Abraham
Maslow est surtout connu pour sa fameuse pyramide, dont une version
mise à jour est disponible ici (même si ça semble évident, je
précise que ce dessin est humoristique : une représentation
sérieuse aurait bien sûr inclus le café, en dessous du Wi-Fi).
Ce livre détaille les raisonnements qui sont derrière cette
pyramide, ce qui permet de se représenter plus précisément ce
qu’elle implique. Il précise par exemple qu’aucun des besoins
représentés par des étages n’est jamais satisfait à 100 %.
Il ne s’agit donc pas d’un processus linéaire qui voudrait
qu’une fois atteint le sommet d’un étage, on passe
automatiquement au suivant, mais d’une représentation de
priorités : en substance, on se soucie rarement de mieux
comprendre les subtilités de la poésie surréaliste quand on n’a
pas mangé depuis 3 jours. Maslow va d’ailleurs appliquer ce
raisonnement aux mouvements sociaux (une minorité dont la
survie est en danger va d’abord chercher à se faire accorder assez
de ressources pour satisfaire ses besoins primaires, avant de se
poser la question, par exemple, d’obtenir le droit de vote), ce qui
me semble un peu simpliste (se battre contre une inégalité de
traitement, c’est, au-delà de la recherche de meilleures
conditions de vie, revendiquer son humanité… point de vue qu’on
peut par ailleurs parfaitement argumenter avec les concepts même de
Maslow!). Cette vision de la satisfaction des besoins est d’autant
moins linéaire qu’une même action peut avoir des significations
différentes : la séduction peut avoir pour objet d’améliorer
l’estime de soi plus que de soulager la frustration sexuelle, un
enfant qui hurle parce que ses parents lui refusent une glace peut
être perturbé par le fait que ses parents ne lui obéissent pas
au doigt et à l’œil parce qu’il y perçoit un manque
d’affection plutôt que parce que l’idée de ne pas manger de
glace là maintenant tout de suite lui est à ce point insupportable
(j’ai l’impression que Maslow aime moins les glaces que moi, mais
c’est un autre sujet), … Autre point important, Maslow avance
qu’un individu dont les besoins sont habituellement comblés
supportera mieux la frustration, parce qu’il sera moins angoissé
par la perspective du manque… esquissant en avance des éléments importants de la si précieuse théorie de l’attachement.
L’auteur s’attardera
particulièrement sur le sommet de la pyramide, la réalisation de
soi, nous faisant partager le résultat d’une recherche sur les
personnes qu’il estime s’être pleinement réalisées, qu’il
poursuivra sur de nombreuses années (on peut déplorer qu’en
dehors de la sélection des sujets, il est particulièrement discret
sur la méthodologie, ce qui laisse redouter qu’il ait relevé les
récurrences qu’il supposait au départ qu’il allait trouver). On
peut trouver, ce qui ne sera pas sans faire écho au grand succès
clinique de la méditation, les capacités d’acceptation, ou
d’accepter l’instant présent, le fait de privilégier la qualité
à la quantité dans les relations sociales (toute ressemblance avec
le tempérament réservé de Maslow présenté en introduction est
forcément une coïncidence), l’éthique, l’humilité,
l’indépendance d’esprit (la personne épanouie n’ira pas
contre l’ordre établi au nom de l’anticonformisme, mais fera
spontanément ce qui lui semble pertinent même si ça va contre la
norme sociale), le fait de s'intéresser autant au processus en soi qu'à l'atteinte de l'objectif lorsqu'on cherche à accomplir quelque chose, … Par ailleurs, selon lui, les besoins les plus
élevés sur la pyramide sont les plus spécifiquement humains, mais
aussi les plus altruistes (remplir son propre estomac ne permet pas
particulièrement d’aider son prochain, alors que l’affection, le
savoir, peuvent se partager). Il constate aussi que la créativité,
sujet important pour lui, n’est pas directement liée à la
réalisation de soi, contrairement à ce qu’il pensait au départ :
de grand·e·s artistes sont connu·e·s pour leurs souffrances, et au
contraire des personnes très épanouies ne font pas nécessairement
preuve de la moindre créativité. Pour lui, le point de départ de
la créativité est l’absence d’inhibition, la capacité à ne
pas redouter le jugement de l’autre, et son accomplissement est
permis par le travail, pour affiner et sublimer l'intuition de départ.
Maslow prend le temps
d’étendre son raisonnement à des sujets plus généraux, en
particulier la recherche scientifique et la conception générale de
la psychologie clinique, mais ces parties m’ont plutôt évoqué,
en dehors du constat que la psychologie clinique se préoccupe
infiniment plus de comment ne pas aller mal que de comment aller bien
(Wikipédia me dit dans l’oreillette que la psychologie positive
est officiellement née en 1998, soit longtemps après la mort de
Maslow), un (long!) alignement de lieux communs. L’auteur déplore
en particulier que la recherche scientifique reste enfermée dans une
méthodologie restrictive, ou encore la spécialisation (alors qu'on pourrait bêtement croire que c'est plus pratique pour connaître l'état de la science, préalable qui facilite quand même un peu les choses pour proposer des recherches innovantes), ce qui limite considérablement ses champs
d’exploration (allant jusqu’à évoquer l’histoire de la
personne qui cherche ses clefs sous le lampadaire alors qu’il les a
perdues ailleurs parce que sous le lampadaire il y a de la lumière),
mais à la fin de son développement je n’avais pas
particulièrement compris comment la recherche scientifique était
possible sans institution et sans méthodologie, ce qui n’empêche
pas par ailleurs de critiquer les institutions et la méthodologie
pour en améliorer le fonctionnement (de façon plus générale,
Maslow s’attarde dans un autre chapitre sur les avantages et les
inconvénients du réflexe humain de former des catégories, mais
comme les auteurs de ce livre là il me semble que la
catégorisation a plus d’avantages que d’inconvénients, et,
malgré ses nombreuses injonctions à sortir des cadres et à se
méfier de l’acquis, il ne semble d’ailleurs pas trouver
insupportablement restrictif d’écrire son livre dans le carcan du
vocabulaire et de la grammaire existants).
Le livre est
ouvertement ambitieux (peut-être parfois un peu trop selon moi), et
moins obsolète qu’on ne pourrait le croire. C’est aussi
probablement le moyen le plus direct de savoir en quoi consiste
exactement la célébrissime pyramide de Maslow.
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