode il montre, dans une métaphore agréable faute
d'être discrète, qu'il sait prendre des libertés avec le cadre, ce
n'est pas un superpsy du type de celui de Will Hunting qui sait tout
ce qu'il faut faire et quand il faut le faire et qui a une proximité
unique avec au moins le personnage principal parce qu'il bouleverse
l'ordre établi et qu'il a lui aussi une blessure grave et secrète.
La plupart du temps ses thérapies sont parfaitement classiques, et
il lui arrive de se ramasser et d'en souffrir.
Une série à voir, qui fait réfléchir malgré les inconvénients
de la fiction et plus encore de la semi-fiction, et à voir, par
pitié, en VO (je doute que la VF existe pour l'instant, mais dans le
doute, j'insiste). Je suis un intégriste de la VO en général, mais
franchement, rater l'accent de Rae (qui parle aussi en voix off -ben
oui, c'est un journal intime adapté en série- donc on l'entend
presque constamment) ou la parfaite articulation entre sa diction et
les expressions de son visage, c'est criminel (et puis le langage non-verbal donc c'est important, et toc!).
Sinon, je ne suis pas en train de regarder des séries au lieu de
passer du temps sur mes cours (même si, vu les notes qui sont
arrivées, ça pourrait être une bonne initiative d'arrêter les dégâts -le terme de
"correction" des copies a pris tout son sens-). Enfin, là,
techniquement, si (mais ça ne compte pas parce que... parce que...
oh, regardez ce bel arc-en-ciel!), mais des références plus
académiques vont bientôt suivre. Et la série est bien!
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