Oui, l'auteur est bien LE Phillip Zimbardo, même si
moi aussi ça m'a fait bizarre quand j'ai vu ce livre dans la
bibliographie d'un chercheur en psychologie sociale, connu pour avoir
dirigé (et arrêté) la fameuse expérience de Stanford. J'ai cru
qu'il s'était perdu, ou alors qu'un de ses mémoires universitaires
avait été publié par erreur, mais c'est en fait non seulement un
thème qu'il a choisi, mais aussi un thème qui lui a été inspiré
par l'expérience de Stanford en question, où il a pu constater de très près
que, par l'effet du seul contexte, des individus s'affirmaient bien
plus que de raison alors que d'autres s'appliquaient à s'affirmer le
moins possible. Il a approfondi le sujet par des discussions
informelles avec des étudiant·e·s, puis avec des vraies recherches.
Le
livre est scolairement divisé en deux parties, annoncées dans le
titre. Ce serait mentir de dire que le·a lecteur·ice va de surprises en
surprises dans la première partie, qui décrit en quoi consiste la
timidité, mais il y a quand même quelques éléments intéressants,
par exemple le fait que certaines célébrités (acteur·ice·s, sportif·ve·s,
chanteur·se·s, avocat·e·s, …), pas vraiment connues, on s'en doute, pour
leur tempérament introverti, souffrent en fait de timidité :
s'affirmer devient parfois un moyen de défense, et un tempérament
autoritaire ou agressif peut en fait en être le résultat. La
timidité est par ailleurs décuplée dans les situations ambiguës,
où le comportement à adopter n'est pas aimablement imprimé sur un
script, fût-il métaphorique : l'ultraspécialisation, le fait
d'être une référence dans son domaine, est donc aussi une forme de
défense efficace. Une expérience intéressante est rapportée pour
mesurer l'impact de savoir ou non ce qu'on a à faire : des
groupes d'étudiants, hommes, divisés entre timides et non timides,
devaient écouter une conférencière (bien charmante, Zimbardo le
répète à de nombreuses reprises), seuls, sous le regard des
chercheur·se·s, puis étaient testés sur ce qu'ils avaient retenu (pour
évaluer à quel point la situation les avait déconcentrés). Dans
un cas, ils étaient encouragés à poser des questions après la
conférence, dans un autre ils ne devaient pas parler à la conférencière, et dans un
troisième ils la voyaient sur un écran de télé. Contrairement à
ce qu'on pourrait imaginer, les étudiants timides étaient bien plus
perturbés dans le troisième cas, où étant seuls dans la pièce
ils étaient très préoccupés par leur situation d'observé, que
dans la première où ils avaient quelque chose de précis à faire.
Cet aspect fait de la timidité une prophétie autoréalisatrice :
en société, la personne timide va avoir plus de mal à se comporter
de façon adéquate car plus angoissée, donc va effectivement se
comporter publiquement de façon moins adéquate et appréhender
encore plus la fois suivante.
L'auteur rappelle par ailleurs que le degré de timidité peut être
très variable, de la gène qui finit par passer dans certaines
situations spécifiques à la phobie sociale qui empêche de sortir
de chez soi. Bon, il parle aussi de la violence que la timidité peut
causer, mais disons que faire une liste de faits-divers où le·a
meurtrier·ère était connu·e pour être timide/discret·ète n'est peut-être pas
la méthodologie la plus fiable pour tirer des conclusions, même si
ça peut permettre de faire une anthologie intéressante (j'attends
avec impatience le chapitre qui expliquera que les propriétaires de
hamster ou les joueur·se·s de curling sont des meurtrier·ère·s en puissance,
et ne parlons même pas des gens qui viennent de manger des
spaghetti).
La
deuxième partie, comme promis dans le titre, est un mode d'emploi
pour se débarrasser de la timidité, que ce soit en renforçant son
estime de soi, en optimisant ses relations sociales, … Il y a
également un chapitre, qui intéressera plutôt les enseignant·e·s,
pour aider les autres à surmonter la timidité. La méthode n'est
pas originale ni sexy mais, on ne pourra pas dire le contraire, c'est
une méthode. Point de paroles de sagesses qui ambitionnent de
déclencher une illumination, mais un questionnaire d'auto-diagnostic
suivi d'un programme très spécifique : c'est probablement
efficace, mais il faut s'y mettre (le questionnaire d'auto-diagnostic
est d'ailleurs aussi là pour mesurer les progrès). Se fixer des
objectifs progressifs et accessibles, tenir un journal pour comparer
nos appréhensions et ce qui s'est effectivement passé, faire un
planning pour s'assurer qu'on a effectivement fait les exercices dans
un temps donné plutôt que de prévoir de les faire plus tard (c'est
dommage, je suis particulièrement fan de cette dernière option),
exercices qui vont consister à prendre l'habitude de complimenter et
recevoir des compliments, engager la conversation avec des inconnu·e·s
ou alors s'adresser des compliments valorisants après avoir pris le temps de se
mettre en état de relaxation, .... Un mode d'emploi est également fourni
pour avoir (dans l'idéal engager) une conversation détendue dans
différentes situations (sachant que les lieux qui servent
implicitement à draguer sont en fait le pire endroit pour ce faire,
puisque la conversation aura un enjeu, ou sera supposée en avoir un,
enjeu qui pour ne rien arranger suppose une évaluation sévère -ah,
et tant qu'on est sur un sujet voisin : pour draguer, la rue est le pire endroit - ), mais aussi pour gérer les situations sociales
épineuses, comme la séduction justement (l'auteur précise à toute
fin utile que quand on dit "non", rien n'impose de se
justifier), ou encore engueuler son prochain exprimer son
mécontentement (la méthode DESC, pour Décrire -dire ce qui ne va
pas-, Exprimer -préciser que la situation nous ennuie-, Spécifier
-proposer une solution-, Conséquences -dire ce qu'on fera de gentil
si la solution proposée est adoptée-, à ne pas confondre avec la méthode SILENCE qui sert à ne pas contrarier quelqu'un qui a eu
sans s'en rendre compte un comportement raciste).
Les
conseils proposés rappellent très très fortement les thérapies
comportementales et cognitives, et ont sans doutes été dépassés
depuis vu que le livre date de 1977 (comme Star Wars) et que ces
thérapies, qui sont particulièrement adaptées contre les phobies
sociales, ont tendance à évoluer rapidement (en bien, contrairement
à Star Wars). Et, oui, c'est pas la peine de me regarder comme ça,
j'aurais pu y penser avant de commander le livre. Reste qu'il est
bien pratique, qu'il est parfaitement compréhensible et que, à mon
avis, les conseils fonctionnent, même si les appliquer demandera du
temps et de l'énergie et que le livre est donc plutôt à
recommander à des lecteur·ice·s qui
veulent s'attaquer fermement au problème (et, accessoirement, des
lecteur·ice·s anglophones, sinon ça va être bien plus compliqué que
nécessaire).
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