Ce classique de la
psychanalyse est chaudement recommandé, en particulier par
Anne Ancelin Schützenberger, qui oublie quand même de préciser que
l'ensemble ne se lit pas tout à fait comme un roman. En effet, entre
les réflexions avancées sur des concepts précis de psychanalyse et
le fait que de nombreux développements théoriques sont dans la continuité de la
phénoménologie, branche de la philosophie réputée
particulièrement incompréhensible, j'ai plusieurs fois pensé qu'à
la place de ce résumé j'allais vous proposer des vidéos avec des
chats (parce que c'est bien aussi). Inutile de préciser que, malgré
ma bonne volonté (d'ailleurs pour ceux qui auraient la drôle d'idée
de chercher à comprendre quelque chose à la phénoménologie je ne
saurais trop recommander cette vidéo, dont je ne prétends pas non
plus maîtriser le contenu mais qui est de très loin ce que j'ai
trouvé de plus intelligible comme présentation de la bête), une part
importante du livre (qui consiste en fait en divers articles -l'un
d'eux intitulé, vous ne devinerez jamais, L'écorce et le noyau-,
présentations de livres et conférences mis bout à bout) m'est
restée parfaitement obscure.
L'auteur et l'autrice s'attardent longuement sur la notion,
en effet importante en psychanalyse, de symbole, le symbole étant
distinct, par exemple, du signe ("la symbolisation ne consiste pas à
substituer une "chose" à une autre, mais à résoudre un conflit
particulier en le transposant"). Cette redéfinition du symbole
permet non seulement d'appuyer une réflexion sur la psychanalyse
mais aussi d'établir des conclusions cliniques : l'accès au
symbole est un pas décisif vers la guérison ("c'est le refoulement
de son origine métaphorique qui fait le symbole", "l'écoute
analytique commence au moment où à la place de ce que dit le
patient on entend des symboles"). Le symbole se manifeste aussi
(souvent d'ailleurs : les sonorités et homophonies prennent
beaucoup de place dans les analyses des vignettes cliniques) sous
forme auditive : le travail analytique a alors pour objet de
désamorcer un emboîtement qui fait qu'un mot, s'il évoque
indirectement un traumatisme (par exemple lié à un autre mot à la
sonorité proche), déclenchera la pulsion ("ces représentations
acoustiques elles-mêmes étaient reliées vers l'intérieur à des
représentations de "choses" (comprenant sans doute aussi des
représentations acoustiques de "choses" et de mots-choses)
greffées sur les pulsions"). En considérant que l'accès au
symbole par le patient permet la guérison, iels sont plus optimistes
que Freud lui-même sur le sujet : lorsque l'Homme aux rats
(l'une des Cinq psychanalyses)
lui demande en quoi identifier la cause du symptôme permet de le
résoudre, le créateur de la psychanalyse est assez embêté pour
lui répondre et parle vaguement de catharsis (et ce alors que
l'Homme aux rats est la seule thérapie réussie que Le
livre noir de la psychanalyse
accorde à Freud, même si les auteur·ice·s déplorent qu'il soit mort peu
après, trop tôt pour observer une éventuelle rechute).
L'écorce et le
noyau qui ont donné son titre au recueil de textes sont aussi une
question de signifiant et de signifié. Le texte qui a lui-même ce
titre est d'ailleurs un commentaire du Vocabulaire de la
psychanalyse de Laplanche et
Pontalis (dictionnaire ambitieux qui a impliqué une relecture et une
confrontation des textes fondamentaux, parfois en plusieurs langues,
pour définir avec précision tous les concepts). L'auteur et l'autrice
s'attardent dans ce texte sur la spécificité de la psychanalyse
dans le langage, en particulier le fait de mettre une majuscule aux
mots (Plaisir, Décharge, ...) pour différencier leur sens
analytique de leur sens courant, ce qui revient selon elle et lui à les
priver de leur sens courant ("voilà justement le rôle des
majuscules : au lieu de les re-signifier, elles dépouillent les
mots de leur signification, les dé-signifient
pour ainsi dire") et permet de développer le concept d'anasémie de
la psychanalyse. Les concepts qui ont donné son titre à cet article
comme au livre désignent, pour le Noyau, l'Inconscient freudien, et
pour l'Enveloppe, le corps : l'objet de ces concepts est
d'enrichir et de nuancer la notion de Somato-Psychique (pour une
raison qui m'échappe, les majuscules, pourtant au centre du texte,
disparaissent dans le titre, et l'Enveloppe y est rebaptisée
écorce). Comme il est question de précision des concepts et de
nuances complexes, je vais m'arrêter à ces données
assez vagues car comme je n'ai pas tout compris, on court à la
catastrophe si j'essaye d'expliquer le texte : j'invite les
motivé·e·s à lire cet article de 20 pages en prenant leur temps, des
notes et éventuellement de l'aspirine.
Pour celles et ceux qui
comme moi sont entré·e·s là parce qu'iels ont suivi les indications
d'Anne Ancelin Schützenberger, ne partez pas tout de suite : il
est bel et bien question, et en abondance (le livre se termine
d'ailleurs sur un long extrait d'Hamlet
où un spectre se manifeste bruyamment pour éviter qu'un secret
honteux ne soit dévoilé), de traumatisme inter-générationnel.
Tant à travers des cas cliniques qu'à travers des développements
théoriques, il est question du poids de secrets de familles honteux,
de deuil non faits ("Tous les morts peuvent revenir, certes, mais il
en est qui sont prédestinés à la hantise. Tels sont les défunts
qui, de leur vivant, ont été frappés de quelque infamie ou qui
auraient emporté dans la tombe d'inavouables secrets", "ce ne sont
pas les trépassés qui viennent hanter, mais les lacunes laissées
en nous par les secrets des autres") qui rendent l'analyse insoluble
tant que l'analyste ne cherche la solution que dans la biographie de
son ou sa patient·e ("il arrive que des révélations providentielles
fournies à point nommé par l'entourage, viennent à la rescousse
pour apporter les pièces manquantes"). En revanche, à l'instar de
Schützenberger qui admet régulièrement son échec sur ce point,
ils ne savent pas trop comment le traumatisme se débrouille pour
passer d'une génération à une autre (iels parlent d'un passage
"dont le mode reste à déterminer").
Je l'ai précisé
plus haut, ce livre est un recueil de textes : le contenu
(et, à mon grand soulagement, la complexité) est très varié (et,
si un plus grand honneur est fait aux développement théoriques, il
y a aussi une place conséquente accordée aux vignettes cliniques,
dont une part concerne l'Homme aux loups auquel l'auteur et l'autrice ont déjà
consacré un livre). Je ne me suis par exemple pas attardé sur le
concept d'introjection (modalité analytique du deuil qui consiste à
avaler métaphoriquement l'objet perdu), sur le bilan des apports de
Mélanie Klein à la psychanalyse au cours de sa carrière, ni sur le
dictionnaire des concepts qu'Imre Hermann (qui aurait influencé
Balint, Spitz, Bowlby, Winnicott ou encore Lacan) développe dans
L'instinct filial. Le
livre est plutôt destiné aux spécialistes et la plupart des textes
sont bien plus profitables si on les lit en prenant son temps, mais
d'autres sont bien plus accessibles et sont intéressants aussi.
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