Après avoir écrit sur l'anorexie, l'autrice, psychiatre et
psychanalyste, forte de 25 ans d'expérience dans le traitement des
troubles du comportement alimentaire, offre un guide pour être moins
démuni·e face à la boulimie. Si elle est psychanalyste, et si une
part importante du livre sera consacrée à une approche analytique,
en particulier à travers des extraits d'entretiens ou des analyses
de rêve, la pluridisciplinarité y est essentielle (endocrinologie,
thérapies comportementales et cognitives, diététique, voire droit
quand le traumatisme à l'origine de la boulimie est une violence et
que la patiente souhaite porter plainte, …) - "il n'y a pas
d'incompatibilité entre les apports des thérapies comportementales
du soin de la boulimie et les apports psychanalytiques au sein d'une
même consultation"-, et l'importance de la pluralité des
intervenant·e·s (hôpital, médecin généraliste, psychiatre,
thérapeute libéral·e) est également rappelée pour cette lutte au
long cours contre une pathologie à la guérison difficile par
plusieurs aspects (ce rappel de la diversité des intervenant·e·s est
l'occasion pour l'autrice de signaler au passage que diminuer le
budget de la santé n'est pas la plus lumineuse des idées - "la
rareté des propositions de soin en santé publique française
contemporaine hospitalière est, nous semble-t-il, une des causes de
l'aggravation des troubles du comportement alimentaire : on a
tendance à intervenir trop tard par manque de lit ce qui aggrave la
durée des hospitalisations et parfois les rend inefficaces à long
terme"- ).
Si
la notion de chaos était très présente dans le livre de Colette
Combe sur l'anorexie, dans le cas de la boulimie aussi, les
perturbations de l'alimentation, à travers un déséquilibre violent
du fonctionnement habituel des hormones, a des répercussions sur
d'autres rythmes du corps, en particulier le sommeil (la boulimie
tend à provoquer un endormissement épuisé en fin de nuit, à la suite de plusieurs crises), ainsi qu'une sensibilité moindre à la douleur
physique et psychique. Le fonctionnement en est expliqué en détail. La
première urgence est donc, à travers une explication pédagogique
détaillée et des consignes précises, de rétablir le sommeil ("on
commence le traitement par la correction du trouble du sommeil qui
réduit les nuits d'une personne boulimique à peau de chagrin")
puis plus tard la sensation de satiété ("On distend un estomac en
quelques jours. Le volume des prochains repas ne remplira plus
l'estomac agrandi"). Cette étape est déjà douloureuse pour
la patiente, les rythmes normalisés diminuant la sécrétion de
cortisol donc l'anesthésie qui va avec ("dormir lève le déni de
l'épuisement", "dans l'état boulimique, l'état
émotionnel est instable", …). Cette première difficulté n'est toutefois pas la dernière.
Les troubles du
comportement alimentaire sont réputés incurables, et sans parler du
fait que patient·e comme thérapeute (l'autrice appelle à plusieurs
reprises à la vigilance sur les contre-transferts) risquent dans ce
long parcours d'être découragé·e·s à plusieurs reprises, les
obstacles objectifs sont potentiellement nombreux : rechutes,
dépression très souvent observée à l'approche de la guérison
("la dépression de croissance sort du chaos", "la personne en
voie de guérison vit sous un double horizon : elle retrouve un
corps qui marche mais elle perd un moyen de défense qui marchait
finalement assez bien jusque là"), réactions paradoxalement
négatives des parents ("nier la guérison, ne pas recevoir la
transformation de sa fille, nous l'observons tous avec stupéfaction
chez les mères de nos patientes quand elles guérissent"), perfectionnisme des patientes qui acceptent difficilement les rechutes ou la lenteur des progrès, ... La
première arme contre ces obstacles est la patience et la
disponibilité ("la guérison ne pousse pas en un jour, elle
ressemble à un arbre", "il vaut mieux pour notre travail un peu de
changement, lentement, sans défaire, que beaucoup de changement qui
se défait ensuite") et, s'il importe de restaurer les rythmes
chronobiologiques en préalable à un travail thérapeutique plus
avancé, il importe aussi dans l'analyse de respecter le rythme de la
patiente ("les interprétations ne marchent pas si elles sont
consistantes et volumineuses", "les erreurs à ne pas faire :
vouloir tout savoir ; il nous faut seulement un tout petit trou,
une toute petite connaissance d'elle par où l'aider", "comment
explorer cette voie sans l'influencer?", ...).
Si
les voies d'entrée dans la boulimie sont clairement identifiées
(traumatisme -qu'il faut dans ce cas traiter parallèlement-, suite
d'un régime restrictif dur auquel ont été ajoutés vomissements ou
laxatifs, ou déclenchement qui semble iatrogène après une anorexie
restrictive ou une cure d'amaigrissement, ce qui peut poser à un
moment ou à un autre le problème de la responsabilité de
l'institution), les enjeux sont divers, et la cure analytique est
d'abord un échange ("les voies de passage sont semées
d'embûches et de découvertes", "nous croisons nos
expériences du soin de la boulimie avec celle de nos patients", …). Les enjeux inconscients révélés par l'analyse seront en effet divers : pallier une absence, refouler une hostilité, appréhension du passage à l'âge adulte et de ses conséquences dans l'équilibre familial, perception de la bouche (qui n'est pas sans rappeler certains aspects du Moi-Peau) comme une porte vers l'extérieur qu'on peut ouvrir ou fermer ("la bouche de la parole, de l'expression et des repas est ainsi l'espace d'articulation et de clôture d'un territoire ainsi que l'espace de son ouverture à un point exogène"), ... Certains points seront particulièrement détaillés à travers des vignettes cliniques.
Le livre, tout en étant récent et exigeant (plusieurs disciplines y cohabitent, mais le développement théorique est aussi le résultat de discussions rigoureuses et animées entre collègues spécialistes), est abordable même s'il serait peut-être exagéré de dire qu'il est facile à lire de A à Z. Il devrait pouvoir intéresser les professionnel·le·s mais aussi les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire et leurs proches, et les soignant·e·s expérimenté·e·s profiteront plus pleinement des finesses des passages les plus novateurs ou les plus avancés.
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